Profil cultural
Auteurs : Hubert Boizard, Jacques Caneill, Olivier Chrétien, Yvan Gautronneau, François Kockmann, Rémi Koller, Joséphine Peigné, Jean Roger-Estrade, Vincent Tomis et Jean-François Vian
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Article accepté le 11 mars 2024
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Article mis en ligne le 16 mars 2024 |
Définition
Le profil cultural a été défini en 1960 dans le livre Le profil cultural. Principes de physique du sol par Hénin et ses collaborateurs du Laboratoire des Techniques culturales de l’INRA :
.
Cet objet est décrit par la méthode du profil cultural, une coupe de terrain pratiquée au champ, afin d’observer :
- les effets des opérations de travail du sol et du passage des roues des engins sur la structure du sol ;
- l’enracinement des plantescultivées et les obstacles qui s’y opposent (caractéristiques pédologiques des horizons, pierres, zones tassées, semelle de labour…) ;
- la dynamique de l’eau dans le sol (hydromorphie,…) ;
- la faune du sol et la répartition de la matière organique.
Par conséquent, le profil cultural s’intéresse aux différents horizons de la terre arable (la limite supérieure est le lit de semences et/ou le mulch de surface) et aux horizons pédologiques sous-jacents (la limite inférieure est la profondeur maximale que les racines atteignent ou pourraient atteindre). Il détermine, en interaction avec les conditions climatiques de l’année culturale, les conditions dans lesquelles se déroulent le développement et la croissance des cultures et des communautés vivantes dans le champ cultivé.
Observer le profil cultural, à quoi ça sert ?
« En associant ainsi des principes et un certain nombre de faits concrets qui en résultent, nous espérons permettre à nos lecteurs de raisonner l’application des techniques et non pas de les utiliser comme des recettes » (Hénin et al., 1969).
La méthode (Boiffin et al., 2022 : 77-81) a été conçue de façon à pouvoir être utilisée par un grand nombre de techniciens en leur permettant d’interagir avec les agriculteurs mais aussi comme outil de recherche. Créée au départ pour des cultures annuelles, le profil cultural s’emploie aussi en cultures pérennes (prairies, viticulture, replantation forestière…). Il a différentes finalités, déclinées ci-après et remises en contexte dans l’annexe 1 :
* Outil d’évaluation des potentialités agronomiques L’objet est d’observer le volume de terre potentiellement exploitable par les racines. On identifie au niveau des horizons pédologiques les obstacles et les atouts au développement des racines en profondeur, liés aux caractéristiques intrinsèques du milieu et peu ou pas dépendants des actions culturales (Limaux, 1996).
* Outil de dialogue avec l’agriculteur L’objet est de porter un diagnostic basé sur une observation rapide, orientée sur le repérage des accidents structuraux, afin de détecter des problèmes et d’engager un dialogue avec l’agriculteur. Le profil cultural est un bon outil pédagogique pour sensibiliser à la dimension systémique de l’[[agronome, agronomie : étymologie|agronomie] ; pratiqué en groupe, il génère de riches partages d’expériences (Kockmann et al., 2019)
* Outil de diagnostic et d’aide à la décision L’objet est de poser un diagnostic visant à éclairer les prises de décision de l’agriculteur et à améliorer ses pratiques. La démarche est focalisée sur l’observation des horizons de la terre arable et ceux sous-jacents, avec des modalités différentes selon que les décisions sont d’ordre :
- tactique, en cours de campagne : un profil cultural rapide peut alors être pertinent pour décider d’une intervention de travail du sol (quel outil ? quel réglage ?) ou pour estimer la profondeur d’enracinement à prendre en compte pour raisonner un apport en azote.
- stratégique pour raisonner les choix d’itinéraires techniques, notamment les modalités de travail du sol (labour versus non labour ; choix de la date des opérations de travail profond ; type d’opérations culturales à la reprise). Le profil cultural requiert alors une observation minutieuse et méthodique des états structuraux et de leur impact sur la levée et/ou l’enracinement en lien étroit avec l’agriculteur pour intégrer ses objectifs et les contraintes et atouts de son exploitation (Tardieu, 1988 ; Tomis et al., 2017).
* Outil d’expertise agronomique Il s’agit d’établir un diagnostic à l’échelle parcellaire pour répondre à une question précise, par exemple comprendre pourquoi des plantes présentent un accident en cours de végétation dans une partie du champ : les conclusions du diagnostic peuvent être davantage étayées en comparant des zones de végétation contrastées.
