Profil cultural - Annexe 3

De Les Mots de l'agronomie
Date de mise en ligne
16 mars 2024
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Cette annexe se rapporte à l'article Profil cultural.

Le profil cultural. Principes de physique du sol (Hénin et al., 1960) : Introduction

La fertilité des sols dépend de tout un ensemble de facteurs, les uns d’ordre physique, les autres de nature chimique. C’est là un fait bien connu, mais dont les conséquences pratiques ont été insuffisamment développées. Ceci est aisément explicable, si l’on considère la réaction des plantes aux apports d’éléments fertilisants. Dans un ouvrage récent, H. RICHARD (1959) a donné les résultats d’une longue série d’expériences concernant les accroissements de récolte obtenus par application d’engrais. En voici quelques exemples :

Rendement de la parcelle témoin
Rendement de la parcelle ayant reçu la fumure la plus efficace
Pluviométrie annuelle (mm)
Blé (qx/ha)
15
31
677
15,5
24
832
18,5
25
517
22,5
33,5
517
23
36,5
800
66,5
75
700
Betterave (t/ha)
12,5
18,8
592
19
28
818
29
35,5
700
38
42,7
811

On constate que l'application de la fumure minérale optima a augmenté les rendements dans tous les cas. Mais nous retiendrons aussi de ce tableau les grandes différences qui apparaissent entre les valeurs plafonds, c’est-à-dire celles obtenues avec la fumure reconnue la plus efficace. On peut, certes, imaginer que cette valeur plafond est fonction d’actions chimiques autres que celles directement liées à N, P, K : oligoéléments par exemple, ou des différences de conditions climatiques, en particulier de pluviométrie. Toutefois, il apparaît que si elles peuvent jouer un rôle important, ces variations chimiques et climatiques sont insuffisantes pour expliquer à elles seules des différences de rendement pouvant aller du simple au quintuple. On peut donc supposer, et de nombreuses observations viennent à l’appui de cette hypothèse, que les propriétés physiques du sol interviennent dans l’explication de ces différences. D’ailleurs, A. DEMOLON et S. HENIN (1954) résumant une note sur la place des facteurs physiques dans le syndrome caractérisant un sol au point de vue de sa capacité de production, ont été conduits à énoncer le principe suivant : « La capacité de production d’un sol dépend de son profil, mais elle n’atteint son maximum que si le niveau de tous les facteurs nutritifs a été correctement ajusté, en fonction de sa constitution et des besoins de la culture ».

Quand il s’agit de l’eau, intervenant par excès ou par défaut, il n’est pas difficile de mettre son action en évidence, du moins dans les cas extrêmes. Mais dans d'autres circonstances, la recherche des facteurs physiques est extrêmement difficile. Toutefois, les praticiens avertis et les agronomes ont généralement une idée très claire de cette influence et cherchent à amener ces facteurs à l’état optimum par de bonnes méthodes culturales.

Il reste toutefois à définir celles-ci et c’est là où l’on se heurte à des difficultés qui paraissent parfois insurmontables. Envisagées par le praticien, les bonnes techniques sont définies par les opérations effectuées pour bien préparer la terre. Elles visent aussi bien la rotation que les façons culturales, la fumure et le choix des variétés que les soins à donner aux cultures et, quand il s’agit de plantes pérennes, le mode d’exploitation. Or, si ces opérations ont bien pour objet de modifier l’état du sol ou le rythme de croissance des végétaux, il est rare qu’elles ne mettent en cause que le facteur intéressé ; de toute façon, il existe entre les différents facteurs une telle interaction que chacune de ces opérations modifie profondément le milieu. Prenons un exemple simple : quand on fait varier la profondeur du labour, on fait presque inévitablement varier la dislocation de la bande de terre et son inclinaison, ainsi que nous le verrons par la suite. Ainsi, si l’approfondissement du labour modifie bien l'épaisseur de terre remuée, il modifie aussi l’état de cette terre, le mélange de la matière organique et du sol, ainsi que la distribution des éléments fertilisants. On voit donc que l’action exercée sur le sol par les différentes opérations culturales est extrêmement complexe et que la définition de leurs caractéristiques ne donne que des informations assez vagues sur les transformations qu’a subi le milieu.

