Jours disponibles pour les travaux des champs

De Les Mots de l'agronomie
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Auteurs : Alexandre Joannon, François Kockmann, Pierre Morlon et François Papy

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Article accepté le 10 octobre 2020
Article mis en ligne le 10 octobre 2020

Définition

Apparues au XIXe siècle, les expressions jours utiles puis jours disponibles désignent alors le simple décompte des jours où il avait (ou aurait) été possible de travailler le sol dans de bonnes conditions et avec de bons résultats, en un lieu donné et pour une année donnée ou un mois à l’intérieur de cette année.

Au milieu du XXe siècle, Kreher en Allemagne invente la notion statistique de jours disponibles pour les travaux des champs (verfügbare Feldarbeitstage), résultat d’une analyse fréquentielle des données climatiques sur plusieurs années : c’est, en un lieu donné, le nombre de jours dont l’agriculteur est statistiquement assuré de disposer, au moins quatre années sur cinq (ou à une autre fréquence), pour réaliser une opération donnée, pour chaque période (Kreher, 1953, 1955, voir annexe 1). À la même époque en France, Andribet (1954) confronte (sur une base mensuelle), les journées de travail nécessaires au « nombre de jours normalement disponible compte-tenu des conditions habituelles de climat » (annexe 2).

Parfois appelée plus tard en France jours agronomiquement disponibles, cette notion est principalement appliquée au travail du sol des cultures annuelles, mais peut s’appliquer à tous les travaux dépendant, d’une façon ou d’une autre, du climat : moisson (Reboul, 1966), séchage du foin (Luder, 1974, 1977, 1982 ; Granger et al., 1987), semis du maïs (Maton et al., 2007), traitements phytosanitaires (Barbeau et al., 2014).

Estimer les jours disponibles – par enquête sur les travaux réalisés ou qui auraient pu l’être, ou en modélisant l’état du sol en fonction du climat – sert à ajuster l’assolement et les systèmes de culture, qui déterminent les travaux à faire à chaque période de l’année, à la main d’œuvre et à l’équipement pour les réaliser.

L’idée de « jours disponibles » au fil de l’histoire longue

Travaux aux champs aux bons moments, entre atouts et contraintes climatiques

« Aux champs comme à la ville c'est toujours à un moment qu'on ne peut remettre que s'accomplissent les opérations les plus importantes » (Xénophon, ca. 375 av. J.C., V, 4).

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« En général, pour qu’une terre se laboure avec effet, et sans trop de fatigue pour les attelages, il faut qu’elle ne soit ni trop sèche ni trop humide : trop sèche, elle est difficile à entamer, se soulève par grosses masses, fatigue beaucoup les animaux et forme un guéret raboteux ; trop humide, elle est lourde sur la charrue, et par conséquent fatigante pour les attelages, elle se corroie, se pétrit et se durcit ensuite fortement au soleil. Mais il y a certaines natures de terre qui exigent plus d’humidité que d’autres, pour être labourées à propos. Le laboureur connaît, à cet égard, la disposition de ses champs ; et il juge, par la quantité d’eau qui est tombée, par le temps qui s’est écoulé depuis la pluie, par le degré de chaleur qu’il fait, ou le vent qui a soufflé, s’il peut labourer convenablement telle ou telle pièce de terre (…) Il y a des fermes qui ont deux ou plusieurs natures de terres très différentes, et dans lesquelles il est presque toujours possible d’occuper convenablement les charrues. » (Pictet, 1801 : 14 & 19).

Certains travaux des champs, parmi les plus importants, ne sont pas « différables » : pour avoir de bons résultats, ils doivent être faits à une date précise ou quand les plantes ont atteint un stade ou un état précis ; les retarder a des conséquences plus ou moins graves. « Le Laboureur ne doit jamais aller aux champs qu’il ne soit en état de faire un labour parfait (…) Il faut faire les labours à point, ni trop tôt ni trop tard, & prendre si bien son temps pour la première façon, que l’on soit moralement sûr d’avoir le temps & les saisons propres pour pouvoir donner à propos toutes les autres » (Liger & B, 1721 : 524-525). « La perte du temps est irréparable. Notre cultivateur saura donc mettre à profit tous les moments favorables aux travaux » (Chrestien de Lihus, 1804 : 42) ; « Le retard ou l’anticipation d’une opération en retarde ou en avance beaucoup d’autres ; il arrive aussi qu’on est obligé d’en avancer une, afin de pouvoir en exécuter une autre qui ne peut être faite que plus tard » (Thaër, [1809] 1811 : 96-97).

