Une histoire de l'évapotranspiration - Annexe 6

De Les Mots de l'agronomie
Date de mise en ligne
1er mars 2017
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Cette annexe se rapporte à l'article Une histoire de l'évapotranspiration.

Définition commentée de l’évapotranspiration potentielle (Turc, 1961).

((Note de la rédaction des Mots de l'agronomie : Ce texte est un des plus anciens qui, dans la littérature agronomique en français, explique en détail et commente ce qu’on entend par ETP. Il introduit l’exposé par Turc de la formule de calcul qui porte son nom et a, depuis lors, été largement été utilisée par les agronomes français et de nombreux pays francophones.))


DEUXIÈME PARTIE
L'ÉVAPOTRANSPIRATION POTENTIELLE

Lorsqu'on irrigue sans être gêné par des sels solubles, l'eau consommée normalement par la végétation et par le sol est l'eau évaporée (on n'envisage pas ici les quantités d'eau perdues, par exemple par percolation profonde dans les canaux). Il peut être intéressant de rapporter la masse d'eau évaporée à la masse de matière végétale sèche formée (notion de coefficient d'évaporation) ; autrefois on croyait ces coefficients d'évaporation susceptibles de rendre de grands services pour l'évaluation des besoins en eau d'irrigation ; comme on trouvait des valeurs différentes selon les cultures, on pensait mettre là en évidence un caractère spécifique lié à la physiologie de chaque espèce, et comme de plus les conséquences physiologiques de la sécheresse ou de l'excès d'humidité se manifestent différemment selon les espèces, on était porté à penser que l'aspect physiologique et spécifique du phénomène de transpiration conditionne tous ses caractères, y compris les quantités d'eau évaporées. En réalité, la valeur du coefficient d'évaporation dépend moins de l'espèce végétale que des conditions climatiques pendant la période où se produit l'évaporation considérée, de la durée de cette période et du rendement obtenu pour la récolte.

Plus récemment des études quantitatives portant sur l'évaporation par le sol nu ou par la végétation dans diverses conditions, surtout celles de PENMAN (1948, p. 385) , ont montré que l'évaporation totale provenant du sol et de la végétation ou « Evapotranspiration ›› (THORNTHWAITE) se manifestait en première approximation comme un simple phénomène physique, les plantes jouant le rôle de mèches qui mettent à la disposition du pouvoir évaporant de l'atmosphère les réserves d'eau du sol ; si cet approvisionnement est largement assuré, on observe une évapotranspiration plus intense que dans le cas contraire, et qui suit des lois plus simples, THORNTHWAITE la nomme évapotranspiration potentielle (en abrégé ETp). Pratiquement, nous retenons les propriétés suivantes :

  • 1° lorsqu'une végétation vivante et couvrant bien le sol est largement pourvue en eau, les quantités d'eau qu'elle évapore dépendent surtout des conditions météorologiques, si bien que à 20% près, et le plus souvent à 10% près, elles sont indépendantes du sol et des espèces ou variétés végétales en cause ; ceci est vrai au moins pour des durées suffisantes, 1 mois par exemple.
  • 2° ces quantités sont voisines de celles qui seraient évaporées par une nappe d'eau libre peu profonde placée dans le même site et couvrant la même surface de territoire ; les écarts sont de l'ordre de 20%, il semble que l’évaporation de l'eau libre est souvent comprise entre E'Tp et 1,2 ETp ; les désaccords entre les auteurs qui ont cherché à préciser si la végétation irriguée évapore moins (PENMAN), autant ou parfois peut-être plus (Harrold & Dreibelbis, 1956 ; Kohler, 1957 ; Roche, 1958) que l'eau libre, peuvent provenir des différences entre les climats, entre les divers couverts végétaux, et entre les diverses surfaces d'eau libre, différences qui subsistent même si certaines précautions sont prises partout (surfaces suffisamment grandes, environnement, couleur du fond, etc...). En ce qui concerne les grands lacs et même semble-t-il les mers, les quantités évaporées par unité de surface sont du même ordre pour des régions voisines, mais seulement en valeurs annuelles, en raison surtout de l'inertie thermique de ces masses d'eau profondes.

En général, l’approvisionnement en eau le plus favorable à une culture, comprenant l'apport des réserves du sol plus celui des précipitations plus le complément apporté par l'irrigation, est celui qui permet d'évaporer la quantité ainsi définie (ETp) ; en réalisant ces conditions on évite sauf exception (flétrissement temporaire) que le pouvoir évaporant de l'atmosphère n'assèche le végétal.

Signalons que lorsque ETp par unité de temps et de surface est faible (inférieur à environ 25 mm-par mois), le sol nu maintenu humide par des précipitations suffisantes, telles par exemple que chaque décade il tombe une hauteur d'eau supérieure à ETp de cette décade, évapore à peu près comme la végétation arrosée ou l'eau libre ; lorsque ETp est élevé au contraire, même avec des précipitations suffisantes pour couvrir largement les besoins de la végétation (l’évapotranspiration ET est alors proche de ETp) le sol nu évapore en général nettement moins, son évaporation pourra être de l'ordre de 0,6 ETp.

PENMAN a développé la théorie énergétique du phénomène. Retenons que la culture reçoit et perd certaines quantités d'énergie, soit par rayonnement soit par conduction et convexion, l'excès des gains sur les pertes est approximativement dissipé par la vaporisation de l'eau mise en jeu par l'ETp. Si l'on irrigue une petite surface enherbée (1 m2 par exemple) entourée par un terrain plus sec, non arrosé, on constate qu'elle évapore plus par unité de surface qu'une surface plus grande soumise à ce traitement (même si dans les deux cas le terrain environnant porte une végétation analogue d'égale hauteur) ; le bilan énergétique est perturbé par l'environnement, l'évaporation est accélérée, probablement par des turbulences et par des apports latéraux de chaleur ; on nomme cet effet l'effet d'oasis ; dans nos pays où l'atmosphère est assez humide, dès que la surface irriguée atteint l'ordre de un are, ces perturbations sont faibles, si bien que la grandeur de ETp valable pour les périmètres irrigués est relativement bien définie. Il n'en est pas de même dans les déserts où non seulement ETp par unité de surface a une décroissance plus accusée qu'en France lorsqu'on passe de 1 m2 arrosé à 1 are arrosé (cf.-pour les surfaces d'eau libre, ROCHE, 1958), mais où la décroissance se poursuit de façon notable pour des surfaces très grandes ; ETp est alors mal défini, l'effet d'oasis garde toujours une grande place dans l'évaporation sur l'ensemble du périmètre irrigué, bien qu'on s'efforce d'atténuer ses conséquences pour certaines cultures par des rideaux d'arbres.

Références citées dans ce passage

  • Harrold L.L., Dreibelbis F.R., 1956. Evaluation of agricultural Hydrology by Monolith Lysimeters 1944-1955. Tech. Bull. 1179, U.S. Dept. Agr. Ohio Agric. Exp. Station.
  • Kohler M.A., 1957. Meteorological aspects of evaporation phenomena. A.I.H.S. Ass. Gén. Toronto, t. 3: 421-436.
  • Penman H.L., 1948. Evaporation in Nature. The Physic Soc. Rep. On Progress in Physics, 11 : 366-388.
  • Roche M., 1958. État actuel des études d’évaporation en Afrique noire Française. EDF – ORSTOM.

((Thornthwaite ne figure pas dans les références bibliographiques de l’article))

Référence du texte reproduit

Turc L., 1961. Évaluation des besoins en eau d’irrigation, évapotranspiration potentielle. Ann. Agron. INRA, 12 (1) : 13-49.

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