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*- la « nouvelle agriculture » de l’Écossais [[A pour personne citée::Jethro Tull|Jethro Tull]], qui pensait que les plantes se nourrissent de particules de terre très finement divisées, et que donc un travail du sol fréquent – y compris sur la culture en place, exigeant donc le remplacement du semis à la volée par celui en lignes – rendait inutile tout apport | *- la « nouvelle agriculture » de l’Écossais [[A pour personne citée::Jethro Tull|Jethro Tull]], qui pensait que les plantes se nourrissent de particules de terre très finement divisées, et que donc un [[travail du sol]] fréquent – y compris sur la culture en place, exigeant donc le remplacement du [[semis]] à la volée par celui en lignes – rendait inutile tout apport d’[[engrais]]. En 1750, [[A pour personne citée::Henri-Louis Duhamel du Monceau|Duhamel du Monceau]] publie une traduction très critique de l’ouvrage de Tull, et , les années suivantes, les résultats des [[expérimentations]] faites par lui et par ses correspondants en France et en Europe pour vérifier les points qu’il juge douteux. | ||
En réaction contre cette effervescence et contre le dénigrement de la « routine » ou « méthode triviale », sera publié en 1762 un ''Préservatif contre l’agromanie'' (voir [[Agronome, agronomie : étymologie - Annexe 1|annexe 1]]). Lorsque, parlant de livres d’agriculture, l’auteur écrit « tel autre en compose, qui n’a jamais cultivé le plus petit champ », il vise sûrement Alletz. | En réaction contre cette effervescence et contre le dénigrement de la « routine » ou « méthode triviale », sera publié en 1762 un ''Préservatif contre l’agromanie'' (voir [[Agronome, agronomie : étymologie - Annexe 1|annexe 1]]). Lorsque, parlant de livres d’agriculture, l’auteur écrit « tel autre en compose, qui n’a jamais cultivé le plus petit champ », il vise sûrement Alletz. |
Version du 30 novembre 2022 à 12:04
Cet article décrit le premier siècle d’emploi de ces mots. D’autres devront analyser, de façon critique et jusqu’à maintenant, les méthodes, l’épistémologie, les enjeux sociaux et les idéologies. |
Auteur : Pierre Morlon
Le point de vue de... | |
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Article accepté le 5 avril 2019
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Article mis en ligne le 5 avril 2019 |
« AGRONOME. Mot nouvellement introduit dans notre langue, et dont il n’est pas encore fait mention dans aucun dictionnaire. Il est tiré du grec, et le mot original veut dire versé, savant en agriculture. Le sens qu’on y attache aujourd’hui désigne celui qui enseigne les règles de l’agriculture, ou même seulement celui qui les a bien étudiées. Ce mot se prend encore pour les écrivains sur l’économie rurale, et sur l’économie politique. Voyez le mot ÉCONOMISTE. » (Rozier, 1781 : 288). |
Éléments de contexte.
Dans les textes sur l’agriculture, de la Renaissance jusque bien avancé le XIXe siècle, on est frappé par la fréquence du mot perfection, souvent appliqué à l’agriculture dans son ensemble : « porter l’agriculture à sa perfection ». Une perfection (par définition) indépassable, mais atteinte par les meilleurs cultivateurs et, évidemment, locale.
Au milieu du XVIIIe siècle, époque où les physiocrates affirment que l’agriculture est la base de la richesse d’une société, alors même que les sols sont épuisés par des siècles de culture sans restitution (Boulaine, 1992), l’effervescence est grande au sujet de l’agriculture en France, et le nombre de publications explose ; beaucoup d’auteurs condamnent la « routine » des usages traditionnels qu’ils caricaturent (Sigaut, 1976 & 1986 ; voir article Jachère) pour promouvoir des « systèmes » importés de Grande Bretagne, qu’ils disent applicables partout :
- - le « système de Norfolk » sans jachère (voir article Assolement, rotation, succession, système de culture : fabrication d’un concept, 1750-1810) ;
- - la « nouvelle agriculture » de l’Écossais Jethro Tull, qui pensait que les plantes se nourrissent de particules de terre très finement divisées, et que donc un travail du sol fréquent – y compris sur la culture en place, exigeant donc le remplacement du semis à la volée par celui en lignes – rendait inutile tout apport d’engrais. En 1750, Duhamel du Monceau publie une traduction très critique de l’ouvrage de Tull, et , les années suivantes, les résultats des expérimentations faites par lui et par ses correspondants en France et en Europe pour vérifier les points qu’il juge douteux.
