« Alios » : différence entre les versions
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Auteur : Denis Baize
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Article accepté le 7 septembre 2018
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Article mis en ligne le 7 septembre 2018 |
Le mot alios est à la fois un terme très général mais il a aussi une acception plus précise. Au sens strict, les alios sont des horizons pédologiques de moyenne profondeur des milieux fortement podzolisés. Ils sont caractérisés par l’accumulation de matières organiques, de fer et d’aluminium ayant migré dans le profil et par leur induration plus ou moins marquée.
Définition et confusions
De très nombreux auteurs ou personnes ont tendance à présenter comme synonymes toute une série de termes vernaculaires, tels qu’alios, garluche, grison, mâchefer… Certes, il s’agit toujours d’horizons pédologiques durcis, cimentés par des oxydes métalliques (fer, aluminium et manganèse), formés souvent en présence de nappes phréatiques, mais chacun de ces termes correspond à un type particulier d’horizon que le pédologue peut assez aisément distinguer à la fois grâce à son aspect, sa position et sa composition chimique.
La principale confusion intervient entre alios et garluche, parce que ces deux faciès d’induration par des oxydes sont observés dans la même région naturelle : les Landes de Gascogne (dans le sud-ouest de la France) où ils sont souvent voisins, parfois superposés. « Nous retiendrons le lien avec la podzolisation et la dénomination d’alios pour des horizons B ayant une certaine compacité. En cela nous rejoignons l’utilisation vernaculaire pour des couches cohérentes faisant obstacle en profondeur, en particulier aux instruments aratoires lorsque ces couches sont proches de la surface. De même nous excluons de l’appellation [alios] une autre formation répandue dans les Landes, très dure : la « garluche », suivant en cela une distinction déjà faite au siècle dernier par Jacquot et Raulin en 1874 » (Gelpe et al., 1981 : 49).
En outre, un alios n’est ni une « roche » ni un « grès » mais un horizon pédologique.
Selon Jolivet et al. (2007), « Lorsque les variations du niveau de la nappe sont rapides et fortes (> 1 m) et génèrent des alternances saisonnières de conditions oxydantes (précipitation du fer) ou réductrices (mobilisation du fer) au sein du profil, les constituants amorphes organiques associés à l’aluminium et au fer cimentent les grains de sable et forment des horizons BP indurés, qualifiés “d’alios” dans la région. Ces Podzosols sont qualifiés de Durique (lorsque l’horizon E est présent) ou Humo-Durique (lorsque l’horizon E est absent ou peu différencié). Il existe de grandes variations du degré d’induration, de l’épaisseur et de la teneur en fer des alios. Contrairement à une croyance ancienne et encore assez répandue, la présence de l’alios n’entraîne pas la formation d’une nappe superficielle en hiver. La perméabilité est plus faible dans l’alios que dans les autres volumes du sol, mais suffisante pour assurer un drainage vertical. Par ailleurs, l’alios est le plus souvent discontinu sous forme de lentilles et donc incapable de former une barrière imperméable efficace. Il convient de différencier l’alios, issu de processus pédologiques et hydrochimiques, de la “garluche” qui est un minerai de fer (anciennement exploité par un réseau de petites forges) situé non loin de la surface du sol et se présentant sous la forme d’une cuirasse ferrugineuse. La garluche résulte d’un phénomène d’oxydation brutale de la nappe très chargée en fer le long des cours d’eau les plus importants. Au contraire, lorsque le battement de la nappe phréatique est faible (< 1 m) et que son niveau engorge les horizons supérieurs pendant une grande partie de l’année, limitant ainsi les alternances saisonnières de conditions oxydantes et réductrices, les horizons [podzoliques] restent meubles et peu différenciés ».
Les alios sont donc des horizons « B podzoliques » plus ou moins fortement indurés (codés BP dans le Référentiel Pédologique 2008 – AFES, 2009). On distingue classiquement des horizons BP humiques (BPh) noirs et des BP sesquioxydiques (BPs) surtout riches en fer de couleur rousse. L’horizon BPs étant toujours sous le BPh quand les deux coexistent dans un même sol.
