Une histoire de l'évapotranspiration - Annexe 1

De Les Mots de l'agronomie
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Date de mise en ligne
1er mars 2017
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Cette annexe se rapporte à l'article Une histoire de l'évapotranspiration.

Remarques sur l’eau de la pluie, & sur l’origine des Fontaines… (La Hire, [1703] 1720). (extraits)

(…) M. Mariotte [1] qui a suivi l’opinion des premiers qui prennent le parti de la pluie, a fait un examen très-particulier de l’eau de pluie & de neige qui tombe sur l’étendue de la terre, qui fournit les eaux à la rivière de Seine ; & il trouva par son calcul qu’il y en a beaucoup plus qu’il ne serait nécessaire pour entretenir la rivière dans son état moyen pendant tout le cours d’une année.

En examinant le Traité de l’origine des fontaines de M. Plot Anglais, qui a été imprimé en 1685, j’y fis plusieurs remarques que je lus dans ces temps-là aux assemblées de l’Académie, & j’entrepris alors de reconnaître par moi-même ce que les eaux de pluie & de neige pouvaient fournir aux fontaines & aux rivières. Je commençai d’abord à rechercher quelle était la quantité d’eau de pluie qui tombait sur la terre pendant toute une année, & j’en ai donné depuis des Mémoires à l’Académie à la fin de chaque année ; ce qui fait connaître que la hauteur de l’eau qui tombe à l’Observatoire Royal ((de Paris)), où j’ai fait mes observations, serait dans une année moyenne de 19 à 20 pouces, à peu près comme M. Mariotte l’avait supposé dans son examen.

Mais comme je doutais que ce fût sur cette quantité d’eau qu’on dût compter pour l’origine des fontaines, je fis les expériences suivantes pour m’en assurer.

Je choisis un endroit de la terrasse basse de l’Observatoire, & en 1688 je fis mettre dans terre à 8 pieds de profondeur un bassin de plomb de 4 pieds de superficie. Ce bassin avait des rebords de 6 pouces de hauteur, & était un peu incliné vers l’un de ses angles, où j’avais fait souder un tuyau de plomb de 12 pieds de longueur, qui ayant aussi une pente assez considérable, entrait dans un caveau par son extrémité. Ce bassin était éloigné du mur de la cave, afin qu’il fût environné d’une plus grande quantité de terre semblable à celle qui était au-dessus, & qu’elle ne pût pas sécher par la proximité du mur [2]. Je mis dans le bassin ou cuvette de plomb, à l’endroit de l’ouverture qui répondait au tuyau, plusieurs cailloux de différentes grosseurs ; afin que cette ouverture ne pût pas se boucher, quand la terre aurait été remise par dessus à la hauteur du terrain ; c’est-à-dire, de 8 pieds de hauteur. Ce terrain est d’une nature moyenne entre le sable & la terre franche, en sorte que l’eau le peut pénétrer assez facilement, & la superficie extérieure en est de niveau.

Je pensais que si les eaux de pluie & de neige fondue pénètrent la terre jusqu’à ce qu’elles rencontrent un tuf, ou une terre argileuse qui ne la laisse point passer, comme disent ceux qui suivent la première opinion de l’origine des fontaines, il devait arriver la même chose à la cuvette de plomb que j’avais enterrée, & qu’enfin je devais avoir une espèce de source d’eau, qui devait couler par le tuyau qui répondait dans le caveau.

Mais comme je n’étais pas persuadé que cela pût arriver, je mis encore dans le même temps une autre machine en expérience à 8 pouces seulement de profondeur en terre ; c’était une cuvette qui avait 64 pouces en superficie, & des rebords de 8 pouces de hauteur. J’avais choisi un lieu où le Soleil ni le vent ne donnaient point, & j’avais eu grand soin d’ôter toutes les herbes qui croissaient sur la terre au-dessus de cette cuvette, afin que toute l’eau qui tomberait sur la terre, pût passer sans empêchement jusqu’au fond de la cuvette, où il y avait un petit trou & un tuyau qui portait dans un vaisseau, toute l’eau qui pouvait pénétrer la terre. Cette cuvette n’était pas exposée à l’air ; mais elle était enterrée dans une très-grande caisse remplie par les côtés & par-dessous de la même terre qui était au-dedans, afin que la terre de la cuvette ne pût pas se dessécher à l’air [3].

Je remarquai premièrement dans cette petite cuvette, que depuis le 12 Juin jusqu’au 19 de Février suivant, l’eau n’avait point coulé par le tuyau au-dessous de la cuvette, & qu’elle y coula seulement alors, à cause d’une grande quantité de neige qui était sur la terre, & qui se fondait. Depuis ce tems-là la terre de la cuvette était toujours fort humide ; mais l’eau ne coulait point que quelques heures après qu’il avait plu, & elle cessait de couler quand ce qui était tombé, était épuisé ; car il en restait toujours dans la terre une certaine quantité, qui ne passait point à moins qu’il n’y en eût de nouvelle au-dessus de la terre.

