Guéret
Auteur : Pierre Morlon
Le point de vue de... | |
---|---|
Pas de compléments pour cet article
| |
Annexes de l'article | |
Voir aussi (articles complémentaires) | |
Autres langues | |
Anglais : | fallow |
Allemand : | Brache |
Espagnol : | barbecho, barbechera |
Italien : | maggese |
Informations complémentaires | |
Article accepté le 28 octobre 2011
| |
Article mis en ligne le 28 octobre 2011 |
« En Mars (...) donnera une seconde façon aux guerets qu’il prepare pour la semoison. (...) En Septembre donnera la derniere façon à ses guerets. (...) En Decembre (...) fera provision de fien pour fumer ses guerets » (Estienne & Liébault, 1570, 1572, livre I, chap. 9).
« ...reïterant le labourage à mesure qu'on verra rebourgeonner les herbes sur le gueret, dont il en sera entièrement deschargé ; afin que net en perfection, puisse estre capable de recevoir les semences » (O. de Serres, 1605 : 92).
« Le premier labour s’appelle lever les guérets ou les jachères, ou encore guéreter, c’est-à-dire, former le guéret, qui n’est autre chose qu’une terre labourée. (...) Le second labour, qu’on nomme binage, commence quand les guérets sont levés, et il finit dans le mois de Septembre. On commence par la raie qui a fini le labour des guérets : cette raie sert d’enréageure, & on la remplit. » (Duhamel du Monceau, 1762 : 136, 137).
Le sens premier
À l'origine, guéret (du latin vervactum, labour, qui a aussi donné l’espagnol barbecho) désignait des terres plusieurs fois labourées au printemps et en été avant le semis d’un « blé » d’hiver. Employé dans une grande moitié sud-ouest de la France, c’était donc un synonyme de jachère et d'autres termes régionaux comme versaine, sombre ou somar, etc. (carte). Guéreter ou lever les guérets, c’était donner le premier de ces labours (= jachérer).
Cette synonymie est affirmée par divers auteurs, par exemple Duhamel du Monceau (1751), « … le troisième arpent étant en jachère, ou guérêts, ou en repos » et Chrestien de Lihus (1804 : 80-81)[1] : « (Travaux du mois de Mai) Culture des jachères. On appelle jachères, les terres qui ne sont chargées d'aucuns grains (…). La coutume générale est de laisser reposer la terre tous les trois ans, c'est-à-dire, de la cultiver sans y rien semer. La terre se repose donc, mais le cultivateur ne se repose pas ; s'il ne confie rien à la terre, il la dispose à rapporter du grain l'année suivante. (...) Il sera payé avec usure de la culture de ses guérets, pourvu que, 1°, il leur donne les labours nécessaires pour les rendre plus meubles et plus susceptibles des impressions végétatives de l'atmosphère ; 2°, qu'il les purifie de toutes les mauvaises herbes qui en épuisent inutilement le suc ; 3°, qu'il y porte les engrais convenables ; trois moyens principaux pour bien cultiver les jachères. »
Le mot avait d’innombrables variantes locales en g, b, v et w : (garet, guarait, garat, garach, bareit, varet, varest, varette, waret, warect, warret... ; pour le seul dialecte anglo-normand, the Anglo-Norman Dictionary en donne 31, traduites en anglais par fallow, fallowing.
Si l’on se réfère aux plus anciens écrits donnant en français des indications techniques précises sur ce qu’étaient les guérets, ceux écrits en Angleterre au XIIIe siècle (annexe), les terres labourables étaient divisées en trois parties d’égale surface : hivernage, trémois ou quarremel et guéret (assolement triennal) ou, dans certaines régions, en deux (1/4 en hivernage, 1/4 en trémois et 1/2 en guéret). Les terres en guéret recevaient trois labours : le premier (arrure de waret) en avril si possible ; le second (biner), qui pouvait être répété (rebin) après la St Jean (24 juin), et enfin le labour à semail. Ces labours avaient pour objectif de « remonter de la bonne terre reposée » et de détruire complètement les [mauvaises herbes]]. On fertilisait (amendait) les guérets en y épandant du fumier et en faisant parquer le bétail. On les faisait pâturer par des brebis.
