Limon : le mot - Annexe 2

De Les Mots de l'agronomie
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Date de mise en ligne
8 novembre 2025
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Cette annexe se rapporte à l'article Limon : le mot.

Le « limon des plateaux » et l’agriculture - Sens géologique moderne

Il s’agit de dépôts meubles, récents, de granulométrie et de texture limoneuses, recouvrant des roches plus anciennes, et dont la mise en place est restée longtemps controversée.

Au cours des quarante premières années du XIXe siècle, la géologie et la minéralogie modernes viennent à peine de naître. Les géologues se concentrent sur la caractérisation, le classement stratigraphique et la cartographie des diverses roches. Ils ne s’intéressent pas encore à ces formations superficielles.


Omalius d’Halloy l’admet dans son Essai de carte géologique de la France, des Pays-Bas et des contrées voisines (1813 mais publié en 1822, p.375) : « On n’a pu de même faire attention aux lambeaux de terrains mastozootiques[1] qui se trouvent sur presque toutes les autres formations, ni à ces dépôts superficiels de matières meubles qui, en général, recouvrent presque tous les terrains sur lesquels la végétation a pu s’établir ».


L’expression « limon des plateaux » semble apparaître au milieu du XIXe siècle, par opposition aux « limons des vallées » censés résulter d’un dépôt par les cours d’eau et situés en positions basses. Voici quelques jalons chronologiques :


« La masse terreuse du terrain pampéen, avec ses nodules à ciment calcaire, rappelle le loss des bords du Rhin, le limon des plateaux de la Picardie, et les dépôts analogues qu’on observe en quelques points des environs de Paris. C’est un des exemples les mieux caractérisés et les plus développés de ces dépôts de sédiment non stratifiés, que les géologues, à l’exemple de M. d’Omalius d’Halloy, désignent aujourd’hui sous le nom de limon. » (D’Orbigny, 1842 : 23).


« Au-dessus de la formation à silex qui, sur une épaisseur plus ou moins considérable, recouvre la craie, s’étend encore une couche assez régulière d’argile limoneuse qui, à proprement parler, forme la couverture de toutes les terres à blé du pays chartrain. (…)
… on s’aperçoit assez facilement que le dépôt de l’argile à silex et celui du limon correspondent à deux phénomènes géologiques tout-à-fait distincts. Cette séparation de caractères se trahit par la nature agricole du sol : l’argile à silex donne un sol siliceux, brûlant ; le limon, au contraire, se prête admirablement à la culture des céréales et contient tous les éléments d’une grande fertilité. Ce qui prouve d’une manière évidente qu’on ne doit point le confondre avec l’argile à silex… Cette composition donne à ce dépôt le caractère d’un véritable limon, puisque l’argile, le sable et le calcaire s’y trouvent mélangés en particules extrêmement ténues (…).
C’est à la composition de ce limon que les grandes plaines du département d’Eure-et-Loir doivent d’être si renommées comme terres à céréales. » (Laugel, 1858 : 100-101).


«  Le limon des plateaux forme, au point de vue agricole, le terrain le plus important de tout le département, c’est la terre à-blé par excellence ; géologiquement, ce terrain a aussi une très grande importance, il se rattache aux dépôts limoneux qui recouvrent les plateaux dans le département de l’Eure, de la Seine-Inférieure, de la Somme et en général du nord de 1a France. Par là, il se rattache aux terrains pliocènes du nord de l’Allemagne, de la Pologne, du Danemark, de la Russie ; tout l’ensemble de ces terrains a quelquefois été compris par M. Elie de Beaumont sous le nom de diluvium Scandinave, parce qu’ils se sont formés sous l’influence de courants venus du nord, au lieu que les terrains diluviens de nos vallées se sont formés sous l’influence de puissants courants venant des Alpes. » (Laugel, 1859 : 89 et 90). On notera que cet auteur rattache les limons des plateaux au Pliocène et impute leur origine à un « diluvium scandinave » : des courants venus du nord !


En 1871, dans une note consacrée « à la formation des limons » Omalius d’Halloy propose une origine insolite : « [Omalius d’Halloy] se préoccupait depuis longtemps d’une des questions les plus difficiles de la géologie de la Belgique et du Nord de la France, de l’origine du limon qui couvre toutes nos plaines et qui atteint souvent 10 mètres d’épaisseur. Il croyait que cette immense nappe était sortie par éjaculation de l’intérieur de la terre » (Gosselet, 1878).


