Limon : le mot - Annexe 3

De Les Mots de l'agronomie
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8 novembre 2025
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Cette annexe se rapporte à l'article Limon : le mot.

Le limon entre le sable et l’argile. Les précurseurs. Les « terres franches »

Pendant très longtemps, la notion granulométrique de limon demeure inconnue. Rien n’existe entre les sables, d’une part, et les argiles et glaises, d’autre part.


Quatre précurseurs

Charles Virgile de la Bastide, 1733.

Le premier texte que nous ayons trouvé contenant la distinction entre sable, limon grossier et limon fin date de 1733. Il est signé de Charles Virgile de la Bastide. Cela en fait un précurseur : « Originellement, l’espace qui est depuis Beaucaire jusqu’à la mer n’était qu’un golfe ou bras de mer, dans lequel le Rhône se déchargeait ». Il explique que, dans ce golfe, « le Rhône est à son milieu et que ses eaux se mêlant à droite et à gauche avec l’eau de la mer, déposent tout ce dont elles sont chargées, c’est-à-dire sable et limon, avec cette distinction que le sable et le limon grossier se déposant dès les premiers moments de la grande cessation du mouvement de l’eau, restaient par conséquent plus près du courant de la rivière. Le limon le plus fin ayant besoin d’un plus long temps pour se déposer, avait le temps de pénétrer jusqu’aux rivages du golfe ».


Buffon, 1749.

Buffon, dès 1749, soupçonne l’existence de quelque chose d’intermédiaire entre terres sableuses et terres argileuses, qu’il nomme « terre végétale », « terre limoneuse », ou « limon » et qu’il distingue nettement de l’argile ! Il en explique la formation par la décomposition des débris végétaux et animaux. Dans ses textes, Buffon explique aussi qu’il existe de nombreuses « terres composées » de granulométries intermédiaires. Voici quelques extraits d’un texte de 1749 traitant « De la terre végétale » :

« Les chimistes et les minéralogistes ont tous beaucoup parlé des deux premières terres ; ils ont travaillé, décrit, analysé les argiles et les matières calcaires ; ils en ont fait la base de la plupart des corps mixtes ; mais j’avoue que je suis étonné qu’aucun d’eux n’ait traité de la terre végétale ou limoneuse, qui méritait leur attention, du moins autant que les deux autres terres. On a pris le limon pour de l’argile ; cette erreur capitale a donné lieu à de faux jugements, et a produit une infinité de méprises particulières. Je vais donc tâcher de démontrer l’origine et de suivre la formation de la terre limoneuse, comme je l’ai fait pour l’argile : on verra que ces deux terres sont d’une différente nature, qu’elles n’ont même que très peu de qualités communes, et qu’enfin ni l’argile, ni la terre calcaire, ne peuvent influer autant que la terre végétale sur la production de la plupart des minéraux de seconde formation.

Mais avant d’exposer en détail les degrés ou progrès successifs par lesquels les détriments des végétaux et des animaux se convertissent en terre limoneuse, avant de présenter les productions minérales qui en tirent immédiatement leur origine, il ne sera pas inutile de rappeler ici les notions qu’on doit avoir de la terre considérée comme l’un des quatre éléments. » (…)

« (…) tout ce que nous pouvons faire pour nous rapprocher de la réalité, c’est de distinguer les terres les moins composées de celles qui sont les plus mélangées. Sous ce point de vue plus vrai, plus clair et plus réel qu’aucun autre, nous regarderons l’argile, la craie et le limon, comme les terres les plus simples de la nature, quoique aucune des trois ne soit parfaitement simple ; et nous comprendrons dans les terres composées, non seulement celles qui sont mêlées de ces premières matières, mais encore celles qui sont mélangées de substances hétérogènes, telles que les sables, les sels, les bitumes, etc., etc. : toute terre qui ne contient qu’une très petite quantité de ces substances étrangères conserve à peu près toutes ses qualités spécifiques et ses propriétés naturelles ; mais, si le mélange hétérogène domine, elle perd ces mêmes propriétés ; elle en acquiert de nouvelles toujours analogues à la nature du mélange, et devient alors terre combustible ou réfractaire, terre minérale ou métallique, etc., suivant les différentes combinaisons des substances qui sont entrées dans sa composition. »