Des sens élargis et dérivés
Ce sens premier s’est longtemps maintenu. Mais, au cours du temps, sont venus s’y adjoindre d’autres, qui en dérivent plus ou moins directement et ont fini par le supplanter.
Dès la Renaissance, Estienne l’emploie pour désigner :
- d'une part, la couche de terre labourée dans ce que nous appelons maintenant profil : « car à la Brye où sont les terres glaizes & humides (…), on labeure en talut & comme en dos d’asne : & tient on entre cinq rayons un seillon plus large dressé, aussi en talut pour recevoir les eaux, tant de la pluye que du dessoubs du gueret qui est toujours humide… » (1564, f. 99v) ;
- d'autre part, le sol avec ses qualités propres : « Mais tu as à cognoistre que selon l’assiette des terres (...) & aussi selon le païs, le gueret, le solage, lon a de coustume diversifier le labour pour la necessité & commodité des habitants » (id.) ; « Tel endroit en la France, & en la franche Beauce, ne porte que le seigle, qui est contre le naturel de son gueret » (id, f. 4v)...
Par la suite, guéret a souvent pris le sens plus large de « terre labourée mais non ensemencée » : « on dit encor, où allez-vous dans ces guerets ? c’est-à-dire, dans ces terres labourées » (Liger, 1703 : 199-200) ; « GUERET, terre labourée à la charrue » (Duhamel du Monceau, 1758 : 398) ; « En général, pour qu’une terre se laboure avec effet, et sans trop de fatigue pour les attelages, il faut qu’elle ne soit ni trop sèche ni trop humide : trop sèche, elle est difficile à entamer, se soulève par grosses masses, fatigue beaucoup les animaux et forme un gueret raboteux » (Pictet, 1801 : 14)
Il peut aussi avoir le sens plus large de terre cultivée : « ... de nos jours elles [les plantes alimentaires] occupent encore la principale place sur nos guérets (Maison Rustique du XIXe siècle, 1844 : 256).
Plus étonnant est le sens de « partie pas encore labourée d’un champ en train d’être labouré », qu’on voit poindre dans la même Maison Rustique du XIXe siècle (1844 : 113), et qui s’impose au XXe siècle : « On désigne sous le nom de guéret une terre labourée, mais non ensemencée ni plantée. On appelle encore guéret, dans le labour, la portion non encore retournée, par opposition à celle qui vient de l’être. » (Larousse Agricole, 1921). La dernière acception, la plus courante de nos jours, vient peut-être du fait qu'on distinguait dans l'avant-train des charrues la roue de raie et la roue de guéret (ou roue sur champ). La première roulait dans la raie, la seconde sur la terre non encore fraîchement labourée, c'est-à-dire sur l'ancien guéret. Mais on n'allait pas dire « roue de l'ancien guéret » !
La discussion sur les différents rôles du guéret est identique à celle sur la jachère ; on la trouvera plus en détail dans l’ouvrage de Morlon et Sigaut (2008).
Dans la littérature non agricole, comme pour jachère, on trouve un peu de tout : au mot Guéret, le Trésor de la Langue Française (Quemada, 1983) indique : « B. - Terrain laissé en jachère; pâturage maigre, terre inculte. Viélé-Griffin (…) reproche à je ne sais quels auteurs de ne plus savoir le français et d'écrire par exemple « friche » où il faudrait « guéret » (GIDE, Journal, 1911 : 329) ». Et on notera que, dans la littérature agricole elle-même, guéret peut avoir deux ou trois sens différents dans le même texte, ce qui n’est jamais souhaitable...
Références citées
- Bixio A. (dir), 1844. Maison rustique du XIXe siècle. T. 1, agriculture proprement dite. Librairie agricole, Paris, 568 p.
