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Ce terme vient des sciences économiques, les [[Agronome, agronomie : étymologie|agronomes]] s'en étant emparés beaucoup plus tard. | Ce terme vient des sciences économiques, les [[Agronome, agronomie : étymologie|agronomes]] s'en étant emparés beaucoup plus tard. |
Dernière version du 13 septembre 2024 à 09:21
Auteur : Hubert Cochet
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Article accepté le 10 juillet 2012
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Article mis en ligne le 10 juillet 2012 |
Définition proposée
Ce terme vient des sciences économiques, les agronomes s'en étant emparés beaucoup plus tard.
En économie, il désigne le rapport entre la valeur ajoutée et la quantité de facteurs de production utilisés pour la produire, notamment le capital et le travail. La valeur ajoutée (VA) est mesurée par la différence entre la valeur totale des biens produits et celle des biens et services consommés au cours du cycle de production, soit en totalité (il s'agit alors des consommations intermédiaires CI) soit partiellement (c'est la dépréciation du capital fixe). On parle donc de « productivité du capital » pour désigner le rapport de la valeur ajoutée à la quantité de capital fixe immobilisé, et de productivité du travail pour désigner le rapport de la valeur ajoutée à la quantité de travail utilisée (mesurée en heures ou journée de travail, ou encore en nombre de travailleurs). La « productivité globale des facteurs » étant le rapport entre la valeur ajoutée et la somme des facteurs de production (capital et travail) utilisés.
Dès lors que les agronomes et agro-économistes commencèrent à utiliser le terme productivité, ils enrichirent l'éventail de son utilisation du terme « productivité de la terre », pour tenir compte de ce facteur de production spécifique au domaine agricole, bien que la terre en tant que telle ne produise pas de valeur. Tandis que la productivité de la terre (la valeur ajoutée annuelle ramenée à la surface totale de l'unité de production) exprime alors le résultat de l'intensification du processus productif, la productivité du travail (la valeur ajoutée annuelle ramenée à la quantité de travail effectuée) mesure l'efficacité du travail incorporé au processus productif.
Ces deux façons de décliner la productivité - productivité du travail et productivité de la terre - sont particulièrement intéressantes en agriculture pour comparer les performances économiques des exploitations agricoles d'un groupe d'exploitations à un autre et d'une région à l'autre. La productivité du capital est moins couramment usitée, quoique tout aussi intéressante à des fins de comparaison.
Des diverses mesures possibles de la productivité du travail en agriculture
Il y a plusieurs façons de mesurer la productivité du travail, selon que la quantité de travail nécessaire, portée au dénominateur, est exprimée en temps de travail (heures ou journées) ou par travailleur ou actif agricole (UTH). Dans les autres secteurs de l'économie, l'année de travail peut souvent être considérée comme un simple multiple de l'heure ou de la journée de travail, ce qui rend cette distinction peu utile. Mais en agriculture, compte tenu du caractère saisonnier du travail, ces deux approches fournissent des résultats différents et complémentaires. La Valeur Ajoutée mesurée pour un actif agricole et par an mesure l'efficacité économique d'un travailleur dans un système de production donné et exprime ainsi la productivité globale du travail. Par contre, la Valeur Ajoutée rapportée à la journée de travail (ou à l'heure), exprime la productivité journalière (ou horaire) du travail. Ce dernier critère permet d'introduire :
- le calcul économique à l'échelle du système de culture ou du système d'élevage (sous-systèmes du système de production), pour lesquels il est souvent possible de comptabiliser séparément la quantité de travail effectuée,
- la notion de coût d'opportunité, et donc celle du choix opéré par les agriculteurs de consacrer une heure ou journée de travail à telle activité plutôt qu'à une autre concurrente,
- les questions relatives à la gestion du calendrier de travail.
La combinaison d'activités complémentaires permet alors d'accroître la productivité globale du travail, même si la productivité journalière ou horaire du travail ne s'accroît pas ou même diminue. Dès lors, les champs du possible en matière d'accroissement de productivité ne se limitent pas à ce que l'accumulation du capital permet, comme ce fut principalement le cas en Europe de l'Ouest et en Amérique du nord au cours de la révolution agricole contemporaine. En jouant sur la répartition du travail dans l'année, en particulier grâce au « remplissage » du calendrier de travail (diversité des productions et étalement des pointes de travail, diversification des activités, etc.), les agriculteurs de certains pays particulièrement mal dotés en capital (Burundi, Ethiopie…) ont réussi, malgré ce redoutable handicap, à accroître, bien que modestement, la productivité global du travail.
