Mesures de surface agraires

De Les Mots de l'agronomie
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Auteur : Pierre Morlon

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Article accepté le 28 mai 2013
Article mis en ligne le 28 mai 2013, complété le 22 février 2022.


Introduction

Dans ses Voyages en France d’un Agronome (1956), René Dumont donne, ici ou là, les surfaces des terres agricoles dans d’autres unités que l’hectare : la sétérée dans le Briançonnais, la carte dans le Vivarais, l’éminée (1/8 d’une salmée) dans le bas-Rhône, le boisseau et la corde en Armor, l’arpent de 100 verges dans la Meuse (p. 29-31, 60, 96, 103, 134, 155, 200)… Ainsi, 150 ans après l’adoption officielle du système métrique, certains villages français résistaient encore à l'Hectare. Mais que sont ces unités, que signifient-elles ? Peut-on raisonnablement les traduire en hectares ?

De façon générale, deux grands types d’unités sont employés pour mesurer les surfaces agricoles.

Des unités générales, abstraites, non spécifiquement agricoles, le plus souvent définies comme le carré d’une unité de longueur, par exemple l’hectare dérivé du mètre – ce dernier ayant été défini au départ comme le quart du dix-millionième du méridien terrestre, et maintenant comme longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299 792 458 de seconde...

Et des unités spécifiquement agricoles, concrètes, liées le plus souvent à l’organisation pratique des chantiers, à un facteur limitant dans le système (le travail, la semence) - ou aux besoins vitaux d’une famille (la manse ou tenure, voir aussi annexe 1). C’est de ces unités de la pratique agricole dont nous allons parler.


Les unités de la pratique agricole

La surface semée avec une unité de volume de semence ou fournissant une unité de volume de récolte

Les premières, comme la boisselée, la mencaudée dans le nord de la France et le Hainaut, la séterée,… relatives au boisseau, au mencaud, au setier, sont d’abord liées à l’organisation pratique des chantiers – ce qui est évident dans le cas de la charge d'un âne ou mulet (salmée ou saumée en langue d’oc ).

Étant l’inverse d’une densité de semis, elles peuvent aussi être vues comme « une façon de compter des gens anxieux de connaître la part utilisable du fruit de leur travail » (Comet, 2003), révélatrices de situations où, après la récolte, le cultivateur était placé devant le dilemme : « si je mange maintenant le peu que je viens de récolter, je n’aurai rien à semer l’année prochaine ; et si je le garde pour semer l’année prochaine, je me serre la ceinture maintenant » (voir l’article Signification des rendements).

Parmi les secondes, on peut citer la charrée, surface qui fournit la récolte d’un char de foin et la fourée, surface qui permet de récolter un foural de grain. Leur signification peut relever de la même logique d’organisation du travail, ou en préfigurer une autre : la surface nécessaire à une famille pour vivre.

La surface travaillée (labourée, le plus souvent) en un jour

Les unités correspondant à la surface travaillée en un jour sont étroitement liées à l’organisation du travail. Elles sont aussi révélatrices de situations où le (ce) travail est facteur limitant. Dans de nombreuses agricultures, le labour est en effet le travail le plus « lourd » et coûteux, celui qui demande le plus d’énergie. On a ainsi :

