« Terre végétale » : différence entre les versions

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==Avant-propos==
==Avant-propos==

Dernière version du 13 septembre 2024 à 09:28

Auteur : Denis Baize

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Article accepté le 11 septembre 2012
Article mis en ligne le 11 septembre 2012

Avant-propos

En toute logique, la "terre végétale" s'oppose à la "terre minérale" (formule que l'on trouve parfois). C'est donc de la terre contenant des résidus végétaux, autrement dit de la matière organique. Mais ce terme, fort ancien, n'est pas bien défini. Certains auteurs peinent pour savoir où cette terre végétale s'arrête vers le bas et laisse place au "sous-sol" des anciens auteurs. D'autres considèrent que la terre végétale correspond au sol sur toute son épaisseur. D'autres encore, prenant l'expression à la lettre, vont jusqu'à prétendre que la terre végétale est un matériau purement organique résultant de la décomposition des végétaux. Parfois il y a même confusion complète entre "terre végétale" et "humus" (autre terme mal défini).

Dans le contexte contemporain de grands travaux de construction (bâtiments, routes, aéroports), de grands volumes de terres sont décapés et transportés et peuvent être vendus comme substrats de cultures ou pour la reconstitution de "sols" en milieu urbain. Il était devenu nécessaire de donner une définition précise et normative de ces matériaux pédologiques transportés, d'où l'importance de la norme Afnor qui définit "terre végétale" et "terre support" (un concept récent).

Les différentes conceptions et usages de "terre végétale" seront passés en revue ci-après.


Définition

En France, la vente de « terre végétale » est désormais régie par la norme NF U 44-551 sur les supports de culture (2002, modifiée en 2004, en 2008 puis en 2009) dont l'application a été rendue obligatoire par un arrêté de 2003 modifié en 2010. La norme en donne la définition suivante :

« Terre végétale : Terre issue d'horizons de surface humifères ou d'horizons profonds pouvant être mélangée avec des matières organiques d'origine végétale, des amendements organiques et/ou des matières minérales ».

En outre, deux critères de composition sont à respecter : de 3 à 15% de matière organique et une fraction fine (< 2 mm) supérieure à 50% en masse. Suivent des paramètres à déclarer obligatoirement ou de façon facultative. En outre, la terre végétale doit également être conforme aux spécificités communes aux 29 types de supports de culture en ce qui concerne l'absence de débris, l'absence de pathogènes, les teneurs limites en éléments traces métalliques.

Cette définition est en concordance avec ce qui est précisé dans le Référentiel pédologique 2008 (AFES, 2008) au chapitre consacré aux anthroposols :

« L'existence des Anthroposols Reconstitués résulte de l'activité humaine en milieu urbain et péri-urbain, par l'utilisation de matériaux pédologiques transportés, remaniés, puis mis en place dans les jardins, parcs et espaces verts pour les plantations de végétaux d'ornement (« terre végétale » des paysagistes). Parfois, des matériaux géologiques sont également employés (sables, couches D). Ils sont souvent constitués par des horizons L provenant des couches arables de terrains agricoles, mélangés parfois à la partie supérieure de l'horizon sous-jacent du lieu de prélèvement. Ces matériaux ont donc subi des évolutions pédogénétiques avant leur transport. Ils proviennent des terrassements, des aménagements routiers ou autoroutiers, des sites industriels, des mines ou carrières ou des sites artisanaux, dans lesquels la terre de surface et parfois les horizons plus profonds ont été prélevés par décapage, puis conservés plus ou moins longtemps. Ils peuvent être amendés et mélangés à d'autres constituants inertes ou organiques (composts) avant d'être mis en place. » (p. 92)

et :

« Les sols des espaces verts [Anthroposols Reconstitués], des parcs et de jardins et des alignements sont la plupart du temps reconstitués ou construits pour obtenir un sol suffisamment productif. Cependant, leurs conditions de mise en place conditionnent fortement leur fertilité et l'on observe fréquemment des sols trop peu épais, reposant sur des matériaux anthropiques non prospectables par les racines et de fertilité nulle, ou compactés lors de leur mise en place, ou à de la terre fine de médiocre qualité (argiles mal structurées par exemple). » (p. 98 - "Mise en valeur").

