« Mauvaise herbe » : différence entre les versions

De Les Mots de l'agronomie
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==Introduction==
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Le problème des mauvaises herbes est consubstantiel à l’agriculture, apparue quand les hommes ont commencé à favoriser les plantes qu’ils désiraient récolter, et pour cela à « tirer les herbes qui par l’abondance des pluies & luxure de la terre, abondent et surmontent le grain nouvellement levé » ([[A pour personne citée::Charles Estienne|Estienne]] & [[A pour personne citée::Jean Liébault|Liébault]], 1565, f. 98v). La mise en [[culture]] a favorisé certaines [[espèce]]s [[adventice]]s dont l’abondance relative est, en archéologie, un indice de l’existence de l’agriculture, plus précoce que les modifications morphologiques des espèces domestiquées (Willcox ''et al''., 2008 ; Willcox, 2012).
Le problème des mauvaises herbes est consubstantiel à l’agriculture, apparue quand les hommes ont commencé à favoriser les plantes qu’ils désiraient récolter, et pour cela à « tirer les herbes qui par l’abondance des pluies & luxure de la terre, abondent et surmontent le grain nouvellement levé » ([[A pour personne citée::Charles Estienne|Estienne]] & [[A pour personne citée::Jean Liébault|Liébault]], 1565, f. 98v). La mise en [[culture]] a favorisé certaines [[espèce]]s [[adventice]]s dont l’abondance relative est, en archéologie, un indice de l’existence de l’agriculture, plus précoce que les modifications morphologiques des espèces domestiquées (Willcox ''et al''., 2008 ; Willcox, 2012).

Dernière version du 13 septembre 2024 à 09:14

Auteurs : Pierre Morlon et Nicolas Munier-Jolain

Avertissement
La lutte contre les mauvaises herbes sera traitée dans d’autres articles.
Le point de vue de...
Pas de compléments pour cet article
Annexes de l'article
Voir aussi (articles complémentaires)
Autres langues
Anglais : weed
Allemand : Unkraut
Espagnol : mala hierba, maleza
Italien : malerbe
Informations complémentaires
Article accepté le 29 novembre 2012
Article mis en ligne le 6 décembre 2012

Introduction

Le problème des mauvaises herbes est consubstantiel à l’agriculture, apparue quand les hommes ont commencé à favoriser les plantes qu’ils désiraient récolter, et pour cela à « tirer les herbes qui par l’abondance des pluies & luxure de la terre, abondent et surmontent le grain nouvellement levé » (Estienne & Liébault, 1565, f. 98v). La mise en culture a favorisé certaines espèces adventices dont l’abondance relative est, en archéologie, un indice de l’existence de l’agriculture, plus précoce que les modifications morphologiques des espèces domestiquées (Willcox et al., 2008 ; Willcox, 2012).

« Le royaume des cieux ressemble à un homme qui sème de la belle semence dans son champ. Pendant que dorment les hommes, vient son ennemi : il sème de l’ivraie par-dessus, au milieu du blé, et il s’en va. Quand l’herbe germe et fait du fruit, alors parait aussi l’ivraie. Les serviteurs du maître de maison s’approchent et lui disent : ‘Seigneur, n’est-ce pas de la belle semence que tu as semée dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y ait de l’ivraie ?’Il leur dit : ‘un homme, ennemi, a fait cela !’ Les serviteurs lui disent : ‘Veux-tu donc que nous allions la ramasser ?’ Il dit : ‘Non, de peur qu’en ramassant l’ivraie, vous déraciniez avec elle le blé. Laissez l’un et l’autre croître ensemble, jusqu’à la moisson. Au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler. Quant au blé, rassemblez-le dans mon grenier.’ » (Évangile de Matthieu, chap. 13.).

La parabole du bon grain et de l’ivraie (ou zizanie, d’où l’expression « semer la zizanie ») est, en Occident, la plus célèbre histoire de mauvaise herbe. L’ennemi, dans la parabole, c’est le Diable, le Mauvais, le Malin - pendant longtemps, on disait les herbes malignes, comme on dit aujourd’hui une tumeur maligne : non seulement nuisibles, « méchantes » (qualificatif fréquent autrefois), mais on n’arrive pas à s’en débarrasser (« mala hierba nunca muere », « mauvaise herbe jamais ne meurt », dit un proverbe espagnol). Il y a quelque chose de diabolique à surgir sans avoir été semé, et à s’obstiner à contrecarrer la légitime aspiration de l’homme à subvenir à ses besoins ! Il faut donc les extirper sans relâche : « et plus unquore je l'ay esraché et essarté toutz lez orties putes et les mavaisses herbes », dit un texte de 1396 (Kristol, 1995 : 17).


