Étouffer, plantes étouffantes

De Les Mots de l'agronomie
Version datée du 3 février 2023 à 10:02 par Motsagro (discussion | contributions) (→‎Perspectives : lien interne)
Aller à la navigationAller à la recherche

Auteur : Pierre Morlon

Le point de vue de...
Pas de compléments pour cet article
Annexes de l'article
Pas d'annexes pour cet article
Voir aussi (articles complémentaires)
Autres langues
Informations complémentaires
Article accepté le 1er février 2023
Article mis en ligne le 1er février 2023


« Nous pouvons donc raisonnablement assurer aujourd’hui, ce qui avait été soupçonné longtemps auparavant ; savoir que les feuilles servent aux Végétaux comme les poumons aux Animaux : mais comme les Plantes n’ont point d'organes qui puissent, comme le fait la poitrine, se dilater & se contracter, aussi leurs inspirations & leurs expirations ne sont elles pas si fréquentes que celles des Animaux : elles dépendent même entièrement des alternatives du froid & du chaud; c’est-à-dire, du chaud au froid pour l’inspiration, & du froid au chaud pour l’expiration » (Hales, [1727] 1735 : 276.).

Transposés du monde animal au végétal– de la même façon que transpiration –, les mots étouffer et suffoquer ont conduit, dans la littérature des siècles passés, à l’idée que des plantes peuvent « manquer d’air » (en particulier quand elles sont « trop serrées ») – ce que, suivant les cas, on peut craindre et donc chercher à éviter ou, au contraire, utiliser pour éliminer des plantes dont on ne veut pas.

Cette idée perdure jusqu’à maintenant, avec des conséquences pratiques : j’ai entendu le responsable des parcs et jardins d’une petite ville de France annoncer qu’il voulait, à ce motif, couper un arbre sur deux d’une avenue...

Les plantes peuvent-elles manquer d’air comme les animaux ?

Les animaux « manquent d’air » quand celui qu’ils respirent contient trop peu d’oxygène ou trop de gaz carbonique (CO2). Qu’en est-il pour les plantes ?

Comme les animaux, les plantes respirent, c’est-à-dire absorbent de l’oxygène et rejettent du CO2 (et cela par tous leurs organes). Mais, en sens inverse, à la lumière, les organes verts absorbent du CO2 et rejettent de l’oxygène par la photosynthèse. Pour une végétation active (verte, en croissance), le bilan entre respiration et photosynthèse est une consommation de CO2.

La question devient alors : les plantes peuvent-elles manquer d’air… au sens de manquer de CO2 ?

Dans l’absolu, oui, et dans une serre à l’atmosphère contrôlée, bien éclairée et avec une alimentation en eau non limitante, l’enrichissement en CO2 augmente les rendements.

Mais, dans une végétation « en plein air », il y a des échanges continuels entre la couche d’air dont la composition est influencée par la végétation et l’atmosphère environnante… qui est beaucoup (infiniment) plus grande. Quand la végétation est tellement dense qu’elle ralentit ces échanges, les feuilles basses de cette végétation ne reçoivent pas assez de lumière pour photosynthétiser, mais elles continuent à respirer et produisent du CO2 gaz qui est encore produit quand elles meurent et s’incorporent à la litière qui se décompose. La vigueur des végétations naturelles dans les régions bien arrosées toute l’année montre qu’elles ne manquent pas d’air malgré leur densité. La concurrence entre plantes exprimée autrefois par « étouffer » ou « suffoquer » ne porte pas sur les gaz, oxygène ou CO2, mais sur la lumière, qui est la source d’énergie dont les plantes ont absolument besoin pour croître : sans photosynthèse, la plante ne fabrique pas la matière dont elle est constituée.

L’analogie avec les animaux, qui ne peut conduire qu’à des erreurs est donc à exclure totalement !