« Il y a, comme l’on voit, une grande diversité dans les terres composées, et il se trouve aussi quelques différences dans les trois terres que nous regardons comme simples : l’argile, la craie et la terre végétale (Voir ce mot). Cette dernière terre se présente même dans deux états très différents : le premier sous la forme de terreau, qui est le détriment immédiat des animaux et des végétaux, et le dernier sous la forme de limon, qui est le dernier résidu de leur entière décomposition. Ce limon, comme l’argile et la craie, n’est jamais parfaitement pur, et ces trois terres, quoique les plus simples de toutes, sont presque toujours mêlées de particules hétérogènes et du dépôt des poussières de toute nature répandues dans l’air et dans l’eau. »

Ces citations sont un peu longues mais elles montrent que Buffon est conscient de la composition granulométrique complexe de la plupart des terres et du fait que ces différences de composition génèrent des propriétés physiques et agronomiques diverses.

Il ne semble pas que ses idées aient bien été comprises et reprises par ses contemporains et successeurs.


Rémy de Perthuis de Laillevaux, 1780

Il établit trois classifications des sols, que l’on pourrait qualifier, la première, de pédogénétique ; la seconde, d’hydrique, et la troisième, de texturale et agricole :
«  Une autre opinion qui m’a paru aussi mal fondée que celle que nous venons d’examiner, quoique admise assez généralement par nos meilleurs Agronomes, est que les espèces du sol cultivable sont si multipliées, qu’on ne sait à quel signe les reconnaître pour leur appliquer d’abord & les labours & les engrais & les plantes qui leur conviennent. (...)
J’ai fait subir un examen rigoureux à cette opinion : j’ai d’abord été aussi embarrassé que tant d’autres, & j’ai fini par où j’aurais dû commencer : j’ai examiné la terre.
Pour mon instruction particulière, j’ai établi trois divisions, qui m’ont paru naturelles & assez indépendantes des climats : je vais en rendre compte en peu de lignes.
La première contient quatre espèces :

  • 1°. Le sol ancien ou le vieux sol. (…) ;
  • 2°. Le sol naissant. (…).
  • 3°. Le sol refourni. (…).
  • 4° Le sol pelé ou nu, ruiné & inculte. (…).

La seconde admet aussi quatre espèces :

  • 1°. Le sol humide, ou frais, ou froid, (…).
  • 2°. Le sol sain, tenant le milieu entre le frais & le léger, (…).
  • 3°. Le sol léger, & qu’improprement on nomme brûlant, (…).
  • 4°. Le sol aride, purement pierreux, graveleux, ou sablonneux, sur lequel aucune ou très peu de plantes croissent, faute d’une substance fine, molle, pénétrable & nourrissante, ou capable de retenir les éléments nutritifs.

Après avoir établi ces deux divisions, dont je n’avais d’abord désigné les espèces que par leurs noms simples, je voulus savoir pourquoi des terres placées dans des positions semblables, les unes étaient saines, les autres plus ou moins humides & d’autres plus ou moins légères & ouvertes. Je vis que ces qualités étaient dues au caractère des substances dominantes qui les formaient, & alors j’ai construit ainsi ma troisième division, composée de huit espèces :

  • 1°. Terre plus ou moins glaiseuse, froide, pesante, poisseuse & d’une culture plus ou moins difficile.
  • 2°. Terre limoneuse ; serrée, humide, fraîche, d’un grain fin & soyeux, ferme lorsqu’elle est vieille remuée ; se frappant, se plombant aux grandes pluies lorsqu’elle est nouvellement remuée ; point collante, aisée à cultiver ;
  • 3°. Terre marneuse ; collante, plus ou moins déchauffante, fusible, veule, d’une culture moins aisée que le limon, & assez ouverte.
  • 4°. Terre craneuse ou crayonneuse ; tendre, douce, plus ouverte, plus légère que la troisième espèce, & d’une culture facile.
  • 5°. Terre sablonneuse ; plus légère & plus ouverte que la crayonneuse, lorsque le sable est uni aux deux substances des troisième & quatrième espèces, ou lorsqu’il est presque pur.
  • 6°. Terre graveleuse ou grèveuse ; légère, très ouverte avec le sable & un peu des autres terres moins légères ; unie avec la marne, & collante avec la glaise.
  • 7°. Terre de marais ; spongieuse, compressible, tourbeuse, humide, qui n’est souvent qu’un pur amas de parties végétales, plus ou moins consommées, ou un mélange de ces parties végétales avec des débris des sols voisins, & que je range dans ce dernier cas parmi les terres franches, si sa superficie se trouve suffisamment élevée au-dessus des eaux, & dans les terres humides si les eaux sont peu au-dessous.
  • 8°. Terre franche, laquelle n’est qu’un composé des deuxième & quelquefois des trois, quatre & cinq premières espèces unies à une certaine quantité de végétaux détruits, toujours douce, molle & spongieuse.

