Système de culture - Annexe 2

De Les Mots de l'agronomie
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Cette annexe se rapporte à l'article Système de culture.

Systèmes de culture traditionnels de haute altitude et milieux naturels dans les Andes centrales

Extraits des chapitres 1 & 2 de P. Morlon (coord.), Comprendre l’agriculture paysanne dans les Andes centrales (Pérou, Bolivie).


Traditionnellement, l’agriculture paysanne des Andes centrales (Pérou, Bolivie) exploite ou exploitait de façon complémentaire la plus large gamme possible de milieux naturels, répartis à toutes les altitudes.

Dans le plus haut étage cultivé, où la pomme de terre est la base de l’alimentation et la culture proritaire, les paysans gèrent collectivement des assolements de longue durée, suivant le schéma général :

pomme de terre (1 an) – autres cultures – prairie pâturée (« repos »).


Étagement altitudinal

Fig. 1. Rotations des cultures en assolements collectifs suivant l’altitude et la pente à Ambana, Bolivie (Greslou & Vacher), 1980.

Avec l'altitude le nombre des années de culture diminue et, inversement, celui de la prairie augmente. A Ambana, sur le versant oriental des Andes de Bolivie, Vacher (1980) a identifié 9 rotations différentes en fonction de la pente et de l'altitude, où la prairie dure de 5 à 20 ans (fig. 1).

Dans toutes ces rotations, pour éviter les attaques de nématodes, les paysans d’Ambana respectent un délai de retour d’au moins 12 ans entre deux cultures de pommes de terre. Ils intercalent les autres espèces à leur disposition, dont le nombre diminue avec l'altitude, la prairie venant compléter cette durée. Si une même espèce, quelle qu'elle soit, ne doit pas revenir trop souvent sur le même terrain, la durée de la prairie augmente ainsi avec l'altitude.


Niveaux de risques et distance à l’habitat

Au facteur très général qu’est la diminution des températures avec l’altitude, s’ajoutent d’autres, plus locaux, liés à la topographie et à la morphologie agraire.

Par exemple, à Pullpuri dans le département de Cuzco au sud du Pérou dans les années 1980 (Bourliaud et al., 1986 ; Morlon et al., 1992), les paysans gèrent plusieurs systèmes (fig. 2), différant par le nombre d’années de culture dans la rotation, l’intensité de leur conduite et la modalité de labour pour l’implantation des pommes de terre :

Fig. 2. Les systèmes de culture de Pullpuri (Bourliaud et al., 1986).
En médaillon, schéma de labour en billons.
1 : pommes de terre amères ; labour en billons à la chaquitaclla après plantation directe
2 : labour en billons à la chaquitaclla avant plantation
3 : labour complet à la chaquitaclla
4 : « labour » de semis à l’araire
5 : monoculture de maïs, « labour » de semis à l’araire.

1. Loin des habitations, sur les pentes fortes, les plus en altitude et les plus exposées tant au gel qu’à de fortes pluies, ils plantent directement dans le gazon de la prairie pâturée des pommes de terre « amères »[1], le labour-buttage avec une chaquitaclla étant fait plus tard : une modalité qui permet de limiter les risques d’érosion en conservant plus longtemps le couvert prairial (Cook, 1920). Les rendements à l’hectare sont faibles, mais les coûts aussi, en particulier le travail réalisé à un moment où il ne rentre pas en concurrence avec celui sur d’autres champs.

2. Plus bas sur les mêmes versants, où les risques sont plus faibles, ils plantent des pommes de terre « douces » (S. tuberosum) sur des billons préalablement faits en labourant - seule une bande de terrain sur deux est retournée, ce qui économise le travail.

3. En bas de versants, ils labourent à la chaquitaclla toute la surface du terrain : un travail très lourd qui est amorti dans des rotations comportant une forte proportion de cultures, conduites de façon intensive (engrais, phytosanitaires) et donnant des rendements à la surface plus élevés qu’en 1 et 2.

4. Sur les terrains irrigués proches des habitations, la faible durée ou l’absence de la prairie permet de ne faire qu’un « labour » de semis à l’araire tiré par des bovins.

5. Enfin, dans le fond de vallée, aménagé en terrasses irriguées, ils pratiquent une quasi-monoculture de maïs, avec un un « labour » de semis à l’araire.


Évolution de ces systèmes collectifs vers des systèmes privés

Les évolutions de ces systèmes dans les dernières décennies sont très diverses, sous l’effet de facteurs politiques, économiques, démographiques et environnementaux. Par exemple, le réchauffement climatique a déjà permis la montée en altitude, de 150 à 200 m en 30 ans, de la limite supérieure des cultures, mais va réduire les quantités d’eau disponible pour l’irrigation en saison sèche.

