Sillon - Annexe 1
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Les labours à plat, en planches, en sillons (Turbilly, 1760 ; Abbé Picard, 1844)
Turbilly, 1760 (p. 75-82)
Après avoir expliqué les différentes façons de semer avec des harnais les défrichements, il est nécessaire que je parle des terres qu'il faut semer toujours en sillons & de celles qu'il est plus à propos de mettre en planches, ou de semer tout à plat avec la herse. Cette discussion préliminaire aurait dû être placée plutôt ; je ne l’ai point encore agitée pour ne pas interrompre le fil des différentes opérations de ces défrichements. Certainement si toute chose était égale, je préférerais aux sillons, la façon de semer les terres en planches ou tout-à-fait à plat avec la herse. Les semailles avec la herse ont deux avantages : le premier est d'y gagner un tour de charrue (…).
Les semailles qu'il faut faire nécessairement avec la charrue dans les terres qu’on met en sillons sont bien plus longues ; elles durent souvent deux semaines dans les domaines d’une certaine étendue, parce que la charrue demande plus de bœufs ou de chevaux que la herse ; ne va pas si vite, & ne recouvre pas à beaucoup près autant de grain ; l’on ne peut profiter aussi aisément du temps convenable, à moins qu'il ne soit assez long, tel est l'inconvénient des sillons. (…)
Il y a des terres qui demandent d’être mises en sillons, & d’autres en planches, ou tout à fait à plat. Toutes celles où l'on trouve à quelques pieds de profondeur un lit d'argile, de glaise ou d'autre terre grasse & compacte, qui garde l’eau, sans qu’elle passe ou filtre au travers, exigent des sillons, pour en égoutter cette eau, qui ne pouvant pénétrer dessous, assez avant pour s’y perdre, les rend trop humides, reflue souvent en Hiver sur la superficie & y séjourne, surtout dans les années pluvieuses. Telle est la qualité de la plus grande partie des fonds, en Anjou, au Maine & en Touraine & dans diverses autres Provinces & Pays, qui sont en sillons, & où j'ai fait sonder en différents endroits. Il serait imprudent d'y détruire cette pratique, l’eau ferait alors plus de tort, & les récoltes seraient moindres.
J’observerai au sujet des sillons, que la plupart des Laboureurs les font indifféremment d'un sens ou de l’autre, selon leur routine ou leur caprice. La direction des sillons n'est cependant point indifférente : Lorsqu'il n'y a pas d'empêchement, c'est-à-dire, dans un terrain uni, il est essentiel de les aligner toujours du Septentrion au Midi, & non de l’Orient à l'Occident. Ceux qui sont dans cette seconde disposition, ne présentent en Hiver, qu'un côté au Soleil qui le dégèle du moins en partie aux environs de Midi : la nuit suivante, ce même côté regèle, le Soleil le dégèle encore quand il reparaît ; cette opération du Soleil souvent réitérée, met le bled, pour ainsi dire, entre deux glaces, & le fait périr la plupart ; de façon que dans le haut temps, il ne s'en trouve presque plus de ce même côté des sillons ; ce qui diminue la récolte de près de la moitié. Ceux qui sont alignés du Septentrion au Midi ne courent pas le même risque, ils ne présentent que leurs pointes au Soleil, leurs côtés n’essuyant ses rayons qu'obliquement, n'en sont pas échauffés, & dégèlent de même ; le bled y est toujours égal, & la récolte meilleure. J'ai fait disposer de cette façon dans les endroits où il n'y avait pas d'empêchement, tous les sillons de mes terres disposés différemment. Je m'en suis très-bien trouvé. L’on en usera ainsi pour les défrichements, même dans ceux qu'on sèmera en planches, quoique cette observation n'y soit pas, à beaucoup près, d'aussi grande conséquence. Elle devient inutile dans les montagnes & coteaux, cette position y forme empêchement. (…) Les terres qu'il convient de mettre en planches ou de labourer tout à fait à plat, sont celles où l’on trouve à quelques pieds de profondeur, des Carrières ou un lit suffisamment épais de pierres, de tuffes, de sable, & de toutes autres espèces de terres point compactes, au travers desquelles l’eau filtre aisément. Il serait inutile de faire des sillons dans cette espèce de terrain (…). Ceux dans lesquels l’eau passe le plus vite, doivent être à plat, & ceux où elle filtre plus lentement, en planches.
