« Herbicides agricoles : modes d'action et devenir » : différence entre les versions

De Les Mots de l'agronomie
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|Annexe 1=Classification des familles d’herbicides par mode d’action
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|Annexe 2=Sur les limites réglementaires des herbicides dans les eaux
|Annexe 2=Sur les limites réglementaires concernant les herbicides dans les eaux
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Version du 1 avril 2015 à 12:48

Auteur : Jacques Gasquez

Le point de vue de...
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Anglais : herbicide, chemical weed control
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Italien : erbicida
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Comment fonctionnent les herbicides ?

A propos de l’activité des herbicides, on parle de mode d’action qui se définit comme l’action sur un végétal et, ceci, de plus en plus sur un point très précis du métabolisme (la cible) de la plante visée (annexe 1). On utilise aussi à tort « mode d’action » pour distinguer les types d’application et les modes de pénétration du produit dans la plante (racinaire, foliaire…). En effet, pour agir, un herbicide doit pénétrer dans la plante. Selon ses caractéristiques chimiques, il pénètre plus facilement par les racines, dissous dans le flux d’eau et véhiculé dans le xylème de manière passive, ou par les feuilles mais alors il doit être associé à des adjuvants pour traverser la cuticule et peut soit agir sur place soit migrer dans toute la plante. Selon les cas, on procède, pour les premiers, à des traitements de pré-levée appliqués sur le sol pour bloquer les germinations non encore levées ou, pour les seconds, de post-levée appliqués sur des plantes en cours de croissance (Gauvrit, 1996 ; Tissut et al., 2006).

Les premiers herbicides minéraux étaient essentiellement des oxydants qui détruisent plus ou moins rapidement tout ce qu’ils touchent, sans cible particulière dans la plante. L’acide sulfurique détruit les espèces les plus fragiles et brûle les feuilles des plus solides, comme le blé qui repart en quelques jours. Ce n’est qu’avec la recherche systématique de perturbateurs de plus en plus précis et spécifiques du métabolisme des plantes que la sélectivité devint une réalité. Aujourd’hui les ¾ des molécules inhibent spécifiquement une seule enzyme propre au métabolisme végétal (différente pour chaque famille : annexe 1), ce qui entraîne la mort de la plante en plusieurs jours voire une à deux semaines. Parfois, seule sa croissance est bloquée, elle ne disparaîtra que sous l’effet de la concurrence de la culture. Enfin, il n’y a pas d’herbicide anti-germinatif : puisqu’ils inhibent un métabolisme, ils ne peuvent tuer des graines tant qu’elles n’ont pas commencé à germer. Par ailleurs, du fait de cette spécificité vis-à-vis de voies métaboliques strictement végétales, les herbicides n’ont pas de cible chez les animaux et l’homme, leur toxicité qui n’est alors due qu’aux caractéristiques chimiques de la molécule n’apparaît qu’à très forte dose.

La très large majorité des herbicides homologués en cultures agissent dans les chloroplastes en inhibant la photosynthèse, ou la synthèse de certains acides aminés, ou celle des acides gras, ou celles de certains lipides. Quelques-uns bloquent les mouvements des chromosomes lors de la division cellulaire. Un seul bloque la synthèse de la cellulose dans l’appareil de Golgi. Enfin, les perturbateurs de l’auxine (les « hormones ») agissent dans toutes les parties jeunes en favorisant des divisions et des élongations cellulaires désordonnées. (Index ACTA ; Heap, 2014 ; Herbicide Resistance Action Committee).