Un an après je refis la même expérience dans la petite cuvette ; mais je la mis à 16 pouces avant dans terre, qui était une fois plus qu’elle n’était d’abord. Il n’y avait point d’herbes sur la terre, & elle était encore à l’abri du Soleil & du vent ; Il arriva à peu près la même chose que dans la précédente, excepté seulement que lorsqu’il se passait un tems considérable sans pleuvoir, la terre se desséchait un peu & une médiocre pluie qui survenait ensuite n’était pas capable de l’humecter suffisamment, avec ce qui y restait, pour la faire couler [4].

Enfin je plantai quelques herbes sur la terre au-dessus de la cuvette ; mais quand les plantes furent un peu fortes, non seulement il ne coulait point d’eau après la pluie, mais toute celle qui tombait n’était pas suffisante toute seule pour les nourrir, & elles se fanaient & séchaient, à moins qu’on ne les arrosât de tems-en-tems.

Il me vint alors en pensée de mesurer la dissipation ou évaporation de l’eau au travers des feuilles des plantes, quand elles sont exposées au soleil & au vent. Le 30 Juin à 5 heures ½ du matin, je mis dans une fiole de verre, dont l’ouverture était petite, une livre d’eau pesée fort exactement avec la fiole, & je cueillis deux feuilles de figuier de médiocre grandeur, lesquelles pesaient ensemble 5 gros 48 grains, & j’en fis tremper le bout des queues dans l’eau de la fiole. Ces feuilles étaient très-fraîches & fermes quand je les cueillis ; Ensuite j’exposai la fiole & les feuilles au Soleil qui était clair & chaud, & en un lieu où il faisait un peu de vent, & je bouchai exactement avec du papier le reste du col de la fiole qui n’était pas occupé par les queues des feuilles, afin que l’eau de la fiole ne pût pas s’évaporer par cette ouverture.

A 11 heures du matin je pesai le tout ensemble, & je trouvai qu’il y avait une diminution de poids de 2 gros que l’air & le Soleil avoient tiré d’eau de cette feuille, laquelle ne peut être réparée, quand la feuille est attachée à l’arbre, que par l’humidité de la terre qui passe par les racines.

Je fis aussi plusieurs autres expériences sur des plantes, & je trouvai toujours une très-grande dissipation d’humidité ; & après avoir mesuré la superficie des feuilles, & avoir considéré ce qui en couvre ordinairement la terre, j’ai jugé que l’eau de la pluie, surtout en Été, quoiqu’elle soit alors fort abondante, n’est pas capable de les entretenir sans un secours tiré d’ailleurs. Il est vrai que l’air de la nuit fournit aux grands arbres, & même aux plantes, une grande quantité d’humidité, qu’on voit presque toujours sur les feuilles vers le lever du Soleil, laquelle passant jusques dans les racines, peut entretenir ces plantes une partie du jour ; mais cette humidité toute seule ne pourrait pas suffire pour leur nourriture, si elles n’en tiraient de la terre même, & des pluies qui y entrent, comme je l’ai remarqué dans mes expériences que je viens de rapporter.

Toutes ces expériences m’ont fait connaître que l’eau des pluies qui tombent sur la terre, où il y a toujours quelques herbes & des arbres, ne peut pas la pénétrer jusqu’à deux pieds, à moins qu’elle n’ait été ramassée dans des lieux sablonneux & pierreux, qui la laissent passer facilement ; mais ce ne peut être que des cas particuliers, dont on ne peut tirer de conséquence générale. (…)

Ces expériences m’ont persuadé que je ne devais point attendre que les eaux de la pluie & des neiges passassent au travers des 8 pieds de terre qui étaient au-dessus de la cuvette de plomb que j’avais enterrée sur la terrasse de l’Observatoire ; aussi il n’est pas coulé une seule goutte d’eau par le tuyau depuis 15 années [5].

On voit donc par-là qu’il ne peut y avoir que très-peu de fontaines qui tirent leur origine des pluies & des neiges ; & il faut nécessairement avoir recours à d’autres causes pour expliquer comment il se peut rencontrer des sources très-abondantes dans des lieux élevés, & à très peu de profondeur dans terre, comme est celle de Rungis près de paris, qu’on ne peut attribuer à ces grottes ou alambics souterrains, qui servent à faire distiller l’eau des vapeurs condensées (…).


Notes de la rédaction des Mots de l'agronomie

  1. C’est plutôt Perrault, comme le chiffre cité ensuite le confirme
  2. C’est l’idée d’un anneau de garde, ce qui est remarquable pour l’époque !
  3. Encore l’idée d’un anneau de garde ? Il faudrait avoir une figure
  4. Dommage qu’il n’ait pas indiqué les quantités de pluie et d’eau écoulée
  5. Tuyau bouché ? Circulation latérale de l’eau ?

Référence bibliographique

La Hire P., [1703] 1720. Remarques sur l’eau de la pluie, & sur l’origine des Fontaines ; avec quelques particularités sur la construction des Citernes. In : Histoire de l’Académie Royale des Sciences, année 1703, avec les Mémoires de Mathématique & de Physique pour la même année, tirés des Registres de cette Académie. Paris, 1720, 467 p. texte intégral sur Gallica.

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