Quelles espèces ?

Tous les ouvrages d’agriculture, depuis l’Antiquité, donnent des noms ou des listes plus ou moins longues de mauvaises herbes, par exemple Estienne & Liebault (1565, f. 98r) : « Et ne faut douter que la terre franche quant elle ne devrait produire que des sanves, du chiendent, mouron, mercure, chardons de plusieurs sortes, hièbles, vesseron, pavot rouge, aveneron, verveine, aulbifoins, cornuette ou autres telles herbes inutiles, sans omettre la nielle, l'ivraie, & ce que l'on nomme arrêtebeuf, ou pour le moins la fumeterre & la hannebane, encore fera elle quelques choses : telles en y a qui produisent d’elles-mêmes la maroutte qui est la fausse camomille, le myrrhis herbe propre à la hargne [ce sont franches terres] & ce que l'on nomme chamepystis (...) ». Attention : comme pour les espèces cultivées, plus un texte est ancien, moins l’identification avec celles qui portent le même nom actuellement n’est sûre !

C’est au début du XIXe siècle qu’apparaissent, ou se généralisent, des classifications fonctionnelles entre plantes redevables de moyens de lutte différents : « Les mauvaises plantes et les mauvaises graines sont ici deux choses très-différentes. Les premières sont principalement certaines variétés de graminées vivaces qui se propagent par leurs racines ; les secondes appartiennent à toutes les plantes annuelles dont les semences ont le temps de mûrir et de se répandre sur la terre pendant que la récolte est sur pied, telles sont les moutardes, les pavots, les bleuets, les chardons, les vesces bâtardes » (Pictet, 1801 : 12). Cette distinction entre vivaces et annuelles est la base de l’exposé d’auteurs comme Mathieu de Dombasle [ca. 1840] 1862).

Les espèces présentes sur un terrain sont bien sûr adaptées à son milieu naturel (climat et sol, dont elles peuvent être indicatrices (Fried et al., 2008 ; Fried, 2010). Les matricaires, par exemple, sont indicatrices de sol limoneux, la prêle de sols humides. C’est ainsi qu’une modification radicale du milieu, telle que le drainage ou le chaulage, permet de réduire en quelques années l’infestation par des espèces inféodées aux anciennes conditions. Aujourd’hui, l’artificialisation des milieux a tendance à homogénéiser les communautés adventices des champs cultivés.

Mais elles sont aussi – et surtout – adaptées au système de culture (Fried et al., 2009 & 2012). Les espèces qui se reproduisent par graines ne peuvent le faire que lorsque leur cycle peut s’accomplir entièrement à l’intérieur de celui de la culture, au début duquel les labours et façons superficielles avant le semis détruisent les adventices levées (c’est un de leurs buts) ; et à la fin duquel la moisson empêche de mûrir les graines qui ne le sont pas encore, en coupant les plantes qui les portent. Le colza, le blé d’hiver, la betterave et le maïs n’ont pas les mêmes mauvaises herbes parce qu’ils ne sont pas semés et/ou récoltés aux mêmes dates, et que la plupart des espèces adventices ont des périodes de levées limitées dans le temps, plus ou moins strictement selon les espèces. La répétition d’une même culture dans une pièce permet la multiplication des mauvaises herbes adaptées à son cycle ; inversement, la succession d’espèces cultivées de cycles différents fait que chaque espèce adventice ne peut pas grainer tous les ans. C’est une des raisons d’être des rotations, dont on a cru pouvoir se passer grâce aux herbicides chimiques sélectifs, mais que les préoccupations environnementales et la multiplication des souches de mauvaises herbes résistantes à ces herbicides remettent au premier plan. L’apparition de populations résistantes aux herbicides résulte le plus souvent de la sélection par des traitements répétés d’individus qui, par hasard, intègrent des gènes de résistance. Là où des variétés génétiquement modifiées, intégrant des gènes de tolérance aux herbicides non sélectifs, sont cultivées, des croisements interspécifiques entre plantes cultivées et espèces adventices taxonomiquement proches (colza et crucifères sauvages, par exemple) sont également une cause possible d’acquisition de la résistance à ces herbicides.