On peut, au contraire, essayer de définir l’état physique du sol. Mais là encore, on se heurte à de nombreuses difficultés. La plus fondamentale de toutes est liée à l’hétérogénéité du milieu. Pour qu’une mesure soit valable et qu’elle ait par elle-même un sens, il faut qu’elle caractérise globalement l’objet sur lequel porte la mesure. Or, pour des raisons techniques, la dimension des prélèvements qu’on est amené à faire est de l’ordre de grandeur de l’hétérogénéité. En second lieu, cette hétérogénéité elle-même constitue un des éléments de la description du milieu. Considérons, par exemple, une terre motteuse : on a de toute évidence deux systèmes de porosité, l’un qui intéresse les mottes, l’autre qui concerne les fissures ou les espaces qui séparent les mottes elles-mêmes. Comme les prélèvements de terre en place que l’on doit faire sont de l'ordre de grandeur de la taille des mottes, on pourra, en prélevant un volume donné, recueillir un nombre de mottes variable, ce qui modifie évidemment le résultat global et ce dernier concernera aussi bien l’état des mottes que l’état des fissures.

Il arrive, d’autre part, que l’on se trouve en présence d’un système d’hétérogénéité qui soit caractéristique de l’état du sol. Par exemple les différentes façons culturales : labour, pseudo-labour, hersage, roulage affectent des épaisseurs de terre différentes ; on se trouve ainsi en présence d’une série de couches qui ont chacune leurs propriétés caractéristiques, mais l’association de leurs différents effets donne également une résultante globale intéressant aussi bien le comportement physique de l’ensemble du profil que le comportement des racines.

Enfin, quand on mesure une propriété susceptible d’influencer la croissance des végétaux, on suppose que celle-ci va intervenir sur la récolte de la même façon qu’un facteur d’un phénomène physique modifie l’allure de ce phénomène. Or, les exigences des végétaux sont variables en fonction de leur croissance et par conséquent l’état du milieu à un moment donné n’a pas du tout la même influence sur le résultat final que l’état du même milieu à une autre phase de la croissance. Voici deux exemples qui illustreront ces affirmations :

Ayant effectué une étude sur l’influence de la profondeur du plan d’eau sur le développement des végétaux à Versailles, BURGEVIN et HENIN (1943) ont pu constater, particulièrement en année sèche, que la croissance de la végétation était d’abord maxima là où le plan d’eau était le plus élevé, puis à mesure que les plantes se développaient on obtenait la meilleure croissance pour des plans d’eau de plus en plus bas. MATHIEU (1932) avait fait une observation analogue concernant la succion de l’eau, qui devait être moins grande pour les jeunes plantes que pour les plantes plus développées.

Dans une autre expérience ayant pour objet de montrer l’influence du tassement sur le développement des végétaux (HÉNIN, 1943), des séries de pots avaient été remplis de quantités variables de terre plus ou moins tassée. Puis, pour contrôler l’humidité, un plan d’eau avait été maintenu à la base des pots. Le développement du blé a, dans une première phase, montré que dans ces conditions de forte humidité le développement est d’autant meilleur que la terre était moins tassée. Accidentellement, l’alimentation de l’eau dans une partie des pots renfermant la terre la plus tassée s’est trouvée interrompue. Cet accident est survenu juste au début d’une période de sécheresse. On a pu constater alors un départ extrêmement rapide de la végétation, les plantes émettant tardivement de nouveaux talles et à la récolte c’est là qu’on a obtenu la plus grande quantité de matière végétale, qu’il s’agisse de grain ou de paille. .Au contraire, dans les autres séries de pots, l’ordre était resté ce qu’il était au départ. Ainsi, il a suffit d’une baisse relativement légère de la teneur en eau pour inverser complètement le résultat de l’expérience.

