Tarière - Annexe 1
| Cette annexe se rapporte à l'article Tarière. |
Éléments d’histoire
Le mot tarière, dérivé du bas latin taratrum est attesté en 1180-90, pertuis de tarere = trou de tarière (Quemada, dir, 1983) ; vers 1212 dans le sens d’un « outil de charpentier, de charron… pour creuser des trous dans les bois » (Grand Larousse de la Langue Française, 1978). D’après l’Arbre celtique, taratron serait d’origine celtique et taratrum serait une forme latinisée.
Au cours des siècles, une tarière sert toujours à faire des trous mais les usages en sont variés.
Un outil pour enter (greffer)
« Un tariere » ((terebra dans l’original en latin, trivella dans la version italienne) est un outil utilisé pour percer le tronc ou une racine d’un arbre (mûrier, citronnier, cornouiller, noyer, olivier, pêcher, vigne) pour l’enter, c’est-à-dire le greffer (de Crescenzi [1306] 1373] 2023, nombreux passages : II-23 ; IV-12 ; V-10 ; V-11 ; V-16 ; V-18 ; etc.).
« Pour aller au-devant de la perte de ces fruits, on doit percer l’arbre dans la tige, & à demi-pied de terre, avec une tarière ou vilebrequin jusqu’à son centre & point au-delà… » (Alletz, 1760 : 483, arbres fruitiers : poiriers, pommiers).
Un outil pour assainir certains sols
Notion de « tarière à terre » (Erdbohrer) (Thaer, [1812] 1814) :
« Il est une troisième manière de remédier à ce mal [l’excès d’eau] ; elle a lieu lorsque, sous une couche peu épaisse de terre imperméable, il y en a une de gravier ou de sable perméable. Dans ce cas on creuse au travers de la couche imperméable un ou plusieurs fossés, ou des puits revêtus de pieux, ou enfin, avec une grande tarière à terre, des trous dans lesquels l’eau elle-même maintient le passage libre, et par le moyen desquels elle s’écoule dans la terre perméable. (p. 163) … « cette méthode qui, si souvent, a excité la surprise et l’admiration de toute l’Angleterre, et qui consiste à ouvrir un passage à l’eau au moyen d’une tarière à terre, a été jugée d'une si grande importance, que le Parlement d’Angleterre a cru devoir, non seulement attribuer une grande récompense à l’inventeur, mais encore ordonner qu’il fût fait des expériences sur sa méthode, et l’inviter à l’enseigner à des élèves » (p. 168)
Un outil pour planter la vigne
« On se sert pour ce travail de tarières de fer de trois pouces de diamètre, dont l’une est faite en vilebrequin, le bout est terminé en cuiller, & la seconde ressemble à celle des Charpentiers : on se sert de la première pour les jointures des grosses pierres & pour y faire des trous ; & de la seconde qui fait un trou plus grand pour planter du sarment » (Alletz, 1760 : 626-627).
Un outil pour trouver de l’eau, de la « marne » ou toute autre substance en profondeur
« Le plus sûr moyen pour découvrir les Sources, est de percer la terre, d’amener à la surface les différentes couches de terres qui sont au dessous, ce qui se fait avec de longues tarières, & d’examiner si elles donnent quelque indice d’eau » (Alletz, 1760 : 456)
« Les marques qu’on propose pour juger par la surface des terres, si elles renferment de la marne, sont des plus incertaines. Le seul moyen de s’en assurer, est de sonder la terre en différents endroits avec la tarière qu’on emploie pour chercher les mines de charbon fossile ou de faire des puits pour connaître la différente nature des lits que l’on perce » (Duhamel du Monceau, 1762 : 171-172).