La norme NF U 44-551 définit également ce qu'est une "terre support" : « Terre issue d'horizons de surface humifères ou d'horizons profonds pouvant être mélangée avec des matières minérales ». Il est précisé que le taux de matières organiques doit être compris entre 1 et 5 % en masse (contre 3 à 15 % pour la "terre végétale").

Ces deux types de support de culture ont donc des origines identiques (horizons de sols) mais des compositions un peu différentes.


Historique

Jusqu'aux années 2000, la terre végétale ne semble pas avoir eu de définition précise annexe 1. Voici quelques citations plus ou moins anciennes.

Encyclopédie, t. 9, 1765. Article Labour, p.146 : « La profondeur du labour doit être proportionnée à celle de l'humus ou terre végétale, aux besoins de la graine et aux circonstances qui déterminent à labourer, premièrement à la profondeur de l'humus. »

Chrestien de Lihus (1804) se contredit d'une page à une autre. Page 18 on peut lire : « Il y a quatre sortes de terres : la terre végétale, la terre argileuse, la terre sablonneuse et la terre calcaire. Nous ne pouvons mieux en marquer la différence que par la définition qu'en donne le savant Valérius. La terre végétale est une terre poreuse et divisée qui se trouve en plus ou moins grande quantité à la surface du globe. Elle est ordinairement brune et noirâtre ; elle est spongieuse, et se gonfle quand on y verse de l'eau ; mais quand elle est sèche, elle s'affaisse et se met en poussière ; elle procure un passage facile à l'eau pour se filtrer ou s'évaporer[1]. »

Et page 19, il écrit : « Les terreins sablonneux ou crayeux (...) ne peuvent produire de végétaux, s'ils ne se trouvent mêlés avec d'autres terres. L'humus ou terre végétale, pour produire, doit se trouver combiné dans une juste proportion avec le sable et l'argile[2]. »

En 1820, dans un Mémoire sur la culture des arbres à cidre, Piérard écrit : « ... Les trous contribuent d'autant mieux au succès d'une plantation, qu'ils présentent une plus grande superficie sur une profondeur relative à la forme des racines de l'arbre et à l'épaisseur de la couche de terre végétale. Aussi pour remplir ce but, la meilleure méthode serait de défoncer entièrement le terrain que l'on veut planter (...) En général, les trous doivent être creusés plus profond dans les terrains secs ou sablonneux, et moins profonds dans ceux où les couches inférieures du sol sont compactes ou argileuses » (p. 482 et 485). L'auteur semble bien distinguer la terre végétale (c'est-à-dire les horizons supérieurs humifères) et les "couches inférieures du sol", le tout constituant le sol. C'est une vision très moderne qui malheureusement n'a pas été reprise par la suite.

Le Dictionnaire Littré de la langue française' (1872-1877) définit l'humus comme "terre végétale".

WIKIPEDIA - Entrée : Formation de la terre végétale par l'action des vers de terre» [au 29 juin 2012] : « La Formation de la terre végétale par l'action des vers de terre, avec des observations sur leurs habitudes (The Formation of Vegetable Mould through the Action of Worms, with Observations on their Habits) est le titre d'un ouvrage de Charles Darwin, dont la première édition est parue le 10 octobre 1881. Une année avant sa mort, Darwin concluait avec ce livre ses décennies d'études sur les interactions entre les vers de terre et la structure des sols, ainsi que sur le comportement de ces animaux. Pour Darwin, terre végétale semble désigner la partie supérieure humifère des sols.