La méthode est aussi utilisée dans des expertises lors d’aménagements perturbant temporairement des parcelles agricoles : enfouissement de canalisations ou de réseaux, aménagement de voies de transport. Il s’agit le plus souvent de réaliser un diagnostic avant travaux, puis d’évaluer les préjudices subis et les actions de remédiation à conduire (Suc et al., 2019).
* Outil d’acquisition de références Une valorisation historique du profil cultural a été la construction de référentiels sur le travail du sol, résultant de l’expertise croisée entre agronomes et spécialistes du machinisme (Dalleine et al.', 1971). Il a été utilisé dans le cadre de diagnostics régionaux prenant en considération la diversité des sols et leurs caractéristiques, pour identifier et hiérarchiser des problèmes agronomiques à l’échelle des [Système de culture|systèmes de culture]] : travail du sol en grande culture (Capillon et al., 1988) ou en viticulture (Lagacherie et al., 2006).
Plus récemment, les tests de systèmes de culture innovants, visant à mieux répondre aux exigences de durabilité mobilisent l’observation du profil cultural, tant en grande culture (Bockstaller et al., soumis) qu’en vigne (Thiollet-Scholtus et al., 2019 ; Nassr et al., 2019).
* Outil de recherche : démarches de modélisation En explorant les relations entre l’état structural et la dynamique de l’eau (Papy et al., 1986) et les conséquences pour le décompactage (Papy & Maître, 1987), le profil cultural devient un outil de recherche. Ses critères de caractérisation sont employés dans des démarches de modélisation simulant les effets des itinéraires techniques en prenant en compte la variabilité spatiale et les évolutions des états structuraux au sein des compartiments, comme SIMULBLE (Aubry et al., 1990), puis ALOMYSIS et FLORSYS (Colbach et al., 2006, 2019), ce dernier étant récemment interfacé avec un modèle racinaire. Le modèle SISOL (Roger-Estrade et al., 2004) simule les états structuraux et leur évolution sur un plan de profil pixellisé. Il est surtout destiné à la recherche, avec le souci de quantifier les effets cumulatifs des actions de compactage et fragmentation dans le système de culture.
Le profil cultural dans l’histoire de l’agronomie
Au terme d’une exploration de la littérature (annexes 2, 3, 4) le profil cultural apparaît comme une nouveauté radicale dans l’histoire de l’agronomie.
Avant le profil cultural, quoi ?
Les [sol]s ont fait l’objet d’approches fort anciennes : des auteurs grecs, romains et andalous se sont préoccupés de les décrire, mais le plus souvent par leurs effets plutôt que leurs caractéristiques propres. Du 16e au 18e siècle, plusieurs auteurs tels que Palissy, Buffon, Thaer et Darwin apparaissent précurseurs de techniques de pédologie qui s’affirme comme discipline scientifique dans la seconde partie du XIXe siècle, avec notamment le concept de profil pédologique par Dokouchaev.
Par ailleurs, O. de Serres (1600) initie une approche plus agronomique, puis Mathieu de Dombasle (1828) propose une démarche de « clinique agronomique » avec une observation méthodique du sol. Mais les agronomes sont alors plus orientés vers la chimie que vers la physique du sol.
Il faut attendre que les tracteurs remplacent la traction attelée avec la création notamment de tassements, et que l’abandon de l’élevage dans certaines régions entraîne la baisse de la teneur en matière organique des sols, et donc de leur stabilité structurale, pour que les recherches confiées en 1931 par Demolon à Hénin débouchent, trente ans plus tard, sur le profil cultural.
La création du profil cultural par Hénin et al.en 1960
Dans l’introduction du livre Le Profil Cultural, Hénin et al. (1960) retracent leur démarche de chercheurs. En se référant aux résultats d’une longue série d’expériences relatives aux gains de récolte obtenus par application d’engrais, ils font l’hypothèse que les propriétés physiques du sol interfèrent dans les différences de rendement constatées. Au niveau d’un champ cultivé, ils estiment que les techniques (rotation, fumure, façons culturales, choix des variétés, soins aux cultures) sont en fortes interactions ; ils l’illustrent en prenant l’exemple de l’approfondissement du labour, « qui modifie l’épaisseur de terre remuée mais aussi l’état de cette terre, le mélange de la matière organique et du sol ainsi que la distribution des éléments fertilisants ». Ils révèlent ainsi la complexité des actions exercées sur le sol par les différentes opérations culturales et la nécessité de définir l’état physique du sol pour évaluer leurs répercussions.