Seules les racines – qui, elles aussi, respirent (dans un « air » dont la composition dans le sol n’est pas la même que dans l’atmosphère libre) – peuvent manquer d’air, au sens de manquer d’oxygène, dans un sol tassé ou en cas d’excès d’eau. La solution n’est pas alors d’éclaircir la végétation : cela réduirait peu la compétition pour l’oxygène, car les microbes et la microfaune du sol respirent eux aussi. Elle est de décompacter le sol et/ou assainir (drainer) le terrain.

Dans la littérature des siècles passés, qu’est-ce qui étouffe (suffoque) des plantes ? Comment y remédier (ou en tirer parti) ?

Un sol trop tassé ou l’excès d’eau étouffent la semence

« Et pour ce même effet font au bout des terres certaines levées assez hautes, où y a entre ladite levée & pièce de terre, une fosse faite au propre, comme une longue cuve, pour recevoir les eaux qui s’écoulent des grandes pluies, autrement elles pourriraient & suffoqueraient le grain » (Estienne, 1564, livre 5, chap. 7). Il s’agit ici d’assainir une pièce sujette à l’excès d’eau.

« Le bled inégalement semé, ne peut naître qu’inégalement … celui trop chargé de terre, s’étouffe à cause de la pesanteur d’icelle n’en pouvant sortir » (O. de Serres, 1605 : 114) C’est un semis trop profond qui est ici en cause.

« La bonne [semence] (…) ainsi humide sera semée : dont elle poussera de terre hâtivement & évitant par là, le danger d’être rongée au champ par les bestioles souterraines ; & de s’y étouffer, en attendant le temps propre à la faire naître, qui souvent tarde beaucoup ». (id. : 104-105). Il s’agit d’humidifier les semences pour qu’elles germent vite, mais qu’est-ce qui les ferait s’étouffer si, trop sèches, elles restaient en terre longtemps ?

La sécheresse et la chaleur

« … garantir les fruits, des chaleurs & sécheresses importunes ; si d’aventure le printemps se rencontre avec peu de pluie, d’où souvent advient à l’arrivée de l'été les orges, avoines & légumes être suffoqués & brûlés. » (Olivier de Serres, 1605 : 101) : il s’agit là d’échaudage, les grains ne se remplissant pas.

« S’ils [un type d’orge] ne gâtent la terre, à tout le moins la dessèchent-ils bien tant, que ce qui y est mis en suite s’en ressent beaucoup, par après n’y pouvant guères profiter : même par leur grande siccité, fâchent-ils toute sorte d’arbres, quand sur leur maturité, rendent un air importun par trop de chaleur, spécialement aux jeunes plantes, dont elles sont suffoquées » (id. : 109)

Le fumier (fien)

« … tant plus le fien est frais, plus aussi il suffoque les semences avec la véhémence de la chaleur » (Gallo, 1572 : 183, l’original dit affoga = noie, ce qui est pour le moins paradoxal). « Ainsi les terres auront la quantité de fumier requise pour l’accroissement des fruits, & non pour les étouffer, comme cela adviendrait, si sans discrétion on leur en baillait par trop à la fois. » (Olivier de Serres, 1605 : 98).

Le remède est de n’épandre que du fumier « consommé » (évolué car assez vieux), et en quantités modérées.

Le retournement par le labour

« Le soc qu’on emploiera à ce défrichement, n’aura qu’une oreille, appelée en France, l’écu ; afin que par icelle seule les gazons ou mottes se puissent renverser toutes d’un côté, l’herbe justement jetée contre terre, pour là être étouffée » (Olivier de Serres, 1605 : 73). Là, il n’est pas question de remède, puisque c’est précisément l’objectif recherché !

