Sillon - Annexe 3

De Les Mots de l'agronomie
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Date de mise en ligne
14 mai 2019
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Cette annexe se rapporte à l'article Sillon.

Le labour en sillons : pas si simple… (Sigaut, 2005)

Référence :
Ce texte fait partie du dossier de documents préparatoires contenu dans le DVD accompagnant l’ouvrage : Bourrigaud R, Sigaut F., dir., 2007. Nous labourons. Actes du colloque « Techniques de travail de la terre, hier et aujourd’hui, ici et là-bas », 25-28 octobre 2006. Centre d’histoire du travail, Nantes, 400 p. + DVD.


Du milieu du XIXe siècle à la fin du XXe, l’agriculture française (et européenne) a complètement changé. Les machines, les engrais, les pesticides, etc., n’ont pas seulement permis d'augmenter les rendements dans des proportions absolument inimaginables, ils ont aussi fait disparaître des façons de faire qui existaient depuis des siècles, et qu’une longue élaboration avait amenées à une sorte de perfection technique. Le labour en sillons est un exemple de ces façons de faire d’autrefois, qui ont disparu si vite et si totalement que plus personne, aujourd’hui, n’a la moindre idée de ce dont il s’agissait.

Le labour en sillons: de quoi s’agit-il donc ? Est-ce que tout labour ne consiste pas, par définition, à faire des sillons ? Eh bien non, justement ! L’erreur est due à l’usage actuel, qui a brouillé irrémédiablement la signification des mots. En labourant avec un araire ou une charrue, on creuse des raies, jamais des sillons, nulle part, dans aucune province de France. Et le contresens est si ancré qu’il vaut la peine d’y insister : non, un sillon n'est pas une raie ; c’est autre chose, comme nous l’allons voir tout à l’heure. Voilà ce qu’'il faut bien se mettre dans la tête si on veut se donner une chance de comprendre.

En second lieu, il faut rappeler que la charrue qui creuse une raie soulève et retourne plus ou moins une tranche de terre dont le volume (largeur, épaisseur) correspond évidemment aux dimensions de la raie. Pas de difficulté particulière ici, même s’il arrive souvent qu’on dise "raie" pour parler en fait de la tranche de terre. Presque toujours, le contexte permet de s’y retrouver sans problème.

Pour comprendre ce qu'est un labour aujourd'hui, ces deux notions suffisent. Une charrue multisocs portée par un tracteur creuse autant de raies juxtaposées qu’elle a de socs. Toutes ces raies sont identiques en dimensions, toutes les tranches de terre aussi, et chaque raie reçoit régulièrement la tranche de terre provenant de la raie précédente. Le champ labouré est uniforme. On parle, on parlait plutôt, de labour à plat pour désigner cette façon de labourer, car elle est devenue si générale (en grande culture du moins) qu’il n’est plus guère utile de la désigner par un nom particulier. Le labour à plat est fort ancien. Mais c’est seulement avec la généralisation des charrues réversibles (brabants), celle du tracteur, celle du remembrement, etc., que le labour à plat a supplanté toutes les autres façons de labourer.

On opposait naguère le labour à plat au labour en planches, par exemple. Mais c’est une opposition assez artificielle, dans la mesure où le labour en planches n'est rien d’autre qu'un labour à plat exécuté avec une charrue à versoir fixe (non réversible). L’explication se trouve dans tous les manuels. Avec une charrue non réversible, il faudrait revenir chaque fois sur ses pas à vide pour faire la raie n°2 à côté de la raie n°1, la raie n°44 à côté de la raie n°43, et ainsi de suite. C’est pour éviter cette perte de temps impossible qu’on divise le champ en planches. La largeur des planches varie beaucoup, de même que les méthodes pour enrayer et dérayer (= faire les premières et dernières raies de chaque planche, qui posent toujours un problème particulier). Mais ces détails, aussi importants soient-ils dans la pratique, ne changent rien au fait que chaque planche est labourée à plat, car toutes les raies y sont de mêmes dimensions et régulièrement juxtaposées. C’est pourquoi on peut dire qu'il n’y a pas de différence fondamentale entre labour en planches et labour à plat.

Et maintenant, qu’est-ce qu’un sillon ?

Disons qu'il s'agit d'une bande de terre bombée (20 à 40 cm de haut), étroite (60 cm à 1.20 m de large), faite d’un petit nombre de tranches de terre (2 à 6, le plus souvent 4), adossées et partiellement superposées les unes aux autres. Tranches de terre inégales, comme les raies dont elles proviennent : dans un sillon de quatre raies, la tranche n°1 n’a pas la même largeur ni la même profondeur que la tranche n°2, laquelle diffère de la n°3, etc.