En réaction contre cette effervescence et contre le dénigrement de la « routine » ou « méthode triviale », sera publié en 1762 un Préservatif contre l’agromanie (voir annexe 1). Lorsque, parlant de livres d’agriculture, l’auteur écrit « tel autre en compose, qui n’a jamais cultivé le plus petit champ », il vise sûrement Alletz.
L’agronome de Alletz (1760) : celui qui conduit un domaine agricole.
En 1760, Pons-Augustin Alletz, compilateur de littérature dans les domaines les plus divers, publie L’agronome. Dictionnaire portatif du cultivateur, dont il précise ainsi le titre :
Toutes les connaissances nécessaires pour gouverner les Biens de Campagne, et les faire valoir utilement ; pour soutenir ses droits, conserver sa santé, et rendre gracieuse la vie champêtre.
CE QUI A POUR OBJET :
1°. Les terres à grains, la vigne, les prés, les bois, la chasse, la pêche, les jardins, tant de propreté que d’utilité ; les fleurs recherchées, les plantes usuelles, les bestiaux, chevaux, et autres animaux.
2°. Les principales notions qui peuvent donner l’intelligence des affaires, jusqu’au degré suffisant pour défendre son bien, tant dans les matières rurales que civiles.
3°. Les remèdes dans les maladies ordinaires, et autres accidents qui arrivent aux hommes et aux animaux.
4°. Les divers apprêts des aliments ; et tout ce qui peut procurer une nourriture saine et agréable.
L’ouvrage n’a rien d’original. Sur le fond, il est proche des Maisons rustiques, elles-mêmes largement inspirées des écrits de l’Antiquité, incluant l’habitat rural, l’apiculture, la chasse, le droit, la santé et des recettes de cuisine. Sur la forme, c’est un dictionnaire alphabétique, comme il en existait déjà (par ex. Liger, 1703 & 1715, et ce qui concerne l’agriculture dans le Dictionnaire de Trévoux, 1743 ou, depuis 1751, l’Encyclopédie). L’originalité est dans le titre, avec un mot, agronome, qu’Alletz croit être nouveau et qu’il a créé à partir des deux racines agro (champ) et nomos (loi), comme l’indique l’Avis des libraires dans la seconde édition de 1767(annexe 2). Le modèle est clairement œconome, terme qui désignait ou incluait alors ceux que l’on appelait aussi écrivains ruraux, écrivains en agriculture ou simplement agriculteurs (Denis, 1995 et 2007). Le mot agronomie apparaît dans la préface de l’ouvrage : « On souhaitait donc depuis longtemps un Dictionnaire d’Agronomie ».
Le terme αγρονομος, agronomos, de αγρος, champ et νομος, loi ou règle, avait existé dans l’Antiquité grecque, où il désignait un magistrat chargé du respect des lois à la campagne ; et il avait, très rarement, été repris au Moyen Age (Quemada et al., 1983 ; Rey, dir., 1992). Mais, au milieu du XVIIIe siècle, de rares érudits le connaissaient (annexe 3).