D’autres plantes : ce que nous appelons concurrence ou compétition

« Il y a deux écueils également dangereux, et qu’il faut par conséquent éviter ; c’est de mettre trop ou trop peu de semence : en mettre trop, c’est étouffer le blé, qui n’a pas alors de place pour s’étendre, et ne pousse qu’un épi court et maigre ; en mettre trop peu, c’est diminuer sa récolte, surtout dans les années pluvieuses, où il se perd beaucoup de semence, et où elle se trouve suffoquée par l’herbe. » (Chrestien de Lihus, 1804 : 234). Avec le vocabulaire actuel, on parlerait de concurrence intraspécifique et interspécifique :

La plante cultivée elle-même, semée trop dense

« …la plupart du monde ne se prend point garde au grand dommage qu’il souffre pour ne semer point le bled ainsi qu’il faut (…) ainsi advient que les premiers semés s’entassent ensemble, & se sentant suffoqués l’un de l’autre, ne faut s’ébahir, s’il en naît depuis en si petite quantité » (Gallo, 1572 : 43).

« Lorsque les bleds sont en herbe, & dans le temps qu’ils lèvent, on doit les éclaircir, si on voit que les productions sont tellement nombreuses qu’elles s’étoufferaient : cela arrive quelquefois dans les bons fonds : ainsi dans le mois de Décembre, on y doit faire paître des vaches ou des brebis : quand les tuyaux montent, on doit encore effaner ceux qui sont trop forts. » (Alletz, 1760, t. 1 : 122).

« L’orge est le grain qui rapporte le plus de profit, parce qu’il demande moitié moins de semence que le blé ; il ne réussit même pas lorsqu’on le sème en une quantité plus considérable, parce que les plantes s’étouffent les unes les autres et ne peuvent s’étendre ; tandis que lorsqu’il est clair, il talle d’une manière surprenante. » (Chrestien de Lihus, 1804 : 318).

Les remèdes indiqués sont :

  • à priori, un semis régulier ou suffisamment espacé ;
  • à posteriori, faire [pâturage|pâturer]] avant la montaison (déprimage) ou éclaircir à la main.

Les mauvaises herbes

Quelques exemples parmi beaucoup d’autres :

« …bien souvent les méchantes herbes suffoquent les bleds, & les courbent par terre par leur trop grande gaillardise » (Gallo, 1572 : 12, l’original dit le cattive herbe suffocano quelle biade).

« …[les semences] ne seront suffoquées des méchantes herbes, qui par le labour arrachées de terre, ne s’y pourront reprendre à faute d'humeur. » ; « Le bled inégalement semé, ne peut naître qu’inégalement : c’est à savoir, épais d’un côté, & rare de l’autre : d’où advient que … les nuisibles herbes s’accroissant parmi, au vide qu’elles y trouvent, le suffoquent ». « le bled enveloppé de méchantes herbes… d’attendre qu’elles soient du tout agrandies, le bled en pourrait être étouffé » (O. de Serres, 1605 : 112 ; 114, 124).

« Les herbes qu’on redoute le plus, sont, (…) 3°. Le Ponceau, ou le Pavot sauvage, dont la graine est très fine, & se multiplie parfois si prodigieusement qu’il étouffe le froment. » (Duhamel du Monceau, 1750 : 132 ; passage copié par Alletz, 1760, t. 1 : 566).

Les remèdes indiqués sont :

  • à priori, un travail du sol (labour, hersage) avant le semis,
  • à priori également, un semis régulier, sans manques,
  • à posteriori, le sarclage.
  • dans le cas particulier du riz, l’inondation : « Telle fertilité lui advient principalement du bénéfice de l’eau, dont le naturel est d’amender le lieu de son séjour : tant par certaine vertu engraissante qui la suit, que par les bestioles, racines & herbes nuisibles qu’à la longue elle étouffe : desquelles nuisances se trouvant déchargé le fonds au bout de cinq mois, que continuellement l’eau y a croupi, demeure vigoureux pour tout service d’agriculture. » (O. de Serres, 1605 : 122).

Si elle est assez dense et vigoureuse, la plante cultivée peut étouffer les mauvaises herbes :

« On peut bien, sans hésiter, confier le Blé Froment à une terre forte-sablonneuse, parce qu’elle est remplie de beaucoup de sels & de substance, d’autant plus qu’avant d’y semer ce précieux grain, on y transporte du fumier qui convient au tempérament de cette terre. Comme il y croît d’ordinaire quantité de méchantes herbes, j’estime qu’il faut mettre beaucoup de semence, parce qu’elle est assez substantielle pour faire de belles productions. Plus il y en aura, moins ces herbes porteront de préjudice au Blé ; au contraire il les accablera & les étouffera. » (Angran de Rueneuve, 1712 : 120).