- Chancrin E., Dumont R. (dir.), 1921. Larousse agricole. Encyclopédie illustrée. Paris, t. 1, 852 p.
- Chrestien de Lihus, 1804. Principes d’agriculture et d’économie, appliqués, mois par mois, à toutes les opérations du cultivateur dans les pays de grande culture. Paris, An XII, 336 p. Texte intégral sur OpenLibrary
- Covarrubias S., [1611] 1984. Tesoro de la lengua Castellana o Española. Primer Diccionario de la Lengua. Ed. fac-simil, Turner, Madrid-México, 1093 p. Texte de l'édition de 1674
- De Serres O., 1605. Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs. 3è édition revue et augmentée par l’Auteur. Réimpression fac-simil, Slatkine, Genève, 1991, 1023 + 22p. Également : Actes Sud, Paris, 1996, 1463 p. (basée sur l’édition de 1804).
- Duhamel du Monceau H.L., 1751. Expériences et réflexions relatives au Traité de la culture des terres, publié en 1750.
- Duhamel du Monceau H.L., 1758. Explication de plusieurs termes de botanique et d’agriculture, in : La physique des arbres, t. 2 : 359-432. Paris. texte intégral sur le site de Gallica.
- Duhamel du Monceau H.L., 1762. Élémens d’agriculture. Paris, Guérin & Delatour, t. 1, 499 p.
- Estienne C., 1564. L’agriculture et maison rustique. Paris, chez Jacques du Puis, 155 feuillets + Epistre + tables. texte intégral sur archives.org ;
- Estienne C., Liebault J., 1570. L’agriculture et maison rustique. Paris, chez Jacques du Puis. id., 1572 texte intégral sur le site de Gallica.
- Greimas A.J., 1992. Dictionnaire de l’ancien français. Le Moyen Âge. Larousse, Paris, 630 p.
- Larousse Agricole, 1921. Voir Chancrin et Dumont.
- Liger L., 1703. Dictionnaire général des termes propres à l’agriculture. Paris, 377 p.
- Maison rustique du XIXe siècle, 1844. Voir Bixio (dir).
- Morlon P., Sigaut F., 2008. La troublante histoire de la jachère. Pratiques des cultivateurs, concepts de lettrés et enjeux sociaux. Quae, Versailles / Educagri, Dijon, 325 p. Présentation sur le site de Quae.
- Pictet de Rochemont C., 1801. Traité des Assolemens, ou de l’art d’établir les rotations de récoltes. Paschoud, Genève, 285 p.
- Quemada B. (dir), 1983. Trésor de la Langue Française. Dictionnaire de la langue du XIXè et du XXè siècle (1789-1960). CNRS, Paris, t. 10, 1381 p. [1]
- Real Academia Española, [1726] 1990. Diccionario de la lengua castellana,... (« Diccionario de autoridades »). Gredos, Madrid. T. 1, 714 p.
- The Anglo-Norman Dictionary
Pour en savoir plus
Bibliographie complémentaire
Morlon P., Sigaut F., 2008. La troublante histoire de la jachère. Pratiques des cultivateurs, concepts de lettrés et enjeux sociaux. Quae, Versailles / Educagri, Dijon, 325 p. Présentation sur le site de quae.
Autres langues
- Anglais : fallow
- Allemand : Brache,
- Espagnol : barbecho, barbechera. « BARBECHO. La tierra de labor que se ara y barbecha para la sementera del año siguiente. Barbechar, arar las haças y quitarles la mala yerva de rayz ; y porque las rayzes se llaman barbas, se dixo barbechar el arrancarlas de quajo. Antonio Nebrixa vervactum. » (Covarrubias, 1611 : 194). « BARBECHO, s.m. La primera labor que se hace en la tierra alzándola con la reja ó arado; y tambien se toma por la tierra arada de la priméra vez para sembrarla al año siguiente. Lat. Veruactum. » (Real Academia Española, 1726, t. 1 : 557).