« Or, si l’origine glaciaire du limon des plateaux ne peut être contestée, on ne saurait davantage révoquer en doute la préexistence de ce produit par rapport au limon des vallées ». « Les dépôts considérés jusqu’ici comme tels sont de deux sortes principales : le limon des vallées, qui est un apport fluvial, et le limon des plateaux, qui est un produit atmosphérique.
La provenance fluviatile du limon des vallées est attestée : 1° Par ce fait qu’il ne contient à peu près que des débris roulés…
Pour le limon des plateaux, la preuve de sa formation à l’air libre résulte : 1° De l’absence dans ce produit de tout débris roulé, à moins que le sous-sol n’en contienne lui-même, cas auquel les débris sont identiques à ceux que possèdent les formations sous-jacentes ou immédiatement voisines; 2° De la subordination des caractères de ce limon à celui des terrains qu’il recouvre. » (Martin, 1873 : 151 et 156).


« Nous nous bornons à constater ce fait indéniable que le limon, dans sa constitution comme dans sa manière d’être, porte la marque évidente du ruissellement à l’air libre ». (de Lapparent, 1885).


« Ainsi nous avons en Picardie, comme dans le pays de Caux, trois types principaux de terrains aussi bien caractérisés par leur origine géologique que par leur composition chimique et physique : la craie, le bief à silex et le limon des plateaux » (Risler, 1889 : 252).


« En 1883, M. Bucaille avait communiqué une note sur l’étude des limons de dix-huit briqueteries des environs de Rouen et les instruments qu’il y avait recueillis. Au congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, tenu à Rouen la même année, il fit également une communication et à la suite, le journal L’Homme publiait dans le n° 8, du 25 avril 1884, p. 242, la phrase suivante : « M. Bucaille a reconnu dans les limons quaternaires la superposition très nette des silex taillés moustériens sur les chelléens. » Pour rectifier cette assertion, M. Bucaille publia une nouvelle note dans le Bulletin de la Société des Sciences naturelles de Rouen, 1885, p. 30 : « A une altitude qui dépasse ordinairement 110 mètres, il a recueilli, dans le limon des plateaux, … toutes les formes d’instruments des types chelléen et moustérien, à une profondeur variant entre 4 et 5 mètres. MM. le Dr Capitan et d’Ault du Mesnil ont publié dans les fascicules nos 6 et 7 du 15 juillet et 15 août dernier, du Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, une note intitulée : « Recherches géologiques et palethnologiques sur le lœss des environs de Rouen ». Ce travail confirme les opinions émises lors de nos précédentes réunions. » (Coutil, 1893 : 108)


« J’ai l’honneur de présenter à la Société quelques silex taillés, recueillis dans le limon des plateaux de la Picardie… Pour éviter toute confusion, toute erreur d’interprétation, je tiens à dire que j’appelle ici quaternaire supérieur le vaste manteau de limons - très généralement avec cailloux éclatés, non roulés, à la base, - qui recouvre le Nord de la France, et au moins une partie de la Normandie - terre à briques, avec ou sans ergeron, et probablement, en certains endroits tout ou partie de l’assise moyenne de M. Ladrière. - Je ne conteste assurément pas que l’âge du renne ne rentre dans l’époque quaternaire et n’en soit la fin. Mais, selon moi, il est postérieur à toute formation géologique, véritablement digne de ce nom. Ni les éboulis, ni même les rares alluvions fluviatiles, qui recouvrent les foyers de cette période, ne méritent d’être appelés des formations géologiques. La plus récente de ces formations - au moins chez nous - c’est le limon des plateaux » (d’Acy, 1894).


« Sur des roches appartenant aux terrains crétacé et tertiaire s’étend, comme un manteau, un dépôt ordinairement jaunâtre formé de sable et de limon, qui recouvre plus des trois quarts du département du Nord. Ce dépôt limoneux, dont l’épaisseur atteint parfois une douzaine de mètres, a été longtemps considéré comme le résultat d’un seul phénomène géologique. Des études minutieuses ont appris à M. Ladrière qu’il présente en réalité trois périodes de formations bien distinctes, et à chacune de ces trois assises correspond une série de couches ayant des caractères différents ». (Daubrée, 1895 : 184).


« Nos expériences les plus importantes et les plus prolongées ont eu pour théâtre nos champs d’expériences de Gas et de Cloches, situés tous deux dans le limon des plateaux, le premier au commencement de la Beauce proprement dite, et le second dans le Drouais » (Garola, 1903 : 266).