Or les conditions météorologiques ne permettent pas toujours de les faire à ce moment-là.

La littérature agricole a toujours traité de ce problème (voir par exemple annexe 3), même si les données en ont considérablement varié selon les conditions :

  • techniques : remplacement des bœufs ou chevaux par les tracteurs ; roues-cages, pneus basse-pression…
  • sociales : en Angleterre à la fin du XIIIe siècle, Gautier de Henley comptait comme travaillables (on pourrait dire labourables), pour le plus grand profit du seigneur, tous les jours sauf les dimanches et fêtes religieuses, quelles que soient les conditions météorologiques !

Force de travail disponible et assolement

Avant les tracteurs, les labours, travaux demandant à la fois le plus d’énergie et de temps, limitaient la surface cultivée. On en faisait plusieurs avant les blés d’hiver, culture principale en tête de rotation : c’était la jachère, qui n’avait de bons résultats que si chaque labour était suivi d’un temps chaud et sec pour que les mauvaises herbes déracinées sèchent et meurent.

On labourait avec des bœufs ou des chevaux. « Le calcul du nombre des animaux à employer sur un domaine dépend de plusieurs éléments : 1° de la force de chacun d’eux ; 2° du temps pendant lequel elle pourra se déployer ; 3° de la résistance qu’ils auront à vaincre. Nous avons donné, dans le livre de la mécanique agricole, le moyen de calculer la force des animaux. Le temps dont on dispose est variable selon les climats et selon les institutions civiles et religieuses du pays où l’on cultive. La résistance varie non-seulement par rapport à la nature du sol, mais aussi par rapport à ses différents états de sécheresse ou d’humidité et à la durée réciproque de chacun de ces états » (Gasparin, 1849 : 356-357).

Du Moyen Âge au XIXe siècle, une préoccupation majeure est de calculer la surface qu’une charrue avec son attelage peut labourer en une année, et on mesurait souvent la surface des fermes en charrues : « une ferme de deux charrues », « une exploitation de trois charrues ». « Tout revient pourtant toujours au même point ; qui est de proportionner les bêtes & les ustensiles du labourage (…) on se règle sur l’usage des lieux & sur le temps qu’ont les bêtes de labour, qu’il faut toujours employer au plus pressant & au plus utile » (Liger, 1732 : 592 & 594).

En dernière instance, le facteur limitant était la disponibilité de fourrage pour alimenter les bêtes de labour.

Un point essentiel était le choix de l’assolement, « La succession des récoltes doit être calculée de manière que tous les travaux se suivent avec aisance, régularité et économie. » (Poirot de Valcourt, 1841). On ne peut le traiter dans cet article, mentionnons seulement ceci : « Contrairement à ce qu’on lit encore un peu partout, ce n’est pas sur le plan du rendement du sol, c’est-à-dire du produit brut, que se situe la supériorité de l’assolement triennal. Mais exclusivement sur celui du produit net, de la productivité du capital et du travail. Et cette supériorité se réalise au moyen d’une répartition des cultures dans l’espace qui correspond à une optimisation de la répartition des travaux dans le temps. Voilà ce qui fait l’essence de l’assolement triennal, et de tous les assolements plus complexes qui lui succéderont au XIXe siècle. Et voilà pourquoi l’assolement biennal n’en est pas un : toute idée de programmation en est absente » (Sigaut, [1982] 1988) (annexe 4).

Au-delà de l’ajustement structurel entre force de travail et besoins des cultures, la planification calendaire apparaît au tout début du XIXe siècle : « il est de la plus grande utilité pour tout agriculteur, de faire, chaque année, un tableau des opérations qui doivent être entreprises dans un temps donné, d’y indiquer les travaux qui ont le plus ou le moins d’importance, et les considérations qui s’y rapportent, ; de ne pas se borner à y porter les grands labeurs, mais d’y mettre surtout ces petits ouvrages qui échappent si facilement à la mémoire, à moins cependant que ces ouvrages ne demandent une connaissance parfaite du temps et de la température, ou qu’il ne puissent toujours être différés, si ce temps et les forces manquent. » (Thaër, [1809] 1811 : 97).