Ces faits conduisent donc, non seulement à considérer l’état physique actuel du milieu, mais encore à essayer de prévoir ou de comprendre son histoire. Pour ces différentes raisons, la mesure physique seule paraît insuffisante, si elle n’est pas située dans une perspective globale permettant de caractériser l’ensemble du milieu. Aussi est-on amené à rechercher des méthodes qualitatives pour essayer de caractériser l’état du sol, ceci n’exclut pas d’ailleurs l’intervention de la mesure.

Quelques auteurs se sont déjà orientés dans cette voie et parmi eux il convient de citer GÖBBING (1947) et SEKEBA (1951). Leur souci a été de caractériser le sol par une certaine description. Grâce à l’expérience qu’ils avaient acquise, ils ont connu un grand succès auprès des praticiens. Toutefois, ils n’ont pas fait école et ceci peut être attribué d’abord au fait que dans l’état actuel de la science, une méthode qualitative paraît aux yeux de beaucoup inférieure à une méthode quantitative, même imprécise. D’autre part nous pensons que ces tentatives ont tourné court sur le plan de la méthode elle-même. En effet, si les observations qui ont été publiées sont exactes en elles-mêmes, elles ont été généralisées probablement trop vite. En outre, les auteurs n’ont pas cherché à rendre leurs méthodes d’examen systématiques, c’est-à-dire plus objectives. Enfin, ils les ont présentées comme une fin en soi paraissant exclusives de tout autre procédé. '

Nous pensons au contraire, et notre expérience nous a encouragés dans ce sens, qu’une méthode qualitative peut être rendue systématique, comme c’est le cas pour la description des profils en pédologie. Comme en pédologie, il convient également de préciser les observations effectuées par des tests et par des mesures afin d’en dégager des conclusions aussi objectives que possible.

Plus récemment, une équipe hollandaise animée par le Professeur PEEBLKAMP (1958) s’est également engagée dans cette voie, tout en paraissant s’orienter dans le sens de l’application immédiate, en cherchant à apprécier l’état du milieu par une méthode visuelle. Voici pour caractériser la position de ces chercheurs le résumé d’une communication présentée par le Professeur PEERLKAMP lui-même au symposium sur la structure qui s’est tenu à Gand en 1958 : « La structure du sol, en tant que facteur physique de fertilité, requiert une caractérisation qualitative. La notion de structure du sol étant plutôt complexe, celle-ci ne peut être déterminée que par un groupe de différents paramètres. En outre, l’état structural au champ est horizontalement très hétérogène, ce qui explique le grand nombre de déterminations par parcelle nécessaires à l’évaluation de l’état de la structure. Ce qui plus est, le nombre de parcelles à étudier peut augmenter fortement lorsqu'il s’avère impossible d’aménager des parcelles expérimentales, comme c’est souvent le cas pour les sols peu argileux. Par conséquent les méthodes d’évaluation de la structure doivent être simples et rapides pour la pratique et adaptables au travail de routine ».

On voit que les préoccupations de ce chercheur s’apparentent aux nôtres, avec toutefois cette différence qu’il ne paraît pas avoir le souci de tirer tout le parti possible de l’examen qualitatif en préparant une analyse du milieu. Or, l’objet de cet ouvrage consiste à décrire une méthode de diagnostic et à indiquer la façon dont on peut l’utiliser.

Le diagnostic exige les opérations suivantes : le groupement et la systématisation d’un certain nombre de caractères ou de faits, qui constituent les symptômes. Chaque symptôme traduit l’influence d’un facteur, cette influence se manifestant par un caractère propre. La comparaison d’une série de symptômes permet donc, si elle conduit à des conclusions convergentes, l’établissement d’un syndrome, c’est-à-dire l’ensemble des caractères typiques d’un état. Et cette dernière synthèse permet d’assurer la valeur du diagnostic tout en permettant l’explication de la situation observée.