« Dans notre Bassin parisien, nous avons tous les éléments pour l’étude du Quaternaire dans ses nombreuses formations, depuis les Limons supérieurs des Plateaux, qui ont une altitude de 210 mètres, jusqu’aux bas graviers, qui forment les diluviums des vallées » (Reynier, 1912).


« En France, les sols qui se montrent les plus fertiles sont représentés par les limons à éléments fins, homogènes et profonds, renfermant 12 à 18 % d’argile et 1 à 2 % d’humus. Toutefois, l’entretien de la fertilité de ces sols exige un travail très soigné et le maintien de leur faible stock de matières humiques. Très souvent, c’est la constitution physique des sols qui conditionne leur fertilité, tantôt parce que leur capacité de rétention pour l’eau est insuffisante, tantôt parce que leur compacité et leur imperméabilité s’opposent aux échanges gazeux avec l’atmosphère. Dans ce dernier cas, le drainage constitue l’amélioration nécessaire. Une structure schisteuse se montre défavorable à la pénétration des racines. Les boulbènes de la vallée de la Garonne, décalcifiées et privées d’humus, se noient en hiver et se dessèchent en durcissant pendant l’été, tandis que les limons du N de la France, moins pauvres en matières humiques et non décalcifiés, gardent une structure favorable » (Demolon, 1932 : 325).


En 1951, Riedel et Franc de Ferrière publient un article intitulé : « Les sols de limon des plateaux de la Brie française ». Ils distinguent quatre types de limons : les limons anciens, les limons blancs, les limons bruns et les limons de remaniement superficiel dont les propriétés agronomiques sont foncièrement différentes. Ils concluent : « Ainsi, d’un seul niveau géologique, les limons des plateaux du quaternaire, la pédologie en fait plusieurs et qui correspondent bien aux notions confuses et empiriques des cultivateurs. Les analyses de toute nature confirment la vocation particulière des huit divers types de sols arables que nous avons définis. Nous avons donc en mains, grâce à la pédologie, une méthode précise qui nous permet de baser nos conseils aux agriculteurs sur des arguments plus valables et plus précis que les anciennes références : sol argilo-siliceux., silico-argileux, silico-sableux, références qui, au regard des progrès actuels de la science des sols, ne signifient plus rien ». Ces travaux seront repris et publiés 22 ans plus tard par Jamagne (1973), à l’échelle plus large du Bassin parisien.


« LP. Limons des Plateaux. Ce terme désigne de manière traditionnelle des limons, très homogènes, recouvrant les surfaces planes du Bassin parisien. Ces limons sont meubles mais cohérents. Ils ne sont ni collants, ni plastiques à l’état humide et donnent de la poussière à l’état sec ; leur couleur, brun jaune, devient plus foncée quand ils sont imprégnés d’eau. Ces limons forment une couverture continue et épaisse sur l’ensemble du plateau de Caux. En haut des versants, ils passent insensiblement aux colluvions dont ils sont un des constituants principaux. Les épaisseurs relevées sur la feuille varient de 5 à 10 mètres » (Menillet, 1969)


Quoiqu’un peu désuète, la formule « limon des plateaux » continue d’être employée par les archéologues, les géologues, les botanistes et les pédologues.

« Lors des glaciations, l’air est très sec puisque l’eau est à l’état solide. Les vents venant des zones de hautes pressions nordiques transportent les particules fines sur de grandes distances et les déposent dans les dépressions, formant le lœss, partie importante des limons des plateaux. Actuellement, les lœss ne sont plus présents que sur les plateaux et aux interfluves car l’érosion par l’eau les a évacués des pentes » (Pautrot, 2011).

« La formation des Limons des plateaux, au nord de Tours, consiste en un ensemble de dépôts lœssiques mis en place au cours du Weichselien moyen. Les récentes opérations d’archéologie préventive ont permis la découverte sur quatre sites d’industries lithiques du Moustérien ainsi que l’obtention de datations absolues » (Gardère & Djemmali, 2018).

« Les matériaux les plus favorables à l’illuviation d’argiles sont les matériaux limoneux déposés et bien triés par l’action du vent à longue distance (pouvant être remaniés ensuite anciennement par ruissellement). Souvent baptisés « limons des plateaux », ils présentent une granulométrie initiale où dominent les fractions limoneuses (65 à 75 % de particules comprises entre 2 et 50 μm), particulièrement les limons grossiers » (Baize, 2025)


Mésusage de la notion

Sur certaines cartes géologiques anciennes, on trouve le terme de « limon des plateaux » désignant des matériaux qui ne sont nullement limoneux.