Voilà l’origine des terres labourées en sillons, en planches & à plat. Tels sont les motifs qui ont déterminé nos anciens ; ils sont sages & pris dans la nature de la chose même. Ce n'a point été l'effet du hasard ou de la routine, comme bien des gens se l’imaginent.
Abbé Picard, 1844
Ainsi que l'indique le simple énoncé de cet article, il y a trois manières de labourer les terres ; ces trois sortes de labours, fondées souvent sur la coutume du pays, tiennent aussi, et plus essentiellement, à la nature du sol et du climat :
1° Les labours à plat conservent au sol végétal une plus grande uniformité sur toute la superficie ; et sur cette superficie, ils maintiennent partout une même épaisseur de terre remuée, une plus parfaite répartition des fumiers et des semences, et par conséquent de fécondité, tout en donnant aux récoltes une force plus égale comme une apparence plus uniforme. Malgré tous ces avantages et tout ce qu'en ont dit les célèbres Thaër et de Dombasle, je pense que dans notre département ce genre de culture ne peut être habituellement adopté pour les semailles d'automne ; mais bien plutôt pour certaines terres sèches, chaudes, peu faciles à se tasser par les pluies, et dans certains cas seulement, par exemple pour établir des prairies artificielles et naturelles ; car, outre la difficulté, ou plutôt la lenteur de ces labours, ils mettent nécessairement le sol dans un état moins facile à s'égoutter et à s'aérer.
2° Des labours en planches et billons : on appelle labour en planches le sol dont la superficie, labourée à plat, est divisée en bandes allongées (parallélogrammes) d'égale largeur, à peu près planes, séparées par des rigoles. Avec les avantages sus-énumérés des labours à plat, cette méthode a sur la première, celui de mieux égoutter la terre et de pouvoir y employer à la fois plusieurs charrues qui font chacune leur planche.
Ces planches, que je ne conseille guère de former que par le labour de couvraille, après que la terre a été labourée, fumée et semée immédiatement auparavant, sont surtout convenables dans les terrains froids et mouillés, pour y établir des prairies artificielles où l'on vient faucher à pleine faux, dès la même année, comme par enchantement.
On ne saurait trop les conseiller dans la majeure partie du département, sur les terres qui viennent en seconde ligne après celles où convient le labourage à plat.
Il faut les faire plus ou moins larges, selon que le sol est plus ou moins frais ; plus ou moins bombées, selon qu'il y a plus ou moins de terre, et que les plantes qui y seront placées demandent un sol plus ou moins profond. Elles rentrent alors dans les labours en billons.
C'est aujourd'hui la méthode par excellence de tout l'Anjou, où elle a fait prendre tant de développement aux plantes sarclées et aux prairies artificielles ; en sorte que, dans le même espace et avec la même nature de terres, les cultivateurs engraissent plus du double de bétail qu'autrefois, et ne sèment plus que du froment.
Il faut pour cela un peu plus de temps, et à l'époque où il est le plus précieux, c'est vrai ; mais pour abréger, dans les terres légères, on sème avant de verser, sous raies, comme on dit ; dans celles qui sont tenaces, par conséquent motteuses, on sème sur les planches, et l'on enterre la semence au rouleau ou à la herse, qui suffit souvent, je l'ai vu. D'ailleurs, la terre, déjà préalablement labourée comme à l'ordinaire, est alors plus meuble et demande moins de force de tirage pour former ces planches, ce qui permet de dédoubler les attelages et de faire deux charrues pour une. Mais ce n'est pas toujours du goût de certains valets qui voudraient souvent besogne moitié faite.