Au-delà des difficultés pressenties pour décrire l’état physique du sol, en particulier liées à l’hétérogénéité du milieu, ils recherchent à formaliser une méthode de diagnostic, qualitative mais systématique pour être aussi objective que possible. Une méthode dont le principe est proche de la démarche du médecin généraliste : détection de symptômes par observation et « auscultation » du sol, élaboration d’une synthèse (syndrome), formulation d’un diagnostic ; « une coupe de terrain, permettant de retrouver les conséquences du passé et les réactions des cultures » (Poupardin & Hénin, 1997).
A l’origine, la méthode de description de l’état structural du sol s’inspirait largement des critères définis par les pédologues (par ex. pour la forme des agrégats : polyédriques, arrondis, sub-anguleux, lamellaires…). De même les agronomes, comme les pédologues, décrivaient les symptômes d’hydromorphie ou l’état du système racinaire, révélateurs de la qualité de l’environnement physique de la racine. La méthode originelle est présentée en détail dans Hénin et al., 1969.
Les deux éditions du Profil Cultural portent deux sous-titres différents, « Principes de physique du sol » en 1960 et « L’état physique du sol et ses conséquences agronomiques » en 1969, illustrant que le sol devient progressivement un objet d’étude dans ses relations avec les cultures, le climat et les techniques, avec une prise en compte des interactions complexes dans le champ cultivé.
Perfectionnement de la méthode
Michel Sebillotte, successeur de Hénin à la chaire d’agronomie de l’INA (aujourd’hui AgroParisTech), fit de la méthode du profil cultural un outil pédagogique privilégié dans la formation des étudiants ainsi qu’un outil de recherche en l’introduisant comme variable explicative dans des protocoles d’expérimentations et d’enquêtes ; cette orientation a été largement partagée par d’autres chercheurs : Gras (1961), Maertens (1964), Monnier (1965).
Par ailleurs, le profil cultural a été valorisé avec profit par quelques experts proches du développement. Toutefois, dans la pratique, c’est plutôt la mise en relief d’accidents jugés défavorables aux cultures que l’examen méthodique du profil qui prédominait ; il en résultait un certain manque de crédibilité scientifique, renforcé par le fait que les horizons travaillés peuvent évoluer rapidement, contrairement aux profils pédologiques, rendant difficile le contrôle par des observations ultérieures.
Les différentes mises à l’épreuve vécues dans la formation, la recherche et le développement convergeaient sur l’intérêt et l’importance d’observer et de décrire les états du profil cultural qui jouent le rôle central de conditions dans le fonctionnement des agrosystèmes (annexe 5). Ces expériences, tout en confirmant la validité du concept, ont révélé toutefois l'insuffisance des modalités de caractérisation de l'état structural pour rendre compte de la variabilité des situations rencontrées et, surtout, pour les comprendre.
C’est dans ce cadre que Hubert Manichon s’est attelé au développement d’une méthode nouvelle de description de l’état du profil cultural, formalisée dans sa thèse en 1982, puis présentée avec un objectif large de vulgarisation dans le Guide méthodique du profil cultural (Gautronneau & Manichon, 1987) qui reste l’ouvrage de référence pour mettre en œuvre la méthode. La principale évolution a porté sur son adaptation aux systèmes sans labour, où le travail du sol est très simplifié, voire supprimé complètement, avec une meilleure prise en compte de l’effet des « agents naturels » : conditions climatiques, racines et macrofaune (Boizard et al., 2017).
Le profil cultural, comment fait-on ?
La méthode de caractérisation proposée par Manichon (1982)
Nous ne donnons dans ce paragraphe que les grands principes de la méthode conçue et formalisée par Manichon en 1982, certaines illustrations figurent dans les annexes 6, 7, 8. Par ailleurs, le guide méthodique précité, qui explique dans le détail la mise en œuvre de la méthode de description du profil cultural est accessible sur le site de l’ISARA de Lyon.
Deux aspects essentiels caractérisent les améliorations apportées par Manichon à la méthode de description du profil :
- une meilleure prise en compte de l’hétérogénéité crée par les différentes profondeurs de travail des outils et par les différents passages d’engins lors de la saison culturale (travail du sol, traitements, récolte, charrois) ;
- le mode de caractérisation de la structure, plus à même de décrire et d’interpréter les effets des actions anthropiques sur les états du sol, en interaction avec le climat.