Dans la préface (voir annexe 4), Alletz définit l’agronome comme « l’administrateur d’un bien de campagne (…), d’un domaine assez considérable » ; et l’agronomie comme l’ensemble des connaissances nécessaires pour « gouverner » ce bien. Connaissances dans les domaines les plus divers, comme l’indique le long sous-titre, même si Alletz précise que « le rapport le plus essentiel sous lequel nous avons considéré l'Agronome, c'est celui de sa profession même d'Agriculteur, c'est-à-dire, d'un homme qui fait valoir par lui, ou sous ses yeux par des fermiers, sa terre ou son domaine : ». Concernant cet objet, Alletz écrit que l’Agronome ou Agriculteur « doit avoir une connaissance générale de toutes les productions que les champs offrent à nos yeux » ; « savoir tenir la balance entre les frais de ses cultures & les revenus de ses produits » (Préface). « C'est une chimère que de prétendre donner une méthode d'Agriculture générale : il en faudrait une différente pour chaque Province ou chaque Canton ; car chaque Province ne doit (…) faire d'essais que sur les productions analogues à son terroir. (…) C'est donc une nécessité pour le progrès de l'Agriculture de faire des expériences pour chaque Province, & de ne suivre que des exemples tirés d'un terrain, qu'on sait être semblable à celui qu'on veut fertiliser » (article Agriculture). Mais cela est-il compatible avec la conception même de ce livre, synthèse des travaux parus dans « plus de cent volumes », ouvrages et « mémoires épars çà & là en différents journaux, ou dans des brochures ou pièces fugitives », dont il dit épargner ainsi l’achat et la lecture… ? (voir annexe 5)
Il n’y a pas d’entrée « agronome » ou « agronomie » dans l’ouvrage : pour Alletz, il ne s’agit pas d’un concept nouveau que d’autres pourraient reprendre. Dans l’édition de 1767, les libraires-éditeurs se plaignent des contrefaçons et pillages dont cet ouvrage a été victime et que jusqu’au titre l’Agronome ait été « usurpé » (annexe 2) : le terme agronome devait donc rester la propriété exclusive d’Alletz ! Mais l’ouvrage eut du succès ; on imprima des copies pirates à l’étranger, et les termes agronome et agronomie furent repris dès 1761 par d’autres auteurs, dans un ouvrage collectif anonyme, L’agronomie et l’industrie… Dès 1779, Butel-Dumont affirme qu’« on peut regarder aujourd’hui le mot Agronome comme reçu, par l’usage fréquent qu’en ont fait ceux qui ont écrit sur l’Économie rurale & sur l’Économie politique » (p. 53).
Agronome : auteur contemporain qui écrit sur l’agriculture (dernier tiers XVIIIe siècle)
Si l’acception « celui qui cultive la terre » se conserve un certain temps, par exemple « La herse, promenée à propos dans un champ, évite beaucoup de peines et de temps à l'agronome » (Chrestien de Lihus, 1804 : 321), le terme est très vite appliqué à ceux qu’on appelait jusqu’alors écrivains en agriculture (Denis, 1995, 2007) : « Ce sont là des vérités de tous les temps, utiles surtout aux cultivateurs qui commencent. Souvent ils veulent appliquer à leurs terres les principes qu'ils ont lu dans de savants agronomes », « Ceux dont parlent Liger, Rozier et autres agronomes » (Chrestien de Lihus, 1804 : 17 et 296). Quelques exemples :
« Ce que j’entreprends, ne paraîtra-t-il pas téméraire, ou tout au moins inutile ? Encore un livre, dira-t-on ; toujours des systèmes, des projets, des contes sur l’Agriculture ! Cette manie agronomique ne finira donc point. (…) Enfin il semble que l’on ait épuisé dans les divers traités agronomiques ce que la sagacité humaine pouvait observer de mieux, afin de procurer à l’Agriculture française toute la perfection dont elle est susceptible (…) Aussi ai-je saisi, ai-je lu avec avidité tous les livres d’Agronomie qui me sont tombés dans les mains. (…) » (Rose, 1767 : 1, 7, 30 ; voir aussi p. 149 : « utilité des connaissances agronomiques »).
« AGRONOME. Ce mot, encore peu usité, me paraît propre à exprimer l’homme qui écrit sur l’agriculture, dont il a étudié les principes. (…) L’agronome est donc distingué de l’agriculteur (et) du cultivateur. (…) AGRONOMIE. C’est l’ensemble des lumières qui rendent un homme capable d’écrire & de donner des conseils sur l’agriculture. » (Tessier, 1787 : 401).
« C’est seulement dans ces derniers temps que les Lettres en France se sont approchées des matières rurales : tout à coup ont paru quelques Agronomes savants & diserts. » « Le mot Agronome a été introduit depuis quelques années dans la langue française, pour signifier celui qui enseigne l'Agriculture, ou qui traite de ses règles, ou même seulement qui les a bien étudiées et qui en possède la science. » (Butel-Dumont, 1779 : xxij- xxij & 53).
« Les Écrivains agronomes de la France et de l’Angleterre ont longtemps agité la question des avantages comparatifs des grandes & des petites fermes, soit sous le rapport de l’intérêt des propriétaires, soit surtout sous le rapport des intérêts des États. » (Bibliothèque britannique, vol. 1, 1796).
