Évaporation, transpiration végétale, évapotranspiration : les mots

De Les Mots de l'agronomie
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La consommation d’eau par les plantes est un sujet vaste et complexe, qui demande plusieurs articles. Celui-ci est un panorama du vocabulaire, de l’antiquité latine à nos jours.

Auteurs : Pierre Morlon et Bernard Itier

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Article accepté le 1er mars 2017
Article mis en ligne le 1er mars 2017

Un peu d’histoire

Le latin emploie trois racines (Gaffiot, 1934) :

  • evaporare, « disperser en vapeur » et evaporatio, -ionis, dont les dérivés français sont attestés depuis le XIVe siècle ;
  • dissipabilis, « qui se dissipe, qui s’évapore aisément », qui a donné en français dissiper et dissipation, longtemps employés pour évaporer et/ou transpirer ;
  • halitus, « souffle, exhalaison, vapeur, émanation », « chaleur du soleil », employé à propos d’agriculture par Columelle (ca. 42 ap. J.C., 2, 5) :
Disiectum deinde protinus fimum inarari et obrui convenit, ne solis halitu vires amittat, et ut permixta humus praedicto alimento pinguescat. Aussitôt que le fumier est répandu, il doit être enfoui à la charrue, de peur que l'évaporation produite par le soleil ne lui enlève ses bonnes qualités, et pour que la terre, s'y mêlant mieux, s'en engraisse plus abondamment[1].

Ce dernier terme a donné le français hâle (ou hasle), « action desséchante de l'air et du soleil », employé jusque vers 1800 : « [après le semis] la première façon se doit faire si tôt que le fumier est épandu (autrement le fien perdrait sa force par le hale du soleil s’il n’était couvert) » (Estienne & Liébault, 1564, liv. 5, chap. 7) ; « [les eaux de pluie] coulent & se rendent dans les fossés & dans les mares qu’on leur a préparées, où elles attendent que le hasle les fasse évaporer, & les consume » (Perrault, 1678 : 175). « S’il arrive qu’on discontinue pour quelque temps de verser de l’eau, & que cependant il vienne quelque rayon de soleil, quelque hasle, quelque vent sec, la terre se sèchera par le dessus (id. : 178) ; « Rien n’est meilleur encore, pour détruire les mauvaises herbes, que de labourer par le hâle. » (Duhamel du Monceau, 1762 : 125) ; « Si le labour a été fait dans un temps humide, il faut [pour herser] que la terre soit ressuyée, un peu hâlée ; mais sans être durcie. (…) la herse (…) achève de déraciner les herbes que la charrue n'avait pas entièrement détruites. Le hâle empêche ces herbes de reprendre racine. » (Encyclopédie, t. 8, 1765, article Herser), etc.

Hâle a donné le verbe exhaler, que Perrault (1674) emploie comme synonyme d’évaporer : « Ne faut-il pas aussi considérer les grandes évaporations qui se font des eaux quand elles sont tombées sur les terres nouvellement labourées, dont les parcelles qui les ont reçues les exposent à l’air, & lui donnent une si grande prise sur elles pour les faire exhaler, par le vent qui vient presque toujours après la pluie. Combien durant la gelée s’en exhale-t-il, quand la Terre ne les peut recevoir étant gelée comme elles ? Combien s’exhale-t-il de neiges avant qu’elles ne soient fondues ? (car la glace & la neige s’exhalent autant que l’eau même qui n’est pas gelée) » (p. 181). Boussingault (1843 : 30-32) emploie exhaler, exhalaison et exhalation comme synonymes de transpirer et transpiration ; et le premier Larousse agricole (1922) affirme « La transpiration chez les végétaux (…) consiste essentiellement dans l’exhalation de l’excès d’eau contenue dans la plante » (une idée absurde mais qui a la vie dure - encore reprise par le Trésor de la Langue Française informatisé[2].


L’emploi de transpirer, transpiration pour les plantes vient de l’anglais, où le mot est attesté depuis 1551 (Little et al., 1966). Il apparaît en français en 1735 sous la plume de Buffon, qui traduit le titre du premier chapitre de La statique des végétaux de Hales (1727), « Experiments, shewing the quantities of moisture imbibed and perspired by Plants and Trees », par « Expériences sur la quantité de liqueur que les Arbres & les Plantes tirent & transpirent ». Il est repris par Guettard (1748, 1749), Duhamel du Monceau, « Enfin il est tout aussi-bien prouvé que les plantes transpirent très-abondamment par leurs feuilles » (1750, Plan de l’ouvrage : viii) ; dans la traduction de Home (1761) ; par Tillet (1774), etc.