La prise en compte de l’hétérogénéité spatiale au sein du profil repose sur une stratification de sa face d’observation en réalisant une partition latérale et verticale qui aboutit à la délimitation de compartiments (figure 1). La stratification verticale permet de mettre en évidence les différents horizons individualisés par les opérations de travail du sol ainsi que les horizons pédologiques. La partition latérale permet de mettre en place un cadre d’analyse de la structure du sol, basé sur la géométrie des passages d’engins.
L’observation de la structure du sol est faite dans chaque compartiment délimité sur la face d’observation du profil par l’intersection d’un horizon et d’une position latérale (par exemple H5L3). Deux groupes de critères ont été retenus :
- Le premier groupe de critères porte sur la caractérisation de l’espace poral. Il s’agit de caractériser l’importance et le type de porosité au sein des mottes, appelé état interne des mottes dans le guide méthodique. Les mottes de type delta (Δ) se caractérisent par une absence de porosité visible à l’œil et, par conséquent, une masse volumique élevée. Les mottes de type gamma (Γ) à l’inverse, résultant de l'agglomération d’agrégats de sol sous l'effet de l’humidité, de contraintes modérées, de l'activité biologique présentent une porosité visible à l’œil importante et, par conséquent, une résistance à la pénétration plus faible et un taux d'infiltration plus élevé que le type delta. Enfin, les mottes phi (Φ) sont des mottes delta fissurées sous l’effet du retrait et/ou du gel qui présentent donc une porosité sous forme de fissure très caractéristique, aisément identifiable à l’œil nu.
- Le second groupe de critères porte sur l’organisation des éléments structuraux à l’échelle du compartiment délimité sur la face d’observation du profil. Pour la caractériser, on définit trois états, baptisés o, b et c. « o » (comme « Ouvert ») correspond à un état très fragmenté avec la présence de terre fine, de petits agrégats et de mottes ; « b » (comme « Bloc ») à la présence de mottes décimétriques séparées par des cavités structurales plus ou moins importantes et « c » (comme « Continu ») à un état massif sans discontinuités structurales.
Les critères de description de l’état interne des mottes ont été choisis de manière à pouvoir être reliés directement aux principaux facteurs, anthropiques et climatiques, de structuration du profil. On s’appuie pour cela sur le modèle conceptuel reliant les différents types d’état interne et la terre fine (figure 2).
La description du profil cultural comprend également les informations suivantes : localisation de la matière organique fraîche et état de décomposition, présence de racines, traces d’activité biologique, fentes de retrait, aspects visibles du fonctionnement hydrique du sol intégrant les traces d’hydromorphie. Enfin, la description s’achève par une prise de recul pour l’évaluation de la proportion des différents états, que l’on peut apprécier de façon qualitative en reportant les observations sur une fiche de description ou, de manière plus précise, en utilisant des techniques d’analyse d’image sur la face d’observation (Coulomb et al., 1993).
Les observations sont consignées dans une fiche. Celle conçue à l’origine dans le guide du profil cultural est donnée en annexe 7.
Adaptation de la méthode aux systèmes sans labour et/ou sans travail du sol (2017)
Dans les systèmes sans labour, où le travail du sol est très simplifié, voire supprimé complètement, la dynamique de la structure du sol est principalement liée aux effets des « agents naturels » (climat, racines et faune du sol), mais peut être aussi perturbée par le tassement lors des passages d’engins agricoles.
Deux principales modifications ont été introduites par Boizard et al., (2017) pour mieux prendre en compte des caractères liés à la fissuration et à l’activité biologique.
La description de la fissuration des zones delta (Δ) sous l’effet du climat a été précisée en distinguant un état interne avec un système de fissures orientées dans toutes les directions (l’état Φ antérieur) et un état interne caractérisé par un système de fissuration horizontal, conduisant à une structure lamellaire, importante à repérer dans les horizons non travaillés car elle fait obstacle à l’infiltration et à l’enracinement (état P). En effet Boizard et al. (2013) en France et Sasal et al. (2017) en Argentine ont montré l’importance de bien prendre en compte ce processus de fissuration horizontale, fréquent dans les situations de semis direct ou de travail réduit.