« La société [d’Agriculture du Département de la Seine] demande “ quelle est la meilleure manière d’alterner les récoltes, à l’usage du plus grand nombre des cultivateurs ; à l’effet de diminuer, autant qu’il est possible, les jachères, suivant la différente nature des terres ”. De toutes les questions que la Société pouvait proposer à la discussion des agronomes, il n’en est aucune peut-être d’une importance plus réelle à l’avancement, à la prospérité de l’art, et dont l’examen doive être d’un intérêt plus grand pour les cultivateurs véritablement éclairés » (Pictet de Rochemont, 1801 : 1-2) ; « Les agronomes Anglais jugeraient que le retour du blé de deux en deux ans est tout-à-fait contraire aux bons principes » (id. : 78).
Terminons ce paragraphe par une belle définition de ce qu’est un « écrivain agronomique » : « Si quelqu’un a le droit de se faire écouter [par les cultivateurs], c’est un Cultivateur comme eux, qui a eu, toute sa vie, les mêmes intérêts qu’eux, qui a trouvé son aisance dans le succès de ses innovations, qui n’a rien du charlatanisme de la science, & parle leur langage, qui a toujours des faits ou des expériences à citer, qui appuie de son exemple toutes ses observations, & qui enfin, faisant sortir sa théorie d’une pratique exercée, a beaucoup vu, & beaucoup comparé. » (Tessier, 1793 : 617, parlant d’Arthur Young).
Agronome : celui qui, à toute époque, a écrit sur l’agriculture (ca. 1800).
« C’est ainsi qu’on a réimprimé les œuvres du patriarche de l’agronomie française, Olivier de Serres. Une nouvelle traduction a été faite de la collection des agronomes latins… » (Clément-Muller, 1864 : 8). |
Dès le tout début du XIXe siècle, agronome est étendu, sans se soucier de l’anachronisme (Denis, 1995, 2001, 2007), aux auteurs de la Renaissance et, plus loin, de l’Antiquité grecque ou romaine :
« Désabuser le siècle de l’enchantement de quelques écrivains agricoles : à les entendre, la terre, soumise à celui qui la cultive, ne trompe jamais son espérance, et le paie toujours, avec usure, de ses dépenses et de ses travaux ; la culture est, suivant eux, une source intarissable de richesses, et ils veulent raisonner en agriculture comme en mathématiques. Ce n'était pas ainsi que pensaient les anciens agronomes français (…). En effet, l’agriculture est la science où les préceptes doivent être donnés avec plus de réserve, et il n'y en a qu'un très-petit nombre de généraux, d'où dérivent les autres. » (Chrestien de Lihus, 1804 : xii) « Presque tous les livres modernes, en parlant des jachères, les regardent comme une détestable méthode, fruit de l'ignorance et des préjugés. Voilà, mot à mot, leurs expressions ; mais les ont-ils bien pesées avant de les émettre? Ont-ils assez réfléchi avant de s'ériger en censeurs d'un usage consacré par ces sages Romains qui ne quittaient la charrue que pour commander les armées et triompher de l'univers ? En savent-ils plus que les savants agronomes de la Grèce et de Rome ? » (id. : 27).
Ce passage de « aujourd’hui » à « autrefois » s’accompagne d’une autre généralisation : de « chez nous » à « n’importe où dans le monde » : « les agronomes arabes » (par exemple dans la traduction du Livre de l’agriculture d’Ibn-al-Awwam par Clément-Muller, 1864), chinois… sans se demander si le concept existe dans ces langues.
Ces deux généralisations, dans le temps et dans l’espace, sont pratiquement consacrées par l’usage, bien qu’éminemment critiquables : « pour nous, l’utilisation hors de propos de ce terme suppose que tout discours « rationnel » sur l’agriculture se réfère obligatoirement à ce qui s’est passé en Occident, particulièrement en France, à partir du 18e siècle, refusant ainsi implicitement toute alternative, toute autonomie et toute cohérence interne à d’autres lieux et d’autres époques, obéissant bien, selon nous, dans ce cas à une vision linéaire (anachronique, « anatopique », européo-centriste – franco-centriste – et positiviste) de l’histoire. (…) Pour nous, l’agronomie est déterminée par son histoire, le contexte de son émergence et de son développement (Russel, 1966 ; Sigaut, 1995). » (Denis, 2007 : 65-66 ; voir aussi Denis, 1995 & 2001).
Agronomie : sens large et sens strict.
Sens large : les débuts de l’enseignement agronomique en France.
