Aubues
Auteur : Denis Baize
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Article accepté le 7 février 2019
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Article mis en ligne le 8 février 2019 |
Ce terme vernaculaire (prononcer « obu »), censé dénommer un type de terre, est utilisé, sous des formes diverses, dans plusieurs régions françaises (fig. 1). Mais il y désigne des types de sols très différents sans points communs évidents.
Diverses graphies et étymologie
Pour Plaisance et Cailleux (1958), qui signalent les variantes albue, arbue, herbue, obue, orbeu et eaux bues, aubue viendrait du prélatin albuca « blanc mat ».
« Aubue est un mot qui plaît beaucoup aux toponymistes en raison des interprétations populaires cocasses dont il est l’objet. Le terme, dérivé d’alba, blanc, désigne un sol blanc de nature argileuse, souvent à partir de terrains calcaires, et réputé fertile. Citons les Aubues à Clamecy (58), à Lormes (58) et à Néron dans la commune de Saizy (71) où sont aussi les Terres Blanches ; en Touraine, les Aubuis à Pont-de-Ruan (37), la Pièce des Aubées à Perrusson (37), les Aubrées à Montrésor (37) ou les Aubues à Vaudelnier (49). Il prend les formes d’Aubuge dans l’Ouest, aubuis en Val de Loire, albugue en pays d’oc, aubugo en Rouergue ; on trouve Albuccio à Ghisonaccia (Corse). Il se déforme aussi en arbue, voire orbue et même herbue (il semble qu’il y ait confusion par attraction avec le mot « herbue » utilisé dans diverses régions françaises et dont la définition est « terre légère et peu profonde qui n'est bonne qu'à faire des pâturages ») ; en les Auboeufs à Francueil, et en certains lieux il a été curieusement interprété par la tradition orale et ses reports cadastraux en Hauts Buts, Eaux Bues, Hauts Bœufs ou Obus. » (Brunet, 2016).
Notons que le nom de la rivière Aube a la même étymologie, qui se réfère à la couleur blanche. Mais dans son cas, c’est celle de la craie !
Description dans diverses régions
Le tableau 1 a été établi à partir d’un certain nombre de citations (mais il y en a certainement beaucoup d’autres), que le lecteur trouvera en annexe 1.
RÉGION | Auteur(s) | Description (granulométrie - couleur) |
Brunet, 2016 | sol blanc de nature argileuse, souvent à partir de terrains calcaires, et réputé fertile… | |
Plateaux calcaires de Basse Bourgogne | Le T… de L…, 1843 | sol argileux, rouge-brun, connu sous le nom de petite et grosse aubue |
Raulin & Leymerie, 1858 | terres d'argile mélangée de sable, présentant ordinairement une couleur brun rougeâtre et ne renfermant pas de pierres | |
Mantelet & Radet, 1937 | terres argilo-siliceuses, peu profondes, décalcifiées, plus ou moins pierreuses, de coloration rougeâtre, brun rougeâtre ou brun foncé… elles reposent sur un sous-sol fissuré et calcaire | |
Concaret & Voilliot, 1967 | le terme vernaculaire "d’aubue" est réservé à une argile limoneuse rougeâtre, non calcaire… épaisseur variable (10 cm à quelques mètres) | |
Baize, 1971, 1989, 1991, 2012 | séquence de sols de plateaux, argileux, non calcaires, formés à partir de calcaires durs. Les plus épais sont appauvris en argile à leur partie supérieure (voir figure annexe 1). | |
Terre Plaine – Auxois - Morvan | Raulin & Leymerie, 1858 | …dans la Terre-Plaine elles sont blanchâtres |
Collenot, 1873 | les alluvions passent à l'aubue de teinte jaunâtre ou même blanchâtre… les grains de fer sont rares mais les sablons granitiques sont plus abondants que dans le mâchefer… | |
Collenot, 1876 | des nappes d’aubues formées dans les contrées granitiques | |
Joly, 1953 | Les couches superficielles argilo-sableuses, qu’on désigne ici sous le nom d’aubue... | |
Mériaux & Perrey, 1964 | sols [limoneux] localement dénommés « aubues » ... caractérisés dans leur horizon superficiel par un taux d’argile souvent voisin de 10 à 15 %... [et] une très forte proportion de limon total... s’échelonnant entre 66 et 84 %. | |
Horon et al., 1968 | formations grossières, constituées d'arènes granitiques, de cailloutis et de blocs d'origine... fluvio-glaciaire | |
Concaret & Voilliot, 1969 | les « aubues » de Terre-Plaine appelées « mâchefer » en Auxois"… formation limono-argileuse ou argilo-limoneuse de teinte brun-rouille, riches en pisolithes... | |
Duthion & Mingeau, 1976 | l’horizon supérieur limoneux, battant, lui-même imperméable, repose sur un horizon enrichi en argile ; ce sont, parmi d’autres,... les « aubues » ou « erbues » de l’Auxois | |
Forêt de Chaux et Val de Saône | Plaisance, 1965 | Ces sols limoneux sont appelés dans les parlers locaux : aubue, arbue, erbue… Ce sont des sols limono-sablo-argileux, ou parfois limono-argileux, avec des sous-sols argilo-limono-sableux ou parfois argilo-limoneux |
Ligeron, 1972 | des parties où affleurent des argiles siliceuses blanches du pliocène ; pour les habitants ce sont les « arbues » ou les « herbues » | |
Nord de la Vienne et Touraine sud | Franc de Ferrière & Riedel, 1967 | sols calcaires rendzinoïdes ou sols bruns décalcarifiés peu lessivés, observés à la surface des roches-mères calcaires crétacées |
Site Web - Vocabulaire de termes régionaux pour le Poitou-Charentes | argile limoneuse, gris blanc, fertile, sur substrat calcaire | |
Site web - La Biodiversité en Poitou-Charentes | séquence de sols calcaires limono-argileux sains, peu profonds sur coteaux et moyennement profonds sur pente faible | |
Limite Meuse-Haute Marne | ANDRA, 2014 | sol brun calcique superficiel dénommé localement « petite aubue », et … sol peu évolué d'apport colluvial dit « aubues rouges » |
Conclusion
Quels points communs pouvons-nous trouver à tous les sols désignés et recensés sous la dénomination « Aubues » dans le tableau ci-dessus ? Le mot évoquerait une couleur blanche, au moins de l’horizon de surface. C’est le cas de beaucoup d’entre eux mais pas de tous. Il semble cependant qu’il s’agisse généralement de sols assez ou très épais, plutôt fertiles et ne contenant pas ou peu de cailloux.
