Désherbant, herbicide : un peu d'histoire - Annexe 1
Ce point de vue appelle débat. |
Cette annexe se rapporte à l'article Désherbant, herbicide : un peu d'histoire. |
Perspectives (un point de vue personnel)
Ces réflexions, fondées sur mon expérience des mauvaises herbes et de leur contrôle, sont la projection dans un futur proche, des conséquences des tendances actuelles. Comme pour la plupart des prédictions des experts, j’aimerais qu’elles s’avèrent fausses !
Devant le problème alimentaire et économique très grave posé au milieu du XIXe siècle à une société qui n’avait plus assez de main d’œuvre agricole et cherchait son indépendance alimentaire, les herbicides se sont avérés - à côté d’autres techniques - une réponse particulièrement adaptée à la concurrence des adventices vis-à-vis des cultures. Ils ont été très vite plébiscités pour leur facilité de mise en œuvre, de faible coût, de sélectivité et d’adaptation à chaque adventice et culture (même chez les particuliers) et donc pour leur effet positif sur les rendements. Pour la première fois depuis les débuts de l’agriculture, on réussissait à maîtriser durablement les adventices dans l’agriculture dite conventionnelle. Mais, comme conséquence de cette réussite, est arrivé le moment où la société, de plus en plus ignorante des contraintes de l’agriculture, s’est trop éloignée des agriculteurs, contrairement à d’autres pays (tous les enfants du Michigan apprennent à connaître le maïs, sa culture et ses usages tout au long de leur scolarité). Toute à son confort, elle voit donc, dans son agriculture, plus de dangers visibles (champs trop uniformes, réduction de la biodiversité, produits dans les eaux…) ou supposés (toxicité des aliments même conformes à la législation, morbidité inévitable à long terme) que d’avantages directs (il n’y a plus de pénuries alimentaires, les prix des produits agricoles sont très bas) ou indirects (l’indépendance alimentaire est assurée, les exportations réduisent le déficit de notre balance commerciale, la gestion du territoire).
Ainsi, depuis quelque temps, pour des raisons pas forcément d’ordre agronomique, le législateur a décidé de réduire les herbicides, comme tous les pesticides, de 50%, aussi bien en nombre qu’en quantités appliquées (Écophyto 2018). Au-delà des préoccupations écologiques et du fait que certaines molécules se retrouvent dans les eaux, cela peut être intuitivement lié au sentiment que la guerre semble définitivement gagnée puisque les agriculteurs ont enfin des cultures propres avec des rendements élevés (trop aux yeux de certains). Alors les dirigeants, plus concernés par les craintes de la société que par les réalités de l’agriculture, imaginent que désormais l’on a moins besoin des herbicides (et des pesticides en général) et donc que l’on peut fortement en limiter l’usage (puisque maintenant les mauvaises herbes sont sous contrôle).
Mais la suppression de certaines molécules les plus trouvées dans les eaux, car les plus utilisées, peut priver certaines cultures mineures de leur seul produit réellement efficace. En effet comme ces cultures ne représentent pas un marché suffisant, les firmes n’ont cherché que la simple extension d’homologation de molécules déjà utilisées par ailleurs (ce qui est également le cas pour les fongicides et insecticides). Aussi, alors que l’on importe déjà de plus en plus le produit de certaines cultures mineures (souvent pour des raisons économiques), avec ces restrictions, leur maintien en France peut être remis en cause.
Dans d’autres cas, un tel retrait peut aussi contraindre à devoir utiliser plusieurs produits pour remplacer la molécule efficace supprimée, comme ce fut le cas pour le maïs après l’arrêt de l’atrazine. Enfin certaines adventices peuvent même devenir incontrôlables parce qu’il n’y a plus d’autre solution ; cela risque d’être le cas pour les graminées résistantes aux produits les plus utilisés avec la disparition programmée des urées substituées en céréales.
Parallèlement, la réduction des traitements ou des doses laisse plus de mauvaises herbes dans la parcelle et pendant plus longtemps, notamment pour les céréales d’hiver. Cela réduit de facto les rendements, mais surtout, si cette réduction devient la règle, va de plus en plus définitivement contaminer la parcelle en augmentant fortement le stock de semences. Ce qui revient à un recul incompréhensible pour l’agriculteur dont la hantise est de rater un désherbage. Enfin le recours à un nombre trop réduit de molécules appliquées à de trop faibles doses est une des raisons principales de l’apparition de populations résistantes à ces molécules et donc responsable de leur obsolescence prématurée.
Dans le cadre d’une Europe libérale qui favorise la production de masse dans les seuls pays qui le permettent au moindre coût, cette attitude n’est pas pour faciliter le maintien d’une indépendance alimentaire nationale à bon marché et même pour assurer la rentrée de devises. Or, par l’accumulation d’interdictions (souvent supérieures à celles de l’Europe) pas toujours très scientifiquement fondées, mais toujours plus contraignantes pour l’agriculteur, la réponse française ne pourrait conduire, si elle se généralise, qu’à une augmentation de ses prix et à une baisse de sa production. Cette manière de voir, extrêmement élitiste, aujourd’hui dominante, inspire une large partie du monde politique, des médias, entraînant l’adhésion de l’opinion publique Pourtant, comment peut-on concevoir une agriculture capable d’assurer l’indépendance alimentaire de la France qui serait seulement fondée sur de coûteuses productions de niche de l’agriculture biologique très exigeante en main d’œuvre et assurées par l’activité de petits producteurs locaux (pas toujours très bien payés) ? Certaines catégories sociales auraient les moyens de se nourrir de cette façon, mais ce serait loin d’être le cas de tout le monde. Cette inconséquence devrait donc être palliée par un large recours à l’importation de productions de masse à bas prix (donc théoriquement dépourvues des qualités des productions qui seraient préconisées chez nous) pour nourrir la majorité de la population. Mais auparavant, la diminution systématique des intrants en grandes cultures va certainement affecter la qualité de nos blés qui seront de plus en plus difficiles à exporter (extension de l’ergot du seigle et d’autres mycotoxines, baisse de la teneur en protéines… prix non concurrentiels). Mais au-delà d’une perte de rentrée de devises importante, il faut se poser la question de ce qui peut advenir aux pays qui nous achètent quelques 10 à 15 millions de tonnes de blé de qualité chaque année, surtout les années d’accidents climatiques majeurs dans les grands pays exportateurs dont la production est beaucoup plus tributaire des accidents climatiques que la France.