En 1894, Hitier dans un article intitulé "Les nouvelles cartes agronomiques" écrivait : « La terre végétale, objectif du cultivateur, est, la plupart du temps, formée aux dépens des couches géologiques constituant le sous-sol, ameublies, décomposées par les influences atmosphériques et la culture. Cette relation étroite entre la terre végétale et la couche géologique du sous-sol, (...) ne souffre d'exceptions que pour les terrains de transport, mais ceux-ci même peuvent être considérés comme une formation géologique distincte. (...) Une même formation géologique donne naissance, en général, à des terres agricoles de qualités analogues, parce qu'elles contiennent les mêmes éléments dans des proportions à peu près uniformes. » L'auteur appartient à l'école de la "géologie agricole". Pour lui, "terre végétale" correspond à sol, par opposition à "sous-sol" qui correspond à la formation géologique sous-jacente.

Pour Demolon également (1946, p. 191), la terre végétale correspond au sol sur toute son épaisseur : « Les sols de limon qui couvrent de vastes surfaces dans le Nord et le Nord-Ouest forment nos meilleures terres de cultures, lorsqu'ils sont profonds et sains (...) De tels sols sont capables d'une productivité élevée et soutenue ; mais ces conditions sont loin d'être toujours remplies. Lorsqu'ils sont peu épais ils sont exposés à la sécheresse s'ils reposent sur une formation perméable comme la craie ou le calcaire de Beauce, et à l'excès d'humidité si leur sous-sol est imperméable comme l'argile à meulière. En Champagne et Bourgogne, l'épaisseur de la terre végétale n'atteint souvent que 30 à 40 cm. »

Plaisance et Cailleux (1958) en donnent cette définition : « Terre où abondent les débris de plantes et les produits de leur décomposition ; les racines y sont nombreuses ; elle doit aux végétaux une bonne part de sa matière organique et de sa structure. Habituellement, terre franche. Terre végétale des vallées (XVIIIe siècle) : tourbe ».

Et aujourd'hui ?

Aujourd'hui, lorsqu'on cherche sur Internet, on trouve toutes sortes de textes qui montrent que tout le monde parle de la « terre végétale » sans bien savoir de quoi il s'agit. Voici quelques échantillons :

Site du CILF – Dictionnaire d'Agriculture : « Couche supérieure d'un sol où se développent les racines des végétaux que ceux-ci, en s'y décomposant, en tout ou en partie, enrichissent peu à peu en humus. Une telle terre est donc favorable aux cultures[3] ». Il est bien précisé qu'il s'agit de la "couche supérieure d'un sol" mais les racines ne se développent pas seulement dans les 10 à 30 premiers centimètres ! On ne sait donc pas quelle peut bien être l'épaisseur de la terre végétale !

Wiktionnaire : « (Jardinage) (Familier) Nom que l'on donne à de la terre, riche en humus et en éléments nutritifs pour les plantes »[4].

Site ID Maison : « La terre végétale ou humus est le produit naturel de la décomposition des matières organiques tombées sur le sol. (...) Ce qu'on appelle couramment « la terre » peut avoir deux origines bien différentes, végétale ou minérale. La terre minérale est issue de l'érosion des masses rocheuses et est composée de mélange siliceux essentiellement. (...) D'un autre côté, la terre végétale est issue de la décomposition lente des matières organiques tombées sur le sol au fil des années. Leur empilement et lente compression forme une couche de terre superficielle dont les propriétés intéressent tout particulièrement les agriculteurs et les jardiniers[5]. » Dans cette citation, la "terre [d'origine] végétale" s'oppose à la "terre [d'origine] minérale".

Site Futura-Sciences : « La terre végétale désigne la couche supérieure d'un sol, née de la décomposition de la matière organique et que l'on retrouve dans la majorité des jardins. (...) On distingue généralement 5 types de terre végétale : argileuse, calcaire, humifère, sableuse et franche, cette dernière étant un mélange des quatre premières. (…) Enrichie de tourbe, de compost, d'engrais ou d'autres éléments, la terre végétale est alors communément appelée “terreau"[6] ». Comment une couche née de la décomposition de la matière organique, pourrait-elle être argileuse ou calcaire ?

Site Plante-Intérieur.com : « Terre végétale - Horticulture. Couche de terre en surface formée par la décomposition de matières organiques. Sol naturel ou amendé provenant de la couche supérieure d'une prairie, d'un sol cultivé, d'un boisé ou d'une aire engazonnée. On dit aussi couche arable[7]. » Ici on retrouve deux classiques : i) terre uniquement constituée de MO et ii) terre végétale = couche arable !