C’est semble-t-il la traduction par Crud (1811) des Principes d’agriculture rationnelle de Thaër (1809) qui introduit l’expression « jours utiles » (Thaër écrit Arbeitstage = jours de travail) : « avec les bœufs bien plus qu'avec les chevaux, on perd des jours où la pluie et les mauvais chemins les empêchent de travailler. Si dans l'année on peut compter sur 300 jours utiles de chaque cheval, en supposant cependant que, sur 12 chevaux, on en tienne un en sus pour remplacer ceux qui pourraient être malades, on doit en compter 250 pour chaque bœuf. (…) Il faut observer, au reste, que, dans les mauvais temps, les bœufs qui alternent ne donnent également pas autant de journées utiles que les chevaux, et que la proportion des unes aux autres est celle de 2 à 3 ou tout au plus celle de 5 à 6. » (pp. 102-103 & 114). Gasparin en 1849 compare les « jours de travail nécessaires » avec les « jours disponibles » (annexe 5). Mais la variabilité du climat suivant les années pose une difficulté redoutable, et cette notion n’a acquis un caractère opératoire que 100 ans plus tard, grâce à une définition statistique précise.


La notion de « jours disponibles » introduite en France par les économistes entre 1965 et 1985

Un retour sur l’histoire et l’intérêt des jours disponibles

Claude Reboul, économiste à l’INRA, qui a introduit en France le concept de jours disponibles, écrit en 1976 :

« L’emploi de l’expression “jours disponibles”, à propos des travaux agricoles, fait partie maintenant du langage courant des publications d’agronomie et d’économie rurale, et devient de plus en plus familière aux agriculteurs et aux agents de la vulgarisation. Peu d’entre eux sans doute savent que l’auteur du concept de “jours disponibles”, traduction littérale des termes allemands “verfügbare Tage”, est Gerhard Kreher, chercheur à l’Institut de Science du Travail et de Technique Agricoles de Bad-Kreuznach (...).

L’expression française n’était pas nouvelle. Déjà, Gasparin (1849 : 356-363) l’avait utilisée dans son cours d’Agriculture. Il lui donnait le sens des jours disponibles d’une campagne donnée, temps pendant lequel les conditions météorologiques et l’état du sol permettent l’exécution d’une façon culturale. Un seul exemple est cité, et les jours disponibles sont présentés par mois.

Le concept de G. Kreher est stochastique. Il désigne le nombre de jours sur lesquels un agriculteur est assuré de pouvoir compter, avec une forte probabilité, quelle que soit l’année, pour une période de travail déterminée. Ce nombre a par conséquent une valeur prévisionnelle. Le nombre seulement, et non la position ((précise)) dans le temps des jours disponibles, que l’état de la connaissance en matière de météorologie ne permet pas de prévoir avec précision autrement qu’à très court terme (cinq jours maximum). Les jours disponibles sont présentés dans le livre de Kreher par région climatique et par périodes de travaux, périodes définies selon les stades végétatifs à forte signification phénologique des plantes.

La connaissance des jours disponibles complète celle des temps d’exécution des travaux, pour le calcul de l’emploi de la main-d’œuvre et des équipements dans le cadre d’un système de culture donné. On peut ainsi, soit calculer l’effectif des travailleurs et les équipements nécessaires pour un assolement et un cheptel quelconques, soit inversement, calculer l’assolement et le cheptel assurant l’emploi le plus satisfaisant des travailleurs (...). L’intérêt qu’offre la connaissance des jours disponibles pour le calcul économique explique que le développement des recherches en France ait été directement lié à celui des études de gestion de l’exploitation agricole. (...) » (Reboul, 1976).


C’est ainsi que les jours disponibles constituent une variable importante dans les travaux des économistes visant à optimiser le système de production de l’exploitation agricole par la méthode de programmation linéaire (Brossier, 1980).

Différentes méthodes pour déterminer les jours disponibles

Par sa pratique, l’agriculteur a une connaissance empirique du nombre de jours disponibles sur lequel il peut compter pour exécuter ses travaux, notamment lors de chacune des périodes déterminantes de l’année, dans le contexte singulier de son exploitation. Cette connaissance est, pour chaque période bordée par des dates repères, une approximation en année « moyenne », sachant qu’il a toujours en mémoire les années atypiques, à risques. Fruit de son expérience très contextuelle, ce référentiel est peu transmissible à d’autres situations. C’est pourquoi des agents du développement ou de la recherche ont cherché à établir des références de jours disponibles pour différents climats, sols et interventions culturales.