« Le blé-noir s’élève & s’épaissit si rapidement qu’il dépasse & étouffe presque toutes les mauvaises herbes : avantage très-précieux & particulier à cette graine. » (Bibliothèque britannique, 1796 : 187).

« … après une jachère dans laquelle on ne s’en fie pas seulement aux labours pour tuer les mauvaises plantes, mais où on a étouffé les chiendents sous l’ombre impénétrable de la vesce, telle que celle-ci croît après le parc, c'est à-dire très abondante. » (Pictet de Rochemont, 1801 : 90-91).

« Dans la seconde [méthode], au contraire, où l’on sème la luzerne toute seule, elle pousse tout de suite avec abondance, lorsque le temps est favorable, et ne laisse aucune place à l’herbe qu’elle étouffe et détruit. » (Chrestien de Lihus, 1804 : 98-99, cet ouvrage en donne d’autres exemples).

Certaines cultures) (''récolte''s sont ainsi appelées étouffantes (voir la fin de cet article).

Par quels mécanismes ?

Des choses fort différentes, on le voit, peuvent « étouffer » les plantes, mais les textes ne disent pas toujours par quel mécanisme. S’agissant des relations entre plantes, le mot ne semble pas inclure la concurrence pour les éléments nutritifs (les « sucs ») contenus dans le sol – sauf exception : « On appelle plantes ou herbes adventices celles qui poussent dans une emblave, sans y avoir été semées, et nuisent aux cultures, qu’elles étouffent ou qu’elles affament » (Joigneaux et Moreau, 1854, article adventices).

Ce n’est, semble-t-il, que rarement, et après 1750, que le « manque d’air » est explicité : « POIS. (…) On doit laisser une planche entre deux pour leur donner de l’air, & crainte qu’ils ne s’étouffent » (Alletz, 1760, t. 2 : 260) ; « C’est une entreprise hasardée que de mettre en Quinconce des arbres fruitiers ; car il n’y a que les bordures qui rapportent ; l’ombrage de l’un étouffe l’autre, l’air ne passe pas, & le fruit n’a point de qualité » (id. : 340) ; « si l’arbre, enfin, laisse pendre ses branches trop bas, l’ombrage et le défaut d’air étoufferont tout ce qui naîtrait dessous » (François de Neufchâteau, 1804 : 418). Le manque d’air est associé à l’ombrage qui peut étouffer à lui seul : « Le sarrasin … étouffe, par son ombre, les plantes nuisibles, pendant sa végétation » (Yvart, 1804 : 179).

Quant au mécanisme, voici ce qu’en dit Thaer (1809, § 305), dans la traduction de Crud (1811) : « Ces légumes [légumineuses] ont sans contredit la propriété d’agir de quelque manière en sens contraire de l’effet nuisible que les céréales graminées produisent sur le sol, en ce que pénétrant au moyen de leurs racines creuses, plus avant dans la terre, ils l’améliorent en diminuant sa ténacité et sa compacité ; que par leur ombrage ils excitent une fermentation ou une action réciproque du sol avec la colonne d’air qu’ils recouvrent, et ainsi étouffent [unterdrücken = suppriment] en partie les mauvaises herbes »…


L'usage des plantes étouffantes, pour les agronomes des XIXe et XXe siècles

Si l’expression « herbe étouffante » peut être trouvée plus tôt, c’est au début du XIXe siècle qu’apparaît la notion de plante (ou récolte) étouffante, que l’on peut ou doit insérer dans une rotation pour « nettoyer » le sol. Cela, à ma connaissance, sous la plume de Louis Augustin Bosc (1759-1828), dans plusieurs articles de l’Encyclopédie méthodique :