Par ailleurs, les macropores d’origine biologique (vers de terre, termites, racines…) modifient le fonctionnement du système sol-plante. En France, Capowiez et al. (2012) et Piron et al. (2017) ont étudié l’effet des vers de terre sur la bioturbation[1] et la régénération des volumes tassés. Pour mieux rendre compte de ces actions sur la structure, un critère complémentaire a été introduit, précisant la présence de macropores ou de traces de bioturbation. Les éléments structuraux avec présence de macropores tubulaires d’origine biologique sont appelés b1 et ceux avec présence de macropores et déjections b2.
En conséquence, la description de l’état structural se fait à trois niveaux :
- L’organisation des éléments structuraux : o, b, c
- Le type de porosité ou état interne : Γ, Δ, Φ, P
- L’activité biologique : b1 et b2.
Prenant en compte ces modifications, le modèle conceptuel indiquant les processus qui permettent le passage d’un type de porosité à l’autre, a été enrichi par rapport à la version initiale pour faciliter l’interprétation (figure 3). Ainsi avec la nouvelle version, un état cΦ révèle un état compact qui résulte d’un tassement sévère et de la fissuration sous l’effet des conditions climatiques, alors qu’un état cΦb1 résulte des mêmes processus auxquels il faut ajouter les effets de l’activité biologique (faune du sol et racines des plantes).
Les différents types de porosité observées au sein des mottes et les critères biologiques sont illustrés en annexe 6. Un guide simplifié de la méthode, s’appliquant aussi bien aux systèmes avec travail du sol qu’au semis direct, a été édité dans la revue Agronomie, Environnement et Société (Boizard et al., 2019.
Le profil racinaire, un objet d’étude
En parallèle à la mise en œuvre de la méthode du profil cultural, Tardieu (1988) a proposé une méthode pour établir des cartes précises d’enracinement. Elle consiste à observer la présence ou l’absence de racines sur un plan quadrillé de carrés de 1 à 2 cm de large et de les confronter à la description du profil cultural. Elle s’est révélée utile par exemple pour étudier l’effet des tassements sur l’enracinement des plantes comme le maïs (Tardieu, 1988) ou la pomme de terre (Tomis et al., 2017). La colonisation racinaire évaluée par la méthode précitée a constitué la variable de réponse des cultures au chaulage, plus proche que le rendement : par exemple une protection phytosanitaire insuffisante de la culture en fin de cycle peut très bien masquer un effet positif du chaulage ; la délimitation d’un sous-système « sol-racines » est apparue pertinente (Kockmann et al, 1990).
Enjeux et perspectives
Positionnement de la méthode par rapport aux autres méthodes visuelles
Le premier point fort de la méthode du profil cultural est la prise en compte de la variabilité spatiale de la structure, ce qui permet de comprendre et d’analyser les effets du travail du sol, du compactage et des agents naturels sur la structure du sol et du sous-sol ainsi que leurs conséquences sur le développement et la croissance des plantes (Roger-Estrade et al., 2004). Elle est ainsi très adaptée à l’évaluation de l’effet des itinéraires techniques et des systèmes de culture, en recherche comme pour le développement. C’est pour cette raison qu’elle a donné lieu à plusieurs démarches de modélisation.
Un frein à son développement comme outil de diagnostic sur le terrain est la lourdeur de sa mise en œuvre et la perturbation introduite dans la parcelle. D’autres méthodes visuelles reposant sur l’observation d’un prélèvement d’un bloc de sol à la bêche sont contemporaines de la méthode du profil cultural. Ces méthodes dites « bêche » sont plus faciles et plus rapides à mettre en œuvre. VESS (Visual Examination of Soil Structure), qui est la méthode la plus utilisée aujourd’hui, a été développée par Ball et al. (2007) et améliorée par Guimaraes et al. (2011). Elle donne en sortie une note entre 1 et 5 caractérisant la structure de l’horizon travaillé entre 20 et 30 cm de profondeur : pour cela l’observateur attribue une note à chaque couche de sol observée à partir d’une grille prenant en compte plusieurs caractéristiques telles que la taille des mottes, leur résistance à la fragmentation manuelle, l’importance de la terre fine, la présence de racines… En répétant l’opération sur au moins cinq prélèvements, une note globale de la qualité de la structure du sol est calculée. Plusieurs auteurs ont montré la bonne relation entre la note obtenue avec VESS et des facteurs essentiels de la fertilité physique des sols comme l’aération, la distribution de l’eau ou la réserve en eau (Pulido et al., 2014 ; Johannes et al., 2017). Husson et al. (2023) ont aussi montré l’intérêt de cette note pour caractériser des trajectoires de restauration ou de dégradation de la structure du sol.
