« Charrue, historique et fonction » : différence entre les versions

De Les Mots de l'agronomie
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Version du 20 juin 2011 à 15:19

Note
Cet article sera complété par (au moins) un autre article sur l’évolution des charrues au XXe siècle.

Auteur : François Sigaut

Le point de vue de...
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Autres langues
Anglais : plough (GB), plow (USA)
Espagnol : arado
Informations complémentaires
Article accepté le 1 juillet 2010
Article mis en ligne le 9 septembre 2010


Définition

(Texte retiré provisoirement, car en cours de modification)


Historique du mot

Le mot « charrue » vient du bas-latin carruca, qui comporte la notion d’un avant-train à roues. C’est un mot qui appartient aux dialectes septentrionaux de la France, les dialectes méridionaux employant plutôt un dérivé du latin classique aratrum, comme le provençal araïre. Au XIXe siècle, le mot araire est passé dans le vocabulaire des agronomes pour désigner les charrues sans avant-train. Mais depuis la parution de L’Homme et la charrue d’Haudricourt et Jean-Brunhes Delamarre (1955), qui ont montré que l’avant-train n’était pas le critère essentiel de distinction entre araires et charrues, cet usage a pratiquement disparu. Il est d’ailleurs devenu sans objet, puisque depuis la généralisation du tracteur, toutes les charrues ont désormais un avant-train qui est le tracteur lui-même.

Historique de l’instrument

La charrue proprement dite est définie par l’existence d’un versoir qui rejette la terre soulevée par le soc sur un des côtés ; l’instrument doit donc avoir donc une structure dissymétrique, ce qui l’oppose à l’araire. Il n’existe que dans deux régions du monde : la Chine et l’Europe. En Chine toutefois, les charrues traditionnelles n’avaient ni coutre ni avant-train, et si on a d’assez nombreuses descriptions de l’instrument lui-même (Needham & Bray, 1984), on en a beaucoup moins de son mode d’action dans le sol. Tant que cette lacune ne sera pas comblée, il sera impossible de répondre aux nombreuses questions qui se posent à son sujet.

En Europe, la charrue fait son apparition quelque part entre le Pô, la haute vallée du Danube et celle du Rhin vers le début de notre ère. La date exacte est controversée, mais elle se situe entre le Ier et le VIe siècle de notre ère. Un passage de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, à la fin du Ier siècle, mentionne explicitement le coutre, les roues, et « un soc large qui renverse les gazons », ce qui s’applique assez bien au versoir. Un travail récent de Marbach (2004) sur les vestiges de coutres et de socs en Gaule Belgique a confirmé l’existence de charrues gallo-romaines dès le IIe siècle.

Araire et charrue - Rôle spécifique et répartition géographique de la charrue

On continue à lire dans de nombreux ouvrages que la charrue est une forme perfectionnée de l’araire, que celui-ci ne fait que « gratter », « égratigner » le sol, alors que la charrue permet de faire des labours plus profonds, plus complets, etc. Tout cela est faux. C’est le résultat d’une méconnaissance générale de la complexité des anciens modes de travail du sol, où araires et charrues, dont il existait d’ailleurs des modèles très divers, remplissaient des fonctions différentes et complémentaires. Il n’y avait pas « un » labour mais plusieurs, au moins trois et souvent bien davantage, chacun d’eux avec ses spécifications propres (voir jachère). C’est pourquoi il y avait en général plusieurs modèles de charrues et d’araires dans une région donnée. Lorsqu’il n’y en avait qu’un seul (le cas n’est pas fréquent), c’est qu’il existait des dispositifs permettant d’ajouter ou d’enlever facilement tel organe (coutre, versoir, 2e versoir) ou de modifier profondément les réglages, etc.

L’hypothèse la plus vraisemblable sur l’origine de la charrue est qu’il s’agissait initialement d’un instrument destiné au labour des gazons (Sigaut, 1972, 1975, 2004). La notion de gazon n’a pas la place qui devrait lui revenir en agronomie. Un gazon, au sens premier du terme, c’est un morceau de terre enherbée que le chevelu des racines rend mécaniquement beaucoup plus résistant que le même morceau de terre nue, auquel est réservé proprement le nom de motte : sauf dans le cas de certaines argiles particulièrement tenaces, les mottes se brisent sous le choc, pas les gazons, et quiconque a manié tant soit peu la bêche a vite appris que travailler une terre gazonnée demande beaucoup plus d’efforts et de temps qu’une terre nue. L’observation est si courante que toutes les langues européennes, et beaucoup d’autres, ont deux mots différents pour exprimer l’opposition motte / gazon (le latin a gleba / caespis). Et ce n’est sans doute pas un hasard si, dans le passage cité plus haut, Pline parle de gazons et non de mottes (latitudo vomeris caespites versat).