« La meilleure manière de reconnaître les substances dont les couches se trouvent sous la surface de la terre, c’est d’employer la sonde ou tarière, décrite et recommandée par Turbilly, dans le mémoire sur les défrichements. Il devrait y en avoir une dans toutes les sous-préfectures, avec une instruction sur la manière de s’en servir, et une prime en faveur de ceux qui feraient, par ce moyen, des découvertes utiles. On sait que cette sonde est composée de plusieurs tiges de fer qui s’emboîtent l’une dans l’autre, terminées par une cuiller qui rapporte des échantillons de la couche de terre où elle a pénétré (‘’Encyclopédie méthodique, Dictionnaire des Arts et Métier’’s, t. 1, p. 527). Cette tarière est l’instrument que les Anglais connaissent sous le nom de perçoir, et qui est ainsi désigné dans la traduction des œuvres de M. Young » (François de Neufchâteau, 1804).
« Pour tirer la marne… On s’éviterait bien des recherches et des peines inutiles, en faisant usage de l’instrument dont j’ai trouvé la description dans un auteur estimable qui m’a fourni ce que je vais en dire. Cette sonde, que les Allemands appellent erbohrer, perce-terre, est en grand ce qu’un vilebrequin est en petit, et le jeu qu’on lui donne est très exactement celui du vilebrequin : on insinue sa pointe ou son bec dans la terre, et on le fait tourner en même temps qu’on appuie dessus pour le faire mordre, et l’on perce autant que la longueur de l’outil le permet. Par cette sonde, on connaîtra aisément les diverses couches de terre, sa bouche se remplissant des substances qu’elle perfore et qu’on retire de temps en temps. » (Chrestien de Lihus, 1804 : 221-222)
Des trous de sonde utilisés comme piézomètres
« On creuse ensuite, à droite et à gauche et perpendiculairement à l’axe de la tranchée, écartés l’un de l’autre de 40 à 50 cm, une série de trous de sonde. Deux jours après la fin des grandes pluies, ou deux jours après leur percement dans les terrains habituellement humides, on mesure la profondeur où l’eau est descendue dans ces trous. L’écartement des tranchées devra être le double de la distance de la tranchée d’essai au trou où l’eau ne sera pas descendue à 50 cm au moins. » (Gasparin, 1860, chapitre « Modification de l’humidité du sol », p. 306-307).
Étudier le sol avant défrichement
« Lorsque l’on veut défricher un terrain, il faut d’abord le faire sonder en divers endroits, à huit ou dix pieds de profondeur, afin d’en connaître la qualité, & l’épaisseur des différentes couches de terre, qui s’y rencontrent. On les trouvera toujours posées horizontalement…. Cette épreuve se fera à peu de frais, au moyen d’une sonde, composée de deux barres de fer arrondies, de six pieds de long chacune & de deux pouces de grosseur, qui se vissent l’une dans l’autre ; elles sont toutes les deux percées : savoir, la première à trois, quatre & cinq pieds de hauteur ; & la seconde de pied en pied, pour y pouvoir passer de petites chevilles de fer, qui servent à retenir une manivelle, ou manche de bois de deux pieds de longueur, & cinq à six pouces de grosseur, au milieu duquel, il y a un trou suffisant par où ces barres passent, en sorte que cela forme la figure d’une Croix. C’est par ce manche de bois, qu’on tient la sonde, & qu’on l’enfonce successivement en commençant par la première barre, soit en la tournant dans la terre, soit en la haussant & baissant avec force, lorsqu’on rencontre des pierres. On place au bout de cette première barre, une pointe d’acier, de quatre pouces de long, forte & point trop aiguë ; elle se visse aussi dans la même barre, à laquelle quatre pouces plus haut, l’on a fait faire une ouverture ou rainure d’un côté, d’un