Excès d'eau : origines et moyens de lutte

De Les Mots de l'agronomie
Révision datée du 8 décembre 2022 à 18:43 par Pierre Morlon (discussion | contributions) (Catégorie:E)

Auteurs : Gérard Trouche et Pierre Morlon

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Article accepté le 26 octobre 2017
Article mis en ligne le 31 octobre 2017



L’excès d’eau affecte (encore) très largement les terres agricoles françaises. Penel (1988) estimait que le tiers de la S.A.U. était concerné, et Lesaffre (1982) indiquait que le besoin en drainage était « urgent » pour 3 millions d’hectares et à plus long terme nécessaire pour 10 millions. Ce dernier chiffre est du même ordre de grandeur que l’estimation de Barral (1854) pour qui 12 millions d’hectares en France devaient recevoir un drainage.

La lutte contre l’excès d’eau a une longue histoire ; elle fait appel à des techniques très diverses ; elle s’appuie sur une analyse locale précise des origines de l’excès d’eau et du fonctionnement hydrique du sol.


Une longue histoire.

Dans le chapitre introductif de l’Histoire de la France Rurale (1975 : 78), G. Bertrand écrit « La maîtrise de l’eau est un des éléments prépondérants de la conquête et de l’utilisation de l’espace agricole français ». Les premiers agriculteurs choisissent de défricher les terrains qui ne sont affectés ni du trop, ni du manque d’eau. Irrigation et drainage, sous des formes très variées dans le temps et l’espace, furent très tôt mis en œuvre pour surmonter ces handicaps. Des traces de canaux dans des marais du département de l’Isère en France font remonter les aménagements d’hydraulique agricole à l’âge du fer (Bernigaud, 2012). Les aménagements pour réduire l’excès d’eau laissent des traces très durables ; en Espagne, les traces des centuriations[1] romaines sont en général effacées là où il y a eu irrigation postérieure ; par contre c’est là où il y a drainage d’époque romaine qu’elles sont le mieux conservées.

Les écrivains en agriculture ont, dès l’Antiquité traité de la gêne liée à l’excès d’eau, de ses effets néfastes sur les cultures, et indiqué des moyens pour y remédier : « Il faut dessécher les terres arables pendant l'hiver. Sur les hauteurs on tiendra bien évidées les rigoles d'écoulement. (…). Lorsque la pluie s'annoncera, on emmènera tous ses gens (…) pour ouvrir les canaux d'écoulement et conduire l'eau sur les chemins, afin qu'elle ne séjourne pas sur les récoltes. » (Caton l’Ancien, ca. 175 av. J.C.) ; « Maintenant faisons plutôt mention du sol fertile (…) S'il est humide, on le desséchera au moyen de fossés qui recevront les eaux surabondantes » (Columelle, ca. 42 après JC).

Ceux de la Renaissance considèrent l’excès d’eau comme plus nuisible que toute autre gêne : « S’il y a un marais ou eau dormante, en quelque partie de ton pré, il la faudra écouler & mettre hors, par conduits & tranchées : car sans doute l’abondance d’eau y nuit autant que la faute, & pénurie ou disette. » (Estienne & Liébault, 1572, f. 181v) ; « Et d'autant que le vice du trop d'eau, excède en malice, & celui des ombrages, & celui des pierres, ainsi qu'a été dit ; plus qu'à ceux-ci faut-il aussi employer de labeur pour y remédier : dont finalement le profit, pour récompense, en sort plus grand, que de nulle autre réparation qu'on puisse faire à la terre, tant fructueuse est celle qui la despestre des eaux malignes », écrit Olivier de Serres (1605 : 68), avant d’exposer en détail les principes de conception et les règles de réalisation de réseaux de fossés pour l’évacuation des « eaux nuisibles ».

Des solutions nombreuses et diverses ont été inventées, la plupart depuis fort longtemps. Chacune est adaptée au contexte de la première mise en œuvre. Leurs coûts et leur efficacité sont variables et les agriculteurs peuvent ainsi choisir la technique la plus approprié à leur cas particulier. Nous ne ferons ici qu’en tenter une classification (sans prétendre être exhaustifs), car la plupart font l’objet d’autres articles dans cet ouvrage.

Origines et formes de l’excès d’eau.

Les phénomènes en cause sont très complexes, résultant en général des caractéristiques de l’ensemble des couches et /ou horizons du profil : ce sont d’ailleurs souvent les différences de vitesse de percolation dans les différentes couches du profil qui créent l’engorgement. Toutefois, l’excès d’eau agricole ne doit pas être confondu avec l’hydromorphie pédologique. D’autres facteurs que la seule teneur en eau du sol interviennent.

Fig. 1. Cas schématiques d’excès d’eau dans une parcelle.