En continuité avec les premiers emplois du mot, c’est une acception large, couvrant l’ensemble de l’activité agricole, qui est retenue lors de la création d’institutions d’enseignement agronomique.
En 1827, le roi Charles X crée l’Institution royale agronomique de Grignon, pour l’enseignement pratique des théories et méthodes de l’agriculture perfectionnée ainsi que des arts qui concourent à son développement (Ordonnance du 23 mai 1827, citée par Charmasson et al., 1992 : XXIII et 25-26) ; son programme publié en 1831 parle de « l’enseignement théorique et pratique des sciences et des arts applicables à l’agriculture et à l’emploi immédiat de ses produits » (id. : 26, noter les emplois du pluriel).
En 1848 est créé à Versailles l’Institut National Agronomique, dont un arrêté du 15 mars 1852 donne le programme : « Son enseignement comprend : la chimie générale ; la botanique, la physiologie végétale, la zoologie, la chimie, la physique terrestre, dans leurs applications à l’agriculture ; l’agriculture, la zootechnie ou l’économie du bétail ; la sylviculture ; le génie rural, c'est-à-dire la topographie, les machines aratoires, les irrigations, desséchements, drainage, les constructions rurales ; l’économie et la législation rurales. (…) Les élèves sont exercés au lever et au dessin des plans, au dessin des machines agricoles, à la tenue des livres de comptabilité » (id. : 70-71). L’institut est doté d’un domaine avec fermes où les élèves de 3è année s’exercent à la pratique. Supprimé la même année par Louis-Napoléon Bonaparte, l’Institut sera recréé en 1876 à Paris, avec les enseignements suivants : « Économie rurale ; physique et météorologie ; géologie ; minéralogie ; chimie générale ; chimie appliquée à l’agriculture ; chimie analytique ; technologie agricole ; botanique ; zoologie ; sylviculture ; horticulture, arboriculture et viticulture ; législation, administration et droit agricoles ; (…) des sujets spéciaux, tels que l’hygiène de l’homme, la comptabilité et autres sujets intéressant l’agriculture » (arrêté du 3 décembre 1876, cité par Charmasson et al., 1992 : 151-152).
L’agronomie au sens strict : technologie des productions végétales.
En 1854, Gasparin ─ qui, quelques années plus tôt, avait accepté de présider à l’organisation de l’éphémère Institut national Agronomique de Versailles (voir annexe 6), définit l’agronomie comme technologie des productions végétales :
« 1. L'agronomie est la science qui enseigne les moyens d'obtenir les produits des végétaux de la manière la plus parfaite et la plus économique.
2. C'est une science technologique, puisqu'elle n'a pas seulement pour but de connaître, comme les sciences pures, mais aussi celui de produire une utilité. C'est la branche technique de la phytologie ou science des végétaux. Mais la phytologie se borne à recueillir ou à faire croître le végétal pour l'observer, l'agronomie fait croître une valeur végétale. (…)
7. Nos devanciers avaient confondu, sous le titre général d'agriculture, la culture des végétaux et l'élève des animaux; parce que souvent, les deux industries se trouvent réunies dans les exploitations, s'entraidant et se complétant l'une l'autre. Mais (…) les deux sciences qui s'occupent de ces deux classes de corps organisés, la zoologie et la phytologie, sont encore trop séparées dans leurs procédés pour qu'il soit possible de les confondre dans une même étude. » (p. 17-19 ; voir le texte entier en annexe 7. Cette définition sera reprise en 1860 dans le tome 6, posthume, du Cours d’agriculture).
Cette définition exclut ainsi, entre autres, ce qui concerne spécifiquement les animaux, comme Gasparin l’avait déjà indiqué ailleurs : « Les spéculations qui ont pour but le bétail lui-même, sans égard aux cultures qui procurent ses aliments, appartiennent à la zootechnie et sont étrangères à la théorie agricole, si elles ne le sont pas à sa pratique. » (1849 : 355-56). Mais cela ne posait-il pas problème, à une époque où les animaux fournissaient à l’exploitation la quasi-totalité des engrais et une grande partie de la force de travail, tout en se nourrissaient directement des végétaux qu’elle produisait ?
Des questions…
Ces débuts des mots agronome et agronomie conduisent à poser des questions que d’autres articles devront traiter, parmi lesquelles :
- Quels sont les contours de l’agronomie ? Est-ce un discipline à part entière, avec son corps de questions, théories, méthodes, ou bien l’application à l’agriculture de disciplines diverses ?