Les économistes et agro-économistes ont donc, et depuis longtemps, une définition claire et un usage rigoureux du mot, et du concept : un rapport entre la valeur ajoutée au cours d'un processus productif et un facteur de production, celui-ci pouvant être, dans le cas de la production agricole, le capital, le travail ou la terre.
De la productivité au rendement : le dérapage sémantique
Malgré l'intérêt de cette notion et sa très grande fertilité en économie, une certaine dilution du terme s'est produite dès lors qu'il est passé dans le langage courant. À l'article « productivité », les dictionnaires les plus utilisés (Robert, Larousse…) renvoient systématiquement le lecteur au mot « rendement » et vice-versa, entretenant ainsi l'idée du caractère interchangeable de ces deux termes. Aujourd'hui, y compris dans la communauté des agronomes, le terme « productivité » est très souvent employé pour désigner un « rendement ».
À quand remonte cet emprunt des agronomes aux économistes ? Et comment reconstituer l'histoire de ce glissement sémantique ?
Jusqu'au milieu du XXe siècle, quand les agronomes se penchent sur les comptes de l'exploitation agricole et font ainsi œuvre d'économiste, il est question de « frais de culture » ; on parle du « prix de revient » de la culture et de son « rapport » (ce qu'elle rapporte… terme très anciennement employé dans le sens de rendement : « Pour le jourd'huy est en nature un terroir en Provence (...) tant fertil, qu'il rapporte cinquante pour un », O. de Serres, 1605 : 89), mais pas de « productivité », ce terme n'étant par non plus usité dans le sens de rendement. Dans le premier Larousse Agricole de 1921, le terme n'est d'ailleurs pas évoqué ; il est encore inconnu des agronomes… « Productif » et/ou « improductif » sont en revanche utilisés depuis la fin du XVIIIe siècle, soit pour qualifier une plante dans sa capacité à donner un bon/mauvais rendement exprimé par rapport à la quantité de semence, soit, à l'époque où le débat autour de la jachère et de sa suppression faisait rage, pour la disqualifier comme « improductive).
Ce n'est qu'après la seconde Guerre Mondiale, semble-t-il, que la communauté des agronomes s'empare du terme productivité. Parmi les premiers à le faire, il faut citer René Dumont (1954) et Pierre Coutin (1949), tous deux engagés auprès du Commissariat Général au Plan en charge de la reconstruction d'après Guerre. En engageant le débat sur le terrain de la « productivité agricole », ces deux auteurs insistent sur le facteur travail en agriculture et sur l'importance, qu'ils jugent avec raison déterminante, de la progression de la production agricole par travailleur. Il s'agit bien, dans leurs écrits, d'une approche économique de la question agricole ; aucune confusion n'est possible avec la notion de rendement quoique le numérateur n'exprime pas, dans l'esprit de Dumont et Coutin une valeur ajoutée mais une simple production brute.
Dans la communauté des agronomes cependant, le terme productivité sera le plus souvent, hélas, utilisé pour désigner un « rendement ».
On peut citer par exemple l'ouvrage d'André Voisin, Productivité de l'herbe (1957) qui consacre le glissement de sens du terme, bien que l'auteur réhabilite ainsi en quelque sorte - et salutairement - l'herbe comme véritable facteur de production.
Le Larousse agricole de 1981 propose à l'article productivité : « En agronomie, capacité de production d'une espèce ou d'une variété dans un milieu donné lorsque les conditions optimales de culture sont réunies, autrement dit, rendement maximal d'une espèce ou d'une variété dans une zone géographique déterminée (…) Actuellement, la productivité des meilleurs variétés de blé d'hivers est supérieure à 70 q de grains secs à l'hectare dans le Bassin parisien… ». Productivité équivaut alors à « rendement potentiel ». Le même Larousse agricole donne aussi l'autre définition, se rapprochant du sens économique du terme : « En économie, rapport entre une production obtenue par une exploitation et un ou plusieurs facteurs de production mis en jeu pour l'obtenir ».
Cet emprunt par les agronomes, et la dilution consécutive du sens du mot, ont conduit à désigner trop de choses différentes par le même terme et par là à produire incompréhension et confusion. Cette confusion revêt différentes formes :
- La première consiste à utiliser indistinctement « productivité » pour désigner soit un simple rendement, c'est-à-dire une production brute rapportée à la surface immobilisée, ou rapportée à l'animal d'élevage (pour désigner par exemple un rendement laitier) soit un potentiel de production rapportée à la surface (c'est le sens suggéré par le Larousse agricole et utilisé pour qualifier les variétés améliorées, « plus productives », « à haute productivité »).