Aucun herbicide ne peut être utilisé dans toutes les cultures et aucun ne contrôle toutes les mauvaises herbes, sauf les herbicides totaux (non sélectifs) qui ne peuvent être utilisés en culture. Les premiers herbicides, les perturbateurs de l’auxine (annexe 1) sont des anti-dicotylédones, espèces les plus abondantes en céréales au milieu du XXe siècle. Ils ont entraîné la diminution de ces espèces, d’où la dominance des graminées qui a amené à la mise au point d’herbicides anti-graminées dans les années 1970. Avec le temps, on a disposé d’herbicides contre la quasi-totalité des espèces dans les principales cultures. Mais ces caractéristiques font que pour réaliser un désherbage complet, il faut généralement utiliser plusieurs herbicides, surtout pour les cultures d’automne. Et plusieurs espèces restent encore difficiles à contrôler selon les cultures (les crucifères dans le colza ; le gaillet et les ombellifères en céréales), car très peu de molécules sont très efficaces sur ces espèces dans ces conditions.


Qu’est ce que la sélectivité ?

Bien que la quasi totalité des herbicides soit toxique pour toutes les espèces d’angiospermes, leur effet dépend de la quantité absorbée par la plante. Aussi dès le début (Rabaté, 1927), on a cherché un moyen pour détruire le maximum d’adventices sans (trop) affecter la culture. Il faut trouver des conditions où la dose qui tue des adventices est aussi la moins toxique pour la culture (Gauvrit, 1996).

Pour les herbicides de pré-levée, on a d’abord tiré parti de la séparation spatiale : les racines de la culture descendent plus profond que l’herbicide qui, restant près de la surface, ne tue que les germinations superficielles des adventices ; ou temporelle : la culture est plus développée et donc supportera plus de produit que les plantules d’adventices. De même un produit donné ne pénètre pas en même quantité selon les espèces, il suffit que la culture en absorbe moins. Ces sélectivités restent assez grossières.

Dès qu’on a commencé à connaître la physiologie végétale et l’activité des herbicides (sans vraiment toujours connaître les modes d’action), on a pu mettre à profit des différences de transport ou de dégradation de l’herbicide selon les espèces. Cela a permis de découvrir des sélectivités plus fines, capables de détruire même des espèces botaniquement assez proches de la culture.

Plus tard, on a tiré parti d’enzymes (des estérases) capables de dégrader un « pro-herbicide ». On peut alors appliquer un ester non toxique, qui pénètre plus facilement, et les enzymes vont libérer la forme acide de l’herbicide qui est toxique. Comme ces enzymes peuvent être différentes selon les espèces, on peut rechercher la molécule que seules les adventices attaqueront pour libérer la forme toxique qui les détruira. Un extrême sera atteint avec le développement de « safeners ». Le safener d’un herbicide donné est une molécule particulière non toxique qui déclenche, comme l’herbicide, la synthèse des mêmes enzymes (qui détoxiquent cet herbicide). Ainsi, dans un produit commercial, l’association d’un herbicide et de son safener dans des proportions particulières adaptées à une culture accélérera très fortement la dégradation de l’herbicide spécifiquement dans la culture qui survivra, mais pas chez les adventices sensibles qui vont mourir. La spécificité est cette fois très précise, mais pour l’instant il n’en existe seulement que pour très peu d’herbicides et de cultures. Enfin, découvert par hasard, un groupe d’herbicides (groupe A, annexe 1) n’est actif que sur un certain nombre de graminées, toutes les autres angiospermes sont totalement résistantes (la cible est différente et non reconnue par les herbicides).

Malgré toutes ces techniques, les doses maximales utilisables sans affecter la culture ne permettent pas, avec un seul produit, de détruire toutes les espèces. Plus il y a d’espèces différentes et en particulier à la fois des dicotylédones et des graminées, plus il faudra de produits différents pour tout contrôler. En effet, la manière de sélectionner les molécules en privilégiant la sélectivité (screening) ne favorise pas la découverte d’herbicides totaux (qui tuent tout ce qu’ils touchent). Ainsi parmi les produits dont le site d’action est une enzyme, très peu ne sont sélectifs d’aucune culture (glyphosate, glufosinate, aminotriazole, flazasulfuron, annexe 1).