Assez directement, une première manière de faire est de recueillir et d’agréger l’expérience des agriculteurs, par l’une ou l’autre des méthodes suivantes :

  • 1. L’analyse de calendriers de travail d’agriculteurs, lorsque ces calendriers sont disponibles sur plusieurs années, pour dénombrer les jours disponibles ; c’est par exemple la méthode employée par Kreher.
  • 2. L’enregistrement par des agriculteurs des jours disponibles pour certaines interventions culturales, à certaines périodes de l’année, durant plusieurs années, idéalement 10 ; cette procédure a été employée par la Chambre d’Agriculture de Seine-Maritime (1994) pour établir un référentiel pour le Pays de Caux ;
  • 3. L’enquête auprès d’agriculteurs, en leur présentant des relevés météorologiques de 10 années passées aux périodes des principaux travaux des champs ; c’est une manière de faire utilisée par des groupes de développement agricole de la région Centre (Schipfer & Blanvillain, 1990).

Pour que cette approche soit représentative d’une région donnée, il faut pouvoir mobiliser plusieurs agriculteurs (ou calendriers de travail) représentant la diversité des sols et des zones climatiques. La principale difficulté est la disponibilité des agriculteurs, en particulier pour la deuxième méthode citée qui exige une assiduité dans leurs notations durant 10 ans ! Et ces démarches ne sont pas transférables à d’autres conditions de sols et d’autres climats.

Pour dépasser en partie cette limite, la méthode de Kreher, adaptée en France par Reboul, relie les jours disponibles dénombrés aux données météorologiques. Par analyse statistique on établit d’abord une relation mathématique qui permet d’estimer des jours disponibles pour un sol et une intervention culturale donnés. Par exemple, pour un labour d’automne à Grignon près de Paris, Reboul et al. (1979) ont établi qu’un jour est travaillable si

Pj + 0,46 Pj-1 + 0,27 Pj-2 < 7,1 mm,
avec Pj = pluie du jour, Pj-1 = pluie de la veille et Pj-2 = pluie de l’avant-veille.

Avec cette méthode il est ainsi possible d’utiliser différentes données climatiques, et donc, pour un même sol et une même intervention, d’estimer les jours disponibles dans une autre région sans refaire d’analyse.

Les limites de ces démarches

Mobiliser l’expertise des agriculteurs dans l’évaluation des jours disponibles est à priori intéressant dans la mesure où on se situe au plus près de leurs pratiques, mais a plusieurs limites :

  • - il y a une très forte liaison entre l’évaluation des jours disponibles et l’équipement de l’exploitation : un jour peut être jugé disponible ou non selon cet équipement : puissance de traction ; roues cages et pneumatiques basse pression ; types d’outils et caractéristiques…
  • - il n’est pas possible d’objectiver le jugement de l’agriculteur. Lorsqu’il effectue une opération culturale donnée, il estime que le jour est disponible en fonction des effets visibles, parfois spectaculaires, telles que des ornières profondes avec fluage lors d’un charroi, pourtant moins dégradantes par rapport à la porosité texturale que certaines ornières discrètes ; seule l’observation du profil cultural permettrait de poser un diagnostic. Et, en dehors des jours où l’agriculteur a effectivement réalisé une opération, la démarche revient à lui demander de poser un pronostic sur chaque jour pour le qualifier de disponible ou non.
  • - les agriculteurs modifient leurs règles de jugement au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de la date « limite » pour une opération donnée : arbitrant entre le risque d’un retard et celui d’un travail en mauvaises conditions, ils acceptent de travailler dans des conditions qu’ils jugent eux-mêmes sous-optimales quand le déroulement des travaux leur laisse craindre de ne pouvoir finir à temps les opérations (Cerf et al., 1994).

Reboul continuera à améliorer la qualité de son modèle de détermination des jours disponibles : outre la pondération dégressive pour cause de ruissellement et d’infiltration au cours des trois derniers jours, il intégrera dans les données météorologiques la température en plus de la pluie. Dans les années 1975-1985, l’expansion du drainage pose la question de l’évaluation du gain en jours disponibles que celui-ci permet ; or deux hypothèses formulées par Reboul font que sa démarche ne peut répondre à la question, dans la mesure où il raisonne à technique constante et qu’il cherche à optimiser un plan de travail, implicitement dans un système de production stable. Or le drainage induit des modifications de l’assolement (fréquent retournement des prairies permanentes au profit de céréales ou de cultures fourragères), des itinéraires techniques des différentes cultures, voire des agroéquipements (Benoît et al., 1985 ; Andlauer, 1990).