- Si l’agronomie est la technologie des productions végétales, s’occupe-t-elle de toutes (« grandes » cultures de plein champ ; prairies temporaires et permanentes ; forêts ; horticulture ; arboriculture fruitière et viticulture…) ?
- L’agronome est-il celui qui fait ou celui qui dit, et dans le dernier cas à partir de quoi ? Quelles relations entre théorie et pratique ? Dit autrement, en s’inspirant du Préservatif contre l’agromanie, quelles relations entre l’expérience (au singulier, celle de générations de cultivateurs ou, au moins, de toute une vie), les expériences (expérimentations), la théorie et le raisonnement ?
- Ne s’intéresse-t-il à l’agriculture que « sur un domaine assez considérable » (Alletz, 1760) ? A qui s’adresse-t-il ? Se pose-t-il la question des implications sociales des changements techniques qu’il recommande ? Comment établit-il le domaine de validité de ses recommandations, concernant les conditions tant de « milieu naturel » que socio-économiques ?
- Quelles relations entre le général et le local ou particulier
- Qui est ou peut être appelé agronome ?
L’adoption dans d’autres langues
Les autres langues européennes ont diversement adopté ce vocabulaire. Trois exemples :
En espagnol : « oui »
En 1789, le dictionnaire Sobrino aumentado de Cormon ne contient aucun terme en agro-, à l’exception de l’adjectif agro, agra = aigre. Agrónomo (« celui qui prescrit des règles pour l’agriculture ») apparaît en 1817 dans le Diccionario de la Real Academia puis, avec agronómico, sous diverses plumes dans le prologue et les commentaires d’une réédition de l’Agricultura general de Alonso de Herrera, ouvrage de la Renaissance (Diccionario histórico de la lengua española, t. 1, 1960). Agronomía les suit 30 ans plus tard. L’importation depuis le français nous paraît évidente , bien que le Diccionario de la Real Academia n’indique comme origine que les racines grecques (20e édition, 1984), puis « Del griego agronómos, “inspector de campos” » (http://dle.rae.es/ consulté le 8 juin 2017) ! Ce vocabulaire est maintenant d’usage courant dans les pays de langue espagnole, correspondant au sens français restreint et ne concernant, comme en anglais, que les productions végétales.
En anglais : « oui mais »
En anglais, agronomy apparaît au tout début du XIXe siècle, comme traduction du français agronome (Little et al., 1968 ; Oxford Dictionaries online). Agronomical et agronomist en sont dérivés ou traduits du français. Ces mots sont actuellement utilisés, tout en étant largement concurrencés par d’autres, comme plant science et plant scientist.
En allemand : « oui mais… non »
Au tout début du XIXe siècle, Agronomie, Agronom et agronomisch (importés du français) apparaissent sous la plume de Thaër, qui les emploie concurremment avec Ackerkunde, Landwirthschaft et leurs dérivés. Ces mots se rapportent à la science de l’agriculture : « in dem Hauptstücke von der Agronomie », « dans la section ((de ce livre)) consacrée à l'agronomie » ; « in der Lehre von der Agronomie », « dans l’enseignement de l'agronomie » ; « zu der genauern agronomischen Untersuchung », « à un examen agronomique plus particulier » ; « in agronomischer Hinsicht », sous les rapports agronomiques » ; « der wissenchaftliche Agronom », « l'agronome instruit » (Thaër, 1809 et 1811 ; traduction Crud en français, 1811 et 1814).
Mais, bien que friand de racines grecques, l’allemand n’a guère adopté ce vocabulaire. Agronomie se dit soit Ackerbaukunde, de Ackerbau, agriculture et Acker, champ, soit Landwirtschaftkunde, de Landwirtschaft qui signifie également agriculture, agronomique se disant Landwirtschaftlich.
Pour en savoir plus
- Bourde A., 1967. Agronomie et agronomes en France au XVIIIe siècle (SEVPEN, Paris, 1740 p.), en particulier le chapitre 5 et la première partie de la conclusion.
- La section « Histoire rurale et sciences agronomiques » du N°3 (1995) de la revue Histoire & Sociétés rurales, « L’histoire rurale en France », (G. Brunel et J.-M. Moriceau, éds), Actes du colloque de Rennes (6-8 octobre 1994). AHSR, Rennes, 416 p.
