Routine - Annexe 5

De Les Mots de l'agronomie
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Date de mise en ligne
4 juillet 2023
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Cette annexe se rapporte à l'article Routine.

Un lieu commun discuté

Il y a de bons et de mauvais laboureurs

« Ces attentions distinguent le bon Laboureur qui réfléchit & observe, d’avec le mauvais Cultivateur qui ne fait autre chose que conduire sa charrue. Malheureusement il n’y a que trop de ces Cultivateurs qui, accoutumés à opérer & incapables de réfléchir, ne savent que suivre aveuglément la routine qu’ils ont prise de leurs pères » ; « n’avons-nous pas lieu d’espérer que ceux qui sont incapables de se laisser subjuguer par la routine, & qui se sentiront assez d’activité & d’intelligence pour présider à toutes les opérations qu’exige notre culture, cesseront de faire des objections » (Duhamel du Monceau, 1762 : 126 & 497).

« Un cultivateur intelligent n’est esclave d’aucune routine. Dès qu’il s’aperçoit que sa méthode a quelque défaut, il s’efforce de le corriger. » (Rose, 1767 : 170).

« On peut aussi ranger dans la classe des personnes difficiles à convaincre, ceux endurcis par le préjugé, que toute idée de nouveauté alarme ou choque, qui, par une superstition enracinée aux maximes de leurs pères, aiment à prévoir les mauvais succès d’une idée, ou pratique nouvelle qu’ils dédaignent, parce qu’ils n’en sont pas les inventeurs » (Guerchy, 1787 : 175).

« …le seul inconvénient que présentent ces réformes, c’est la nécessité de ne les confier qu’à des ouvriers intelligents, ce qui d’ailleurs était également nécessaire dans la routine du pays » (Royer, 1839 : 204).


Ne pas prendre de risque

Jusqu’à une époque récente, l’agriculture avait comme fonction première de nourrir l’agriculteur et sa famille, qui n’avaient d’autre ressource pour subsister. Donc prendre le risque de semer de l’herbe (les prairies artificielles) au lieu de produire du grain, sous le prétexte qu’ensuite la récolte de grains sera meilleure, est une idée excellente en théorie, mais trop risquée en pratique pour être mise en œuvre.

« Les Fermiers, peu instruits des recherches que l’on a faites sur l’agriculture, & qui ne sont pas assez opulents pour risquer des expériences, ne connaissent que leur routine ordinaire ; & comme ils ne sont qu’usufruitiers, ils n’ont point d’autre objet que de tirer tout le profit possible des terres qu’ils tiennent à loyer, sans s’embarrasser de les dégrader » (Duhamel du Monceau, 1762 : xii).

« Il faut donc qu’il y ait une cause physique dans cette léthargie tant reprochée au Cultivateur, s’il est vrai qu’il puisse faire mieux qu’il ne fait ; & cette cause ne devrait-on pas commencer avant tout par la rechercher & par l’ôter ? Car, après cela, s’il ne faisait pas mieux, il faudrait conclure, non pas qu’il est aveugle, routinier entêté, ennemi de son propre bien ; car cela ne saurait se supposer ; mais il faudrait convenir qu’il ne peut tirer de l’art de cultiver la terre plus qu’il n’en obtient actuellement. Or ceci n’est point non plus à présumer : au contraire, il est probable, & même certain, que le Laboureur cultiverait avec plus de goût, plus de vigueur, & par conséquent avec plus de succès, s’il en avait plus d’aisance. Qu’on n’en doute pas, c’est le défaut de facultés [économiques] qui est le principe fatal du retardement des progrès dans l’Agriculture ; voilà certainement ce qui met le Laboureur dans cette impossibilité physique de faire plus qu’il ne fait. (…) Je veux bien comme on le prétend, qu’il y ait une infinité d’abus dans les différentes méthodes de cultiver ; que le Campagnard soit entiché de ses vieux usages, trop attaché à sa routine : c’est en tout art qu’on trouve plus ou moins de dextérité parmi ceux qui s’en occupent : mais enfin, tout Laboureur est censé travailler du mieux qu’il peut, & qu’il le sait. Sa subsistance & le soutien de son état l’y contraignent. Qu’est-ce donc encore un coup qui l’empêcherait de s’appliquer davantage ? Je l’ai dit, le manque d’aisance, la gêne où il se trouve. Voilà la source unique de son abattement & de son dégoût ; sa charge est trop forte, elle le rebute. » (Rose, 1767 : 8-10).