« On distingue cette transpiration en insensible, c'est-à-dire, fournissant une humeur aqueuse, très-abondante qui sort de leur intérieur, sans donner des marques perceptibles de sa sortie, quand on n'emploie pas des moyens propres à mettre cette transpiration sous les sens, & en transpiration sensible, donnant naissance à une humeur assez épaisse qu'on recueille sur la surface de quelques plantes » (Sénebier, 1791, article TRANSPIRATION : 282). Seule la « transpiration insensible » correspond à ce que nous appelons transpiration.

La littérature agronomique emploie parfois l’expression « coefficient de transpiration » (ou coefficient d’évaporation), qui désigne la quantité d’eau évaporée par le couvert végétal pour produire 1 kg de matière sèche récoltée (Demolon, 1956 : 111-112) (voir article Signification des rendements).


Le concept d’évapotranspiration est créé en 1948 par un géographe climatologue des USA, Thornthwaite. C’est la somme, pour un terrain donné, de l’évaporation depuis la surface du sol et de la transpiration des végétaux. Elle est réelle (anglais actual) quelles que soient les conditions, et potentielle (maximum climatique) lorsqu’il n’y a pas de limitation de l’alimentation en eau. Ce vocabulaire concurrence alors aux USA l’expression consumptive water use (Blaney & Morin, 1942), utilisée par les spécialistes de l’irrigation (Sammis et al., 2011). Introduit en France par Curé (1950), on le trouve épars dans la littérature agronomique des années 1950, et il se généralise lorsque les bioclimatologues de l’INRA l’adoptent (Hallaire, 1960 ; Turc, 1961 ; Bouchet, 1961 & 1963, etc.).

Définitions actuelles

L’évapotranspiration d’une culture dépend d’une « demande » résultant du climat, et de la capacité de la culture à y faire face, en fonction de la disponibilité de l’eau dans le sol et des caractéristiques du couvert végétal : profondeur et densité des racines et couverture du sol par les feuilles, liées à son stade phénologique.

Pour connaître la demande atmosphérique, appelée aujourd’hui évapotranspiration de référence (ETref) après avoir été longtemps appelée évapotranspiration potentielle (ETP), il faut donc s’affranchir des deux facteurs limitants liés à 1°) l’état hydrique du sol et 2°) la culture. Pour le premier, il suffit d’irriguer assez souvent pour que l’eau du sol soit aisément disponible pour la culture.

Pour s’affranchir du second, il faut un couvert végétal qui, toute l’année, soit vert et couvre entièrement le sol. C’est le cas du gazon car :

  • - même ras, il a un indice foliaire supérieur à 3 (3 m2 de feuillage / m2 de sol) ;
  • - on peut le maintenir vert et photosynthétiquement actif toute l’année, en choisissant une variété appropriée et en le tondant régulièrement pour éviter l’évolution vers la maturité. C’est donc l’évapotranspiration d’un gazon ras convenablement irrigué qui sert de référence à la demande atmosphérique :
ETref (anciennement ETP) = ET gazon ras irrigué

Pour tout autre couvert (blé, maïs, betterave, vigne, prairie, forêt,….), irrigué ou avec des pluies suffisantes, l’évapotranspiration dépend du climat et du stade phénologique. Prenons deux exemples pour des cultures annuelles à deux dates différentes, en France :

  • mai : le blé est bien vert et bien couvrant, on peut penser qu’il évapotranspirera à peu près comme le gazon. Le maïs lui est à peine levé et les quelques plantules qui apparaissent sur les rangs ne peuvent pas assurer un flux d’eau très conséquent.
  • juillet : le blé est prêt à être récolté ; il est bien couvrant mais son appareil foliaire, sec, ne fonctionne plus. Son évapotranspiration sera très faible tandis que celle du maïs, en fin de montaison ou début de floraison, est aussi élevée que celle du gazon.

On définit alors l’évapotranspiration maximale ETM, reliée à ETref par un coefficient cultural (kc) qui, faible au début lorsque la culture est non couvrante, atteint un maximum de 1 à pleine couverture[3] jusqu’au début de la maturation et décroît ensuite quand le programme de la plante n’est plus de fabriquer de la matière sèche mais de transférer les assimilats vers les organes de reproduction :

ETM = kc x ETref avec kc <=1

En situation réelle, hors irrigation, l’humidité du sol n’est le plus souvent pas suffisante face à la demande climatique. L’évapotranspiration réelle est alors le produit de l’évapotranspiration maximale propre à cette culture à ce moment, par un coefficient de sécheresse (ks), compris entre 1 quand l’alimentation en eau est assurée et à 0 quand la plante est totalement flétrie :

ETR = ks x ETM = ks x kc x ETref

L’agriculteur connaît pour chaque culture les valeurs de kc en fonction des stades phénologiques, qu’il transpose en fonction de la date pour le lieu où il cultive. Il estime ks au moyen de relations simples : ks~1 lorsque la culture consomme l’eau de la réserve facilement utilisable (RFU), et décroissant de 1 à 0 au fur et à mesure que l’on consomme l’eau de la RDU, part complémentaire de la réserve utile (RU). Mais, pour estimer l’évapotranspiration, il lui faut connaitre ETref !!