  • en travail humain (« manuel »), la surface travaillée par un homme : hommée [1] ou bêchée (dans l’ouest de la France, l’hommée de bêcheur mesure les jardins et closeaux ; on parle aussi d’hommée de faucheur pour les prairies) ; ou par une équipe (cas de la masa avec la chaquitaclla au Pérou), etc.
« HOMMÉE, terme d’Agriculture, c’est une portion de terre mesurée par le travail que peut faire en un jour un Vigneron en cultivant la Vigne : il est synonyme à journée. Ce mot est fort en usage en Provence & dans le Lyonnais. Il faut environ huit hommées pour faire un arpent de Paris ; on mesure aussi les Prés par le travail du faucheur. » (Liger, 1715, t.2, p. 10).
  • en traction animale, celle labourée par un araire ou une charrue : acre (de l’allemand Acker, qui signifie aussi bien acre que champ, le verbe ackern voulant dire labourer), arpent (annexe 2), ar(r)ure, couture (forme du mot culture), journal ou jour de terre, joug (jugerum) des auteurs latins, et autres noms … toutes ces unités généralement comprises entre 0,25 et 0,5 ha.
« JOURNAL, en Agriculture, est une mesure de terre qu’on peut labourer en un jour. En plusieurs endroits on donne les terres par journal au lieu d’arpent. » [JOURNAL, Jugerum]. » (Liger, 1715, t.2, p. 34).
« Quantité de terres qu’un homme peut labourer en un jour, avec des chevaux ou avec des bœufs.

Journal
Jugerum

Acre

L’arpent est la valeur de ce qu’un homme avec 2 ou 3 chevaux, selon la force des terres, peut labourer en un jour, ou en deux jours avec des bœufs. Ce rapport avec la journée d’un homme fait qu’en plusieurs pays, comme en Picardie, &c. on compte par journal, qui est à-peu-près l’arpent de Paris, & aussi à-peu-près la même chose que le jugerum d’Italie, ainsi nommé parce qu’il contient ce que deux bœufs peuvent labourer en un jour. En Bretagne on mesure aussi par journal. Les deux journaux reviennent à l'âcre de Normandie, peu plus, &c. » (La Bretonnerie, 1783 : 86).
« Le mot arure, ou arvure, est encore reçu dans quelques-unes de nos provinces, pour désigner la mesure de terre qu’une charrue peut labourer en un jour. » (Rozier, [1784] 1793, t. 2 : 22).

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Mention particulière doit être faite du sillon, également – et peut-être d’abord – unité de surface, jusque bien avancé le XIXe siècle en France où, en semis à la volée, c’était la bande de terre de quelques mètres de large recevant la semence lors d’un aller-et-retour du semeur.

Fig. 1. L’acre, unité de surface liée au labour et ayant donc une longueur et une largeur définies (Seebohm, 1883).

Au Moyen-âge en Grande-Bretagne, le selio (latin tardif) ou sillion, seilion, seillun, soilom (dialecte anglo-normand) était le plus souvent la surface labourée en une journée de travail se terminant à midi (Seebohm, 1883 : 124)[1] , soit une demie acre (environ 2000 m2) – ceci au sein d’organisations sociales bien précises : vers l’an 1000, par exemple, là où la terre n’était pas encore toute occupée, chacun recevait un nombre de bandes de terre d’un acre ou d’un sillon en fonction du nombre de bœufs qu’il apportait pour le labour fait en commun (id. : 113-125).

Contrairement aux unités abstraites comme l’hectare, ces unités liées à une opération concrète avaient une forme. Ainsi, en Angleterre, la longueur de l’acre, nommée furlong (littéralement, longueur du sillon), était celle, 40 rods (perches), environ 200 m, sur laquelle les bœufs pouvaient tirer la charrue sans se reposer, et sa largeur 4 rods, soit 10 m. (fig. 1). Le sillon avait une largeur moitié.

En prairie, la surface pouvait se mesurer en fauchée de pré.

La surface cultivée dans l’année

La surface labourée en un jour est une unité pratique pour l’organisation des chantiers et l’affectation au quotidien de la force de travail, humaine et animale – surtout lorsqu’il faut se procurer cette force, que ce soit en la louant ou par des corvées.