Du concept de praticabilité aux « jours agronomiquement praticables » : le point de vue des agronomes (1985-2000)

Le concept de praticabilité du milieu

La thèse de François Papy (1984) sur les jours disponibles dans des exploitations de grande culture en Picardie portait au départ sur les travaux de reprise de labour au printemps. Mais les agriculteurs soulignèrent que, pour un sol donné, la possibilité de reprendre le labour selon les conditions météo dépendait du type de ce labour, dépendant lui-même des conditions dans lesquelles il avait été fait à l’automne. A l’automne, ils portent donc une grande attention aux conditions de récolte des betteraves et du maïs, qui impactent les labours réalisés avant l’hiver, qui à leur tour interfèrent sur les conditions de reprise pour l’emblavement au printemps. Les deux périodes stratégiques de l’automne et du printemps sont donc étroitement liées.

En comparant des itinéraires techniques contrastés, Papy objective et confirme les savoirs pratiques des agriculteurs : l’efficacité d’une opération culturale donnée de travail du sol dépend notamment de l’état structural laissé par l’intervention précédente ; il importe donc de ne pas isoler les opérations les unes des autres et de considérer l’ensemble de l’itinéraire technique. Il objective aussi les indicateurs visuels relatifs aux virages de couleur de la terre, utilisés par les agriculteurs pour réaliser leurs travaux de reprise. Il introduit (Papy, 1982, 1988) le concept de praticabilité du milieu, qui englobe deux phénomènes : tant la puissance nécessaire pour imprimer au sol une modification structurale donnée, que la durée pendant laquelle on peut travailler la terre avec une puissance déterminée, dépendent des terrains. Le second est fonction du comportement hydrique des horizons tout à la fois sous l’action du climat et de leurs états structuraux.

De façon générale, on ne peut juger et mesurer la praticabilité du milieu « climat-terrain » que par le degré de liberté de choix des itinéraires techniques qui y sont possibles. Ainsi, pour des cultures de printemps en climat non gélif (marais de l’Ouest, par exemple), les terres argileuses exigent des labours précoces d’été ou de début d’automne pour qu’elles subissent les alternances de pluies et de sécheresses ; tandis qu’en climat à hiver froid on peut labourer plus tard si les exigences d’organisation du travail dans l’exploitation le demandent, puisque l’on peut compter sur les alternances de gel et de dégel : la praticabilité du milieu est plus grande dans le second cas. Selon le milieu « terrain-climat », on prend en considération le risque d’excès d’eau ou celui de sécheresse. Un jour est praticable pour une intervention de travail du sol lorsque l’état hydrique du milieu oscille entre deux bornes, liées aux propriétés mécaniques de cohésion et de plasticité/adhésivité du sol. Lorsqu’on étudie la praticabilité du milieu pour une opération en relation avec la seule portance du sol, comme l’ensilage, la connaissance d’une limite inférieure d’humidité correspondant au risque de tassement textural suffit. Ces seuils hydriques dépendent de l’état structural laissé par la dernière opération et de l’action du climat sur ce dernier : l’état physique du matériau ainsi que, d’une manière plus générale, l’organisation du profil déterminent le comportement au compactage ainsi que la portance des couches des sols cultivés (Guérif, 1990).

L’évaluation des « jours agronomiquement praticables » par modélisation

Le changement de contexte économique induit par la réforme de la Politique Agricole Commune en 1992 a posé avec une certaine acuité la question de la maîtrise des charges de structure, en particulier en agroéquipement. Dans cette perspective, l’INRA a formalisé une démarche mobilisant notamment le concept de modèle pour l’action, sous-jacent au logiciel « OTELO » (Papy et al., 1988), simulant aux périodes clefs, les règles de l’organisation du travail en relation avec les équipements disponibles sur l’exploitation ; la disponibilité d’un jour, pour intervenir au champ, n’est pas donnée à priori mais elle est le résultat d’un processus de décision de l’agriculteur, que la démarche intègre pour ainsi tester différents scénarios avec une évaluation des risques liés au climat (Papy et al., 1990) Mais un référentiel régional sur les « jours disponibles, agronomiquement praticables » pour les différents travaux durant les périodes critiques reste indispensable.