La modification des techniques culturales entraîne aussi une modification de la flore adventice. En Europe occidentale, le passage au non-labour (« Techniques culturales simplifiées ») permet l’infestation par des Bromes auparavant négligeables, car très sensibles à l’enfouissement par le labour, comme toutes les espèces dont les graines persistent relativement peu de temps dans le sol. La persistance des graines constitue une adaptation à la fois au labour et à la diversité des successions de culture.

L’étude des mauvaises herbes et des moyens pour les limiter est l’objet d’une branche (champ disciplinaire) de l’agronomie, la malherbologie.


En quoi nuisent-elles ?

De nos jours (Macé et al., 2007), les agriculteurs considèrent comme nuisibles les adventices qui (fig. 1) :

Fig. 1 : Les nuisibilités des mauvaises herbes pour les agriculteurs (Macé et al., 2007).
  • - réduisent la quantité récoltée ([[élaboration du rendement|rendement) par leur concurrence, souvent exprimée par le terme « étouffement », qui semble désigner la concurrence pour la lumière, puisque, pour eux, cette nuisibilité disparaît lorsque la culture couvre complètement le sol : c’est une question de hauteur relative.
  • - affectent la qualité du produit récolté, par leur humidité lorsqu’elles sont encore vertes (fermentation en silo) ou par les impuretés qui réduisent la valeur commerciale de la livraison, voire la font totalement refuser dans certains cas ;
  • - augmentent la durée et les coûts (directs et indirects par les retards) des chantiers de travail, en s’enroulant autour des organes des outils et machines ou en bourrant la moissoneuse-batteuse – propriété que les agriculteurs « bio » mettent à profit pour arracher ces espèces à la herse-étrille.


La quantité récoltée

On pense tout d’abord à la concurrence avec l'espèce cultivée, qui en réduit la quantité récoltée. Dans certains cas, la perte de rendement peut être de l’ordre de 100 %, même avec des espèces apparemment peu agressives, lorsque les densités levées sont très fortes (Lutman et al., 2008).

« Et maintenant, dit-il, si les mauvaises herbes foisonnent, étouffent le blé et pillent sa nourriture, comme les bourdons inutiles pillent ce que les abeilles par leur travail ont mis de côté pour leur nourriture ? » (Xénophon, ca. 375 avant J.C.) ; « Entant que bien souvent les méchantes herbes suffoquent les bleds, (...). Par ainsi ne faut s’ébahir si la plupart des épis sont vides, & sans grain quelconque, & si les autres ne viennent à leur perfection, & maturité. » (Gallo, 1572 : 12-13).

Il a fallu longtemps pour comprendre que cette concurrence peut s’exercer sur différents facteurs : l'eau, les nutriments, la lumière. C’est la lumière qui est en jeu lorsque Estienne écrit « les herbes qui (...) surmontent le grain nouvellement levé » (1565, f. 98v) ; et Duhamel du Monceau, « les mauvaises herbes prendraient le dessus du blé » (1750, Préface, p. xxii). Mais, pour convaincre ses lecteurs que toutes les espèces de plantes ont la même nourriture, le même Duhamel argumente ainsi :

« Enfin si chaque Plante ne tirait de la terre qu’un suc particulier qui lui soit propre, le ponceau, les chardons, les bluets, &c. qui font périr le blé, ne lui feraient aucun tort ; puisque chaque plante n’enlevant point les sucs qui conviennent au froment, il devrait aussi-bien profiter au milieu d’un gazon, que dans une terre bien labourée. Qu’on ne dise pas que ce sont les tiges des Plantes qui nuisent au froment, & non pas les racines par les sucs qu’elles tirent ; car si l’on plante dans un champ de blé des branches de bois sec en assez grand nombre pour faire plus d’ombre que les plantes dont nous avons parlé, elles n’empêcheront pas le blé de venir. Ceux qui pensent que chaque Plante tire un suc particulier de la terre, conviennent que les substances propres à la nourriture de chaque Plante, doivent être dissoutes dans une suffisante quantité d’eau pour passer dans la plante. Or si les mauvaises herbes absorbent toute cette eau, il n’en restera plus pour la nourriture de la plante qu’on cultive. » (p. 32-33).