Dans cette perspective, le coutre et l’avant-train s’expliquent assez bien. En sol gazonné, la nécessité du coutre est trop évidente pour qu’il soit nécessaire d’y insister. Quant à l’avant-train, son utilité est de réaliser un réglage en largeur et surtout en profondeur particulièrement rigoureux, qui répond aussi à une nécessité du labour en sol gazonné. La plupart des araires sont équipés d’un soc pointu qui travaille comme un coin en soulevant et en éboulant la terre, nue ou faiblement enherbée. Un réglage en profondeur est certes nécessaire, mais il n’a pas besoin d’être très précis ; que l’araire « pique » un peu plus ou un peu moins, dans certaines limites, n’a pas de gros inconvénients. Il en va tout autrement en sol gazonné, pour deux raisons. La première est qu’il est indispensable, pour la bonne organisation du travail, que les dimensions de la tranche de terre soient aussi constantes que possible d’un bout du rayage à l’autre. La seconde est que comme le soc travaille à plat, en largeur, tout dépassement intempestif de profondeur imposerait à l’attelage des efforts superflus et épuisants. À quoi il faut ajouter le fait que pour obtenir une décomposition aussi rapide que possible de la couche gazonnée, le labour doit être superficiel (5-10 cm) plutôt que profond. Or c’est précisément pour des labours superficiels qu’un réglage particulièrement précis, tel que l’avant-train le permet, est nécessaire. Dans l’Europe non méditerranéenne, la charrue est en général l’instrument des premiers labours, parce qu’une terre qui n’a pas été travaillée depuis assez longtemps est toujours plus ou moins gazonnée. Ces premiers labours doivent être peu profonds. Les labours plus profonds viendront ensuite, et suivant les régions et les circonstances, ils seront faits à la charrue ou à l’araire.

En résumé : la charrue n’est pas un instrument plus perfectionné ou plus performant que l’araire. Les deux instruments ont leurs domaines respectifs d’efficacité. L’araire est adapté à des sols nus ou faiblement gazonnés, qui tendent à s’ébouler facilement pendant ou après le passage de l’instrument. La charrue est adaptée à des sols gazonnés, ou qui pour d’autres raisons (texturales ?) tendent à conserver une forte cohésion. C’est en tous cas en prenant en compte cette différence qu’on peut comprendre, 1° pourquoi la charrue ne s’est jamais véritablement implantée dans les régions méditerranéennes, et 2° pourquoi l’araire est resté indispensable jusqu’au XIXe siècle dans de nombreuses régions de l’Europe du Nord qui connaissaient la charrue depuis longtemps. Dans ces régions, la disparition de l’araire sera liée, non aux perfectionnements apportés aux charrues proprement dites, mais au développement des instruments de pseudo-labour.

Références citées

  • Haudricourt, A.G., Jean-Brunhes Delamarre M., L’Homme et la charrue à travers le monde. Paris, Gallimard, 1955. Réédition : La Manufacture, Paris, 1986, 410 p.
  • Marbach A., 2004. Recherches sur les instruments aratoires et le travail du sol en Gaule Belgique. Oxford, BAR Int. Ser., 2 vol, 159 + 153 + 68 p.
  • Needham J., Bray F., 1984. Agriculture (Vol. 6 Part II de Science and Civilisation in China, J. Needham, dir.). Cambridge University Press, 724 p.
  • Pline l’Ancien, [ca. 72 après J.C.] 1972. Histoire naturelle (Livre XVIII). Paris, Les Belles Lettres, 462 p. Texte intégral sur le site de la Bibliothèque inter-universitaire de médecine.
  • Sigaut F., 1972. Les conditions d’apparition de la charrue. Journal d’Agriculture Tropicale et de Botanique Appliquée (JATBA), vol. XIX, n°10-11, pp. 442-478.
  • Sigaut F., 1975. L’Agriculture et le feu. Paris-La Haye, Mouton, 320 p.
  • Sigaut F., 2004. L’Évolution des techniques. In M. Barceló & F. Sigaut (dir.), The Making of Feudal Agricultures, Leiden-Boston, Brill.

Pour en savoir plus

Bibliographie complémentaire

  • Bourrigaud R., Sigaut F. (dir.), 2007. Nous labourons. Nantes, Centre d’Histoire du Travail, 400 p + CD.
  • Casanova A. M., 1861. Manuel de la charrue. Paris, La Maison Rustique, 176 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Diffloth P., 1929. Agriculture générale – Labours et assolements. Paris, J.B. Baillière & Fils, 6è édition, 364 p.
  • Feuerlein W., 1969. Bodenbearbeitung. In G. Franz (dir.), Die Geschichte der Landtechnik im XX. Jahrhundert (Frankfurt a. Main, DLG Verlag,), pp. 119-154.
  • Heuzé G., 1889. La Pratique de l’agriculture. Paris, Librairie Agricole de la Maison Rustique,.
  • Hopfen H. J., 1970. L’Outillage agricole pour les régions arides et tropicales. Rome, FAO, 2è éd., XII + 156 p.
  • Jourdier A., 1855. Le Matériel agricole. Paris, Hachette, 251 p. Texte intégral sur le site du Conservatoire numérique des Arts & Métiers (CNUM).
  • Lerche G., 1994. Ploughing Implements and Tillage Practices in Denmark from the Viking Period to About 1800. Herning, Poul Kristensen, 321 p.
  • Malrain, F., Matterne V., Méniel P., 2002. Les Paysans gaulois (IIIe siècle–52 av. J.-C.). Paris, Errance / Inrap, 236 p.
  • Paillet A., 2005. Archéologie de l’agriculture moderne. Paris, Errance, 288 p.
  • Pétrequin P., Arbogast R.M., Pétrequin A.M., Van Willigen S., Bailly M. (dir.), 2006. Premiers chariots, premiers araires. La diffusion de la traction animale en Europe pendant les IVe et IIIe millénaires avant notre ère. Paris, CNRS, 400 p.
  • Sigaut F. (dir.), 1977. Les Hommes et leurs sols. N° spécial du JATBA, vol. XXIV, n°2-3, 281 p.
  • Tools and Tillage, revue annuelle publiée de 1968 à 1995 par le Musée National du Danemark (Copenhague), sous la direction d’Axel Steensberg et de Grith Lerche.

Liens externes


Autres langues

  • Anglais : plough (GB) / plow (USA)
  • Espagnol : arado