Plaisance et Cailleux (1958) confirment : « Sur [certaines] cartes géologiques le terme limon ou limon des plateaux, a été appliqué à des formations extrêmement diverses allant des vrais limons aux graviers résiduels, argiles et roches en places altérées. Un tel abus n’est justifié par rien et doit être proscrit rigoureusement ».

En voici un exemple caricatural trouvé dans Horon et al., 1966 : « LP. Limons des plateaux. Des dépôts limoneux s’étendent sur les plateaux jurassiques et le socle à des altitudes généralement supérieures à 250 m. Ils sont formés d’argiles, de sables granitiques avec grains de quartz bipyramidé, de lits de cailloutis et de galets siliceux… ».


Notes

  1. Terrain qui contient des débris fossiles de mammifères


Références citées

  • Acy E. d’, 1894. Des silex taillés du limon des plateaux de la Picardie et de la Normandie. Bull. Soc. Anthropol. Paris, IV (5) : 184-215. Texte intégral
  • Baize D., 2025. Le lessivage des argiles dans les sols – Luvisols et planosols. Site PlanetTerre. Texte intégral
  • Coutil L., 1893. Note sur les limons des environs de Rouen. Bull. Soc. Normande Études préhistoriques, t. 1, Louviers, 151 p.
  • Daubrée A., 1895. Rapport sur un essai de géologie agricole de Mr Ladrière. Mémoires publiés par la société nationale d’Agriculture de France, t. 136. Texte intégral sur Gallica.
  • Demolon A., 1932. La dynamique du sol. Dunod, Paris, 347 p.
  • Gardère P., Djemmali N., 2018. Découpage séquentiel et nouvelles données archéologiques des Limons des plateaux au nord de Tours (Indre-et-Loire). Rev. Archéol. Centre de la France, 57, 18 p.
  • Garola C.V., 1903. Engrais. Baillière et fils, Paris, 502 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Gosselet J., 1878. Notice nécrologique sur Jean-Baptiste-Julien d’Omalius d’Halloy. Bull. Soc. Géologique de France. Texte intégral]
  • Jamagne M., 1973. Contribution à l’étude pédogénétique des formations loessiques du Nord de la France. Thèse. Faculté Universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux. 445 p.
  • Lapparent A. de, 1885. Sur l’origine du limon des plateaux. C. R. Acad. Sci. Paris, séance du 20 avril : 456-461.
  • Laugel A. 1858 et 1859. Rapport sur les travaux de la carte géologique-agronomique du département d’Eure-et-Loir. Conseil général d’Eure-et-Loir. Rapport du préfet et procès-verbal des délibérations. Session de 1858. Texte intégral, Session de 1859. Texte intégral sur Gallica.
  • Martin J., 1873. Limon rouge et limon gris. Observations sur divers produits d’origine glaciaire en Bourgogne. Mém. Acad. Sciences, arts et belles-lettres de Dijon. Section des sciences. Années 1871-1872, 158 p.
  • Menillet F., 1969. Carte géologique de la France à 1/50.000 – Feuille Bolbec. Notice.
  • Omalius d’Halloy J.B.J. d’, 1822. Sur un essai de carte géologique de la France, des Pays-Bas et des contrées voisines. Annales des mines, 1 (7) : 353-376.
  • Omalius d’Halloy J-B.J. d’, 1871. Note sur la formation des limons. Bull. Acad. Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 31 : 484–518.
  • Orbigny A. d’, 1842. Voyage dans l’Amérique méridionale (…) exécuté pendant les années 1826, 1827, 1828, 1829, 1830, 1831, 1832 et 1833. T. 3, 3e partie : géologie. Paris, Strasbourg. 289 p. + figures. Texte intégral sur Gallica.
  • Pautrot C., 2011. Formations superficielles en Lorraine. Mém. Acad. Nationale Metz : 65-77.
  • Plaisance G., Cailleux A., 1958. Dictionnaire des sols. La maison rustique, Paris. VII-604 p.
  • Reynier Ph., 1912. Les Limons des Plateaux en Seine-et-Marne. Bull. Soc. préhistorique de France, 9 (2) : 144-146. [doi : https://doi.org/10.3406/bspf.1912.6396 Texte intégral]
  • Riedel C.-E., Franc de Ferrière J., 1951. Les sols de limon des plateaux de la Brie française. Annales agronomiques, 6, pp. 782-802.
  • Risler E., 1889. Géologie agricole. 1e partie du cours d’agriculture comparée. T. II. Paris, 424 p.
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