Le facteur de croissance le plus limitant, objet principal de la compétition entre plantes cultivées et adventices, n’est pas partout le même. En accord avec Duhamel du Monceau, c’est parfois la nutrition minérale, en particulier aujourd’hui en agriculture biologique lorsque la disponibilité en azote est limitée (Core-Hellou et al., 2011).


La qualité de la récolte

Mais il n’y a pas que la quantité ! La présence d’adventices affecte la qualité des produits, de diverses façons.

Toxicité
« Les graines étrangères qui se rencontrent fort souvent mêlées avec l'avoine, & qui dégoûtent le cheval, sont celles de coquelicot, de cardamine, de sénevé, de nielle, d'orobanche, de percepierre, de psyllium, de colzas, &c. Quelque bonne qualité que l'avoine ait par elle-même, ces sortes de graines diminuent beaucoup de sa bonté, au point que les chevaux ne la mangent que difficilement. (...) Les différents genres de plantes qui naissent dans les prés & dans les pâturages, & qui entrent dans la composition du foin, peuvent être distingués en trois différentes classes. (...) La dernière classe est celle des plantes pernicieuses à la santé du cheval, & qu'on doit regarder comme autant de poisons. (...) Ces plantes malfaisantes, confondues avec les bonnes, brisées, desséchées & bottelées ensemble, ôtent à l'animal le moyen de faire la distinction & le choix des bonnes d'avec les mauvaises », insiste l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1757 : 248-249).

L’humidité d’adventices encore vertes peut faire fermenter ou moisir les grains avec lesquels elles sont récoltées, ce qui peut être grave si cela produit des mycotoxines.


Dissémination des mauvaises herbes
L’absence de toute graine étrangère est une condition de commercialisation pour les semences de plantes cultivées.


Qualité technologique
Certaines productions exigent une propreté particulière de la récolte, pour des raisons techniques. Pour le lin textile, la présence de toute fibre végétale autre que de lin fait refuser le lot par l’acheteur, d’où des traitements herbicides systématiques.


Exigences du consommateur final
Si, trouvant un fragment de mauvaise herbe dans une boîte de haricots, un consommateur la rapporte au supermarché, celui-ci le signale à l’usine de conserves qui, grâce au numéro de lot, identifie l’agriculteur ayant livré ces haricots. Pour éviter de voir leur contrat résilié au bout de quelques incidents, les producteurs de légumes de conserve appliquent donc, de façon répétée, des traitements herbicides systématiques, qu’il y ait ou non des mauvaises herbes visibles dans le champ...

Le travail

Voir ci-dessus.

La santé des cultures

Certaines espèces de mauvaises herbes abritent des maladies ou parasites dont elles permettent la multiplication ou le maintien d’une année sur l’autre. Mais, à l’inverse, elles peuvent aussi abriter des auxiliaires des cultures, leur floraison peut constituer une ressource pour des insectes pollinisateurs, leurs graines peuvent être consommées par des carabes, dont certaines espèces sont à la fois granivores et prédateurs de limaces. Ces ‘mauvaises’ herbes peuvent alors devenir utiles.


Une définition comme « Mauvaises herbes : ensemble des plantes qui entrent en compétition avec les espèces cultivées par l'homme » (Habault, 1983) est donc beaucoup trop restrictive.


Mais attention : elles peuvent aussi être utiles ! Des « mauvaises » herbes aux « adventices »

« What is a weed ? A plant whose virtues have not yet been discovered » (Emerson, 1878.).

La très vieille notion de mauvaise herbe qualifie intrinsèquement de nuisibles des espèces végétales, de même qu’on a longtemps décrété nuisibles des espèces animales comme les rapaces et les renards. Or ces plantes peuvent être mauvaises et bonnes à la fois.

Hill & Ramsay (1977) donnent une liste des rôles positifs des mauvaises herbes : protéger le sol contre l’érosion en le couvrant ; abriter des auxiliaires ; par leurs racines profondes, ouvrir la voie à celles des cultures et faciliter le drainage ; remonter à la surface des oligo-éléments ; dans les agricultures de subsistance, servir de fourrage ou plantes médicinales. Elles peuvent être indicatrices des conditions du sol, ce qui en permet une meilleure gestion (annexe 1). Ajoutons le rôle de ressource alimentaire pour la biodiversité : papillons et autres insectes, oiseaux... (Holland et al., 2006 ; Marshall et al., 2003 ; Wilson et al., 1999).

