Raison, rationnel & Cie : mots piégés ! - Annexe 1

De Les Mots de l'agronomie
Date de mise en ligne
6 juillet 2021
Retour à l'article
Cette annexe se rapporte à l'article Raison, rationnel & Cie : mots piégés !.

Des normes pour le profit du seigneur féodal

Les traités de gestion de domaines agricoles écrits en dialecte anglo-normand en Angleterre aux XIIIe et XIVe siècles ont pour principal objectif de permettre aux seigneurs de vérifier que tout ce qui était fait et produit sur leur domaine l’était bien à leur pru (profit), en combinant deux outils :

  • des registres (ou rôles, écrits sur des rouleaux) comptabilisant tout ce qui pouvait l’être ;
  • des normes chiffrées servant de références.

Dans les citations qui suivent, les gras sont de nous.

A quoi servent les « rôles » (R. Grosseteste, Règles, ca. 1240)

Texte publié par Barbara Oschinsky, 1971 Transcription en français actuel par P. Morlon
La terce reule enseyngne la resunement ke le seyngnur u dame deyt fere a sun haut seneschal devaunt aucun de ses bons amis.

Quaunt les avauntdiz roules e enquestes serrunt fetes e si tost cum vus porrez e ia pur travayl de gent ne soyt lesse, apellez vostre graunt seneschal devaunt aucuns genz de ki vus afiez e luy dites issi : Beau sire vus veez ben ke pur mun dreyt esclarzir e pur saver plus certeynement lestat de ma gent e de mes terres e quei io puisse desore en avant del men fere e quey lesser, io ay fet fere cetes enquestes e ces enroulemenz. Ore vus enpri, cum celuy a ki io ay baylle, quaunke io ay desuz moy a garder e governer, e estreytement vus comaund ke tote mes dreytures fraunchises e mes possessiuns neent mobles gardez enters e saunz blemure, e co ke par peresce des autres u par tort est sustreyt u amenuse des avaundite choses a tut vostre poer repellez, e mes bens mobles e mes estors par honeste e dreyturele manere multipliez e lealment gardez, e les issues de mes terres rentes e moeble saunz boydie e desleal amenusement fetes venir a mey meymes e a ma guarderobe a despendre solunc co ke io quideray, ke deu soyt pae e mun honur e mun pru i gice par purveaunce de moy e de vus e de mes autres amis.

La troisième règle enseigne le raisonnement (discours) que le seigneur ou la dame doit faire à son haut sénéchal devant quelques-uns de ses bons amis.

Quand ces rôles et enquêtes seront faits, et dès que vous pourrez, pour que le travail des gens ne soit pas retardé, appelez votre grand sénéchal devant quelques personnes en qui vous avez confiance, et dites-lui ceci : Beau sire, vous voyez bien que pour mettre au clair mon droit et pour savoir plus sûrement (précisément) l’état de mes gens et de mes terres, et que je puisse dorénavant [décider] de moi même quoi faire et quoi ne pas faire, j’ai fait faire cette enquête et ces rouleaux. Maintenant je vous en prie, comme celui à qui j’ai donné de garder et gouverner tout ce que j’ai sous moi, et je vous commande strictement que vous gardiez entières et sans dommage toutes mes franchises (terres franches ?) légitimes et mes possessions immobilières, et que vous récupériez autant que vous le pouvez ce qui par paresse des autres ou par tort en est soustrait ou diminué, et que vous multipliez et conserviez loyalement mes biens meubles et mon bétail par des méthodes honnêtes et droites, et que vous fassiez venir sans triche ni déloyale diminution les produits de mes terres, rentes et meubles à moi-même et à mon trésor, pour le dépenser selon ce que je voudrai, que Dieu soit payé et mon honneur et mon profit y repose par la prévoyance de moi et de vous et de mes autres amis.

La (vintequartime) reule vus aprent par quele reysun vus devez saver le numbre de parceles.

Ke vus sachez la reysun pur quey vus devez certeynement saver le numbre de vos caruees de terre, e le numbre des acres de waret, e de terre semee, co est ke par co saverez cumben de ble vus deve aver en gros, cumben destor, cumben la terre deyt reprendre e semence.

La (vingtquatrième) règle vous apprend pour quelle raison vous devez savoir le nombre de parcelles

Que vous sachiez la raison pourquoi vous devez savoir de façon sûre le nombre de vos charruées de terre, et le nombre des acres de guéret, et de terre semée, car c’est par quoi vous saurez combien de blé vous devez avoir au total, combien de bétail, combien la terre doit reprendre en semence.