Puisqu’un usage imprudent des herbicides a sélectionné des individus résistants chez de nombreuses mauvaises herbes, soit par la cible devenue insensible, soit par l’amplification de la détoxication, le désir d’obtenir une sélectivité complète (seule la culture survit quelles que soient les adventices présentes) est devenu réalisable. Des firmes ont introduit dans des espèces cultivées (OGM résistants à un ou à plusieurs herbicide selon le nombre d’allèles de gènes introduits), à côté des allèles sensibles des gènes de la cible ou des enzymes de détoxication de la culture, des allèles résistants de ces gènes pour les herbicides totaux, issus de microorganismes (voire d’angiospermes adventices), plus faciles à sélectionner.


Pourquoi l’homologation ?

En France, la loi sur l’homologation de 1943 avait surtout pour but de protéger les agriculteurs contre les abus industriels en n’autorisant que les substances véritablement dotées d’une action herbicide et constante. Par ailleurs, la commission chargée d’étudier l’emploi des toxiques, mise en place en 1934, a, de 1942 et jusqu’en 1972, émis des avis sur des milliers de demandes mais surtout, les dernières années, s’est saisie des problèmes toxicologiques sur l’homme et les animaux utiles. En effet pour le traitement avec l’acide sulfurique, il fallait caparaçonner de cuir le cheval, l’homme étant habillé de « vêtements de peu de valeur, quittés après chaque traitement car ils sont rongés profondément et chaussé de sabots de bois. Il est prudent de placer dans le champ une solution de carbonate de soude pour avoir à portée un remède efficace en cas d’accident » (Rabaté, 1927).

En 1972, la loi de 1943 a été modifiée en introduisant la préoccupation de la lutte contre la pollution des aliments, des eaux, de la faune et de la flore. Pour ces raisons, tous les anciens produits toxiques comme les colorants nitrés, sels d’arsenic et acides ont été rapidement interdits, au profit de produits uniquement actifs sur le métabolisme végétal. Cependant, en 2012, on a homologué pour les zones non cultivées des acides (acétique et pélargonique) irritants, produits « naturels », « écologiques » non sélectifs.

Depuis 1972, en accord avec les textes européens, la législation relative à l’homologation s’est de plus en plus focalisée sur la toxicité pour l’homme et l’environnement, rejetant tout produit cancérigène, perturbateur endocrinien, polluant non dégradable... (Agritox, 2014). Par ailleurs, l’homologation d’un nouveau produit exige de connaître sa cible, son mode d’action et les voies de dégradation dans la plante et le sol. De plus la mise en œuvre de la directive européenne 91/414 a, de facto, exclu les molécules délaissées par le marché et toutes celles pour lesquelles les firmes n’ont pas voulu payer pour re-soumettre un dossier toxicologique plus exigeant, ainsi que des molécules que la commission a jugées trop toxiques au regard des nouvelles réglementations. Actuellement, le plus toxique est l’ioxynil avec une DL50 pour le rat de 110 mg/kg ; par comparaison la DL50 de la caféine est de 192 mg/kg. Aujourd’hui cette directive (objectif non contraignant) est remplacée par le règlement (impératif et obligatoire) CE 1107/2009.

Ainsi la majorité des herbicides qui perdent leur homologation ne sont pas retirés parce qu’ils seraient interdits pour leur dangerosité. Certains disparaissent parce que ce sont des racémiques (mélange des deux formes possibles de la molécule) qui, à l’usage, sont remplacés, sous un nom différent, par la seule forme biologiquement active. Mais la grande majorité disparaissent parce qu’ils deviennent obsolètes quand ils tombent dans le domaine public, ne sont plus assez vendus et dépassés par un nouveau produit « meilleur » (plus facile à mettre en œuvre, plus sélectif, plus efficace…).