Les avancées des recherches pour modéliser le fonctionnement hydrique du sol ont permis de développer différents modèles de jours disponibles, principalement en Europe et aux USA (Rounsevell, 1993). Le principe est de coupler un modèle simulant jour par jour l’humidité du sol, avec des règles de décision déterminant si le jour est disponible en fonction d’un seuil d’humidité au-delà duquel il n’est pas possible d’intervenir dans le champ. Comme dans toute démarche de modélisation, il est nécessaire d’avoir des données pour paramétrer le modèle et d’autres pour le valider. Pour évaluer les jours disponibles, il faut donc, pour des situations connues, des données d’humidité du sol et des pronostics sur la praticabilité d’une opération en valorisant l’expertise des agriculteurs. C’est ainsi que Cerf et al. (1994) modélisent les conditions d’intervention en grande culture en Picardie et que Guillot et al. (1995) évaluent les jours agronomiquement praticables pour les labours et les travaux de reprise en créant un modèle adapté aux terrains hydromorphes, drainés et non drainés, en Bourgogne ; le référentiel sera élargi aux sols sains, donnant lieu à un atlas régional, illustré par un exemple dans le tableau 1.

Tableau 1 : Pourcentage de jours disponibles (par décade de septembre à décembre) pour le labour et le travail du sol (reprise de labour), 8 années sur 10, sur sols d’alluvions argileuses saines dans la plaine de Dijon. (Chambre d’agriculture de Bourgogne, 1998).
09-d1 09-d2 09-d3 10-d1 10-d2 10-d3 11-d1 11-d2 11-d31 12-d1 12-d2 12-d3
Labour 70 50 50 50 40 55 50 10 0 0 0 0
Travail du sol 60 50 40 40 30 36 20 0 0 0 0 0

Les travaux de reprise du labour nécessitent que (1) le sol soit assez « portant » pour pouvoir pénétrer dans le champ avec le matériel nécessaire (qui peut être plus ou moins lourd, équipé ou non de roues et pneus qui permettent de ne pas enfoncer ni patiner) ; et que (2) l’horizon repris soit proche de l’état optimal (cohésion/plasticité) pour le type d’outil retenu (à dents ou à disques, animés ou non, ou encore rouleaux lisses, croskill ou autre). Les deux conditions dépendent de la texture et de l’état structural et hydrique du sol, et donc du labour et de son évolution sous l’action du climat.

Le semis des cultures de printemps demande à la fois des conditions de portance du sol et un lit de semence tassé et émietté pour un contact terre-graine satisfaisant, ainsi que des conditions de températures sur les jours à venir pour réussir la phase de germination - levée.

Pour d’autres opérations, on minimise souvent la condition de portance du sol en considérant, soit qu’elle est remplie à la belle saison ; soit que, par exemple, laisser de profondes ornières en moissonnant est moins grave que de perdre ou gâcher la récolte en la retardant.

D’autres travaux dépendent de l’humidité, non du sol, mais de l’air. C’est le cas de la moisson, l’humidité de l’air déterminant celle de l’épi et le risque de perdre des grains (égrenage). C’est aussi le cas de la pulvérisation des produits phytosanitaires pour laquelle une humidité élevée limite la volatilisation, et pour laquelle la force du vent est aussi prise en compte, un vent trop fort entraînant une pulvérisation non homogène sur la parcelle.

Un autre cas est celui de la fenaison (Luder, 1974, 1977, 1982 ; Granger et al., 1987) : pour elle, les jours disponibles dépendent non du passé mais du futur : il faut être sûr d’avoir une période de beau temps suffisante pour sécher la quantité de foin à récolter. Remarquons à ce sujet l’impact des innovations technologiques (faucheuse conditionneuse, enrubannage, round-baller notamment) sur l’organisation des chantiers et la maîtrise des risques de gâchage des récoltes par les pluies. Nous proposons une comparaison de ces différentes opérations dans le tableau 2.