Quelques références

Seneschaucie anonyme, ca. 1275

Texte publié par Barbara Oschinsky, 1971 Transcription en français actuel par P. Morlon
E partaunt poet il saver cumbien de furment, de segle, de orge, de poys e de feves, e cumbyen de dragge e de aveynes lem deit par reison semer en checune acre, e partaunt poet lem veer sy le provost ou le hayward acuntent plus en semence ke le dreit.

E partant poet il veer quantes charues covient al maner, kar checune charue deit par reson arer par an ix vinz acres.

Et de là il peut savoir combien de froment, de seigle, d’orge, de pois et de fèves, et combien de dragée et d’avoines on doit normalement semer en chaque acre, et ainsi il peut (sa)voir si le prévôt ou le surveillant comptent plus de semence qu’il ne faut.

Et de là il peut (sa)voir combien de charrues conviennent au manoir, car chaque charrue doit normalement labourer 180 acres par an.


Gautier de Henley, ca. 1280. Le dit de hosebonderie.

Texte publié par Barbara Oschinsky, 1971 Transcription en français actuel par P. Morlon
E par autre resun vous mustray qele peot tant fere. Ben savez qilia en lan cinkante deus symeynes. Ore ostez les uyt pur feyres e pur autre desturbances, dunqe demurrunt qarante qatre simeynes overables; e en tut cel tens navera la carue a fere al arrure de waret e al arrure de semail en yver ou a qaremel fors qe a la iornee de iii rodes e demye, e a rebiner une acre. Ore veez sy une carue qe fust adreit garde e gwye si ele ne purreit tant fere a la iornee. Et par une autre raison (argument, calcul) je vous montrerai qu’elle peut tant faire. Vous savez bien qu’il y a dans l’année 52 semaines. Maintenant enlevez-en 8 pour les fêtes et autres empêchements, il reste 44 semaines ouvrables. Et dans tout ce temps, n’aura la charrue à faire pour le labour de guéret et le labour de semaille d’hivernage et de carêmage que 3 rodes et demi-rode par jour, et au rebiner une acre le jour. Maintenant voyez si une charrue correctement conduite et guidée ne peut faire tant à la journée.
E xx mere berbiz qe sunt puz en pasture de mareys salyne deyvent e ben peoent respundre de formage e de bure sycum les ii vaches avant nomez. E sy vos berbiz seyent puz (en pasture) de fresche e de waret dunqe deyvent xxx mere berbiz respundre de bure e de formage sycum les iii vaches avant nomez. Ore ya plusurs sergantz e provostz e dayes qe cuntredirrunt ceste chose, e ceo est par la resun qil gastent e manguent e dounent del blank. E sachez pur veyr, sy le blanc ne seit despendu, ne gaste aillurs for qe en la chose meymes, de tant deyvent e ben peoent respundre, qar ieo le ay ben esprove. Et 20 brebis-mères qui sont mises à paître en pâture de marais salés doivent et peuvent bien produire autant de fromage et de beurre que les 2 vaches ci-dessus. Et si vos brebis sont mises à paître des friches ou des guérets, dans ce cas 30 brebis-mères doivent produire autant de beurre et de fromage que les 3 vaches ci-dessus. Maintenant il y a plusieurs sergents et prévôts qui contrediront cette chose, et c’est par la raison qu’ils gaspillent et mangent et donnent du lait. Et sachez-le pour vérifier, si le lait n’est consommé, ni gaspillé en autre chose, ils doivent bien pouvoir répondre de cette quantité, car je l’ai bien testée (expérimentée)