Mais, dans de nombreux systèmes, le facteur limitant était en dernière instance le fourrage pour entretenir les bêtes de trait tout au long de l’année. C’est donc à cette échelle que se posait la question de la force de travail : d’où l’invention, au Moyen-âge, de ce qui fut appelé beaucoup plus tard assolement triennal, qui permettait d’étaler sur toute l’année les labours, façons, œuvres ou arrures, comme l’explique Lullin de Châteauvieux (1845 : 147-148) :

« Trois puissants chevaux de collier formaient l’attelage d’une charrue et pouvaient suffire à la culture de soixante hectares. (...) L’ordre des travaux était réglé sur ce système. Les attelages labouraient sans relâche hormis le temps des récoltes (…). On peut juger, d’après ces séries d’opérations, qu’il n’y en avait pas de simultanées, en sorte qu’il suffisait à l’exploitation d’avoir un train de charrues monté d’après sa superficie, et qui pourvoyait dans les intervalles des récoltes aux labours, ainsi qu’aux divers transports que l’exploitation nécessitait. »

A cette problématique correspond une autre unité, plus synthétique, intégratrice : la surface qu’on peut cultiver dans l’année avec une charrue et son attelage, appelée charrue de terre ou charruée (annexe 3).

« E partant poet il veer quantes charues covient al maner, kar checune charue deit par reson arer par an ix vinz acres, cest a saver sessaunte al yvernail e sessante al trameis e sessaunte al waret. » (Séneschaucie, ca. 1275 - texte établi par Oschinsky, 1971.) Et de là il peut savoir combien de charrues conviennent au manoir, car chaque charrue doit normalement labourer 180 acres par an, à savoir soixante de céréales d’hiver, soixante de cultures de printemps et soixante de guéret. (Transcription en français actuel par P. Morlon)

La charruée dépend non seulement du type de sol et de la force de l’attelage (comme le journal), mais aussi du nombre de labours pour chaque espèce cultivée et de l’assolement – ce dernier étant précisément conçu pour étaler au mieux le calendrier de travail des bêtes de trait, compte tenu des contraintes juridiques, économiques et techniques. Elle est la base de calculs de Gautier de Henley au Moyen-Age, et a servi jusqu’au début du XIXe siècle à indiquer les dimensions d’un domaine :

« Si vos terres sunt departies en treis, la une partie a yvernage e lautre partie a qaremel e la terce a waret, duncqe est la carue [de terre de] ixxx acres."

E si vos terres sunt departies en deus cum sunt en plusurs pais, la une meite seme a yvernail e a qaremel e lautre mette a waret, e duncqe sera la carue de terre de viii vintz acres. Alez a la estente e veet comben des acres vus avet en demeyne e la poez estre certefie.
E autretant avera la carue de uyt vintz acres a fere cum la carue de neof vintz acres. Le volez veer? Qant a uit vintz acres, qarante acres a yvernail, e qarante a qaremel, e qatre vintz a waret; returnez e rebynez les qatre vintz acres e dunqe yra la carue a duzze vintz acres.
En dreit de la carue de neof vintz acres, sesante acres a yvernail, e sesante a qaremel, e sesante acres a waret; e pus returnez e rebinez les sesante acres e adunqe ira la carue en lan duzze vintz acres, [sicome fayt la charue de viii vyntz acres]. » (de Henley, ca. 1280 - texte établi par Oschinsky,

Si vos terres sont divisées en trois, une partie en céréales d’hiver, l’autre en cultures de printemps et la troisième en guéret, donc est la charrue [de terre de] 9x20 (180) acres.

Et si vos terres sont divisées en deux, comme elles le sont en plusieurs pays, une moitié semée en céréales d’hiver et cultures de printemps, et l’autre moitié en guéret, donc la charrue de terre de 8x20 acres. Allez voir sur l’estente combien d’acres vous avez dans le domaine, et là vous pourrez être sûr.
Et autant aura la charrue de 8x20 acres à faire comme la charrue de 9x20 acres. Le voulez-vous voir ? Quant à 160 acres, quarante acres en blé d’hiver, et quarante en carême, et quatre-vingts en guéret, retournez et rebinez les quatre-vingts acres et donc ira la charrue à 12x20 acres.
Quant à la charrue de 9x20 acres, soixante acres en hivernage, et soixante en carême, et soixante acres en guéret, et puis retournez et rebinez les soixante acres et donc ira la charrue dans l’année 240 acres [comme fait la charrue de 8x20 acres].
(Transcription en français actuel par P. Morlon)