Ce fait avait déjà été reconnu par Jacquot & Raulin (1874) : « …assez souvent roussâtre, on était disposé à la considérer comme un grès agglutiné par un hydrate d'oxyde de fer. Plus tard, l'analyse voyant décelé la présence d'une matière organique, on a été porté à penser que cette matière jouait le rôle de ciment à l'exclusion de toute autre. On y était d'autant plus autorisé qu'en incinérant certaines variétés d'alios, on obtenait, pour résidu, un sable quartzeux parfaitement blanc. À la suite de nombreuses analyses, il a été reconnu que ces deux opinions étaient en désaccord avec les faits. Le ciment ou la matière agglutinante de l'alios est toujours double. C'est d'une part l'hydroxyde de fer dont l'analyse chimique constate la présence dans tous les échantillons soumis aux essais et de l'autre une matière organique rappelant complètement la tourbe dans un état avancé de décomposition… ».
Composition - Analyses
Tous les résultats d’analyses collectés ici proviennent des Landes de Gascogne.
En 1948, dans sa thèse intitulée « Recherches écologiques sur la chênaie atlantique française », Duchaufour écrit : « Pour les sols plus évolués l'horizon illuvial, plus riche en matière organique (plus de 3 %), devient compact, résistant à la pénétration, et peu perméable à l'eau : c'est l'alios qui est d'autant plus dur qu'il est plus riche en matière organique ; cette dernière substance constitue avec les oxydes de fer un complexe colloïdal qui joue le rôle de ciment à l'égard des grains de quartz et provoque la formation d'une masse concrétionnée ; mais la teneur en fer de l'alios reste faible, et oscille entre 0,3 et 0,7 % au maximum. Par-là, l'alios se distingue aisément de la garluche …, [niveau] extrêmement dur, et très riche en fer (12 % en moyenne) qui est utilisé dans la région comme matériau de construction, et comme minerai de fer » (p. 204).
Quelques pages plus loin, Duchaufour fournit des résultats d’analyses dont sont extraites les données du tableau 1.
Station | Horizon | pH | Mat. Organique % | Fer % |
---|---|---|---|---|
322 | B | 5,7 | 0,5 | 0,19 |
326 | B | 5,7 | 0,3 | 0,11 |
328 | B | 6,4 | 0,7 | 0,44 |
Fragments de garluche | 6,4 | 3,9 | 11,98 | |
329 | B1 | 5,5 | 1,0 | 0,44 |
3210 | B | 5,8 | 1,0 | 0,81 |
3213 | A2 | 5,8 | 0,2 | 0,14 |
Dalle de garluche | 6,4 | 4,7 | 12,37 |
Sur le terrain, l’accumulation du fer dans les alios est assez bien visible grâce à sa couleur. Mais, en réalité, l’aluminium est nettement plus abondant, mais il est invisible (annexe 1). Ce qui a incité Gelpe et al., 1981 à écrire ceci : « L’aluminium participe beaucoup plus au phénomène d’accumulation que le fer qui reste généralement à des taux inférieurs à 1 %. Ceci infirme l’appellation ferrugineuse donnée aux formations aliotiques et montre au contraire le rôle primordial de la matière organique et de l’aluminium dans leur genèse ».
Propriétés agronomiques
Les alios constituent le plus souvent un obstacle à la percolation de l’eau mais surtout à l’enracinement des arbres ou des plantes cultivées.
« L’alios oppose aux racines un obstacle difficilement franchissable et il limite ainsi la profondeur du sol. En contrepartie, grâce à sa forte porosité capillaire, il s’imbibe d’eau par « diffusion capillaire » aux dépens de la nappe, et offre ainsi aux racines une réserve d’eau en saison sèche (Peuplement de Pin maritime dans les Landes) » (Duchaufour, 1956).
« Deux expériences ont été effectuées en terrain dur, l’une dans les Landes sur sol présentant une couche durcie par les hydroxydes de fer (alios) (...) Dans les Landes, l’expérience effectuée par un CETA a consisté à sous-soler une lande sèche et une lande humide (...) en 1954. Un premier examen des résultats obtenus en 1955, année relativement sèche, a montré une augmentation des rendements dans les zones sous-solées. Corrélativement, on pouvait observer dans les profils que les racines de maïs pénétraient dans les fissures pratiquées dans l’alios par le sous-solage et allaient s’installer dans la couche sableuse sous-jacente. Au contraire, dans les parcelles non sous-solées, les racines s’arrêtent net au-dessus de l’alios. De plus, en 1955, on a noté une augmentation des rendements (+ 5,2 q/ha) en lande humide et une diminution (-1,6 q/ha) en lande sèche . Cependant, en 1956, année humide, c’est l’inverse qui a été constaté, le plan d’eau est remonté à travers les traits de sous-solage, ce qui a provoqué un effet dépressif et une baisse de rendement dans la lande humide sous-solée. Sur trois années d’observation, le résultat est nettement positif » (Hénin & Féodoroff, 1958 : 578).