« Quelques écrivains reconnaissent que la Jachère doit être supprimée dans les terres légères & sèches, mais soutiennent qu’elle doit être conservée dans les terres argileuses & humides. Je conviendrai avec eux, que ces dernières sont en effet plus souvent dans le cas de n'être pas ensemencées, à raison de la difficulté de les labourer pendant la sécheresse, ainsi que pendant la pluie ; mais je ne reconnaîtrai point que des labours ordinaires, quelque multipliés qu’ils soient, puissent débarrasser ces fortes terres des chardons, des pas-d’âne, des laitues, des prêles & autres plantes vivaces, à racines profondes, qui les infestent. On ne peut y parvenir qu’au moyen des défoncements ou des cultures étouffantes, principalement de la luzerne, ou des cultures consécutives qui exigent plusieurs binages d’été, comme la pomme-de-terre, le maïs, &c., ces binages, quoique superficiels, finissant par faire périr les racines de ces plantes. » (Article Jachère, t. 5, 1813 : 48 ; voir aussi articles Mauvaises herbes et Menthe, t. 5, 1813 : 287 et 306 ; articles Sainfoin, Sarcler et Verger, t. 6, 1816 : 227, 250 & 582).

Cette expression de plantes (récoltes, cultures) étouffantes a depuis lors largement été employée par les agronomes, sans que j’aie pu établir à partir de quand il était clair pour eux que ce n’est pas d’air, mais de lumière, que ces plantes privent les autres et qu’il s’agit d’une image, susceptible de provoquer un malentendu.

Quelques exemples :

« On a quelquefois nommé récoltes étouffantes celles qui couvrent la terre d'un ombrage épais, et qui permettent difficilement aux mauvaises herbes d’y végéter : telles sont le trèfle, les vesces, etc. On a voulu aussi les intercaler avec les céréales dans les assolements pour nettoyer le sol, sans l’intervention des récoltes sarclées ; mais on a presque toujours payé chèrement les tentatives de ce genre, car les récoltes étouffantes, lorsqu'elles ne sont pas appliquées à un sol déjà bien net de mauvaises herbes, masquent le mal plutôt qu’elles ne le guérissent, et le terrain se trouve au moins aussi infesté après qu’avant, surtout de mauvaises herbes vivaces. Et encore, les récoltes ne sont étouffantes que lorsqu’elles réussissent parfaitement, et lorsque la saison favorise leur croissance : sans cela les mauvaises herbes s’emparent du terrain à leur place. C’est pour cela qu’on a dit quelquefois que le trèfle est le père du chiendent, dans les localités où cette plante est mal placée dans les assolements. » (Mathieu de Dombasle, [ca. 1840] 1862 : 214-215).

« Enfin on nettoie le terrain des plantes adventices annuelles, au moyen des cultures des plantes à feuilles épaisses, fournies, ayant de la disposition à se coucher et à feutrer pour ainsi dire le terrain, plantes que nous appelons étouffantes, telles que la vesce, le pois, etc. » (Gasparin, 1849 : 64).

« On a beaucoup parlé des plantes sarclées et des récoltes étouffantes comme moyens efficaces de remplacer la Jachère pour détruire les mauvaises herbes. Quant aux récoltes étouffantes, je ne connais que les vesces pures ou en mélange (dravières, dragées, hivernache) qui méritent ce nom ; encore faut-il pour cela, de toute nécessité, qu’elles aient une végétation vigoureuse, ce qu’on n'obtient pas dans toutes les terres et dans toutes les circonstances, même avec de l’engrais. » (Moll & Gayot, 1877 : 377).