« …un domaine d'une charrue de quatre chevaux… » (Quesnay, 1756 : 539)

« Le plus grand nombre des fermiers de cet endroit n’ont que quatre ou cinq vaches et quatre-vingts moutons, pour une exploitation de trois charrues » ; « Comme le trèfle, surtout quand on le sème avec de l'avoine, ne nuit à aucune autre culture, qu'il donne une récolte précieuse sur l'année en jachère, il ne peut qu'être avantageux, pour un cultivateur, d'en semer une grande quantité chaque année. Cette quantité doit être de douze ou quinze arpents, au moins pour une ferme de trois charrues. » (Lavoisier, [1788] 1862 : 814 ; [s.d.] 1893 : 233 .).

Un possible indicateur de l’utilisation des terres

Localement, l’emploi de telle ou telle unité peut être lié à l’utilisation des terres, et donc, pour un observateur extérieur (ou postérieur), en être un indicateur. Par exemple, dans l’ouest de la France, le journal mesure des terres labourables et l’hommée des prairies ou des vignes. Un verger est en hommées car il fournit de l’herbe à faucher, comme une prairie. Un jardin est en hommée de bêcheur, ce qui n’est pas la même chose qu’une hommée de prairie. Mais il faut être très prudent car ce qui est vrai à un endroit peut ne l’être pas à un autre, une distinction faite par les cultivateurs peut ne pas être faite par les écrivains en agriculture, et enfin tout cela peut varier dans le temps !


Discussion.

Signification et cohérence des unités de la pratique

La production récoltée sur la surface labourée en un jour ne doit à priori pas être considérée comme un rendement par unité de surface, mais (en l’ayant divisée par le nombre de labours) comme la productivité du travail de labour. C’est cette productivité qu’il faut considérer, et non le rendement à l’hectare, pour comprendre les choix techniques des paysans, dans tous les systèmes où ce travail est facteur limitant (Bourliaud et al., 1986, Morlon et al., 1992). Il en est de même dans ceux où c’est la semence.

« Ainsi l’arpent, mesure de Blois, et la septerée vendômoise sont deux mesures à peu près égales. La quantité de blé que produisent l’une ou l’autre de ces mesures est, année commune, d’environ 1,000 livres pesant, c’est-à-dire d’un peu plus de 4 setiers, mesure de Paris ; c’est environ cinq fois la semence. » (Lavoisier, [1788] 1862 : 813-814.).

Or, rendement à la semence et rendement à l’hectare sont antinomiques ; dans les situations de disette évoquées ci-dessus, les cultivateurs cherchent très logiquement et rationnellement à maximiser le rendement à la semence, avec des densités de semis très faibles. Celles-ci conduisent souvent à de faibles rendements à l’hectare, qu’il serait absurde de prendre comme bases de jugement ! Mais attention : les apparences peuvent être trompeuses - autrefois en Europe, on exprimait le rendement par rapport à la semence, mais on semait à la volée, méthode qui gaspille la semence pour épargner le travail...

Combien de jugements erronés, combien de comparaisons (dans l’espace ou dans le temps) absurdes n’éviterait-on pas si, au lieu de tout ramener à une seule unité, on essayait de comprendre - en tenant compte des relations sociales précises du lieu et du moment - les relations entre les techniques utilisées par les paysans et les facteurs limitants ou contraintes qu’ils ressentent – en particulier, les disponibilités et coûts relatifs de la terre, du travail et des semences, comme l’explique Sigaut ([1982] 1988 ; 1992) (voir annexe 4). Comme l’a montré Kula (1984), chaque mesure sert à mesurer quelque chose de différent, a un usage particulier et est fondée sur le caractère particulier de chacun d'eux ; et indiquer des mesures et des prix sans préciser les pratiques exactes en usage dans les sociétés concernées est, par conséquent, inadéquat pour rendre compte du réel (Servet, 1989).