La méthode a été éditée par [https://agronomie.asso.fr/aes-9-2-6 Boizard et al., 2019) ; elle permet de réaliser un diagnostic rapide, par exemple pour aider un agriculteur à la prise de décision immédiate sur l’opportunité ou non de tel ou tel passage d’outil et son réglage. Elle s’adresse à un public très large, qui va de l’agriculteur à l’agronome, étant d’une mise en œuvre relativement simple grâce à une charte s’appuyant sur des photos pour aider l’utilisateur à faire sa notation. Mais par rapport à la méthode de description du profil cultural, elle ne permet pas d’analyser l’origine des états structuraux observés.
Une initiative intéressante est la mise au point de la méthode du mini-profil 3D (Tomis et al., 2019), qui consiste à prélever un bloc de sol avec un chargeur télescopique afin d’observer les horizons de travail du sol en utilisant les mêmes critères que le profil cultural. Cette méthode permet d’accéder rapidement à un profil de sol pour le décrire. Le bloc est remis à sa place à la fin de l’observation, créant ainsi un minimum de perturbation dans le champ. Pour être représentative de la parcelle, elle doit être répétée au moins trois fois. La méthode est très prisée des conseillers pour la sensibilisation à l’observation des sols et l’animation des tours de plaine.
Cependant, avec les méthodes « bêche » ou « mini-profil 3D », on ne peut pratiquer, comme pour celle du profil cultural, une analyse comparée de l’état des différents compartiments de la face d’observation pour accéder à la compréhension de l’origine des états structuraux. Même si aujourd’hui, sur le terrain, les agronomes ont tendance à préférer des méthodes rapides, de type bêche ou mini-profil 3D, celle du profil cultural reste un outil indispensable pour accompagner des agriculteurs vers des systèmes innovants comme l’agriculture de conservation des sols et dans le cadre de la transition agroécologique.
Formation à l’observation qualitative
La méthode du profil cultural, qualitative, exige un apprentissage sérieux et conséquent : une grande rigueur dans les observations méthodiques et indépendantes des différents critères pour ensuite étudier leurs convergences ; prendre en considération le volume de sol travaillé par les outils ; savoir relativiser et hiérarchiser les accidents ; entrevoir pour voir… Puis « interpréter, démarche où l’agronome doit s’engager sans autre garde-fou que son référentiel local et une solide formation théorique » (Sebillotte, 1987, Préface du Guide Méthodique du Profil Cultural). « C’est sur le terrain que l’on mesure la difficulté du test des théories et des modèles en agronomie, parce que l’on y perçoit physiquement, et c’est irremplaçable, la complexité des objets étudiés ! » (Sebillotte, 2006, voir annexe 8). La formation constitue un réel enjeu pour la pratique du profil cultural.
Actuellement, des initiations aux méthodes visuelles d’observation des sols sont réalisées dans différentes écoles d’ingénieur pour sensibiliser les étudiants au fonctionnement global du sol. Elles se font généralement en deux temps. Dans les premières années du cursus, le profil cultural est mobilisé comme outil d’observation globale du sol, permettant d’aborder toutes les dimensions du sol (physique, chimique et biologique) et son lien aux plantes (racines…), ce qui permet de faire découvrir la complexité des processus agissant dans le sol. Lors de la spécialisation en agronomie, les étudiants approfondissent leur connaissance à travers des mises en situation au champ, où il s’agit d’enseigner une démarche de diagnostic de culture en lien avec les contraintes du sol et du climat pour aboutir à un conseil sur l’itinéraire technique ou le système de culture. Ils participent ainsi à son développement en tant que futurs conseillers agricoles. Cette utilisation du profil cultural permet de promouvoir la méthode, mais aussi de la discuter voire de l’adapter avec les étudiants pour pérenniser son usage et son utilité dans le futur. Dans la même optique et parallèlement à la formation initiale, le profil cultural est aussi mobilisé dans la formation continue des conseillers agronomes de terrain.
Notes
- ↑ La bioturbation désigne le réarrangement physique du matériel du sol par des organismes vivants, et la régénération des volumes tassés.
Références citées
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