Au XVIIIe siècle, cette ambivalence a conduit à adopter le terme neutre d’adventice : « Adventice, terme de jardinier. Les plantes adventices sont celles qui croissent sans avoir été semées » (Diderot, 1776). Les repousses des cultures précédentes sont des adventices, sans être des mauvaises herbes !

D’où viennent-elles ?

La dissémination naturelle

Avant d’être décrétées « mauvaises » (malignes, méchantes, nuisibles...) par les hommes, ces herbes sont d’abord tout simplement des plantes qui, comme toutes les plantes, se disséminent par divers mécanismes (Benvenuti, 2007). Quelques exemples :

Le vent
« Je conseille de pourvoir à la provision d’huile en destinant au quarantain (autrement navette d’été) un petit coin de terre d’environ un arpent, et à proximité de la maison. Il serait bon que ce fût un endroit séparé et toujours le même, qu’on aurait soin tous les ans de bien fumer et cultiver pour cet usage ; et cela (...) afin de ne pas envoyer, dans les terres voisines, cette graine qui vole fort loin, et dont il faut très-peu pour former plusieurs tiges » (Chrestien de Lihus, 1804 : 101)

L’eau
Le ruissellement et les inondations transportent de grandes quantités de graines, voire des plantes entières. L’Ambroisie à feuilles d’armoise, espèce envahissante, cause de nombreuses allergies chez les humains, est par exemple connue pour être transportée par les cours d’eau, via la flottation des graines, et pour coloniser préférentiellement les berges des rivières, au gré des variations saisonnières de leur lit (Chauvel & Cadet, 2011).

Les animaux
Les graines de certaines espèces s’accrochent au pelage d’animaux (Römermann et al., 2005) ; d’autres résistent à la digestion et se retrouvent dans les déjections, rejetées à un autre endroit que là où les animaux les ont ingérées (Pleasant & Schlather, 1994).


L’action de l’homme

Elle accentue certains mécanismes naturels, et en ajoute d’autres.

Le fumier et le pâturage
Le fumier contient des graines que le passage dans le tube digestif du bétail n’a pas détruites - « comme reliques du fien ((fumier)) consumé » (Estienne & Liebault, 1565) ; « Un excellent engrais à mettre sur les terres, est le fumier de poules, pigeons et dindons, connu sous le nom général de poulinée. On la sème (...) sur les orges et avoines, et presque jamais sur le blé, parce que cette sorte d'engrais fait pousser des grains d'orge et d'avoine que les volailles rendent quelquefois tout entiers » « Quelques cultivateurs ont la coutume de fumer en Mars ((sur les Mars, cultures de printemps l’année suivant celle des blés)), pour préserver d'herbe leurs blés » (Chrestien de Lihus, 1804 : 92, 94). D’où l’intérêt du compostage qui en détruit beaucoup par la chaleur.

Les semences mal triées
« Aussi, quand le bon grain est accompagné de vesse, ivraie, & autres herbes nuisibles (...) non seulement trois charges de tel bled & méteil ne montent pas à deux de grain pur, & net, ains, qui pis est, les champs où telle semence est éparse ne produisent pas la moitié que sont ceux auxquels on sème les grains bien purgés, & criblés, & séparés de telle vilenie, & semence dommageable » (Gallo, 1572 : 12-13).

« l’usage assez constant de nos Fermiers est (…) d’acheter par préférence le blé des glaneuses ; comme il a été ramassé épi à épi, il est très-net de mauvaises graines » (Duhamel du Monceau, 1750 : xxiv).

« Que l'on apporte le plus grand soin à éviter que les graines de quelques-unes de ces plantes ne se trouvent mêlées aux graines que l'on emploie pour semence » (M. de Dombasle [ca. 1840] 1862 : 69.).