(…)
Cette opération faite, il me resta une inquiétude ; ce fut celle de savoir s’il était dans la nature, ou plutôt dans la partie de la terre qui nous paraît avoir été remuée par les eaux, des substances molles en grande masse, autres que la glaise, la marne, le limon, la tourbe & la craie. Je consultai les ouvrages de nos plus célèbres Naturalistes, & comme je vis que leurs recherches ni les miennes n’en annonçaient point jusque là, je conclus que mes huit espèces & leurs variétés devaient contenir ce qui peut s’appeler le sol végétal universellement.
Après que je me fus rendu ces objets familiers, je voulus savoir si la glaise blanche ou à peu près, la marne, le limon & la craie pures ou à peu près, seules substances à parties véritablement molles auxquelles nous devons nos espèces de sols & leurs variétés, étaient capables de nourrir des plantes par elles-mêmes. L’observation & l’expérience me firent voir que non. J’ai à la vérité reconnu que les pluies les fécondaient dans des degrés & des temps différents, mais sans engrais certaines variétés de craies donnent encore peu de plantes au bout de vingt & trente ans. » (p. 11-16)


D’Omalius d’Halloy, 1831

D’Omalius d’Halloy a été un des premiers géologues dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui. Dans un texte datant de 1831 relatif au « terrain diluvien », il introduit nettement une gradation granulométrique parmi les constituants, des plus fins jusqu’aux plus grossiers : « Si l’on considère le terrain diluvien sous le rapport de sa texture. On peut le diviser comme le terrain alluvien fluviatile en limon, en dépôts arénacés [sables] , en gravier, en dépôts caillouteux, en gros débris et en dépôts cohérents » (d’Omalius d’Halloy, 1831 : 121).


Les terres franches

Petit à petit apparait une nouvelle notion pour désigner ces terres intermédiaires entre sableuses et argileuses et plutôt fertiles : les « terres franches ». Mais les limons, qui constituent la fraction dominante, ne sont pas nommés comme tels mais comme « sables très fins ».

« Les terres franches font le passage insaisissable en pratique, des sols argileux aux sols sableux, et semblent faire alternativement partie des uns et des autres. Les proportions de sable qu’elles contiennent varient, ainsi qu’il a déjà été dit, du tiers environ à la moitié et quelquefois au-delà. J’en ai vu dont on pouvait extraire de 25 jusqu’à près de 40 % de calcaire, d’autres qui, sans être sensiblement moins fertiles, en donnaient à peine 10. (…) Les terres franches conviennent au plus grand nombre de végétaux usuels. – Toutes les céréales y prospèrent ainsi que la plupart des plantes économiques. – Rarement elles ont besoin d’amendements. – Elles s’accommodent de tous les engrais ». (Bailly de Merlieux, 1835 : 27).


Gasparin, dans son Cours d’agriculture (1843) ressent également la nécessité d’introduire une catégorie de terres à la composition équilibrée. Faute de terme disponible en français pour la désigner, il fait appel au terme anglais loam, déjà employé en 1827 dans le Dictionnaire d’Agriculture pratique dirigé par François de Neufchâteau, qui le définit ainsi : « Sol d’adhérence moyenne que les Anglais sous-divisent en loam crayeux, sablonneux et graveleux. » (t. 2, p. 45) (voir annexe 5).


Dehérain, en 1892, a probablement assuré définitivement la popularité de la notion de terre franche : « On a essayé à bien des reprises différentes de procéder à une classification régulière sans y réussir complètement; généralement on distingue deux grands groupes, les terres argileuses ou terres fortes et les terres sablonneuses ou terres légères, qui se rejoignent au moment où aucun élément ne domine sur les autres pour former les terres franches. (…)
La terre franche constitue la terre arable la plus parfaite, elle présente en effet toutes les qualités que nous recherchons ; elle est perméable à l’eau et à l’air grâce à la quantité de sable qu’elle renferme, elle le sera d’autant plus que le sable sera plus abondant, mais d’autre part elle conservera l’eau d’autant mieux que l’argile et le sable fin y seront en plus forte proportion ; avec 30 d’argile et de sable fin, cette propriété sera au maximum, tandis que la perméabilité sera moindre; si le sable grossier s’élève à 70, l’argile et le sable fin à 20, la perméabilité sera complète, mais la dessiccation deviendra trop rapide ». (Dehérain, 1892 : 365 - 367)