Schématiquement, l’excès d’eau qui se produit dans une parcelle résulte de venues extérieures provenant de l’aval (inondations et remontées de nappe), de l’amont (ruissellement de surface ou de faible profondeur) ou de l’intérieur même de la parcelle (sources et mouillères), ainsi que des précipitations sur la surface qui ne peuvent s’infiltrer en profondeur (fig. 1). La position de la parcelle dans l’environnement et la nature du sol qui la constitue conduisent à différentes formes d’excès d’eau (Concaret, 1981a).

Cas localisés

Fig. 2. Excès d’eau localisés et topographie.


Ces cas se rencontrent dans des situations topographique particulières, telles des cuvettes ou des bas de pente, qui provoquent localement, bien souvent par ruissellement, une accumulation d’eau excessive par rapport aux possibilités d’évacuation par le sol (fig. 2). Ils sont parfois qualifiés de « fausses mouillères ».

Fig. 3. Cas ponctuel d’excès d’eau en parcelle de céréale au printemps.
Fig. 4. Mouillères multiples de versant en prairie.


Les sources et mouillères apparaissant au milieu des parcelles (figs. 3 et 4) où la combinaison du relief et de la géologie entraînent l’arrivée à la surface de masses d’eau souterraines généralement en pression dans des nappes captives (fig. 5). La nature offre une très grande diversité de situations à partir de ce schéma type, en termes d’organisation hydrogéologique, de mode de fonctionnement, de débit et de position topographique.

Fig. 5. Schéma d’une mouillère (Trouche & Perrey, 1990).

Cas généralisés.

Dans ces situations, une grande partie de la surface de la parcelle est affectée par un excès d’eau qui affecte une épaisseur plus ou moins grande de sol.

Nappe profonde

Fig. 6 Drainage en sol à nappe profonde (Trouche et Perrey, 1990).

Ce cas correspond aux sols où la couche qui arrête l’infiltration de l’eau se situe au-delà de la profondeur habituelle de pose des drains, vers 1 m (fig. 6). Cette situation est décrite par de nombreux auteurs dans le monde (par ex. Guyon, 1966 & 1974).

Nappe perchée temporaire

Fig. 7. Variations saisonnières de la porosité et circulation de l’eau dans le sol (Trouche & Perrey, 1990).

L’approche précédente, largement partagée par les spécialistes du drainage dans de nombreux pays, ne permet pas de décrire les situations où le drain est situé dans la couche imperméable. C’est le cas des sols à profil hétérogène comme les planosols (Baize, 1984 ; Isambert & Daburon, 1984), les sols à glosses (Bouzigues & Favrot, 1984 ; Mériaux 1973), des sols mal structurés tels les boulbènes (Servat et al., 1972) ou encore quand la perméabilité du sol varie en fonction de l’humidité, notamment pour les sols gonflants. L’humectation provoque le gonflement du sol et donc la fermeture progressive des vides entre mottes ouverts en période sèche, et modifie ainsi les conditions de circulation de l’eau (annexe 1), allant jusqu’à l’imperméabilisation de couches situées à moins d’un mètre de la surface. Il s’ensuit la formation de nappes perchées temporaires qui provoquent l’ennoyage de la partie supérieure du sol, particulièrement préjudiciable aux activités agricoles (fig. 7) (Concaret, 1981b).

Autres cas particuliers

En période de crue, les terres de fond de vallée sont affectées à la fois par l’inondation en surface et la remontée de la nappe profonde dans le sol. Ce phénomène n’est généralement pas vécu comme un bienfait à l’instar des apports des limons fertiles par le Nil dans l’Égypte antique. Pour certaines zones alluviales, dans le cadre de la politique française de prévention des risques naturels liés aux inondations, des casiers d’expansion des crues sont parfois mis en place.

Un sol gelé dès la surface ne permet pas, lors des précipitations ou de légers dégels diurnes, l’infiltration de l’eau qui stagne alors à la surface du sol. Il faut alors s’abstenir de tout roulage.

Dans le massif du Jura en France, des prairies sont exploitées sur ou en périphérie de tourbières. L’aménagement de ces zones tient compte des intérêts souvent contradictoires entre l’activité agricole et l’importance écologique avérée de ces formations, ainsi que du statut foncier du territoire (Concaret, 1981a).


Des solutions très diverses

Les solutions pour lutter contre les excès d'eau varient en fonction de leur origine. D’autre part, elles couvrent un certain gradient : certaines constituent de réels investissements aux impacts radicaux et durables, d'autres correspondent à des pratiques recherchant à atténuer les effets des excès d'eau.

