Routine - Annexe 4
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Des routines, vues par Nicolas François de Neufchâteau
Les écrits de Nicolas François de Neufchâteau (1750-1828) illustrent les contradictions de ceux qui, d’un côté, accusent de tous les maux la routine des cultivateurs mais, de l’autre, par leur connaissance du terrain, voient bien que les choses ne sont pas aussi simples que certains le disent.
En 1797, décrivant l’extrême morcellement et éparpillement des terres, donc la nécessité de remembrer, il écrit : « Quelle amélioration, quelle méthode avantageuse pourrait-on introduire dans des pièces de terre ainsi morcelées et ouvertes ? En vain vous enverrez à ces cultivateurs les livres les mieux faits, les graines les plus précieuses, les plus belles instructions ; en vain, vous leur proposerez des primes et des récompenses ; en vain, vous leur direz d’essayer la disette, la luzerne, ou le trèfle ; d’alterner leurs cultures, afin d’abolir les jachères ; de faire des plantations, dans les terrains qui leur sont propres ; de saigner les terres humides par des fossés et des pierrées ; de faire parquer leurs moutons ; d’élever plus de bestiaux, pour avoir plus d’engrais, etc., ils répondront par le proverbe pour néant plante, qui ne clôt ; et ils ne peuvent clore. Ils ne peuvent risquer des essais, qui seraient dévorés aussitôt par les troupeaux communs. Dans l’état où est leur terrain placé loin de leurs yeux et hors de leur portée, réduit en fractions souvent imperceptibles, ils font tout ce qu’ils peuvent faire ; et tant qu’existera la division infinie des héritages qu’ils cultivent, ils ne pourront jamais obtenir un autre produit que celui qu’ils en tirent. » (p. 42-43).
Mais un peu plus loin : « Les auteurs des mémoires les plus directement opposés aux systèmes de l’agriculture moderne, ont fondé leurs objections contre le cours alternatif des récoltes continuées, des jachères proscrites, des racines et des herbages succédant aux froments etc., ils se sont retranchés dans l’usage qui asservit le laboureur à suivre la routine de ses voisins » (p. 53).
Il signe de nombreuses notes de l’édition de 1804-1805 du Théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs d’Olivier de Serres (t. 1). Voici ce qu’il dit de diverses routines :
« Cependant les trois quarts des terres de la France sont dans ce misérable état qui maintient les jachères, et empêche qu’on n’établisse des prairies artificielles, ou des assolements mieux combinés que ceux qu’ont dictés la routine, la pénurie ou l’ignorance. Voilà un des plus grands obstacles à la prospérité de l’agriculture française : partout où cet obstacle existe, il faut bien se garder d’acheter des propriétés qu’on ne peut améliorer. » (p. 64)
« La bonne théorie devrait, en général, éclairer la pratique ; mais, en agriculture, les théoriciens sont restés en retard ; le besoin des hommes pressait ; la pratique est venue avant la théorie. La pratique de Flandre, étudiée par les Anglais vers 1650, ne leur a point paru une routine aveugle. Ses effets étaient ceux d’une méthode heureuse. L’Angleterre s’en est servie pour perfectionner la sienne ; et, dans ces derniers temps, elle y revient encore. (…) Voilà le coup d’œil général de cet assolement ; il offre des objets qui méritent d’être notés. On voit que des seize bonniers qui composent la ferme, il y en a tous les ans quatre et demi qui portent du blé, et que la succession des récoltes est arrangée de manière que ces quatre bonniers et demi en blé, varient perpétuellement, et font, d’année en année, le tour du terrain. Toutes les autres productions circulent de même autour de cette récolte principale, tiennent le sol toujours garni, et le fermier toujours occupé. Qui est-ce qui a révélé aux fermiers Flamands l’avantage de faire succéder une plante qui trace, à un végétal qui pivote ? Qui leur a donné le secret de cette merveilleuse alternative ? C'est ce qu'on ignore. Ici la science n’a point précédé la routine. Elle pourrait aujourd’hui, peut-être, la rectifier en quelque point ; mais elle ne l’a point devancée. Dans tous les arts, les règles ne viennent qu’après les chefs-d’œuvre. Continuons-donc à étudier et admirer celui de la culture flamande. » (p. 183 et 187)
« Les savants qui pourront pénétrer cet abîme, rendront un grand service, non seulement à la physique, mais à l’agriculture. Une physiologie exacte de la vigne, ne serait pas un livre de pure curiosité ; ces connaissances théoriques éclaireraient certainement la pratique des vignerons, laquelle n’est fondée que sur une routine ignorante et confuse. » (p. 340)
« Je n’écris pas pour la routine : ceux qui ne trouvent rien de mieux que ce qu’ont fait leurs pères, sont les maîtres de conserver leur superstition; mais quand, de tous côtés, la physique et l’expérience font faire à toutes les sciences des progrès si sensibles et des pas si rapides, la seule économie rurale voudrait-elle rester esclave des vieilles habitudes ? la seule agriculture demeurera-t-elle en arrière ? »
Références
- de Serres O., [1600] 1804. Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs…, t. 1. Nouvelle édition, publiée par la Société d’Agriculture du Département de la Seine, Paris, CXCII + 672 p., fig. HT. Texte intégral
- François de Neufchâteau N., 1797. Arrêté de l’Administration centrale du Département des Vosges sur un moyen préliminaire d'encourager l'agriculture dans ce département, par la réunion des propriétés morcelées. 89 p. Texte intégral.