Après avoir, au milieu du XXe siècle, mesuré ETref sur des évapotranspiromètres à drainage ou pesables, on l’estime aujourd’hui, dans la plupart des services météorologiques du monde, à partir de la formule de Penman-Monteith[4] (voir article Une histoire de l'évapotranspiration). Il s’agit d’une formule analytique qui s’appuie sur le bilan énergétique d’une surface de gazon et donne des résultats excellents, comparés avec les mesures de pertes d’eau par lysimètres.

Ainsi peut-on aujourd’hui accéder à la consommation en eau des plantes par la cascade suivante :

MotsAgro Évaporation, transpiration végétale, évapotranspiration les mots 1.jpg

Quelles unités ?

Comme toute grandeur physique, l’évapotranspiration peut être exprimée dans les unités du système international : pour la vitesse instantanée, en kg d’eau (ou litres) par mètre carré et par seconde. Mais, dans la pratique :

  • très souvent, on la compare à la pluie dans les bilans hydriques ; on l’exprime alors en mm de hauteur d’eau sur une certaine durée (jour, décade, mois, année) ;
  • ou bien, en multipliant la quantité évaporée par la chaleur latente de vaporisation de l’eau, on compare l’énergie qu’elle consomme au rayonnement solaire qui la fournit, les deux étant exprimées en MJ par m2.

Autres langues

Anglais : d’abord utilisée, l’expression, consumptive water use a été remplacée par evapotranspiration (potential ou actual selon le cas).

Allemand : les racines latines (potentielle Evapotranspiration) concurrencent les racines germaniques. Transpiration se dit Ausdunstung, et évaporation Verdunstung (Pflanzenverdunstung), d’où potentielle Verdunstung (klimatisch mögliche Verdunstung, évaporation climatiquement possible), qui a supplanté Verdunstungskraft, (force ou puissance d’évaporation) employé depuis le XIXe siècle (Mühry, 1860 ; Vivenot, 1866). Une illustration :

Bei der Verdunstung ist zu unterscheiden zwischen der Verdunstung von der freien Wasseroberfläche (= “Verdunstungskraft” oder “klimatisch mögliche Verdunstung”) und der “Landesverdunstung”, die die tatsächliche Verdunstung der Landflächen umfaßt. Als “Gebietsverdunstung” wird schließlich die Gesamtverdunstung von Landflächen und Wasserflächen bezeichnet (Monheim, 1956 : 55)[5]. Pour l’évaporation, il faut distinguer l’évaporation depuis une surface d’eau libre (« force d’évaporation » ou « évaporation climatiquement possible ») et l’évaporation à la surface du sol qui englobe l’évaporation effective des surfaces du sol. « Évaporation d’un territoire » désigne en fait l’évaporation totale des surfaces de sol et d’eau.

Espagnol : evapotranspiración. On trouve encore parfois uso consuntivo, directement pris de l’anglais.


Notes

  1. Traduction Du Bois, 1844
  2. Définition donnée dans le TLFi, consulté en janvier 2017.
  3. Des valeurs de kc supérieures à 1, parfois mentionnées pour des végétations hautes (maïs, canne à sucre), proviennent d’essais faits sur des surfaces trop petites, d’où une prise au vent et une forte advection, surtout dans des milieux secs. Par ailleurs, on trouve aussi des coefficients culturaux relatifs, non à ETref, mais à l’évaporation d’une surface d’eau libre.
  4. Voir [1] ou [2])
  5. Dans sa longue bibliographie, Monheim ne cite ni Thornthwaite, ni Penman.


Références citées

  • Blaney, H.F., Morin, K.V. 1942. Evaporation and consumptive water use of water, empirical formulae. Pt. 1. Am. Geophys. Union Trans., p. 76-83.
  • Bouchet R.J., 1961. Signification et portée agronomique de l’évapotranspiration potentielle. Ann. Agron. INRA, 12 (1) : 51-63.
  • Bouchet R. J., 1963. Évapotranspiration réelle, évapotranspiration potentielle et production agricole. Ann. Agron. INRA, 14 (5) : 743-824.
  • Boussingault J.B., 1843. Économie rurale considérée dans ses rapports avec la chimie, la physique et la météorologie. Béchet jeune, Paris, t. 1, 648 p. intégral sur Gallica.
  • Chancrin E., Dumont R. (dir.), 1921-1922. Larousse agricole. Encyclopédie illustrée. Paris, t. 1, 1921, 852 p ; t. 2, 1922, 832 p.
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  • Duhamel du Monceau H.L., 1750. Traité de la culture des terres, suivant les Principes de M. Tull, Anglois. Vol. 1, Paris, XXXVI + 488 p. + figures.
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