demi-pied de long, pour recevoir la terre. Telle est la construction de cette sonde. Quand on s’en sert, on la retire à mesure, de six pouces en six pouces, pour voir l’espèce de terre ou de pierres contenue dans la rainure ; il est nécessaire de se pourvoir de cet instrument, qu’un homme ou deux font aller aisément. J’ai vu sonder de cette façon, à plus de cent pieds de profondeur, pour chercher de la mine, l’opération était semblable ; le nombre des barres de fer de même longueur, entrant pareillement les unes dans les autres & percées de pied en pied, était seulement multiplié. Quand il y en avait un certain nombre, en les levant & les laissant retomber, leur propre poids les faisait entrer à chaque fois fort avant dans la terre, & percer même les rochers les plus durs. On avait des pointes d’acier de différentes formes, pour succéder à celles qui s’usaient. On mettait même quelquefois à leur place, une mèche ou une cuiller très-coupante, dans le goût de celles dont se servent les Charpentiers, laquelle rapportait de la matière du fond. Le plus long de ce procédé était le dévidage de toutes ces barres de fer, qu’on était obligé de réitérer souvent pour voir de degré en degré, les changements & la nature de l’intérieur. En remontant ces barres on les arrêtait successivement par des chevilles de fer qu'on passait dans les trous faits pour tenir le manche, & qui étaient aussi destinés pour cet usage ; sans cela, on aurait couru risque, lorsque l’on changeait le manche de place, qu’elles n’eussent échappé & retombé au fond, d’où il aurait été souvent difficile & même très-coûteux de les retirer. » (Turbilly, 1760 : 1-5).
« J’ai supposé que la facilité du travail serait égale dans toute l’étendue du terrain, & que chaque homme remplirait exactement sa tâche : deux suppositions chimériques, renversées, ou par la rencontre de quelques rochers, de quelques amas de pierres, ou d’une couche de terre plus dure, &c. & par la différence du travail d’un homme à un autre homme. Ainsi, pour l’article des accidents, je dois compter la moitié en sus de la première dépense. Cependant, afin de ne pas être induit en une erreur trop forte, je vais faire sonder en différents endroits ; plus je multiplierai ces sondes, moins je craindrai de me tromper dans mes calculs. » (Rozier, 1783, article Défrichement, chapitre III, « Des Précautions à prendre avant, pendant et après le défrichement »).
La tarière pour l’étude des sols
Certains ouvrages expliquent à quoi servent les tarières (appelées aussi sondes), quand d’autres décrivent en détail comment elles sont constituées et comment on s’en sert.
Bernard Palissy : en 1580, une description de la tarière et de son utilisation
(cité par Feller & Blanchart, 2004).
Bernard Palissy, le fameux céramiste français, est aussi considéré comme un extraordinaire précurseur tant dans les sciences de la terre, comme fondateur de la géologie et de la paléontologie, que dans les sciences agronomiques, pour ses idées sur la nutrition des plantes (écrits de 1563, 1580)... Il est néanmoins peu connu qu’il pourrait être l’inventeur de la tarière en vue de la prospection des sols. En tout cas, il est le premier à décrire une tarière pour les sols et à illustrer son utilisation. Voici des extraits tirés de ses œuvres complètes (Discours Admirables… édition de 1844, p. 340) où, en bon pédagogue, il met en scène deux personnages nommés “Théorique” et “Practique”, qui dissertent, entre autres, sur le problème de la qualité des terres.
... Tu m’as dit cy-dessus beaucoup de raisons, néantmoins je ne suis pas satisfait touchant le moyen le plus expédient pour trouver promptement de ladite terre de marne.
