Une histoire de l'évapotranspiration - Annexe 7

De Les Mots de l'agronomie
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7 décembre 2025
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Cette annexe se rapporte à l'article Une histoire de l'évapotranspiration.

La théorie vitaliste, jusqu’au bout de ses conséquences (Marié-Davy, 1875)

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Parmi les théories vitalistes de la transpiration des végétaux, celle exposée dans le livre de Marié-Davy [1] Météorologie et Physique agricoles (1875) a l’intérêt d’être à la fois explicite dans ses fondements, et poussée dans ses conséquences extrêmes.

1. Les postulats. Postulat 1 : la transpiration des plantes n’obéit pas aux lois physiques. Après avoir exposé la physique de l’évaporation de l’eau (température et degré hygrométrique de l’air, point de rosée, vitesse du vent…), Marié-Davy affirme :

« Mais il nous faut immédiatement faire observer que, dans tout ce qui précède, nous n’avons eu en vue que l’évaporation des corps humides tels que l’eau et la terre. L’évaporation des plantes est soumise à de tout autres lois : c’est un phénomène physiologique et non plus un fait physique. Elle dépend non de l’état hygrométrique de l’air, mais du degré de lumière qui éclaire la plante. » (p. 139)

Et, pour que les choses soient bien claires :

« L’évaporation du sol disparaîtrait complètement dans un air saturé. Il en est tout autrement pour les plantes qui émettent de l’eau dans un espace plein de vapeur, à peu près comme dans un air sec. » (p. 144-145)

Ou –le zoomorphisme, comme au siècle précédent :

« Les plantes vivantes évaporent à l’air comme les plantes mortes, comme la terre, comme un corps quelconque renfermant plus d’eau que l’air ambiant. Cette évaporation a lieu la nuit comme le jour, dans l’obscurité comme en pleine lumière. Son activité dépend de la température, du vent, de l’humidité de l’air, de la proportion d’eau contenue dans la plante, du degré de perméabilité de son épiderme: c’est là un fait purement physique. Par cette voie la plante perd incontestablement de l’eau pendant les jours sans pluie ; elle peut en perdre aussi pendant un certain nombre de nuits. En quelles proportions ? Nul ne le sait, parce qu’aucune tentative, croyons-nous, n’a été faite pour isoler l’une de l’autre les deux causes de consommation d’eau par les plantes. Dans les jours pluvieux, dans les nuits à rosées abondantes, la plante peut gagner au contraire si, dans le jour précédent, elle s’était suffisamment appauvrie.
A l’évaporation, phénomène purement physique, se joint la transpiration, phénomène physiologique de toute autre nature, ne se produisant que sous l’influence de la vie et sous l’action de la lumière, phénomène indépendant des vents et de l’état hygrométrique de l’air, et que nous ne pouvons mieux comparer qu’au phénomène de transpiration cutanée chez les animaux. Quand la sueur perle à la surface de la peau, la cause en est interne et non externe. Sans doute si l’air est sec et agité, ces gouttelettes peuvent être emportées par évaporation à mesure qu’elles tendent à se former, tandis que dans l’air immobile ou saturé elles pourront grossir et ruisseler; mais l’excrétion de l’eau au travers des pores de l’épiderme est étrangère à l’humidité de l’air qui en change seulement l’apparence extérieure et les effets physiologiques : la sueur évaporée à mesure qu’elle est sécrétée laissant sur place les produits solides qu’elle tient en dissolution, tandis que la sueur ruisselante les emporte avec elle.
Il en est ainsi pour les plantes. Par les pores de leur épiderme, ou mieux par leurs stomates, elles excrètent physiologiquement de l’eau que l’air dissout à mesure qu’elle apparaît, ou qui forme à la surface des feuilles des gouttelettes plus ou moins volumineuses, ou qui, enfin, est projetée au loin par une contraction physiologique des stomates » (p. 264-265)


Postulat 2 : la transpiration des plantes est proportionnelle à leurs besoins en éléments nutritifs. On savait depuis deux siècles que c’est la transpiration qui, par la succion qu’elle exerce, fait monter dans la plante la sève avec les aliments puisés dans la terre.

Pour répondre à la question de quelle quantité d’eau les plantes ont besoin pour produire, Marié-Davy révise la littérature, à commencer par les expériences de Woodward au XVIIe siècle : « La quantité d’eau consommée pour produire un accroissement de 1 g dans le poids de la plante a varié de 96 à 170 suivant la nature de l’eau. L’eau de pluie a donné lieu à la dépense la plus forte, l’eau de la Tamise à la plus faible. (…) Woodward n’a fait connaître ni la composition de ses eaux, ni l’accroissement réel en poids sec des plantes soumises à l’expérience, ce poids sec pouvant être très différent du poids apparent. Il n’en est pas moins très intéressant d’entrevoir que la quantité d’eau consommée par une plante pour produire un même poids de matière organisée varie avec la richesse en principes nutritifs des eaux qui baignent les racines. » (p. 262-263)

Il conclut ensuite des expériences de Guettard et Dehérain (qu’il expose en détail) :

« Si on rapproche ces divers résultats de l’action bien constatée de la lumière sur le travail d’assimilation et d’organisation des plantes, on peut en induire aisément que la transpiration est liée d’une manière intime à l’acte même du développement utile de la plante. Le végétal expulse de ses tissus l’eau qui les remplit et qui y a fait pénétrer les matières salines indispensables à leur organisation. Par là, elle rend possible l’introduction de nouvelles quantités d’eau par les racines et, en même temps, de nouvelles provisions de matières salines. L’activité de ce double mouvement est en rapport avec l’agent qui règle le travail d’organisation. Mais une condition nécessaire est que l’eau ne fasse pas défaut à la plante, qu’il s’en trouve toujours des quantités suffisantes à sa disposition. » (p. 267-268).