Parmi ces symptômes il en est de visuels, qui peuvent être appréciés directement sur le terrain, et qui sont parfois si typiques qu’ils entraînent immédiatement une conclusion ; d’autres sont moins évidents et nécessitent une confirmation que l’on demande aux méthodes analytiques.

D’autre part, cette attitude se justifie pour des raisons d’un autre ordre. Les physiciens qui se sont intéressés au sol, reprochant aux concepts utilisés par les praticiens leur caractère imprécis : structure, ameublissement, ont voulu les remplacer par une énumération des propriétés physiques qu’ils commandent. Au même symposium de Gand divers auteurs comme SCHUFELEN (1958), FOUNTAINE (1958), DON KIRKHAM (1958) ont présenté le problème sous cet aspect au cours de leur communication ou de leur intervention. Mais c’est là faire bon marché des interactions possibles entre ces différents facteurs. En fait, lorsqu’on se trouve en présence d’états très complexes, caractérisés par des facteurs dont la définition est imprécise, le simple jeu des combinaisons montre que, si l’on peut apprécier à 3 ou 4 niveaux près chacun des facteurs, on arrive à un nombre de cas si nombreux qu’ils dépassent de beaucoup les possibilités d’appréciation, même par des mesures relativement précises. Or, en faisant cette première analyse, on ne tient pas encore compte des interactions. Au contraire, les méthodes de diagnostic ont pour objet de mettre en évidence les facteurs déterminants, c’est-à-dire ceux qui, leur niveau étant nettement en dessous de la normale, commandent l’allure générale du phénomène.

En définitive, nous nous proposons de définir une méthode d’examen de l’état du sol affecté par les méthodes de culture ou exploité par les racines des plantes cultivées ; l’ensemble caractéristique de cette couche de sol constitue ce que nous appellerons le profil cultural. Sa description implique l’étude de l’état physique et celle de l’état chimique. Toutefois, il n’st pas nécessaire que l’on détermine l’ensemble de ces facteurs et c’st souvent une impossibilité pratique, si l’on veut examiner un nombre de points suffisamment grand pour avoir une idée générale du terrain.

Cet examen une fois terminé, on s’efforcera d’expliquer l'état du sol en se reportant aux conditions de culture. Cet examen doit permettre de modifier celles-ci, si le profil cultural présente des caractéristiques défavorables précisées par l’état de la végétation.

Il s’agit donc de rendre plus systématiques les opérations de préparation du sol, de préciser de nouveaux sujets d’étude afin de rendre l’agriculture plus rationnelle. C’est un projet évidemment très ambitieux et il est évident qu’il faudra travailler pendant longtemps encore avant d’établir une symptomatologie suffisamment précise et surtout de la voir rattachée d’une manière sûre à des méthodes de traitement. Toutefois, nous avons été encouragés dans cette tentative par les premiers résultats obtenus et aussi par les questions posées par les praticiens, qui sont parfois désorientés quand ils se trouvent dans l’obligation de modifier leurs méthodes traditionnelles.


BIBLIOGRAPHIE
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  • GÖRBING J., 1947. Die Grundlagen der Gare im praktische Ackerbau. Landbuch Verlag. Hanovre, 2 vol.
  • HÉNIN S., 1943. Influence de la porosité et de la teneur en air du sol sur le développement du blé de printemps. C. R. Acad. Agric., séance du 7/7.
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  • RICHARD H., 1959. Productivité de la terre. Fertilisation et rentabilité. Flammarion, Paris, 1 vol., 335 p.
  • SCHUFFELEN A. C., 1958. Discussions and conclusions. Proc. Int. Symp. Soil Structure, Gand, pp. 422-434.
  • SEKERA F., 1951. Gesunder und kranker Boden. Parey. Berlin, 89 p.


Référence

Hénin S., Féodoroff A., Gras R., Monnier G., 1960. Le profil cultural. Principes de physique du sol. Société d’Édition des Ingénieurs Agricoles, Paris, 320 p.

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