Je ne te puis donner moyen plus expédient que celuy que je voudrois prendre pour moy : si j’en voulois trouver en quelque province où l’invention ne fut encore connue, je voudrois chercher toutes les terrières desquelles les potiers, briquetiers et tuilliers, se servent en leurs œuvres, et de chascune terrière j’en voudrois fumer une portion de mon champ pour voir si la terre seroit ameilleurée, puis je voudrois avoir une tarière bien longue, laquelle tarière auroit au bout de derrière une douille creuse, en laquelle je planterois un baston, auquel y auroit par l’autre bout un manche au travers en forme de tarière, et ce fait, j’irois par tous les fossez de mon héritage, ausquels je planterois ma tarière jusques à la longueurs de tout le manche, et l’ayant tirée dehors du trou, je regarderois dans la concavité de quelle sorte de terre elle auroit apporté, et l’ayant nettoyée, j’otterois le premier manche et en mettrois un beaucoup plus long, et remetterois la tarière dedans le trou que j’aurois fait premièrement, et percerois la terre plus profond par le moyen du second manche, et par tel moyen, ayant plusieurs manches de diverses longueurs, l’on pourrait sçavoir quelles sont les terres profondes; et non seulement voudroy-je fouiller dedans les fossez de mes héritages, mais aussi par toutes les parties de mes champs, jusques à ce que j’eusse apporté au bout de ma tarière quelque tesmoignage de ladite marne, et en ayant trouvé quelque apparence, lors je voudroy faire en iceluy endroit une fosse telle comme qui voudrois faire un puits. »
Bernard Palissy parle de la tarière comme d’un objet connu par ailleurs, mais qu’il adapte complètement au problème de la prospection des sols. Sur un plan technologique, il nous fournit l’idée des rallonges et nous indique une double application à ce nouvel instrument : prospecter la profondeur du sol et rechercher une terre marneuse pour fumer son champ.
Certains auteurs ont toutefois sur cet outil un discours critique, tel la Salle de l’Étang (1764 : 111-112) qui considère que son « invention n’est pas si merveilleuse ni si utile à l’agriculture qu’on se l’est imaginé […] les bons laboureurs […] la regardent même comme une frivolité ».
Buffon : Une expérience commencée en 1731
(cité par Le Tacon, 1969) « Je pensais commencer une expérience dont le résultat est fort éloigné, mais qui sera fort utile, c’est de savoir dans le même terrain la différence que produit sur le bois l’inégalité de profondeur du sol. J’ai donc fait diviser mon terrain par quart d’arpent, et, à chaque angle, j’ai fait sonder la profondeur avec ma tarière ; j’ai rapporté sur un plan tous les points où j’ai sondé, avec la note de la profondeur du terrain et de la qualité de la pierre qui se trouvait au-dessous, dont la mèche de la tarière ramenait toujours des échantillons ; et de cette façon, j’ai le plan de la superficie et du fond de ma plantation, plan qu’il sera aisé quelque jour, de comparer avec la production. »
Voilà probablement une des premières cartes de sols qui n’ait jamais été levée en France, et la première tentative de recherche des liaisons entre caractéristiques du sol et production forestière.
Autre citation de Buffon (1829, p. 39) : « Je fis sonder, en 1734, par plusieurs coups de tarière, un terrain d’environ soixante-dix arpents d’étendue, dont je voulais connaître l’épaisseur de bonne terre, et où j’ai fait une plantation de bois, qui a bien réussi ; j’avais divisé ce terrain par arpents, et l’ayant fait sonder aux quatre angles de chacun de ces arpents, j’ai retenu la note des différentes épaisseurs de terre, dont la moindre était de deux pieds, et la plus forte de trois pieds et demi : j’étais jeune alors, et mon projet était de reconnaître au bout de trente ans la différence que produirait sur mon bois semé, l’épaisseur plus ou moins grande de cette terre, qui partout était franche et de bonne qualité. J’observai par le moyen de ces sondes, que dans toute l’étendue de ce terrain, la composition des lits de terre était à très peu près la même, et j’y reconnus clairement le changement successif du terreau en terre limoneuse. »
Les tarières à l’époque d’Albert Demolon (1933)
Enfin rappelons, grâce à notre collègue Jean-Pierre Rossignol, que la tarière fit l’objet d’une illustration amusante par l’illustrateur humoriste Grandville (1803-1847) montrant un “Mulot très-entêté” en train de creuser son trou à l’aide d’une tarière (Figure 2).
==Références citées==
|