De toutes ces citations (annexe 1), on peut tirer un enseignement qui n’est pas valable seulement pour le mot « aubues » : les termes vernaculaires ne sont pas tous aussi précis qu’on pourrait le croire et peuvent désigner des types de sols variés, d’une région à une autre mais même au sein d’un seul et même secteur géographique ! Sans parler des diverses graphies…
D’où la nécessité, a minima, de toujours préciser la région voire la sous-région dont il est question. Par exemple : « les terres d’Aubues des plateaux jurassiques de basse Bourgogne ».
En Annexe 2, le lecteur trouvera un texte, rédigé par Buffon au milieu du XVIIIe siècle, qui décrit excellemment, sans lui donner de nom, une "terre d'aubues" profonde en contexte de plateaux jurassiques
Références citées
- ANDRA, 2014. Laboratoire de recherche souterrain de Meuse/Haute Marne. Étude d’impact.
- Baize D., 1971. Contribution à l'étude des sols des plateaux jurassiques de Bourgogne. Essai sur les terres dites "Aubues". Thèse 3e cycle, Université Paris VI, 136 p.
- Baize D., 1989. Typologie des sols de l’Yonne. Les Plateaux de Bourgogne. INRA Orléans, 154 p.
- Baize D., 1991. Sols et formations superficielles sur calcaires durs dans le sud-est du Bassin Parisien. Première synthèse. Science du Sol, 29 : 265-287.
- Baize D., 2012. Les "terres d’Aubues" de Basse Bourgogne : nouvelle synthèse et bilan de matières à très long terme. Étude et Gestion des Sols, 19, 3-4 : 139-161.
- Brunet R., 2016. Trésor du terroir. Les noms de lieux de la France. CNRS Éditions, 656 p.
- Collenot J.J., 1873. Description géologique de l’Auxois. Semur-en-Auxois, Imprimerie et librairie Verdot, p. 410-411.
- Collenot J.J., 1876. Origine des phosphates déposés dans les bancs du calcaire à gryphées arquées de l’Auxois. Bull. de la Société des sciences historiques et naturelles de Semur-en-Auxois, p. 98.
- Concaret J., Voilliot J.P., 1967. Étude des sols de l’Yonne. Les plateaux de Bourgogne et leur bordure crétacée. Secteur est d’Auxerre. Station Agronomique de l’Yonne, Auxerre, 52 p.
- Concaret J., Voilliot J.P., 1969. Étude des sols de l'Yonne. La bordure sud des Plateaux de Bourgogne et la Terre Plaine. Station Agronomique, Auxerre, 87 p.
- Duthion C., Mingeau M., 1976. Les réactions des plantes aux excès d’eau et leurs conséquences. Ann. agron., 27 (2) : 221-246.
- Franc de Ferriere J.-J., Riedel C.E., 1967. Minéraux argileux et vocation des sols du département de la Vienne. Revue Forestière française, n°2 : 73-86.
- Horon O., Caillère S., Kraut F., 1968. Carte géologique France (1/50 000), feuille Semur-en-Auxois (468). BRGM, Orléans.
- Joly J. (abbé), 1953. Les industries des formations quaternaires de l’Auxois. Revue Archéologique de l’Est et du Centre-Est, IV (4) : 289-301.
- le T… de L…, 1843. Étude géologique des terrains de la rive gauche de l'Yonne, compris dans les arrondissements d’Auxerre et de Joigny. Imprimerie Perriquet, Auxerre, 231 p.
- Ligeron L., 1972. L’assolement dans la vallée moyenne de la Saône. Annales de Bourgogne, XLIV (173-174) : pp. 5-47.
- Mantelet C., Radet E., 1937. Étude pédologique des sols des plateaux jurassiques dans l'est de la France. Bull. AFES, III (3) : 204-237.
- Mériaux S., Perrey C., 1964. Caractères généraux et possibilités d'assainissement des sols hydromorphes de Montberthault (Côte-d'Or). Bull. AFES, 10 : 397-430.
- Pégorier A., 2006. Les noms de lieux en France. Glossaire de termes dialectaux. 3e édition. IGN, Commission de toponymie. 518 p.
- Plaisance G., 1965. Les sols à marbrures de la forêt de chaux (Jura). Ann. Sciences Forestières, 22 (4) : 437-679.
- Plaisance G., Cailleux A., 1958. Dictionnaire des sols. La maison rustique. Paris, 604 p.
- Raulin V., Leymerie A., 1858. Statistique géologique du département de l’Yonne. Perriquet et Rouillé, Auxerre. 863 p.