Des semences mal triées ont toujours été une source importante de dissémination des mauvaises herbes d’un champ à un autre. Ceci à toutes les échelles géographiques : c’est ainsi que des adventices ont été transportées entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

Le transport par les machines
Des graines de mauvaises herbes, mêlées à de la terre, sont transportées d’un champ à un autre par les pneus ou les outils de travail du sol. Mais ce sont surtout les moissoneuses-batteuses qui, si elles ne sont pas nettoyées en sortant du champ, sont les principaux outils disséminateurs : lorsque la moisson coïncide avec la maturité des graines d’adventices, une machine peut en contenir, et donc transporter, des dizaines de milliers ! (McCanny & Cavers, 1998 ; Boyd & White, 2009). Des moissonneuses-batteuses équipées de système de triage de ces graines, qui étaient ensuite brûlées, ont existé autrefois, et certains constructeurs en proposent à nouveau malgré le poids de tels dispositifs sur les très grosses machines actuelles. [voir http://www.arvalis-infos.fr/view-10688-arvarticle.html?region= ou http://www.agrisalon.com/fr/permalien/article/6996091/Recolter-sans-reinfester-la-parcelle-en-adventices.html]

Tout ce qui roule sur la terre ou la travaille peut transporter des graines. L’État de Victoria en Australie a édité un Guide d’hygiène pour les engins de construction civile [1]


Une fois sur place, pas facile de s’en débarrasser ! Le stock semencier du sol

Les mauvaises herbes se reproduisent, se répandent et se perpétuent de différentes façons qui compliquent le problème : « Les moyens dont on peut attendre de l'efficacité pour la destruction des plantes nuisibles doivent varier selon la nature du sol, mais surtout selon le mode de végétation et de propagation particulier à chaque espèce de plante. Le cultivateur doit donc rechercher quelles sont les plantes spontanées qui dominent dans les diverses espèces du sol qu'il exploite, et quelles sont celles qui nuisent le plus aux récoltes ; et il doit s'attacher à reconnaître quels sont les procédés les plus efficaces pour leur destruction. (...) Ce que j'en dirai pourra d'ailleurs se généraliser beaucoup ; car les moyens de destruction que l'on emploie avec succès pour une espèce, peuvent s'appliquer également à plusieurs autres espèces qui ont de l'analogie avec elle dans leur végétation et dans les circonstances de leur reproduction. Il importe d'abord de diviser les plantes nuisibles en annuelles et en vivaces. » (M. de Dombasle, [ca.1840] 1862, t. 3 : 64-65).

Il faut détruire les espèces annuelles avant qu’elles ne grainent, car elles ont une capacité de reproduction et diffusion parfois énorme (annexe 2). Les graines dormantes dans le sol sont une forme d’échappement à divers moyens de désherbage, dont les herbicides chimiques. Le nombre de semences par m² de sol agricole dépasse le plus souvent le millier - médiane à environ 3000 graines par m² sur une étude réalisée sur des parcelles agricoles de Bourgogne dans les années 1980 (Barralis et al., 1996). Enterrées par le travail du sol, ces graines se trouvent dans la couche labourée.

Les graines de chaque espèce de mauvaise herbe se caractérisent par leur durée de vie dans le sol, mesuré par le taux annuel de décroissance (TAD : proportion qui meurt chaque année), ainsi que par les facteurs provoquant la levée de dormance et la germination (par exemple l’exposition à la lumière). Le TAD dépend des conditions d’enfouissement, notamment de la profondeur, une forte profondeur tendant à augmenter la durée de survie des graines. Mais il dépend surtout de l’espèce, certaines ayant une faible durée de vie dans le sol (beaucoup de graminées hivernales, vulpin des champs, bromes, ray-grass, par exemple, avec des TAD qui peuvent dépasser 80 %), d’autres espèces étant beaucoup plus persistantes (en particulier les dicotylédones printanières : renouées, chénopodes, amarante ; Longchamp et al., 1984). Ces caractéristiques déterminent le raisonnement des modes de lutte, en particulier du travail du sol, les espèces à faible durée de persistance étant beaucoup plus sensibles à l’enfouissement par le labour.

Fig. 2. Une minorité d’individus bien situés produit la majorité des graines.

Le nombre de graines potentiellement produites par chaque individu est aussi une caractéristique de l’espèce, mais le nombre réellement produit dépend des conditions de croissance de l’individu, et peut être considérablement réduit par la concurrence de l’espèce cultivée : il en résulte souvent que, dans un champ, la majorité des graines de mauvaises herbes sont produites par les quelques individus poussant dans les « trous » du couvert cultivé (taches sans végétation) (fig. 2) – ce sont évidemment celles à détruire en priorité, avant de penser à désherber tout le champ.