De 1943 jusqu’au début des années 2000, le nombre d'homologations de molécules en France a été régulièrement supérieur à celui des retraits. L’apparition de modes d’action diversifiés a permis de désherber de plus en plus efficacement un nombre croissant de cultures. Depuis lors, la balance s’est inversée, essentiellement parce qu’il y a de moins en moins de molécules originales et aucun nouveau mode d’action (Chauvel et al., 2012, Gasquez et al., 2013). Le dernier mode d’action homologué date de 1994. Cela est lié aux exigences sans cesse croissantes de la législation qui, de facto, augmentent fortement le coût de développement d’une molécule. Le nombre des firmes capables de tester suffisamment de molécules (environ 1 molécule homologable sur 100 000 testées) et de pouvoir supporter le coût et la durée (environ dix ans) de recherche avant homologation a beaucoup chuté : il n’en reste que cinq dans le monde. Pour ne pas perdre d’argent, elles recherchent des molécules uniquement pour des cultures assez importantes par la taille du marché mondial (blé, maïs, riz, soja…) pour leur assurer le retour sur investissement permettant de nouvelles recherches. Par ailleurs, il leur est désormais plus rapide et beaucoup moins coûteux et risqué de créer des cultures OGM résistantes à un ou plusieurs de leurs herbicides déjà homologués, efficaces contre les adventices de la culture. Par rapport au reste du monde, cela pénalise l’Europe dont le marché est de moins en moins attractif à cause de ses interdictions.

En 2014, près de 300 molécules herbicides sont homologuées pour les zones cultivées dans le monde dont 104 homologuées en France métropolitaine et outre mer. Le nombre de molécules disponibles pour les cultures majeures dépend de l’importance de la culture. En France les céréales à paille, de très loin les plus importantes, disposent de 42 herbicides, le maïs de 27, le colza de 20, la betterave de 18, le tournesol de 14 et le riz de seulement 8. A l’opposé, des 54 principales cultures mineures, 30 disposent de moins de 5 molécules et 20 n’en ont que 1 ou 2 (Index ACTA, Ephy 2014). Les molécules les plus utilisées sont homologuées dans plus de 12 cultures (2 le sont dans 26). Une conséquence de cette situation sera de compromettre gravement le contrôle des mauvaises herbes dans beaucoup de ces cultures mineures dès le retrait d’une de ces molécules (Gasquez et al., 2013).


Quelles quantités sont appliquées ?

En l’absence de réglementation, il n’y avait que des recommandations d’applications qui pouvaient être très variables et l’agriculteur était libre de déterminer la quantité qu’il voulait appliquer. Depuis la loi d’homologation et particulièrement depuis les modifications des années 1970, les doses sont encadrées et désormais la dose homologuée est la dose maximale applicable après vérification que la double dose est sans effet sur la culture. Elle est définie par des essais de la firme, puis ensuite ajustée par les instituts techniques, des distributeurs et des groupes d’agriculteurs qui vont déterminer dans quelles conditions on peut contrôler le maximum d’espèces sans affecter la culture. Elle apparaît donc être la plus faible dose complètement efficace pour contrôler les espèces visées dans toutes les conditions climatiques. Aussi, à cause de la réglementation et de la crainte d’affecter la culture, les agriculteurs ne cherchent pas à appliquer des doses excessives. Au contraire, éventuellement sous le couvert de limiter la pollution, ils ont plutôt tendance à réduire les doses pour baisser leurs coûts de production.

Depuis l’avènement des hormones et des inhibiteurs du métabolisme végétal (molécules de synthèse) par opposition aux produits minéraux « naturels » (qui n’en sont pas moins synthétisés par la chimie), les doses n’ont pas cessé de diminuer. Les sulfates étaient appliqués à raison de 120 à 150 kg/ha, l’acide sulfurique de 80 à 100 L/ha pour la forme la plus concentrée, le chlorate de soude était appliqué de 200 à 800 kg/ha ! L’avènement des hormones (annexe 1) fut une révolution avec une très forte réduction des doses puisqu’il suffit d’1 L/ha de 2,4-D. Dès les années 1980, des molécules étaient homologuées à quelques centaines de grammes (mais tuaient beaucoup plus lentement), enfin les derniers anti-graminées ne nécessitent que quelques dizaines de grammes (certaines sulfonylurées sont homologuées à moins de 10 g/ha).