Problèmes des unités spécifiques

Liées à la pratique, ces unités adaptées aux conditions de milieu et aux techniques locales n’étaient pas… pratiques à d’autres échelles car, comme l’écrit Olivier de Serres, elles avaient « diverses mesures selon les divers pays ».

« Le Journal se divise en 900 toises quarrées ou en 100 perches quarrées valant trois toises, ou 18 ou 20 ou 22 pieds y en ayant de trois sortes, grande, moyenne ou petite. Ainsi si on mesure le Journal avec la perche, il faut toujours préciser le nombre des pieds qu’elle contient pour éviter l’erreur, & tout cela se regle selon l’usage des pays.texte » (Liger, 1715, t.2, p. 34.).
« L'arpent contient en Anjou cent perches quarrées de vingt cinq pieds chacune. A Paris il est composé du même nombre de perches, mais elles ne sont que de dix-huit pieds ; il varie également dans plusieurs Provinces du Royaume. » (Turbilly, 1760 : 126.).
« HOMMÉE, mesure de champs, des vignes dans plusieurs provinces, expression tirée du travail qu’un homme peut faire dans un jour. Cette mesure n’est pas plus fixe que les autres ; elle varie souvent de village à village ; mais communément il faut huit hommées pour faire un arpent de Paris. » (Rozier, [1784] 1793, t. 5 : 492.).

Quelle surface un attelage peut-il labourer en un jour ? Cela dépend :

  • de la longueur du jour, donc du mois de l’année - dès l’antiquité, Palladius termine chaque mois de son calendrier agricole par un tableau de correspondance.
  • du nombre et de la vitesse d’avancement des animaux qui tirent la charrue :
« Une charrue menée par des bœufs, laboure dans les grands jours environ trois quartiers de terre ; une charrue tirée par des chevaux, en laboure environ un arpent & demi : ainsi lorsqu'il faut quatre bœufs à une charrue, il en faudrait douze pour trois charrues, lesquelles laboureraient environ deux arpents de terre par jour ; au lieu que trois charrues menées chacune par trois chevaux, en laboureraient environ quatre arpents & demi. Si on met six bœufs à chaque charrue, douze bœufs qui tireraient deux charrues, laboureraient environ un arpent & demi ; mais huit bons chevaux qui mèneraient deux charrues, laboureraient environ trois arpents. S'il faut huit bœufs par charrue, vingt-quatre bœufs ou trois charrues labourent deux arpents ; au lieu que quatre forts chevaux étant suffisants pour une charrue, vingt-quatre chevaux, ou six charrues, labourent neuf arpents : ainsi en réduisant ces différents cas à un état moyen, on voit que les chevaux labourent trois fois autant de terre que les bœufs. Il faut donc au moins douze bœufs où il ne faudrait que quatre chevaux. » (Quesnay, 1756 : 529-530.).
  • de la profondeur du labour, qu’on adaptait à l’état préalable du terrain en approfondissant à chaque labour ; et bien sûr de la texture du sol et de son humidité…
« On ne peut pas, vu la prodigieuse diversité des terres, donner de règles certaines sur le nombre de journées qu’elles exigeront ; c’est pourquoi l’usage du canton et celui de la province vous décideront aisément sur ce nombre en tout genre de culture, plant ou semence. » (Palladius, [ca 450], livre I §6).).

Quant aux surfaces semées avec un certain volume de semence, elles sont d’abord fonction des espèces végétales - il fallait donc toujours préciser « de froment », « d’orge », « de fèves », sauf là où une espèce principale s’imposait comme référence unique. Et de la fertilité du sol, différente d’un terrain à l’autre.