« Rotations améliorantes. (…) La rotation sera améliorante si la durée consacrée aux prairies artificielles (cultures étouffantes) atteint la moitié de celle des céréales (cultures salissantes) : ex. trèfle, blé, orge. Ainsi, en quelques rotations, le milieu se trouvera enrichi en matière organique et en humus jeune. Ceux-ci auront sur la structure une heureuse influence et ils mobiliseront une nouvelle tranche d'acide phosphorique et de potasse au profit des céréales. (…)
Quelles plantes inscrire maintenant dans ces cultures améliorantes, étouffantes, reposantes ? Celles qu’indique la conjoncture ou que demande un marché voisin à condition qu’elles correspondent à la vocation du milieu climat-sol comme nous avons accoutumé de le définir (…).
III. Tout ce qui précède explique que l’expérience accumulée, pendant des siècles de culture soignée, recommande certains impératifs :
1° Tenir compte de la vocation naturelle du type de sol de chaque parcelle.
2° Si on la couche en céréales principalement, intercaler de temps en temps une culture sarclée adaptée à sa vocation (par exemple : colza ou topinambours, ou pommes de terre, ou betteraves demi-sucrières, ou maïs) qui jouera le rôle de culture nettoyante. Les céréales seront alors appelées cultures salissantes, les pois également. (…)
3° Si certaines mauvaises herbes résistent au sarclage, introduire des cultures étouffantes (légumineuses, fourrages annuels, colza). (…)
Cet assolement est nettoyant, d'abord parce qu’il ne comporte pas de céréales, ensuite par la série de plantes sarclées et de plantes étouffantes qu’il présente. » (Lecomte & Riedel, 1958 : 253-264).

« La notion de rotation qui a malheureusement été souvent confondue avec celle d’assolement, concerne une succession de productions dans un milieu donné, de manière à permettre de les réaliser dans les meilleures conditions techniques; chacune des cultures trouvant un milieu qui physiquement, chimiquement et biologiquement a été préparé par la culture précédente. Ce sont les concepts de « fatigue des sols », de « temps de repos », de culture « étouffante », « nettoyante » ou « salissante », le problème des inoculum qui constituent alors les données permettant de choisir les rotations optima. » (Hénin, 1980).

Perspectives

Des agriculteurs que nous avons enquêtés au début des années 2000 pour étudier et modéliser la façon dont ils raisonnent la maîtrise des mauvaises herbes (Macé et al., 2007 ; Compagnone et al., 2008 ; voir l'annexe 3 de l'article Mauvaise herbe) considéraient comme nuisibles et donc à détruire ou contrôler, les adventices, incluant les repousses d’une culture précédente, qui

  • réduisent la quantité récoltée (rendement) par la concurrence, souvent exprimée par le terme « étouffement » qui exprime surtout la concurrence pour la lumière, puisque cette nuisibilité disparaît lorsque la culture couvre complètement le sol ou que sa hauteur dépasse celle des adventices ;
  • ou réduisent la valeur unitaire du produit récolté, obligeant à trier la récolte, qui peut de surcroît chauffer à cause de l’humidité des adventices ;
  • ou augmentent la durée et les coûts des chantiers de travail, quand des adventices à longues tiges s’enroulent autour des pièces mécaniques.

Lorsque l’itinéraire technique qu’ils appliquaient dans une parcelle échoue à contrôler les mauvaises herbes, ils cherchaient en général d’abord (s’ils sont en agriculture conventionnelle) de nouvelles solutions chimiques pour modifier l’itinéraire ou en construire un autre. S’ils n’en trouvaient pas, ils pouvaient décider, soit de réintroduire le labour s’ils l’avaient supprimé, soit de modifier la rotation, en y insérant au moins une culture qui étouffe les mauvaises herbes, ou qui rompt leur cycle, ou sur laquelle existent des solutions chimiques ou mécaniques efficaces et peu coûteuses.

En se plaçant ainsi dans la problématique plus large du contrôle des adventices, cela a ouvert un vaste champ de recherche dans ce domaine, notamment pour des formes d’agriculture basées sur la suppression du travail du sol (« Techniques culturales simplifiées », semis direct, agriculture de conservation). Les espèces et variétés à semer doivent être « étouffantes » en privant rapidement les adventices de lumière pour les empêcher de croître et de produire des graines.