Rien cependant de plus facile à dresser que ces billons : le premier coup de versoir se donne presque par le milieu de la planche que l'on veut former ; en retournant, vous versez dans le sens opposé, le long de la première bande déjà retournée, et presque sur elle, ce qui rend la planche un peu bombée, et ainsi de suite. Cette première planche faite, les autres ne sont rien. Je me servais d'abord de jalons que j'espaçais aux deux bouts ; mais bientôt il m'a suffi de mesurer un pas ou deux, à partir du dernier trait de charrue, pour faire mes planches du double, et la marche uniforme de l'attelage me guidait.
3° Des Sillons : Quoique les avantages des semailles à plat et en planches, dans beaucoup de terres et de circonstances soient évidentes, il est cependant des sols froids et humides où ces deux méthodes conviennent peu on pas du tout : ainsi, dans les arrondissements de Bressuire et de Parthenay, etc., il est une foule de localités où, après un bon labour de défriche au versoir ou au large soc plat, qui fasse place nette, les autres doivent être faits nécessairement en sillons élevés, et à la charrue à double oreille. Là, il faut prendre le sillon à trois fois et à trois époques différentes et assez éloignées entre elles, afin de soustraire la terre à l'humidité, d'en mieux exposer toutes les parties à l'action fertilisante de l'atmosphère, et de détruire les graines comme les racines des mauvaises plantes qui l'infestent.
Mais au lieu de labourer toujours dans le même sens, ce qui n'est pas quelquefois sans inconvénient, et de gratter légèrement le sillon sur le côté, pour l'entamer, ne vaut-il pas mieux, dans un sol tenace surtout, tandis qu'il est encore en bonne trempe, en prendre presque la moitié du premier coup, afin de cacher toute l'herbe ; et après un bon hersage, au second labour, le trancher hardiment de travers, en sillons étroits que l'on repasse avant de semer ? De cette manière, tout part aisément ; il ne reste pas de levain, et la terre, mieux tranchée, se trouve parfaitement ameublie, le plus souvent par trois labours. C'est surtout dans ce but qu'est construite ma charrue qui fonctionne ainsi facilement sans être tenue par personne.
Au moment des semailles, on donne un léger coup de herse, pour régaler le terrain, afin que la semence se trouve répandue d'une manière uniforme.
Voici cependant une exception : lorsque le sol a très peu de profondeur, comme sur les hauteurs et en certaines terres légères, alors il faut labourer dans le même sens, crainte des pluies d'orage qui emporteraient une partie des terres ; et trois à quatre semaines avant la couvraille, vous fendez en deux ce léger sillon, au moyen d'une charrue simple ou double, mais sans oreilles ; et pour mieux couvrir vos blés, vous passez la charrue de couvraille par le milieu de ce petit sillon, dont la terre tombe et couvre de chaque côté la moitié du petit sillon voisin, en sorte que de deux vous n'en faites qu'un ; c'est ainsi que d'un seul coup de charrue, vous couvrez plus de 66 centimètres de terrain.
Par cette méthode, plus expéditive qu'on ne pense, et à peu près la seule convenable sur les sols précités, pour peu que les sillons soient longs, un attelage de bœufs peut couvrir 2 hectares 50 ares en un jour.
Le labourage et la couvraille en sillons sont donc les plus convenables sur les sols de Gâtine.
Mais si, dans les pays de plaine et du midi des Deux-Sèvres, la couvraille en planches convient ordinairement le mieux, pourquoi, après une première façon de défrichement au versoir, ne donnerait-on pas les autres labours préparatoires en bons sillons, souvent très utiles pour mêler les terres, pour planter ou semer en raies, certaines plantes ou racines légumineuses ?
Référence
- Picard (abbé), 1844. L’agriculture raisonnée, ou Manuel complet spécial du cultivateur dans les Deux-Sèvres et Départemens de l’Ouest. Niort, xii + 454 p., pp. 119-123 Texte intégral sur Gallica.
- Turbilly L.F.H. de, 1760. Mémoire sur les défrichemens. D’Houry, Paris, 322 p.