Araire
Auteur : François Sigaut
Le point de vue de... | |
---|---|
Pas de compléments pour cet article
| |
Annexes de l'article | |
Pas d'annexes pour cet article
| |
Voir aussi (articles complémentaires) | |
Autres langues | |
Anglais : | scratch plow, ard plow |
Espagnol : | arado de palo |
Informations complémentaires | |
Article accepté le 1 juillet 2010
| |
Article mis en ligne le 9 septembre 2010 |
Définition
Instrument attelé de travail du sol dont la partie travaillante est un simple soc, pointu plutôt que tranchant. L'araire travaille en fendant et en soulevant la terre, qui est rejetée plus ou moins émiettée de part et d'autre du soc. La structure de l'instrument est symétrique par rapport à la ligne de travail.
Historique du mot
Le mot araire est d’origine provençale (araïre, du lat. aratrum). Il est entré dans le vocabulaire des agronomes de langue française au début du XIXe siècle, pour désigner des charrues sans avant-train. Celui-ci était en effet considéré à cette époque par beaucoup d’auteurs (parmi lesquels Mathieu de Dombasle) comme un dispositif archaïque, encombrant et coûteux, qu’il convenait de remplacer par des régulateurs sur le modèle de certaines charrues flamandes et anglaises. Araire conservera ce sens de « charrue sans avant-train » jusqu’au milieu du XXe siècle. En 1955, dans L’Homme et la charrue à travers le monde, Haudricourt et Jean-Brunhes Delamarre montrent que la distinction la plus significative qu’il convient de faire entre les différents modèles de charrues n’est pas la présence ou l’absence d’avant-train, mais la structure symétrique ou dissymétrique de l’instrument. Ils proposent d’appeler araires les instruments symétriques (où l’axe du sep est parallèle à la ligne de tirage) et charrues les dissymétriques (où l’axe du soc fait un angle bien marqué avec la ligne du tirage). Cette proposition, reprenant l’usage de la plupart des dialectes paysans, est entrée aujourd’hui dans l’usage courant. La dissymétrie de la charrue tient au fait qu’elle est conçue pour découper une tranche de terre qui doit être repoussée sur le côté. L’araire est symétrique parce qu’il travaille plutôt à la manière d’un instrument de pseudo-labour : il n’a ni coutre ni versoir (ou alors deux versoirs symétriques, ce qui le rapproche des buttoirs), et son soc est plutôt pointu que tranchant. Il ne faut pas toutefois faire de cette opposition une règle trop absolue. Il a existé ici ou là un certain nombre de formes intermédiaires.
Historique de l’instrument
L’araire apparaît en Mésopotamie dans la seconde moitié du IVe millénaire av. J.-C. On a longtemps cru que c’était là son origine, et cette hypothèse reste très vraisemblable. Mais sa présence est maintenant bien attestée en Europe au tout début du IIIe millénaire. La possibilité de plusieurs foyers d’invention ne peut donc pas être exclue.
Il est probable que la fonction première de l’araire a été, non pas de préparer le champ au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais de creuser des raies destinées à recevoir les semences que quelqu’un, marchant à côté de l’araire, y laissait tomber au fur et à mesure. Très tôt en tous cas, on trouve des figurations où l’araire est muni d’une sorte d’entonnoir à peu près vertical débouchant juste derrière le soc et destiné à recevoir les semences. Ces araires-semoirs se sont maintenus jusqu’à notre époque dans quelques régions du Proche-Orient (Syrie, Yémen…) et surtout en Inde. En Chine, l’araire-semoir a été assez tôt remplacé par de véritables semoirs attelés à deux ou trois rangs. En Occident par contre, l’araire-semoir ne semble pas avoir été connu, ce qui s’explique sans doute par la généralisation précoce du semis à la volée – technique rarement pratiquée et souvent même inconnue dans les autres régions du monde.
Les araires d’Occident ont toujours eu deux fonctions bien déterminées : 1° la préparation du champ, et 2° l’enfouissement des semis (en lignes ou à la volée). Il y a même des régions (au Maghreb par exemple) où l’araire n’avait que la seconde fonction : on ne faisait pas de labours préalables, on se bornait à couper les broussailles qui avaient résisté au pâturage des animaux, après quoi on semait (à la volée) et on donnait un seul labour destiné à la fois à ameublir la surface du sol et à enfouir le semis. Aussi sommaire soit-il, ce procédé se justifie dans des régions semi-arides où la concurrence des adventices est assez faible et où la pluviosité très capricieuse rend les récoltes très aléatoires.