Site geo.cybercantal.net : « En fait ces roches ne sont pas immédiatement visibles ; leur surface est altérée et forme la terre végétale. Souvent un décapage est nécessaire pour connaître la roche sous-jacente[8]. » Ici, terre végétale = sol.

Wikipedia, Entrée "Géographie de la Dominique" : « "Les sols, composés de roches volcaniques et de terre végétale sont généralement fertiles et poreux[9]. ».

Hier comme aujourd'hui, il y a confusion totale avec des notions aussi différentes que : humus / sol (sur toute son épaisseur) / partie supérieure du sol / sol particulièrement riche en matières organiques / matière organique / terreau...

En outre, on ne sait jamais s'il s'agit de matériaux naturels (pédologiques) en place ou transportés ou bien de mélanges préparés. On ignore également de quelle profondeur ces matériaux proviennent : uniquement les horizons de surface A ou L des pédologues ? Des horizons pédologiques plus profonds ?


Conclusion

Il est heureux qu'une définition objective et précise soit enfin donnée à la "terre végétale". Cette définition normative était nécessaire car il existe désormais un marché pour l'échange de volumes de plus en plus importants de "terre" dont il n'y avait pas de définition officielle. Il faudra certainement beaucoup de temps pour que cette normalisation soit prise en compte par le grand public.


Autres langues :

Anglais : organic topsoil ? topsoil ? mould ? vegetable mould ?
Le Dictionnaire des sciences de la terre (2004) traduit "terre végétale" par "humus" et "topsoil" ce qui montre bien le manque de clarté du concept.


Références citées

  • AFES, 2008. Référentiel Pédologique 2008. D. Baize, M.C. Girard éds. Quae éditions, Paris. 480 p. [1]
  • Chrestien de Lihus, 1804, Principes d’agriculture et d’économie, appliqués, mois par mois, à toutes les opérations du cultivateur dans les pays de grande culture. Paris, An XII, 336 p. Texte intégral sur openlibrary.org
  • Demolon, 1946. L’évolution scientifique et l’agriculture française. Flammarion, Paris, 1946, 329 p.
  • Hitier H., 1894. Les nouvelles cartes agronomiques. Annales de géographie, 4 (14) : 101-106. Texte intégral sur le site de Persée.
  • Michel J.-P., Carpenter M.S.N., Fairbridge R.W., 2004. Dictionnaire des sciences de la terre. Anglais / Français ▪ Français / Anglais. 4e édition, Dunod, Paris, 496 p.
  • Piérard M, 1820 - Mémoire sur la culture des arbres à cidre dans un pays où elle n'est pas encore connue. pp. 441-525. In : Mémoires d'Agriculture, d'économie rurale et domestique, publiés par la Société Royale et centrale d'Agriculture. Année 1820 – partie 1. Paris, 568 pages. Texte intégral sur GoogleBooks.
  • Plaisance G., Cailleux A., 1958. Dictionnaire des sols. La maison rustique. Paris. 604 p.

Pour en savoir plus

Liens externes

  1. Accéder directement à la citation dans l'ouvrage, sur Wicri/Agronomie.
  2. Accéder directement à la citation dans l'ouvrage, sur Wicri/Agronomie.
  3. La définition de terre végétale dans la base de terminologie en ligne (sélectionner le dictionnaire d'agriculture) sur le site du Conseil international de la langue française (CILF).
  4. La définition de terre végétale sur Wiktionnaire.
  5. La définition de terre végétale sur le site ID Maison.
  6. La définition de terre végétale sur le site Futura-Sciences
  7. La définition de terre végétale dans le forum du site plante-interieur.com (message du Sam Jan 09, 2010 3:46 pm).
  8. La définition de terre végétale dans geo.cybercantal.net (dans l'introduction).
  9. Un emploi de la locution terre végétale dans Wikipédia.

Bibliographie complémentaire

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