Tableau 2. Données prises en compte pour évaluer les jours disponibles pour différentes opérations
Moisson Séchage du foin Traitement phytosanitaire
Critère Déhiscence des grains Évaporation cumulée sur une suite de jours de beau temps Pas de dérive, volatilisation réduite
Caractéristiques du milieu Humidité de l’air Pluies absentes ou faibles, intensité de l’évaporation Vent, humidité de l’air
Conditions techniques Maturité des plantes Quantité, humidité et état (conditionnement) du matériel végétal Type et réglage des buses
Données météo utilisées pour étude fréquentielle nature Humidité de l’air Pluie, évaporation potentielle ou équivalent Humidité de l’air, vent
échelle de temps et période Heure, sur le moment Jour (pluie), jour ou heure (évaporation) des jours à venir Heure, sur le moment


En conclusion et perspectives

La question des « jours disponibles », avec ses dimensions économique, organisationnelle et agronomique, est au cœur du métier d’agriculteur qui vit au quotidien le temps et ses incertitudes, avec une prise de risques constante dans ses décisions. Le rôle des conseillers est de bâtir les référentiels régionaux pour conforter l’expertise locale des agriculteurs mais aussi pour explorer les évolutions envisageables dans une perspective de développement plus durable : l’initiative prise pour évaluer les exigences en terme de « jours disponibles » pour mettre en pratique les cultures intermédiaires afin de réduire les fuites des nitrates (Charles et al., 2012) illustre cette exigence à laquelle doivent répondre les agronomes, en cette période de transition vers l’agroécologie.

Pour considérer simultanément les aspects économiques, organisationnels et agronomiques, il peut être intéressant de coupler des modèles ou référentiels de jours disponibles avec d’autres modèles ou référentiels, comme cela a été souligné dans une synthèse récente sur l’organisation du travail des chantiers de semis (Joannon et al., 2020). Un premier cas est le couplage du modèle OTELO à un modèle de sol (SISOL, Roger-Estrade et al., 2000)) qui a permis d’évaluer l’impact sur la structure du sol de semis de pois à différentes périodes. Il a été mis en évidence que le semis précoce de pois d’hiver permettait de diminuer significativement le tassement des sols par rapport à des semis tardifs à l’automne ou à des semis au printemps (Vocanson, 2006). Un second est une approche développée par la Chambre d’agriculture de l’Yonne en 2014, mobilisant conjointement un référentiel de jours disponibles et un référentiel des prix de revient du matériel, dans le cadre du conseil en machinisme. Cette approche permet généralement d’identifier des achats de matériel a priori surdimensionnés et faire réfléchir les agriculteurs à leur organisation du travail pour identifier d’autres leviers que le matériel.

Notons enfin que, si pour déterminer les jours disponibles on considérait autrefois un climat stationnaire , il faut désormais considérer un climat en cours de changement, de façon en partie imprévisible ! La notion classique en climatologie de « normale » (la moyenne sur 30 ans) n’a plus de sens : on ne peut plus se baser sur le climat passé pour prendre des décisions, il faut se baser sur des projections qui comportent des incertitudes de diverses origines. C’est par exemple ce qui a été fait dans un travail prospectif visant à évaluer l’impact du changement climatique sur les jours disponibles pour détruire des cultures intermédiaires. Le recours à la modélisation a ainsi, non seulement permis de considérer 80 situations pédoclimatiques en France, mais aussi de prendre en compte des scénarios climatiques déclinés journalièrement (Justes et al., 2012).


Références citées

  • Andlauer P., 1990. Analyse économique du drainage agricole, une approche par le jeu de rentes foncières. Thèse Dr INPL - ENSAIA, Nancy, 246 p. + annexes.
  • Andribet P., 1954. Comment déterminer un assolement. Bull. Tech. Inf., 92 : 413-422.
  • Baier W., 1973. Estimation of field workdays in Canada from the versatile soil moisture budget. Can. Agric. Engineering, 15 (2): 84-87.
  • Barbeau C., Barbeau G., Joannon A. (2014). Analyzing the sensitivity of viticultural practices to weather variability in a climate change perspective: an application to workable-day modelling. OENO One, 48 (2), 141-152. Texte intégral sur le site de la revue.
  • Batterham R.L., Brown D.M., VanDie P., 1973. Agronomic, engineering, and meteorological data required in an economic model of farm machinery selection. Can. Agric. Engineering, 15 (2): 88-92.
  • Benoît M., Morlon P., Teilhard de Chardin B., 1985. Transformations permises par le drainage dans des exploitations lorraines. Actes du séminaire "Conditions et effets des excès d'eau en agriculture", INRA Commission d'Agrométéorologie : 459-469. Repris dans : Travaux et Innovations, 87/01 : 47-55.
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