« Terre parfaitement adaptée à la culture, bonnes propriétés physiques, hydriques, chimiques, biologiques, terre sans cailloux ni gravier, équilibrée, sans excès d’aucune phase granulométrique, riche, souvent depuis longtemps cultivée et fumée. Composition type : argile 20 à 30%, sable 50 à 70%, calcaire 5 à 10%, humus 5 à 10%. Certains estiment qu’une terre pour être réputée franche doit contenir plus de parties fines dans les régions sèches que sous climat humide, de façon à pouvoir retenir l’eau (Plaisance & Cailleux, 1958).


Cette notion de « terre franche », abandonnée par les agronomes, persiste aujourd’hui parmi les très nombreux sites de jardinage sur le web. Les quatre constituants sont presque toujours présentés avec des pourcentages. Voici trois exemples :

« Terre qui bénéficie d’une texture bien équilibrée avec environ 65 % de sable, 15 à 20 % d’argile, 5 à 10 % d’humus et 10% de calcaire, dont le pH est relativement neutre et qui peut constituer la terre quasiment idéale pour un jardin ». (Site Les jardins du gué - Glossaire de botanique). Les limons ne sont pas cités.

« Une terre franche est une terre de texture légère contenant relativement peu d’argile, du sable grossier, du limon et des réserves d’humus. Sa composition théorique est de 65 % de sable, 15 % d’argile, 10 % d’humus et 10 % de calcaire et presque autant de limon ». (Site Aquaportail). Pas de notion de limon et somme >100 % !

« La terre franche est le terme utilisé pour désigner une terre dont l’équilibre des 4 éléments est considéré comme parfait aux yeux des jardiniers. C’est une terre à la fois fertile, drainante, facile à travailler et qui convient à la grande majorité des végétaux. Cette terre se composerait à 60% de sable, 20% d’argile, 10% de calcaire et 10% de limon ». (Site Les pépinières de Metz). Les chiffres ont changé et il n’est plus question d’humus ! Noter le conditionnel.

Faut-il préciser que cette « terre » idéale n’existe pas ?

Références citées

  • Bailly de Merlieux C.F., (dir.), 1835. Maison rustique du XIXe siècle. Encyclopédie d’agriculture pratique. T. 1, Agriculture proprement dite. Librairie agricole de la maison rustique. Paris, 568 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Buffon L. Leclerc de, 1749. Histoire naturelle des Minéraux, t. II : 616-632.
  • Buffon L. Leclerc de, [1749] 1785. Histoire naturelle des Minéraux, t. I : 384-385.
  • Dehérain P.-P., 1892. Traité de chimie agricole. Développement des végétaux, terre arable, amendements et engrais, 904 p. Texte intégral sur Gallica.
  • François de Neufchâteau N. dir., 1827. Dictionnaire d’agriculture pratique, contenant la grande et petite culture, l’économie rurale et domestique, la médecine vétérinaire…, t. 2, 782 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Gasparin A. de, 1843. Cours d’agriculture, t. 1. Paris, La Maison rustique, 732 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Omalius d’Halloy J-B.J. d', 1831. Éléments de géologie. Paris, 560 p.
  • Perthuis de Laillevaux R. de, 1780. Recherches sur la houille d’engrais et les houillères, sur les Marais & leur Tourbe, & sur l’exploitation de l’une & de l’autre de ces substances, t. 2. La Haye, xii + 216 p. + planches. Texte intégral. Ouvrage réédité en 1783.
  • Plaisance G., Cailleux A., 1958. Dictionnaire des sols. La maison rustique, Paris. vii + 604 p.
  • Virgile de la Bastide C., 1733. Observations physiques sur les terres qui sont à la droite et à la gauche du Rhône, depuis Beaucaire jusqu’à la mer. Ce qui comprend la Camargue, &c. Avignon, 14 p. Réédition dans les Mémoires de Mathématique et de Physique, présentez à l’Académie Royale des Sciences par divers Sçavans, et lus dans les Assemblées, t. 1, 1750, 1-10. Texte intégral sur Gallica.

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