En revanche, on vient d’homologuer, comme herbicides non sélectifs, des acides à nouveau à des doses élevées : acide acétique, 1000 L /ha et acide pélargonique, 31 kg soit 166 L /ha de produit commercial (Index ACTA).

Mais ce n’est pas parce qu’il suffit de quelques grammes pour avoir le même résultat qu’avec plus de 100 kg ou litres de produits minéraux que ces nouvelles molécules sont mille fois plus toxiques, bien au contraire. Un acide ou tout autre toxique doit être appliqué en grande quantité pour brûler l’ensemble de la plante. En revanche, si la cible est une enzyme clé du métabolisme présente seulement à quelques microgrammes dans toute la plante, il suffit que quelques molécules d’herbicide pénètrent dans la plante et atteignent leur cible pour la tuer.

Cependant, comme pour tout traitement pharmaceutique, il faut appliquer la dose qui a été déterminée. Puisque c’est la plus faible dose totalement efficace, toute réduction, quelle qu’en soit la raison, a d’autant plus de chances d’épargner des plantes des espèces visées qu’elle est importante. Dans ce cas, les plantes qui survivent ont en fait été épargnées parce qu’elles sont moins sensibles que les autres, donc susceptibles d’être à l’origine du développement de la résistance.

Depuis 1999, l’usage des pesticides en France est passé de 120 500t (dont 31 400 de soufre et de cuivre) à 62 700 (dont 13 900 de soufre et cuivre) en 2011. Les herbicides représentaient environ 21 000t en 2011. La France est le quatrième utilisateur mondial de pesticides mais il dispose de la plus grande surface agricole en Europe (environ 29x106ha soit 15.7% pour 21.7% de la production européenne) et surtout, compte tenu de l’outre mer, cultive et utilise des herbicides sur une centaine de cultures différentes. Mais si l’on rapporte le tonnage à la surface, la France n’occupe que le 5e rang en Europe pour l’usage des pesticides derrière les Pays Bas, la Belgique, l’Italie et la Grèce.


Quel est le devenir des herbicides après traitement ?

Dans les plantes qui survivent, la molécule est plus ou moins totalement dégradée. Mais une certaine partie de l’herbicide se retrouve dans le sol. Aussi l’homologation exige que toutes les molécules homologuées doivent se dégrader, que ce soit par photolyse, hydrolyse ou grâce à des microorganismes. Mais elles ont une persistance variable dans le sol, de moins de 24h à plusieurs semaines selon les molécules, le type de sol et les conditions (Calvet et al., 2005, Agritox). Ce qui se retrouvera dans les eaux sera la résultante de la quantité épandue et de la persistance du produit en fonction des conditions et surtout de la plus ou moins grande adsorption sur les particules d’argile qui seront entraînées par les eaux de ruissellement (annexe 2).


Quelle est la vie d’un herbicide ?

Lorsqu’une des cinq firmes mondiales assez puissantes pour mener à bien une telle opération a décidé d’un objectif, elle s’engage, après des études de marché, dans un marathon d’au moins dix ans. Dans un premier temps elle doit rechercher et synthétiser de nouvelles molécules soit au hasard, soit par modélisation moléculaire, chimie combinatoire ou exceptionnellement en copiant la nature. Ainsi comme moins d’une molécule sur 100 000 testées risque d’être commercialisée, il faut pouvoir en synthétiser plus de 15 000 par an.