Dans les régions d’Europe où la charrue a été adoptée, elle n’a pas supplanté l’araire, car les deux instruments étaient complémentaires. L’araire n’a commencé à disparaître que vers la fin du XIXe siècle, sans doute devant la concurrence des nouveaux instruments de pseudo-labour qui se généralisent à cette époque (cultivateurs, scarificateurs, extirpateurs, instruments à disques, etc.).
Répartition géographique
La géographie de l’araire coïncide avec celle de la culture attelée. L’araire est (était) présent dans presque toute l’Eurasie, à l’exception des régions de montagne de l’Asie du Sud-Est et d’une partie des îles de l’Austronésie. On le trouve également en Afrique du Nord, à laquelle on peut rattacher l’Éthiopie. En Amérique, il a été introduit par les Espagnols dans les hautes terres du Mexique et du Pérou. Il est inconnu dans toute l’Afrique sub-saharienne (sauf l’Éthiopie) et à Madagascar.
En Europe du Nord, il y a des régions où l’araire avait disparu dès le XVIIe ou le XVIIIe siècle, laissant la place à la charrue. Mais ces régions sont peu nombreuses : les Lowlands d’Écosse et le nord de l’Angleterre, le Danemark, une partie de l’Allemagne,... Dans certains cas en outre, l’absence d’araire pourrait être une apparence plutôt qu’une réalité, parce que les auteurs ne se sont pas toujours souciés de noter la présence d’un instrument considéré comme le vestige désuet d’un passé révolu.
Tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe ont vécu en effet sur l’idée que l’araire n’était que la forme primitive, archaïque de la charrue et qu’il était donc voué à disparaître, le plus tôt étant le mieux. C’était méconnaître le fait que la charrue est adaptée à certaines tâches, répondant à des conditions pédoclimatiques bien précises, en dehors desquelles son utilisation peut avoir plus d’inconvénients que d’avantages. Cette constatation semble avoir été faite à plusieurs reprises et de façon indépendante dans des régions comme le Midi de la France, l’Afrique du Nord, voire en Amérique, où l’emploi de la charrue n’allait pas de soi. D’où la naissance de doctrines agronomiques hétérodoxes, souvent appelées « systèmes », ayant peu de choses en commun sinon qu’on y excluait les labours (entendons : les labours à la charrue). Le seul de ces systèmes qui ait laissé une trace dans la littérature actuelle est le dry-farming, mais il y en a eu bien d’autres ; P. Diffloth en a décrit plusieurs, qu’il regroupe sous le terme de néoculture, dans Labours et assolements (1929). Il semble bien que le non-labour, originaire des USA et qui remporte un succès croissant depuis une vingtaine d’années, se situe dans cette tradition hétérodoxe, ce qui justifierait un réexamen d’ensemble de celle-ci.
Références citées
- Diffloth P., 1929. Agriculture générale – Labours et assolements. Paris, J.B. Baillière & Fils, 6è édition, 364 p.
- Haudricourt, A.G., Jean-Brunhes Delamarre M., L’Homme et la charrue à travers le monde. Paris, Gallimard, 1955,. Réédition : La Manufacture, Paris, 1986, 410 p.
Pour en savoir plus
Bibliographie complémentaire
- Bourrigaud R., Sigaut F. (dir.), 2007. Nous labourons. Nantes, Centre d’Histoire du Travail, 400 p + CD.
- Malrain, F., Matterne V., Méniel P., 2002. Les Paysans gaulois (IIIe siècle–52 av. J.-C.). Paris, Errance / Inrap, 236 p.
- Paillet A., 2005. Archéologie de l’agriculture moderne. Paris, Errance, 288 p.
- Pétrequin P., Arbogast R.M., Pétrequin A.M., Van Willigen S., Bailly M. (dir.), 2006. Premiers chariots, premiers araires. La diffusion de la traction animale en Europe pendant les IVe et IIIe millénaires avant notre ère. Paris, CNRS, 400 p.
- Sigaut F., 1972. Les conditions d’apparition de la charrue. JATBA (Journal d’Agriculture Tropicale et de Botanique Appliquée), vol. XIX, n°10-11, pp. 442-478.
- Sigaut F. (dir.), 1977. Les Hommes et leurs sols. N° spécial du JATBA, vol. XXIV, n°2-3, 281 p.
- Tools and Tillage, revue annuelle publiée de 1968 à 1995 par le Musée National du Danemark (Copenhague), sous la direction d’Axel Steensberg et de Grith Lerche. Accès libresur le site de l'Université de Heidelberg.
Autres langues
- À la différence du français, les autres langues européennes n’ont pas des noms différents, mais des qualificatifs précisant celui qui désigne la charrue ; par exemple, en espagnol, arado de palo (araire, symétrique) / arado de vertedera (charrue avec versoir, dissymétrique). En anglais, l'araire est désigné par ard plow ou scratch plow.