Chaque sillon est séparé du précédent et du suivant par une dérayure de 20 à 40 cm de large appelée raize, rège, etc., suivant la localité. Seuls les sillons sont ensemencés. Les raizes, qui occupent un cinquième de la surface totale (plus ou moins), restent vides. Cela permet de circuler entre les sillons, par exemple pour sarcler – jusqu’au milieu du XIXe siècle au moins, les blés étaient sarclés dans une grande partie de la France.

Jusqu’ici, les choses sont assez simples. Elles se compliquent quand on en vient aux procédés pour exécuter les sillons. La diversité de ces procédés est telle - ils diffèrent d’une région, voire d`un canton à l’autre - qu'il n'est pas possible d’en donner une idée en quelques lignes, même approximativement. Il semble cependant qu’on puisse repérer quelques principes généraux, comme ceux-ci :

1°. Sillons et raizes alternent régulièrement. Hormis lorsqu’il y a une phase provisoire de remise à plat du champ, ce qui n’est pas fréquent, chaque nouveau labour a pour résultat de défaire les anciens sillons pour en refaire de nouveaux, dont l’axe est sur l’emplacement des anciennes raizes.

2°. Le plus souvent, on a besoin de deux ou trois modèles différents d’araires et de charrues pour exécuter les phases successives du labour en sillons. Il y a là une différence capitale avec les régions de labour à plat, où on n’utilise ordinairement qu’un seul modèle de charrue. Dans le labour en sillons, les divers instruments ont chacun leur tâche propre à remplir dans l’ensemble, et il n'y a donc pas de sens à juger que tel d’entre eux (la charrue par exemple) serait supérieur a tel autre (l’araire) parce qu’il paraît plus perfectionné ou plus moderne. Les instruments sont différents parce que leurs tâches sont différentes.

3°. Dans le labour en sillons, on sème toujours avant le dernier labour, par lequel le semis sera enterré. C’est ce qu'on appelle semer dessous, semer sous raies, ou encore couvrir (les semailles devenant des couvrailles). On ne sème jamais dessus, c'est-à-dire après le dernier labour, ce qui impliquerait que les semis soient enterrés à la herse. Dans les régions de labour à plat, on sème dessus ou dessous, au choix, en fonction des conditions du lieu et du moment. Lorsqu’on laboure en sillons, il n’y a pas le choix : on sème dessous, nécessairement. La herse est rare (le rouleau encore plus), et lorsqu’elle existe, on ne l’emploie jamais pour enterrer les semis.

4°. Comme on sème sur le sillon inachevé (avant le dernier labour), on ne sème pas à la volée, puisque cela ferait tomber une partie de la semence dans les raizes. On sème "par petits jets" (Leclerc-Thoüin) qui sont beaucoup moins larges que le semis à la volée ordinaire puisqu'ils ne doivent pas dépasser la largeur du futur sillon. Or si le semis à la volée est toujours une tâche réservée aux hommes, le semis "par petits jets" est, lui, une tâche réservée aux femmes... L’image classique de la semeuse n’a de réalité que dans les régions de labour en sillons !

Maintenant, comment expliquer tout cela ? Étant donné que le labour à plat est lui aussi fort ancien, comment comprendre que le labour en sillons, avec ses procédés si extraordinairement compliqués, se soit développé et ait persisté si longtemps dans un bon tiers de l'espace français - sans parler des autres pays européens ? On ne peut pas éluder ce genre de question. Mais le problème n'est pas que nous manquions de réponses, le problème est que nous en avons trop ! Les ouvrages d’agriculture d’une certaine époque en sont remplis, qui vont des lieux communs les plus banals (la "routine aveugle" des paysans) à des hypothèses infiniment plus intéressantes sur la répartition dans le sol d’engrais toujours trop rares. Mais dans l’état d’ignorance où nous sommes, comment juger ? Il faut établir les faits avant de chercher à les expliquer. Il faut collationner toutes les descriptions originales dispersées dans des ouvrages que personne ne lit plus. Il faut réexaminer les instruments bizarres conservés dans les musées dont personne ne sait plus vraiment comment on les utilisait. Il faut, surtout, recueillir les propos et les avis des anciens qui, dans quelques régions, ont encore connu le labour en sillons avant que le remembrement et les tracteurs ne le fassent disparaître. Alors viendront les explications qui, cette fois, auront quelque chance d’être les bonnes.

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