- Belmont A. (éd.), 2002. Autour d’Olivier de Serres. Pratiques agricoles et pensée agronomique, du Néolithique aux enjeux actuels. Actes du colloque du Pradel (27-29 septembre 2000) pour le 4e centenaire de la 1e édition du Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs. Bibliothèque d’Histoire Rurale, AHSR, Rennes, 404 p.
- Robin P., Aeschlimann J.-P., Feller C. (éds.), 2007. Histoire et agronomie. Entre ruptures et durée. IRD, Paris, 512 p. Texte intégral sur le site de l’IRD.
Références citées
- Affiches, annonces et avis divers. Onzième feuille hebdomadaire, du Mercredi 17 mars 1762. Paris. Texte intégral sur Gallica.
- Alletz P.A., 1760. L’agronome, ou dictionnaire portatif du cultivateur contenant toutes les connaissances nécessaires pour gouverner les Biens de la Campagne, & les faire valoir utilement ; pour soutenir ses droits, conserver sa santé, & rendre gracieuse la vie champêtre. Veuve Didot et Veuve Damonneville, Savoye, Durand, Paris, t. 1, 666 p. ; t. 2, 664 p. Texte intégral sur le site des universités de Lille. Réimpression 1761, Liège et Francfort, en Foire.
- Alletz P.A., 1767. L’agronome, ou dictionnaire portatif du cultivateur… Dernière édition, revue, corrigée et augmentée. Savoye, Paris, t.1, 526 p. + supplément ; t. 2, [SurGooglebooks]
- anonyme, 1761. L’agronomie et l’industrie, ou les principes de l’agriculture, du commerce et des arts, réduits en pratique. Despilly, Paris. T. 1, xl + 357 p. + planche, Texte intégral sur Gallica ; T. 2, 324 p. + pl. Texte intégral sur Gallica. (Auteurs : L.J. Bellepierre de Neuve-Église, J.P. Rousselot de Surgy, A.J. Mélin)
- Bibliothèque britannique. Agriculture anglaise, Vol. 1, 1796. (M.A & C. Pictet de Rochemont, F.G. Maurice, éds). Genève, Imprimerie de la Bibliothèque Britannique, 515 p. Texte intégral sur HathiTrust.
- Boulaine J., 1992. Histoire de l’Agronomie en France. Lavoisier, Paris, 392 p.
- Butel-Dumont, 1779. Recherches historiques et critiques sur l'administration publique et privée des terres chez les Romains. Titre abrégé : Recherches historiques sur l’agriculture des Romains. Paris, xliv + 484 + 11 p. [Sur GoogleBooks]
- Charmasson T., Lelorrain A.-M., Ripa Y., 1992. L’enseignement agricole et vétérinaire de la Révolution à la Libération. Paris, INRP-Publications de la Sorbonne, 745 p.
- Chrestien de Lihus, 1804. Principes d’agriculture et d’économie, appliqués, mois par mois, à toutes les opérations du cultivateur dans les pays de grande culture. Paris, An XII, 336 p. [intégral] sur le wicri Agronomie.
- Clément-Muller, 1864. Préface à la traduction du Livre de l’agriculture d’Ibn al Awam. Franck, Paris, t. 1 : 3-100. Texte intégral sur Gallica.
- Cormon F., 1789. Sobrino aumentado o nuevo diciconario de las lenguas española, francesa y latina. Piestre & Delamollière, Anvers, t. 1, A-E, 450 p. Texte intégral sur archive.org.
- Denis G., 1995. Éléments pour une histoire de l’agronomie. Histoire et sociétés rurales, 3 : 231-241.
- Denis G., 2001. Du physicien agriculteur du XVIIIe siècle à l’agronome des XIXe et XXe siècles. C.R. Acad. Agric. Fr., 87 (4) : 81-84. Texte intégral sur Gallica.
- Denis G., 2007. L'agronomie au sens large. Une histoire de son champ, de ses définitions et des mots pour l'identifier. In : Robin P, Aeschlimann JP, Feller C. (eds), Histoire et agronomie, entre rupture et durée. IRD, Paris : 62-90. Texte intégral sur le site de l’IRD.
- Diccionario de la Real Academia española, 1817. Texte intégral sur le site de la Real Academia Española.
- Diccionario histórico de la lengua española, 1960. Texte intégral sur le site de la Real Academia Española.
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