Pour en savoir plus


Références citées

  • Alletz P.A., 1760. L’agronome, ou dictionnaire portatif du cultivateur… Paris, t. 1, 666 p. ; t. 2, 664 p. [1].
  • Angran de Rueneuve, 1712. Observations sur l'Agriculture et le Jardinage, pour servir d’Instruction à ceux qui désireront s’y rendre habiles. Paris, t. 2, 406 + 25 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Bibliothèque britannique, vol. 1, 1796. (M.A & C. Pictet, F.G. Maurice, eds). Genève, 515 p. [2] sur HathiTrust.
  • Bosc L.A., 1813. Articles Jachère, Mauvaises herbes et Menthe. In : Tessier, Thouin, Bosc, Encyclopédie méthodique, t. 5 : 46-51, 287 et 306-307. Texte intégral sur Gallica.
  • Bosc L.A., 1816. Articles Sainfoin, Sarcler et Verger. In : Tessier, Thouin, Bosc, Encyclopédie méthodique, t. 6 : 222-231, 249-250, 581-582. Texte intégral sur Gallica.
  • Compagnone C., Hellec F., Morlon P., Macé K., Munier-Jolain N., Quéré L., 2008. Raisonnement des pratiques et des changements de pratiques en matière de désherbage : regards agronomique et sociologique à partir d’enquêtes chez des agriculteurs. Innovations Agronomiques, 3 : 89-105. Texte intégral.
  • de Serres O., 1605. Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs. 3e édition revue et augmentée par l’Auteur. Réimpression fac-simil, Slatkine, Genève, 1991, 1023 + 22 p. Édition de 1804 : Texte intégral sur Gallica.
  • Duhamel du Monceau H.L., 1750. Traité de la culture des terres, suivant les Principes de M. Tull, Anglois. Vol. 1, Paris, XXXVI + 488 p. + figures. Texte intégral sur Gallica.]
  • Estienne C., 1564. L’agriculture et maison rustique. Paris, 155 feuillets + Epistre + tables. Texte intégral sur archive.og.
  • François de Neufchâteau N., 1804. Note à l’édition du Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres. Texte intégral sur Gallica.
  • Gallo A., [1569] 1572. Secrets de la vraye agriculture, et honestes plaisirs qu’on reçoit en la mesnagerie des champs,... traduits en françois de l’italien par François de Belleforest. Paris, 427 p. Texte intégral sur books.google.
  • Gasparin A. de, 1849. Cours complet d’Agriculture. t. V. La Maison rustique, Paris, 638 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Hales S., [1727] 1735. La statique des végétaux et l’analyse de l’air. Expériences nouvelles. Traduit par Buffon, Paris, xviii + tables + 408 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Hénin S., 1980. Pédologie et Agronomie : du concept de « Vocation » au concept d’ « Aptitude » des sols. Texte intégral sur le site de l’IRD.
  • Joigneaux M.P., Moreau C., 1854. Dictionnaire d’agriculture pratique. Bruxelles, 2 t., 832 & 688 p. Texte intégral sur Gallica ; Texte intégral sur archive.org.
  • Lecomte A., Riedel C.E., 1958. L’agriculture productive. Hachette, Paris, 532 p.
  • Macé K., Morlon P., Munier-Jolain N., Quéré L., 2007. Time scales as a factor in decision making by French farmers on weed management in annual crops. Agricultural Systems, 93, 115-142.
  • Mathieu de Dombasle C.J.A., [ca. 1840] 1861-1864. Traité d’Agriculture. Œuvres posthumes, publiées sur le manuscrit de l'auteur, par Ch. de Meixmoron de Dombasle. T. 2, Pratique agricole I, 1862, 456 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Moll L, Gayot E., 1877. Encyclopédie pratique de l’agriculture. T. IX. Paris, Firmin-Didot.
  • Pictet de Rochemont C., 1801. Traité des Assolemens, ou de l’art d’établir les rotations de récoltes. Genève, 285 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Thaër, [1809] 1811. Principes raisonnés d’agriculture. Traduction de EVB Crud, Paris & Genève. t. 1, ix + 372 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Yvart, 1804. Note à l’édition du Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres. Texte intégral sur Gallica.
Bandeau bas MotsAgro.jpg