Localisation
Les Landes de Gascogne et leurs podzols sont, à l’évidence, le domaine principal d’existence des alios sensu stricto. Mais on peut observer des alios partout où il y a des podzols : en forêt de Fontainebleau (Jacquot & Raulin, 1874) ; dans les Vosges (Duchaufour, 1956 & 1957), au Congo (Schwartz et al., 1985 & 1986) ou en Amérique du sud (Dubroeucq & Blancaneaux, 1987 ; Lucas et al., 1987).
Au Congo, dans des podzosols formés dans les « sables Batéké », Schwartz (1985 & 1986) a décrit des alios d’épaisseurs métriques ou plurimétriques, ce qui a conduit les auteurs du Référentiel Pédologique 2008 (AFES, 2009) à créer le qualificatif « gigaliotique », dont voici la définition : « qualifie un podzosol présentant un horizon BP cimenté (alios) de plus de 50 cm d’épaisseur ».
Références citées
- Afes, 2009. Référentiel pédologique 2008. Quae , 406 p. Texte intégral sur le site de l'AFES ; Texte intégral sur le site de l'IRD.
- Dubroeucq D., Blancaneaux P., 1987. Les podzols du haut Rio Negro, région de Maroa. Venezuela. Environnement et relations lithologiques. In : Podzols et podzolisation. Righi D. et Chauvel A. (éd.). Afes, Inra, pp. 37-52. Texte intégral sur le site de l'IRD.
- Duchaufour P., 1948. Recherches écologiques sur la chênaie atlantique française. Thèse. Ann. École Nationale des Eaux et Forêts, XI (1), 335 p. Texte intégral sur le site de l'INIST.
- Duchaufour P., 1956. Pédologie. Applications forestières et agricoles. École Nationale des eaux et forêts, Nancy. 310 p.
- Duchaufour P., 1957. Pédologie. Tableaux descriptifs et analytiques des sols. École Nationale des eaux et forêts, Nancy. 88 p.
- Gelpe J., Gourdon-Platel N., Legigan P., 1981. Les alios landais. In : La Grande Lande. Histoire naturelle et géographie historique. Actes du colloque de Sabres (27-29 novembre 1981). CNRS et Parc Nat. Régional : 49-68. Texte intégral sur le site Archéoloandes.
- Hénin S., Féodoroff A., 1958. Sous-solage et drainage-taupe. Ann. Agron., 5 : 567-591.
- Jacquot E., Raulin V., 1874-1897. Statistiques géologiques et agronomiques du département des Landes. Delaroy, Mont-de-Marsan, 674 p.
- Jolivet C., 2000. Le carbone organique des sols des Landes de Gascogne. Variabilité spatiale et effets des pratiques sylvicoles et agricoles. Thèse, Université de Bourgogne. 321 p.
- Jolivet C., Augusto L., Trichet P., Arrouays D., 2007. Les sols du massif forestier des Landes de Gascogne : formation, histoire, propriétés et variabilité spatiale. Revue Forestière Française, LIX (1) : 7-30. Texte intégral sur le site de l'INIST.
- Lucas Y., Boulet R., Chauvel A., Veillon L., 1987. Systèmes sols ferrallitiques-podzols en région amazonienne. In : Podzols et podzolisation. Righi D. et Chauvel A. (éd.). Afes, Inra : 53-65. Texte intégral sur le site de l'IRD.
- Schwartz D., Delibrias G., Guillet B., Lanfranchi R., 1985. Datations par le 14C d’alios humiques : âge njilien (40000 – 30000 BP) de la podzolisation sur sables Batéké (R.P. du Congo). C.R. Acad. Sci. Paris, 300, II : 891-894. Texte intégral sur le site de l'IRD.
- Schwartz D., Guillet B., Villemin G., Toutain F., 1986. Les alios humiques des podzols tropicaux du Congo : constituants, micro et ultrastructure. Pédologie, 36 (2) : 179-198. Texte intégral sur le site de l'IRD.
- Wilbert J., 1978. Carte pédologique de France à 1/100.000. Feuille Lesparre. Inra, Versailles. 229 p.