Autant de facteurs de variation qui faisaient que ces unités ne pouvaient en tout état de cause être que des moyennes, sur les saisons de l’année et sur une certaine étendue (la paroisse, le « pays », la province…).

Qui plus est, elles étaient liées aux moyens techniques, qui ont toujours évolué avec le temps, même imperceptiblement. Ce qui fait que, comme le note Olivier de Serres (voir annexe 5), la correspondance entre réalités techniques et unités de mesure n’était plus vraie au bout d’un certain temps, même en moyenne, dans les cas où les dernières ont été maintenues fixes au cours des siècles (Derville, 1987)…

Et la plupart de ces mesures ont-elles-mêmes pu varier au cours du temps, ce qui rend hasardeuses les conversions en hectares. Pour les départements français (et à leur échelle : il pouvait s’agir de moyennes…), des tableaux de transcription des anciennes mesures en hectares ont été faits au moment de l’adoption du système décimal. Ces tableaux sont valables au début du XIXe siècle, et on peut estimer qu’ils le sont pour le XVIIIe. Mais avant ? Comment être sûr qu’un arpent du XVe siècle a la même superficie qu’un arpent du XVIIIe ou du XIXe siècle ? Toute personne qui s’intéresse à des documents anciens rencontre ce problème.


C’est ce qui a conduit à les standardiser sur de grandes étendues (cas de l’acre) ou, avec l’adoption du système métrique, à les remplacer par des unités générales comme l’hectare.


Conclusion

Nous garderons l’idée suivante : que ce soit dans l’étude du passé ou dans celle de systèmes « traditionnels » actuels, il faut se garder de vouloir convertir ces unités en hectares trop tôt, sans chercher à comprendre ce qu’elles signifient, ou sans vérifier si les facteurs de conversion qu’on utilise sont vraiment les bons !


Notes

  1. Il pouvait aussi être beaucoup plus grand, et relevant donc d’une autre définition : « c'est un sillion qe contint en sei vj acres solom les usages du pais » (C’est un sillon qui contient 6 acres selon les usages du pays - Year Books of Edward II, début XIVe siècle).


Pour en savoir plus

  • Hocquet J. (éd.), 1996. La diversité locale des poids et mesures dans l’ancienne France. Cahiers de métrologie, N° spécial, t. 14-15, 271 p.
  • Favory F. (ed.), 2003. Métrologie agraire antique et médiévale. Presses universitaires franc-comtoises, Besançon, 190 p. [en partie consultable sur Googlebooks]
  • La Maison des Sciences de l’Homme de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand a publié plusieurs volumes sur les anciennes mesures d’après les tables de conversion du début du XIXe siècle, par grandes régions de France : Centre-Ouest, Centre-Est, Massif central, Midi méditerranéen, Sud-ouest, Centre historique. Catalogue sur le site de la MSH.
  • Pour un exemple très démonstratif d’analyse de la cohérence des unités anciennes, voir : « Savoir-faire, savoir-mesurer. La conserverie nantaise », par P. Bonnault-Cornu et R. Cornu, Texte intégral sur le site revues.org.