Lavoisier (1788 a & b) explique par le manque de moyens des cultivateurs les retards de l’agriculture et la non-adoption des nouvelles techniques ; de même la Société Royale d’Agriculture : « la pratique funeste du long repos des terres & celle des jachères, systèmes que la disette seule des engrais & l’impuissance des Cultivateurs ont rendu continuellement nécessaires » (1789 : 88-89) ; et pour Bosc, le maintien de la jachère « suppose excès d’ignorance ou excès de misère » (1813 : 49) (voir Morlon & Sigaut, 2008 : 60).

Tous les textes qui critiquent la routine des cultivateurs (pauvres et dominés) sont écrits par des riches qui, eux, peuvent se permettre de prendre des risques !


La routine : une expérience éprouvée

En 1700, Liger, après avoir d’abord critiqué les routines des vignerons (p. 268 & 279), admire les résultats de l’une d’elles : « une routine invétérée leur servant en cet ouvrage d’un tel guide, qu’il s’en faut peu que leurs plants n’aient entre eux l’éloignement égal qui leur convient » (p. 290).

« La plupart des Laboureurs & autres personnes qui cultivent la terre, suivent une certaine routine qu’ils tiennent de leurs Pères, & qu’il n’est pas aisé de leur faire changer en des usages plus utiles & souvent moins pénibles », mais « Avant d’entrer dans le détail des labours qu’il faut donner aux terres, je conseille à ceux qui les cultivent, de suivre la coutume des lieux, & surtout quand elle est fondée sur de bonnes expériences » (Angran de Rueneuve, 1712 : 118 & 110).

« J’observerai au sujet des sillons, que la plupart des Laboureurs les font indifféremment d’un sens ou de l’autre, selon leur routine ou leur caprice » ; mais aussi : « Tels sont les motifs qui ont déterminé nos anciens ; ils sont sages & pris dans la nature de la chose même. Ce n'a point été l'effet du hasard ou de la routine, comme bien des gens se l’imaginent » (Turbilly, 1760 : 79-82).

« Je n’approuve nullement l’ignorance ni la routine des gens de la campagne qui sont esclaves de l’usage et ne veulent pas pratiquer ce qu’ils n'ont pas vu faire à leurs pères ; je pense, au contraire, qu’il faut quelquefois s’élever au-dessus du préjugé, mais le faire peu à peu, après y avoir bien réfléchi, et commencer toujours par croire que les usages reçus sont appuyés sur des raisons solides et puissamment déterminées par la localité. Il faut examiner avant de condamner » (Chrestien de Lihus, 1804 : 23-24).

Thaer ([1809] 1811, § 209) n’hésite pas à conseiller de faire tempérer, dans la gestion d’une exploitation, l’audace de la jeunesse par la routine d’un homme mûr : « Un jeune homme de génie peut, souvent avec avantage, être placé auprès d’un homme raide et routinier (bei einem steifen routinirten Menschen), qui modère son imagination ».


Toutes les nouveautés sont-elles applicables là où on veut les faire adopter ?

« C’est donc une nécessité pour le progrès de l’Agriculture de faire des expériences pour chaque Province, & de ne suivre que des exemples tirés d’un terrain, qu’on sait être semblable à celui qu'on veut fertiliser » (Alletz, 1760, article Agriculture).