Hosebonderie anonyme, ca. 1285

Texte publié par Barbara Oschinsky, 1971 Transcription en français actuel par P. Morlon
Tut au deprimes deyt hom oyer acounte del issue de la grange, par la resun si hom trove qil seyt en arrerage de blye, qe hom puysse mettre a certeyn pris de taunt com la chose vaut, e puys charger le en la receyte: taunt pur blye vendu. Tout d’abord, on doit faire attention au décompte du produit de la grange, parce que si on trouve qu’il soit en arriéré de blé ((qu’il y ait moins de blé dans la grange qu’il devrait y en avoir)), qu’on puisse le valoriser de façon sûre, et puis le mettre à charge dans la recette : tant pour blé vendu.
E chescune vache deyt respondre del iur seyn Michel ieske le primereyn iur de May de xd. par cel sesun, quay une vache plus une altre meyns, e ceo est a entendre qe tuz vaches ne responunt pas owelement, e les uns [responent plus e les autres meyns, e les unes] sunt plus curtz letteres qe les altre [e plus tost sekes, ne les genices ne rendent pas ataunt de leat a lur primere portur cum il funt al autre] mes la une par lautre deyt atant respondre par resun. E del primer iur de May ieske le iur de seyn Michel, qe contyent viixx iurs e xii le un iur e lautre aconte, deyt valer le issue de leet de une vache de un quart le iur, par tut cel tens a iiis. iid. E issi deyt le issue de chescune vache par cest acounte respundre de iiiis. par an, del issue de leet estre ceo de un veel. Et chaque vache doit rapporter 10 deniers dans la saison de la St Michel jusqu’au premier mai, cela une vache plus une autre moins, et il faut comprendre que toutes les vaches ne produisent pas également, et les unes produisent plus et les autres moins, et les unes sont de plus courtes laitières que les autres, et taries plus tôt, et que les génisses ne rendent pas autant de lait à leur première portée comme elles font pour les autres, mais l’un dans l’autre elles doivent normalement produire cette quantité. Et du premier mai jusqu’à la St Michel, qui contient 152 jours ((7×20 + 12)) le produit du lait d’une vache doit rapporter un quart de penny par jour, en tout ce temps 3 shilling et 2 deniers. Et ainsi par ce calcul le produit de chaque vache doit rapporter 4 shillings par an, du produit du lait, en plus de celui d’un veau.
Tote la terre deyt estre mesure en chaump par sey, e chescune culture nome par sun noun, e chescun pre par sey, e chescune pasture, e chescun boys, e chescune launde par sey, e bruere, more, e mareys, e turber par sey, e deyt tote la terre estre mesure par la verge de xvi peez, pur ceo que hom puyt par resun de la terre qest mesure par xvi peez semer en mult de lus iiii acres de furment, e de segle, e de peys de un quarter; e en mult de lus a v acre un quarter e demy, e hom puyt semer ii acres de terre de i quarter de orge, ou de feves, ou de aveygne. Toute la terre doit être mesurée chaque champ séparément et chaque culture du champ nommée par son nom et chaque pré séparément et chaque pâture et chaque bois et chaque lande et tourbière et marécage et marais aussi séparément et toute la terre doit être mesurée par la perche de 16 pieds, parce que de la terre qui est mesurée par 16 pieds on peut normalement semer en moult lieux 4 acres de froment et de seigle et de pois d’un quarter (de semence) ; et en moult lieux à 5 acres un quarter et demi, et on peut semer 2 acres de terre d’un quarter d’orge, ou de fèves, ou d’avoine.


Registre des barons de Munster, c. 1300.

Texte publié par Barbara Oschinsky, 1971 Transcription en français actuel par P. Morlon
Et pur coe qe chescun bon seriaunt, baillif, provost ou aultre ministre est tenu de subtiller de faere le profist son seignur par toutes les subtilites et bones voies, qil soit et pueot, dount il est bon qe le baillif ou aultre loials qe a coe serra assigne, et poet entendre qe chescun Augst, qant les bledz serrount mys en graunge, face gettre le disme garbe ou le vyntisme de chescune manere de ble et les mettre par eux mesmes en ascun lieu certeyn saunz riens de ceo estre emblez ou defole.

E qaunt les baillifs eiount tout par Augste, adonqes facont batre sauvement et nettement tout les bledz issinc coilles et myses par eux mesmes, come desus est dit, et ver comebien ceux bledz amountount et de quele issue et respounce. Et partaunt poet le seignur et son consail avoir notice et conisaunce combien le remenaunt respoundra de reson.

Et parce que chaque bon sergent, bailli, prévôt ou autre ministre est tenu de ( ?) de faire le profit de son seigneur par toutes les finesses et bonnes voies qu’il peut, de là il est bon que le bailli ou autre de confiance qui à cela sera assigné, et peut être attentif à ce qu’à chaque mois d’août, quand les blés seront mis en grange, il fasse mettre de côté une gerbe sur dix ou sur vingt de chaque espèce de blé, et les mettre eux-mêmes en lieu sûr, sans que rien de cela ne soit volé ou abîmé.

Et quand les baillis auront (fait) tout (cela) en août, alors ils feront battre à fond et proprement tous les blés ainsi séparés et mis par eux-mêmes, comme dit ci-dessus, et voir quelle quantité il y en a et avec quel produit et rendement. Et de là le seigneur et son conseil peuvent savoir combien le reste doit normalement rendre.

Référence citée

Oschinsky D., 1971. Walter of Henley and Other Treatises on Estate Management and Accounting. Clarendon Press, Oxford, xxiv + 504p.

Bandeau bas MotsAgro.jpg