Éviter ou atténuer les effets

Pour limiter l'impact de l'excès d'eau sur son exploitation, l’agriculteur peut adopter diverses solutions :

  • éviter de cultiver les espèces trop sensibles ;
  • choisir des systèmes de culture où les stades sensibles des espèces cultivées ainsi que les interventions mécaniques se situent à priori à des dates où l’excès est le moins probable ;
Fig. 8. Équipement spécial pour récolter le maïs en conditions humides en Bresse (années 1970)(photo G. Trouche).


  • réduire le poids des engins, les équiper de roues jumelées ou pneus basse pression, voire de chenilles (fig. 8) ; rouler à grande vitesse lorsque cela est possible (avec des automoteurs légers pour les traitements phytosanitaires, par exemple). Les roues-cages sont parfois utilisées pour compenser le manque d’adhérence et fournir ainsi la puissance de traction suffisante, mais c’est alors dans des conditions d’humidité excessive où l’intervention culturale a de fortes chances de dégrader le sol ;
  • réserver une prairie saine (bien drainée) pour le pâturage en période humide ; ne sortir le bétail au printemps que lorsque le sol est bien ressuyé et le rentrer à l’automne dès qu’il est trop humide.

Toutefois, au niveau d'une exploitation, c'est la proportion du parcellaire affecté par les excès d'eau dans la SAU qui est déterminante : quand cette proportion est marginale, l'agriculteur peut adapter ses calendriers de travaux en diversifiant l’assolement à bon escient ; inversement, lorsque la quasi totalité des parcelles sont exposées, il doit alors réfléchir à un réel programme d'assainissement et de drainage, échelonné souvent sur plusieurs années pour des raisons financières. C’est d’ailleurs souvent l’amélioration apportée par le drainage qui permet d’évaluer a posteriori l’effet néfaste de l’excès d’eau et en particulier le frein à l’évolution de la production (Plantureux et al., 1992).

Canaliser l’eau par des aménagements permanents

  • - évacuer l’eau en aval par des collecteurs (assainir le terrain),
  • - empêcher son arrivée en amont par des fossés de ceinture,
  • - capter les mouillères s’il y en a,
  • - drainer par fossés ouverts ou conduits enterrés (tuyaux ou galeries de taupage).

Évacuer l’eau du terrain par le travail du sol.

Fig. 9. Champs bombés (« ados ») précolombiens réhabilités sur l’Altiplano près du lac Titicaca (Pérou). Il s’agissait de systèmes hydrauliques complexes avec apport d’eau en période sèche (voir Garaycochea et al., 1992).
(Photo © P. Morlon).

Il s’agit de créer dans le sol ou à sa surface des chemins d’écoulement préférentiel de l’eau en direction d’émissaires situés à l’extérieur du champ et pour cela :

  • - orienter le labour de façon à évacuer l’eau, éventuellement en enterrant en ligne les résidus végétaux tels les cannes de maïs (à condition de ne pas faire un sol trop tassé ou un labour fermé ne permettant pas une oxygénation suffisante de la matière organique sous peine de constituer un « gley de labour ») ;

- labourer en billons, modeler en champs bombés (fig. 9) ; il peut s’agir autant de placer les plantes cultivées au-dessus du niveau de l’eau, que de réellement évacuer celle-ci ; - creuser des rigoles de faible profondeur qui drainent des zones ponctuelles d’accumulation d’eau, généralement des petites dépressions.

Chercher à améliorer les propriétés physiques du sol : structure et stabilité structurale.

Selon les cas, il convient de :

  • - amender (chaulage, marnage). « L'eau s'échappe plus vite des terres, quand elles ont été marnées. (…) La marne, comme je l'ai dit plus haut, sèche la terre en la divisant & en la pulvérisant. Un champ amendé de cette manière, sera prêt a labourer au printemps, quatorze jours plus tôt qu'il ne le serait s'il n'était point marné. » (Home [1757] 1761 : 38, 140). Une enquête-expérimentale en limons de Bresse (Kockmann et al., 1990) a exploré les répercussions positives du chaulage sur le comportement des sols, la germination-levée des plantes et leur développement racinaire ; toutefois, ces effets s'extériorisent davantage dès lors que les sols sont drainés. .
  • - dessaliniser (gypsage) ;
  • - enrichir le sol en matière organique en enterrant les résidus de culture et épandant des ((fertilisation, fumure|fumures]] organiques, en évitant également la création de zones tassées favorables à l’apparition d’un « gley de labour ».


Autres langues

Latin : La racine latine sicc- ne se réfère pas à l’agriculture en sec (non irriguée), mais à des terres drainées, qui peuvent très bien être également irriguées.


Pour en savoir plus :

Le Bulletin Technique d’Information du Ministère de l’Agriculture a publié en 1972 deux numéros spéciaux (271-272 et 273-274) sur Assainissement et drainage, qui présente un état de la question en France à cette époque.