La conséquence qu’il en tire est logique :

« En réalité, la transpiration n’est pas le but du végétal; elle est un moyen employé par lui pour se procurer les substances qui lui sont indispensables pour accomplir son évolution. Suivant que l’eau aspirée par les racines sera plus ou moins chargée de ces substances, la quantité qui en sera nécessaire sera elle-même plus ou moins grande » (p. 275)

Cette affirmation semble largement admise à l’époque ; elle est en tous cas reprise telle quelle par Garola en 1894.


2. Des conséquences en cascade Guettard et Dehérain avaient mesuré la transpiration d’organes végétaux placés dans une enceinte fermée en verre d’où l’évacuation de la vapeur était impossible. Le postulat de la transpiration indépendante de l’état hydrique de l’air conduit Marié-Davy à ne pas juger que cela ôtait toute signification à leurs mesures. Ce postulat était à l’époque admis par tous, même si tous ne l’explicitaient pas ; Dehérain aurait employé un autre dispositif expérimental s’il n’avait pas été une évidence pour lui.

De ses propres expériences faites sur des pots isolés (sans anneau de garde), Marié-Davy conclut : « Chaque tige de blé transpire pour son propre compte. A égalité de développement de la plante, à égalité aussi dans la température, dans le degré actinométrique, dans le degré d’humidité de l’air et du sol, la quantité d’eau consommée sera proportionnelle au nombre des tiges ou au rendement total. Dans les conditions de nos expériences, une récolte de 12 hectolitres par hectare aurait pris au sol une tranche d’eau de 1,13 mm seulement par jour moyen. Une récolte de 30 hl en aurait pris 2,82 mm, ce qui est le nombre donné par M. E. Risler [dans des expérimentations en plein champ]. Les expériences faites en pot peuvent sans doute conduire à des résultats en apparence étrangers aux faits de la pratique, et cela est même inévitable ; mais en allant au fond des choses, on reconnaît que les lois de la végétation n’en sont nullement changées. Ces lois peuvent donc être ainsi mises en évidence d’autant plus sûrement que l’expérimentation isole successivement et au gré de l’opérateur chacun des facteurs du problème à résoudre. Que si ensuite les résultats obtenus sont en désaccord avec la pratique, c’est qu’il est des facteurs dont on n’a pas tenu compte et qu’il faut rechercher. » (p. 272)

La proportionnalité entre consommation d’eau et rendement n’ayant pas de limite, la condition exprimée ci-dessus, « que l’eau ne fasse pas défaut à la plante, qu’il s’en trouve toujours des quantités suffisantes à sa disposition »a une conséquence logique :

« Si du poids nous passons au volume de la récolte en grain, nous trouvons que, dans les conditions de l’expérience, le blé consommerait 143 680 kg d’eau pour produire 1 hectolitre de grain du poids de 80 kg. Ce poids d’eau correspond par hectare à une tranche d’eau de 14,37 mm d’épaisseur. Une récolte de 12 hl aurait donc enlevé au sol une quantité d’eau équivalente à une tranche de 0,172 m ; une récolte de 30 hl en enlèverait 0,431 m : c’est presque la totalité d’eau qui tombe à Paris en année moyenne. Une récolte de 45 hl en exigerait, toujours dans les mêmes conditions, 0,646 m, c’est plus qu’il n’en tombe à Paris dans tout le cours d’une année humide, d’autant plus que le blé n’occupant pas la terre pendant toute l’année, il faudrait ajouter à l’eau consommée par la plante celle qui est évaporée directement par le sol cultivé et qui forme une portion notable du total des pluies. (…) il en résulterait cette conséquence très grave, que dans les environs de Paris le rendement des terres aurait une limite que les fortes fumures ne permettraient pas de dépasser » (p. 273-275).

Cette conséquence étant choquante, Marié-Davy cherche à la nuancer par les différentes qualités de terres, d’où d’autres expériences dans des flacons de verre, et d’autres dans les cases de végétation de l’observatoire de Montsouris, d’une surface individuelle de 1 m2, d’interprétation laborieuse et dont il conclut :

« La fertilité d’une terre n’a donc rien d’absolu ; elle change de base suivant les climats, et même d’une année à une autre, suivant la somme de lumière, de chaleur et d’eau que cette terre reçoit. La quantité d’eau nécessaire pour produire une récolte donnée n’a rien non plus d’absolu ; elle dépend de la somme de matières minérales utiles dont l’eau peut se charger. » (p. 280)


  1. Directeur de l’Observatoire météorologique de Montsouris à Paris


Références citées

  • Dehérain P.P., 1873. Cours de chimie agricole. Paris, Hachette, 616 p. texte intégral sur Gallica,
  • Garola C.V., 1894. Les céréales. Firmin-Didot, Paris, 815 p. Texte intégral sur Gallica..
  • Guettard J.E., 1748. Mémoire sur la transpiration insensible des plantes. Mém. Acad. Royale des Sciences : 569-592.

Marié-Davy E.H., 1875. Météorologie et Physique Agricoles La Maison rustique, Paris, 371 p. Texte intégral sur Gallica.

  • Woodward J., 1699. Some Thoughts and Experiments Concerning Vegetation. Phil. Trans., 1699, 21: 193-227.
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