- La deuxième consiste à porter indistinctement au numérateur de ce rapport, soit une production brute (de blé, de lait,…) soit une production brute diminuée des biens et service détruits pour l'obtenir, c'est-à-dire la valeur ajoutée (on retrouve alors le sens donné au mot par les économistes).
- La troisième consiste à mettre indistinctement au dénominateur une surface (en hectares), du capital (mesuré en unités monétaires) ou du travail (mesuré en heures ou journées) sans que l'auteur ne prenne toujours la peine de préciser de quelle productivité il s'agit…
À confondre productivité et rendement, on fait le lit du productivisme…
Un tel foisonnement ne dérangerait que les puristes s'il n'avait pas trop souvent servi de vecteur et de slogan aux discours portés par les agents de développement et responsables politiques. Que n'a-t-on pas fait au nom de la « productivité » ! Mesurera-t-on un jour les conséquences de l'emploi confus de ce terme ?
Ainsi, la confusion qui s'est installée entre rendement et productivité illustre à merveille, autant qu'elle a accompagné et servi, les dérives technicistes et productivistes de la révolution agricole contemporaine. À trop confondre accroissement de la productivité et essor du rendement, on en oublia parfois bien vite que l'augmentation de l'efficacité à long terme du processus de production ne pouvait pas être opérée sans maîtrise des coûts et que c'était bien davantage les progrès de la valeur ajoutée, plutôt que du seul rendement, qui étaient déterminants. Dans le monde entier, la plus grande partie de l'appareil de recherche agronomique, et de son pendant dans l'enseignement supérieur agricole, n'avait d'yeux que pour la progression du nombre de quintaux par hectare…, dérive dont on commencera à entrevoir les coûts à l'aune du « développement durable »…
Par ailleurs, en faisant de la production brute par hectare (le rendement) l'étalon-or du développement agricole en lieu et place de la productivité, cette confusion avait pour résultat de faire passer au second plan l'efficacité du travail (la productivité du travail) et son rôle dans la modernisation de l'agriculture. C'était bien pourtant la progression inégale de la productivité du travail qui déterminait, bien plus encore que les rendements, le devenir des différentes agricultures du Monde, comme le démontra René Dumont dès 1954.
Enfin, cette confusion n'a pas été sans conséquence sur la qualité des relations qui se sont établies entre agronomes et agriculteurs, entraînant trop souvent incompréhension et méfiance. Alors que les premiers voyaient dans l'accroissement de « leur » productivité (le rendement) le fer de lance de leur action modernisatrice, vulgarisant ainsi variétés et races à haute « productivité », engrais de synthèse et outils de travail du sol, les seconds évaluaient le surcroît de travail et de coûts que cela impliquait et par là le risque d'une diminution de la productivité (la leur, celle aussi des économistes…). Ce malentendu entre idéal « technique » et rationalité paysanne, malentendu largement accompagnée par cette confusion sémantique, fut brillamment illustré par Paul Pélissier (1979) à propos des paysanneries africaines à qui l'on voulait imposer l'intensification dans un contexte où le facteur rare n'était point du tout la terre mais plutôt la force de travail…
Références citées
- Chancrin E., Dumont R., 1921. Larousse Agricole, Encyclopédie illustrée. Larousse, Paris (2 volumes).
- Clément J.M. (dir.), 1981. Larousse agricole. Larousse, Paris, 1208 p.
- Coutin P., 1949. La productivité agricole en France de 1892 à 1952. Bull. Tech. Information, 39 : 231-239.
- Desserres ou de Serres O., 1605. Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs. 3e édition revue et augmentée par l'Auteur. Réimpression fac-simil, Slatkine, Genève, 1991, 1023 + 22p. Également : Actes Sud, Paris, 1996, 1463 p. (basée sur l'édition de 1804).
- Dumont R., 1954. Économie agricole dans le monde. Dalloz, Paris, 597 p.
- Larousse Agricole, 1921 et 1922. Voir Chancrin et Dumont.
- Larousse Agricole, 1981. Voir Clément.
- Pélissier P., 1979. Le paysan et le technicien, quelques aspects d'un difficile face-à-face. P. 1-8 in : Ph. Couty, J.Y. Marchal, P. Pélissier, M. Poussi, G. Savonnet, A. Schwartz (eds.), Maîtrise de l'espace agraire et développement en Afrique tropicale. Logique paysanne et rationalité technique. ORSTOM, Paris, 601 p. (texte réédité en 1995 dans Pélissier P. : Campagnes africaines en devenir, Éditions Arguments, Paris : 206-217).
- Voisin A., 1957. Productivité de l'herbe. Flammarion, Paris, 467 p. Réédition 2001 : Éditions France agricole, Paris, 432 p.