Références citées

  • Bourliaud J., Reau R., Morlon P., Hervé D., 1986. Chaquitaclla, stratégies de labour et intensification en agriculture andine. Techniques et Culture, 7 : 181-225. Texte intégral sur le site revues.org.
  • Comet G., 2003. Mesures agraires et métrologie des grains : rendements et densités. In : Hocquet J. (éd.), 1996. La diversité locale des poids et mesures dans l’ancienne France. Cahiers de métrologie, 14-15 : 127-136.
  • de Henley G. (Walter of Henley), ca. 1280. Le dit de hosebondrie. Voir Lamond, 1890 et Oschinsky, 1971.
  • Derville A., 1987. Dîmes, rendements du blé et « révolution agricole » dans le nord de la France au Moyen-Age. Annales E.S.C., 42 (6) : 1411-1432. Texte intégral sur le site de Persée.
  • Dumont R., 1956. Voyages en France d’un Agronome. Nouvelle édition. Éditions M.-Th. Génin, Librairie de Médicis, Paris, 485 p.
  • Kula W., [1970] 1984. Les mesures et les hommes. Paris, Maison des Sciences de l'homme, 1984, 304 p.
  • La Bretonnerie (de), 1783. Correspondance rurale. Tome II, Onfroy, Paris, 590 p.
  • Lamond E., 1890. Walter of Henley's Husbandry, together with an anonymous husbandry, Seneschaucie and Robert Grosseteste's Rules. Longman, Green & Co, London. Teste intégral sur archive.org.
  • Lavoisier A.L., [1788] 1862. Résultats de quelques expériences d’agriculture, et réflexions sur leurs relations avec l’économie politique. Œuvres complètes, Imprimerie Impériale, Paris, t. II, p. 812-823. Texte intégral sur le site Lavoisier du CNRS.
  • Lavoisier A.L., [s.d.] 1893. Instruction sur la culture du trèfle. Œuvres complètes, t. VI : 230-235
  • Liger L., 1715. Dictionnaire pratique du bon ménager de campagne et de ville. Paris, 2 t., 449 & 407 p.
  • Lullin de Châteauvieux F., 1845. Voyages agronomiques en France. T. 2. La Maison rustique, Paris, 564 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Morlon P., Bourliaud J., Reau R., Hervé D., 1992. Un outil, un symbole, un débat : la "chaquitaclla" et sa persistance dans l’agriculture andine. In P. Morlon (coord.), Comprendre l'agriculture paysanne dans les Andes Centrales (Pérou-Bolivie). INRA, Paris : 40-86. Présentation sur le site de Quae.
  • Oschinsky D., 1971. Walter of Henley and Other Treatises on Estate Management and Accounting. Clarendon Press, Oxford, xxiv + 504p.
  • Palladius, [ca. 450] 1844. De re rustica. In: Les agronomes latins, Firmin-Didot, Paris: 523-650. Autre traduction sur Texte intégral sur le site remacle.org.
  • Quesnay, 1756. Article « Fermiers ». In : Diderot & d’Alembert, Encyclopédie, t. 6: 529-540. Texte intégral sur le site de l'ATILF.
  • Rozier F. (Abbé), 1783. Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire, suivi d’une Méthode pour étudier l’Agriculture par Principes, ou Dictionnaire universel d’agriculture. Paris, Libraires associés, t. 2.
  • Rozier F. (Abbé), [1784] 1793. Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire... T. 5, 736 p.
  • Seebohm F., 1883. The English village community. 2d edition Texte intégral sur archive.org.
  • Seneschaucie (anonyme), ca. 1275. Voir Lamond, 1890 et Oschinsky, 1971.
  • Serres O. de, 1605. Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs. 3e édition revue et augmentée par l’Auteur. Réimpression fac-simil, Slatkine, Genève, 1991, 1023 + 22p. Également : Actes Sud, Paris, 1996, 1463 p. (basée sur l’édition de 1804).

Servet J.M., 1989. Note de lecture du livre « Les mesures et les hommes » de W. Kula. Revue économique, (40) 1 :111-118. Texte intégral sur Persée.

  • Sigaut F., [1982] 1988. L’évolution technique des agricultures européennes avant l’époque industrielle. Revue archéologique du Centre de la France, 27, 1 : 7-41. Texte intégral sur le site de Persée. (Conférence donnée sous le titre « Formes et évolution des techniques » au Congrès d’histoire économique Grand domaine et petite exploitation, Budapest, août 1982).
  • Sigaut F., 1992. Rendements, semis et fertilité. Signification analytique des rendements. In : Patricia Anderson, ed, Préhistoire de l'agriculture : nouvelles approches expérimentales et ethnographiques. CNRS, Paris : 395-403.
  • Turbilly L.F.H. de, 1760. Mémoire sur les défrichemens. D’Houry, Paris, 322 p.
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