« La lenteur des progrès de l’Agriculture n’a pas toujours pour cause les préjugés ou l’ignorance du cultivateur (…) En vain dans un territoire où les possessions sont divisées à l’infini, (…) un agriculteur éclairé voudrait naturaliser les méthodes simples, économiques et fécondes recommandées par l’expérience des nationaux ou des étrangers ; elles ne sont applicables qu’à un ordre de choses qui n’existe pas autour de lui (…). Il faut donc que sa bonne volonté expire devant l’obstacle physique que la localité lui oppose, qu’il suive malgré lui le sentier étroit qu’ont tracé ses aïeux, que ses procédés soient esclaves quand sa pensée est libre » (Delpierre jeune, 1801, cité par François de Neufchâteau, 1806 : 125)

« Plusieurs agronomes pensent que la volonté suffit pour perfectionner un système de culture ; si les cultivateurs stationnaires ne font pas mieux, disent-ils, c’est la routine qui les arrête ; ils veulent faire ce qu’ils ont toujours fait, malgré les avantages qu’ils pourraient retirer d’un changement. Cette question paraît tranchée dans un sens trop large et trop absolu : elle accorde trop à la volonté, en faisant dépendre d’elle un succès uniforme, sans faire assez attention aux mécomptes que l’art peut rencontrer dans des sols différents » (Piperey, 1838).


Références citées

  • Alletz P.A., 1760. L’agronome, ou dictionnaire portatif du cultivateur contenant toutes les connaissances nécessaires pour gouverner les Biens de la Campagne, & les faire valoir utilement ; pour soutenir ses droits, conserver sa santé, & rendre gracieuse la vie champêtre. Paris, t. 1, 666 p. ; t. 2, 664 p. Texte intégral.
  • Angran de Rueneuve, 1712. Observations sur l'Agriculture et le Jardinage, pour servir d’Instruction à ceux qui désireront s’y rendre habiles. Paris, t. 2, 406 + 25 p. Texte intégral
  • Bosc L.A., 1813. Article Jachère. Encyclopédie méthodique, t. 5 : 46-51. Texte intégral
  • Chrestien de Lihus, 1804. Principes d’agriculture et d’économie, appliqués, mois par mois, à toutes les opérations du cultivateur dans les pays de grande culture. Paris, An XII, 336 p. [[1]] sur le Wicri Agronomie.
  • Duhamel du Monceau H.L., 1762. Éléments d’agriculture. Paris, t. 1, 499 p. Texte intégral.
  • François de Neufchâteau N., 1806. Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon. Paris, Huzard, XII + 260 p. Texte intégral
  • Guerchy A.L.R. de Régnier de, 1787. Mémoire sur l’amélioration de l’agriculture en France. Mémoires de la Société Royale d’Agriculture, trimestre de printemps : 174-178. Texte intégral
  • Lavoisier A.L., 1788a. Résultats de quelques expériences d’agriculture, et réflexions sur leurs relations avec l’économie politique. Œuvres complètes, t. II, 1862 : 812-823. [sur http://www.lavoisier.cnrs.fr Texte intégral]
  • Lavoisier A.L., 1788b. Sur l’agriculture et le commerce de l’Orléanais. Procès-verbal de l'Assemblée provinciale de l'Orléanais, Orléans, 1788. Œuvres complètes, t. VI, 1893 : 256-275. [sur http://www.lavoisier.cnrs.fr Texte intégral]
  • Liger L., 1700. Œconomie générale de la campagne, ou Nouvelle Maison rustique, t. 2, 508 p. Texte intégral.
  • Morlon P., Sigaut F., 2008. La troublante histoire de la jachère. Pratiques des cultivateurs, concepts de lettrés et enjeux sociaux. Quae, Versailles / Educagri, Dijon, 325 p. Présentation.
  • Piperey A. de, 1838. Rapport fait à la société d'émulation de Lisieux, le 11 février 1838, au nom de la commission d'agriculture. Lisieux, 15 p. Texte intégral
  • Rose L., 1767. Le bon fermier, ou l’ami des laboureurs, incluant un mémoire sur les engrais et un sur la culture du lin. Lille, 441 p. Texte intégral
  • Royer C.E., 1839. Catéchisme des cultivateurs, pour l’arrondissement de Montargis. Paris, viii + 268 p. Texte intégral
  • Thaer A. von, 1809. Grundsätze der rationellen Landwirthschaft. B. 1. Berlin, xxiv + 380 p. Texte intégral
  • Thaer A. von, [1809] 1811. Principes raisonnés d’agriculture. Traduction de EVB Crud, t. 1. Paris & Genève, ix + 372 p. [2] Texte intégral
  • Turbilly L.F.H. de, 1760. Mémoire sur les défrichemens. Paris, 322 p. Texte intégral
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