Parallèlement, chaque molécule est testée sur quatre ou cinq espèces types (cultures et mauvaise herbes) et, si elle est intéressante, brevetée (généralement pour 25 ans). Seules celles qui ont un effet marqué sont retenues pour des essais biologiques plus précis en serre. Pour aller plus loin avec une molécule prometteuse, celle-ci doit être inscrite sur la liste positive européenne, l’annexe I. Pour ce faire il faut présenter un dossier toxicologique et écotoxicologique. Sont étudiés la toxicologie humaine (toxicité aigüe, mutagénicité, toxicité à long terme, carcinogénicité), le comportement dans l’environnement (dans le sol, dégradabilité et suivi des principaux métabolites, dégradation dans la plante et analyse des résidus dans les aliments) et l’écotoxicité (effets sur les microorganismes, insectes utiles, vers de terre, oiseaux, poissons…).

Une fois cette étape franchie avec succès, une autorisation de mise sur le marché (AMM) de 10 ans éventuellement renouvelable est accordée. Dans un second temps, il faut produire en France pour chaque spécialité commerciale à base de cette molécule un dossier toxicologique qui expose les effets de la molécule et des adjuvants ; ce qui permettra de déterminer les conditions d’utilisation des spécialités commerciales. Il faut aussi fournir un dossier biologique qui doit démontrer l’intérêt de la spécialité : efficacité supérieure à la référence (le meilleur herbicide actuel) sur les mauvaises herbes ciblées, innocuité vis-à-vis de la culture en place et de la suivante. Si tout est favorable, la commission accorde finalement une AMM de dix ans (voire seulement de trois renouvelable) et la spécialité peut être commercialisée, protégée par le brevet de la molécule qui n’a plus guère que 10 ans de validité. Au-delà, la molécule tombera dans le domaine public. Enfin elle deviendra plus ou moins rapidement obsolète parce que dépassée par la concurrence. L’évolution des législations européenne ou nationales vers des réglementations plus exigeantes peut également accélérer la disparition de la molécule dès lors que la firme ne voudra pas engager des frais élevés pour présenter un nouveau dossier pour une molécule dont elle n’a plus l’exclusivité. La durée de vie commerciale d’une molécule est en moyenne de 25 ans mais certaines ont disparu plus rapidement et d’autres sont encore utilisées après plus de 60 ans (Gasquez et al., 2013).


Références citées

  • ACTA, 2013. Index phytosanitaire ACTA, 50e édition. ACTA publications. 940p (Un index par an depuis 1961).
  • Agritox 2014 : base de données sur les substances actives phytopharmaceutiques.
  • Calvet R., Barriuso E., Benoit P., Bedos C., Charnay M.P., Coquet Y., 2005. Les pesticides dans le sol. Conséquences agronomiques et environnementales. Ed. La France Agricole, 635 p.
  • Chauvel B., Guillemin J.P., Gasquez J., Gauvrit C., 2012. History of chemical weeding from 1944 to 2011 in France: changes and evolution of herbicide molecules. Crop protection, 42 : 320-326.
  • E-phy, 2014. Le catalogue des produits phytopharmaceutiques et de leurs usages, des matières fertilisantes et des supports de culture homologués en France. Consultation juillet 2014.
  • Gasquez J., Guillemin J.P., Gauvrit C., Chauvel B., 2013. Réduction du nombre de molécules herbicides : conséquences par culture, problématique particulière de la gestion de la flore adventice. XXIIe Conférence du COLUMA Journées Internationales sur la Lutte contre les Mauvaises Herbes, Dijon, 10-12 Décembre 2013 : 577-588.
  • Gauvrit C., 1996. Efficacité et sélectivité des herbicides. INRA, Versailles, 158 p.
  • Heap, I. The International Survey of Herbicide Resistant Weeds. Oline sur [weedsciences.org weedsciences.org], site compilant la quasi-totalité des informations et des publications sur les résistances aux herbicides.
  • HRAC, 2014. http://www.hracglobal.com/terms.aspx, consulté en juillet 2014.
  • Tissut M., Delval P., Mamarot J., Ravanel P., 2006. Plantes, Herbicides et désherbage. ACTA, Paris, 635 p.
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