Références citées

  • Baize D., 1984. Fonctionnement hydrique de planosols en Champagne humide. In : C.R. colloque Fonctionnement hydrique et comportement des sols, Dijon, 22-25 mai. AFES, Orléans : 21-32.
  • Barral J.A., 1854. Manuel de drainage des terres arables. La Maison Rustique, Paris, 824 p. Texte intégral sur Gallica.
  • Bernigaud N., 2012. Dynamique des interactions socio-environnementales autour des marais de Bourgoin-la Verpillière et du Grand Plan (Isère), depuis le Néolithique jusqu’au XIXe siècle. Thèse de doctorat, Univ. Nice Sophia Antipolis, 517 p. Texte intégral sur Academia.edu.
  • Bertrand G., 1975. Pour une histoire écologique de la France rurale. In G. Duby & A. Wallon, dir., Histoire de la France rurale. Le Seuil, Paris, p 34-113.
  • Bouzigues R., Favrot J.C., 1984. Analyse de la porosité des horizons Bg de deux sols lessivés à pseudogley. Contribution au diagnostic de leur comportement hydrique. In : C.R. colloque Fonctionnement hydrique et comportement des sols, Dijon, 22-25 mai. AFES, Orléans :
  • Cellier P., Germon J.C., Hénault C., Genermont S., 1996. Les émissions d’ammoniac (NH3) et d’oxydes d’azote (NOx et NO2) par les sols cultivés : mécanismes de production et quantification des flux. In : Maîtrise de l’azote dans les agrosystèmes. INRA, Paris, Les colloques n° 83 : 25-37.
  • Concaret J., 1981a. Analyse des principaux cas d’excès d’eau. In : Concaret J. (dir), 1981. Le drainage agricole. Théorie et pratique. Chambre d’Agriculture de Bourgogne : 181-193
  • Concaret J., 1981b. Comportement agronomique des sols drainés. In : Concaret J. (dir), 1981. Le drainage agricole. Théorie et pratique. Chambre d’Agriculture de Bourgogne : 244-250
  • de Serres O., 1605. Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs. 3e édition revue et augmentée par l’Auteur. Réimpression fac-simil, Slatkine, Genève, 1991, 1023 + 22 p.
  • Estienne C., Liebault J., 1572. L’agriculture et maison rustique. Texte intégral sur Gallica.
  • Garaycochea I., Ramos C., Morlon P., 1992. L’archéologie appliquée au développement agricole : la reconstruction des ados précolombiens. In : Morlon P. (coordinateur). Comprendre l'agriculture paysanne dans les Andes Centrales (Pérou-Bolivie). INRA Éditions : 243-255.
  • Guyon G., 1966. Une théorie du drainage. Bull. Techn. G.R., n° 79
  • Guyon G., 1974. Le drainage agricole. Essai de synthèse. Bull. Techn. G.R., CEMAGREF, 117 : 1-66.
  • Home F., [1757] 1761. Les principes de l’agriculture et de la végétation. Paris, 155 p (+ 18 p de 2 mémoires d’un auteur français anonyme). Texte intégral sur archive.org; Texte intégralsur Openlibrary.org.
  • Isambert M., Daburon E., 1984. Sols très argileux du Cénomanien du Perche. Comportements hydrique et mécanique au champ. Application au drainage agricole. In : C.R. Colloque Fonctionnement hydrique et comportement des sols, AFES, Dijon : 175-189
  • Kockmann F., Fabre B., Chaussod R., 1990. Le chaulage en limons battants. Chambre d'agriculture de Saône-et-Loire, CEREF-ISARA, INRA Dijon. Perspectives agricoles, n°144, 12p.
  • Lesaffre B., 1982. L’assainissement agricole : approche technique et institutionnelle (I). CEMAGREF B.I., 295-296 : 67-83.
  • Mériaux S. 1973. Sur le processus de fonctionnement des drains en sol lessivé hydromorphe. Ann. agron., 24 (6) : 639-650.
  • Penel M., 1988. L’hydraulicien et l’excès d’eau. Perspectives agricoles, 126 : 22-30
  • Servat E., Dupuis M., Favrot J.C., 1972. Étude pédologique préalable au drainage. Origine, manifestation et diagnostic de l’excès d’eau dans le sol. Bull. Techn. Inf., 271-272 : 721-748.
  • Plantureux S., Bonischot R., Guckert A., 1992. Utilisation d'une typologie des prairies permanentes du Plateau Lorrain pour le diagnostic agronomique. Fourrages, 132 : 381-394.
  • Trouche G., Perrey C., 1990. Théorie et pratique du drainage agricole. Montage pédagogique, 154 diapositives, notice et bibliographie (37 p.), CNERTA, Dijon.


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