Les graines sont enfin caractérisées par une saisonnalité spécifique des germinations : certaines espèces germent à des périodes précises de l’année (milieu de l’automne, début du printemps, fin du printemps…), d’autres ont des levées beaucoup plus échelonnées, certaines lèvent presque toute l’année dans les régions tempérées. Cela détermine fortement l’évolution des communautés adventices sous l’effet des successions culturales plus ou moins diversifiées.

Avant les herbicides chimiques sélectifs et, de nos jours, dans les systèmes « bio », les vivaces posent les plus grandes difficultés, en particulier les chardons – il fallait échardonner à une date précise, car trop tôt, ils repoussent, trop tard ils grainent :

Vos blez fetes munder e cercler apres la seint Johan qar devant nest pas bone sesun ; qar si vous trenchez les carduns oit iours ou qinze devant la seint Johan vendra de chescun deus ou treis. (de Henley, ca. 1280). Faites nettoyer (désherber) et sarcler vos blés après la St Jean, car avant ce n’est pas le bon moment. Si vous coupez les chardons huit ou quinze jours avant la St Jean (24 juin), de chacun viendront deux ou trois.

La lutte n’est donc jamais gagnée « ... pour conclure, ces herbes dernières coupées & déracinées, par long & profond labour, doivent puis après (principalement les chardons) être rabattues & comminuées avant les premières pluies, si que rien d’elles non plus que du serpent venimeux, puisse puis après progénier [se reproduire] & recroître, car leur naturel est si tôt qu’elles reçoivent quelque peu d’humeur céleste, se joindre & attacher si fort au limon de la terre, qu’elles y entrent en telle possession (...) » (Estienne & Liebault, 1565, f. 98v).

Leur destruction vise donc deux termes :

  • - assurer la récolte de l’année en cours,
  • - pour les années à venir, réduire autant que possible le stock de graines de mauvaises herbes dans le sol.

Les moyens que l’homme a inventés sont nombreux et variés, certains « simples » - la destruction mécanique (l’arrachage manuel ; les labours, en particulier ceux de la jachère ; les façons superficielles...), le feu (écobuage, désherbage thermique), le pâturage par le bétail (parcage, pâture sur les jachères), l’eau (inondation), les produits chimiques... et d’autres complexes, comme la gestion de la concurrence entre plantes, la modification du milieu (assainissement et drainage, chaulage), la lutte biologique ou la rotation des cultures qui intègre tous les autres.

Autres langues

  • ENG weed, terme qui désigne toute plante sauvage jugée inutile.
  • ESP malas hierbas ou malezas ;
  • DE Unkraut ;
  • IT malerbe ;


Pour en savoir plus

Gestion des adventices

Livres

  • Chauvel B., Darmency H., Munier-Jolain N., Rodriguez A. (coord), 2018. Gestion durable de la flore adventice des cultures. Quae, Versailles, 354 p.

Sites Internet

identification des mauvaises herbes

Sites Internet
Base encyclopédique concernant 580 mauvaises herbes des cultures d'Europe occidentale : nomenclature, description des semences, plantules et plantes adultes, écologie (versions française et anglaise) sur le site de l’INRA de Dijon.

Livres illustrés

  • Caputa J., 1984. Les « mauvaises herbes » des prairies. AMTRA, Nyon (suisse), 192 p.
  • Mamarot J., Psarski P., Montégut J., 1984. Mauvaises herbes des grandes cultures. 72 espèces complémentaires présentées au stade plantule. ACTA, Paris, non paginé.
  • Montegut J., 1983. Pérennes et vivaces nuisibles en agriculture. SECN, Aubervilliers (France), 480 p.

Références citées

  • Barralis G., Dessaint F., Chadoeuf R., 1996. Relation flore potentielle-flore réelle de sols agricoles de Côte-d'Or. Agronomie, 16 : 453-463.
  • Benvenuti S., 2007. Weed seed movement and dispersal strategies in the agricultural environment. Weed Biology and Management, 7: 141-157.
  • Chancrin E., Dumont R. (dir.), 1921-1922. Larousse agricole. Encyclopédie illustrée. Paris, t. 1, 1921, 852 p ; t. 2, 1922, 832 p.
  • Chrestien de Lihus, 1804, Principes d’agriculture et d’économie, appliqués, mois par mois, à toutes les opérations du cultivateur dans les pays de grande culture. Paris, An XII, 336 p. [intégral] sur le wicri Agronomie.
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