La croissance de la population et le caractère plus commercial de l'agriculture peuvent conduire à une réduction du temps de repos, ce qu'E. Boserup (1965) appelle intensification agricole. Lorsque la surface totale disponible par famille se réduit fortement - quelle qu'en soit la cause - ou lorsque l'ouverture au marché s'accompagne de l'introduction de nouvelles techniques, les règles collectives peuvent ainsi être modifiées ou même abandonnées.

Il en est ainsi dans la vallée du Mantaro, proche de la capitale Lima en croissance rapide (2 millions d’habitants en 1970, 9 actuellement). Son large fond plat, à des altitudes tempérées (autour de 3200 m) permet une large gamme de productions et de techniques agricoles. Mayer (1977, 1985) y a proposé une représentation graphique des mécanismes et étapes de la suppression des assolements collectifs (fig. 3) :

Fig. 3. Évolution dans le temps et étagement altitudinal à un moment donné des systèmes de culture dans la vallée du Mantaro.
En vert plein, soles ou champs en prairie. Trames : cultures.


  • (0) Assolement traditionnel non modifié.
  • (1a) Pour donner de la terre à un nombre croissant de familles, augmenter la surface des soles en en réduisant le nombre, et donc la durée du repos.
  • (1b) Augmenter le nombre d'années de culture, également aux dépens du repos, sans changer la dimension ni le nombre des soles. Des cultures reviennent plusieurs fois dans la rotation.
  • (2) Combiner les deux mécanismes, aboutissant à seulement deux grandes soles qui alternent, l'une en cultures et l'autre en repos. La communauté ne décide plus la nature des cultures.
  • (3) Abandonner toute réglementation communale : chaque famille fait ce qu'elle veut sur ses champs, en gardant du repos.
  • (4) Supprimer progressivement le repos dans les rotations.

Cette séquence historique fournit aussi une représentation géographique de la situation actuelle, les villages les plus bas ayant commencé ce processus avant ceux des zones plus élevées, où il semble très difficile que cette évolution puisse aller jusqu'à son terme à cause des contraintes du milieu naturel (pentes et climat). La réduction de la durée des rotations avec suppression de la prairie suppose en effet des achats d’engrais et produits phytosanitaires, qui ne sont économiquement justifiés que si les paysans sont sûrs de vendre la récolte à un prix suffisant. Or, en haute altitude, ils ne sont même pas sûrs de récolter tous les ans...

Notes

  1. Solanum andigenum, S. juzepzukii, espèces plus résistantes au froid que S. tuberosum, généralement consommées après déshydratation par l’alternance gel-soleil qui permet de les conserver de nombreuses années.


Références citées

  • Bourliaud J., Reau R., Morlon P., Hervé D., 1986. Chaquitaclla, stratégies de labour et intensification en agriculture andine. Techniques et Culture, 7 : 181-225. Texte intégral sur revues.org.
  • Mayer E., 1977. Tenencia y control comunal de la tierra : Caso Laraos (Yauyos). Cuadernos, CONUP, Lima, no24-25.
  • Mayer E., 1985. Production Zones. In : Masuda S., Shimada I., Morris C., eds, Andean Ecology and Civilization. An interdisciplinary Perspective on Andean Ecological Complementarity. University of Tokyo Press, Tokyo, p. 45-84.
  • Morlon P. (coord.), 1992. Comprendre l'agriculture paysanne dans les Andes centrales : Pérou, Bolivie. Inra, coll. Ecologie et aménagement rural, 522 p. Présentation sur le site de Quae.
  • Morlon P., Bourliaud J., Reau R., Hervé D., 1992. Un outil, un symbole, un débat : la "chaquitaclla" et sa persistance dans l’agriculture andine. In P. Morlon (coord.), Comprendre l'agriculture paysanne dans les Andes Centrales (Pérou-Bolivie). INRA, Paris : 40-86.
  • Orlove B.S., Godoy R., Morlon P., 1992. Les assolements collectifs. In P. Morlon (coord.), Comprendre l'agriculture paysanne dans les Andes Centrales (Pérou-Bolivie). INRA, Paris : 88-120.
  • Vacher J., 1980. Los sistemas de producción agropecuaria : la rotación de los cultivos. In : IFEA-MAB Bolivia, Ambaná, tierras y hombres. La Paz, p. 137-158.


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