Assolement, rotation, succession, système de culture : fabrication d’un concept, 1750-1810 - Annexe 4
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Assolement et Système de culture dans les Éléments d’agriculture de Duhamel du Monceau
Celui qui sèmerait tous les ans du froment dans un même champ, n’aurait assurément que de médiocres récoltes : c’est un fait constaté par un trop grand nombre d’expériences, pour qu’il puisse être révoqué en doute. On en attribue la cause à ce que la terre que les premières récoltes ont épuisé des sucs qui conviennent au froment, ne peut suffire à nourrir perpétuellement cette même plante. C’est pour cette raison qu’on sème successivement dans la même terre différentes plantes. M. WAN-ESLANDE m’a écrit qu’il y a en Flandre des terres si fertiles, qu’en les entretenant en bonne culture, & en les secourant par des fumiers, elles rapportent tous les ans & sans repos, du froment, de l’avoine, de l’orge, du colza, du lin, du tabac, &c.
Il peut bien se faire qu’il ne soit pas aussi nécessaire qu’on le pense, de changer les espèces de plantes d’une année à l’autre, par la seule raison que par cette pratique, la terre leur fournit différentes nourritures ; & si l’on aperçoit qu’il y a de l’avantage à semer successivement différentes plantes dans une même terre, cela peut venir : 1°, de la quantité de nourriture qui est nécessaire à certaines plantes ; 2°, de la constitution particulière de chaque plante, dont les unes sont plus délicates que les autres ; 3°, de la facilité que les unes ont à étendre leurs racines dans la terre dure ; ce qui fait que celles-ci se passent plus volontiers des labours que les autres. (...)
Je crois que l’utilité de l’année de jachère consiste principalement en ce qu’elle donne le temps de faire tous les labours nécessaires, sans nier toutefois que pendant le temps de repos elle ne puisse profiter des influences de l’atmosphère, pluies, rosées, neiges, gelées, chaleur du soleil, &c.
Il suit delà que tous les deux ans on peut semer du froment dans la même terre ; parce que par cet assolement on a une année pour donner les labours convenables au froment. Mais on ne peut pas semer tous les ans du froment dans la même terre ; parce que depuis la moisson jusques aux semailles, il n’y a pas assez de temps pour donner les cultures convenables.
Plusieurs Cultivateurs comptant sur la grande fertilité de leurs terres, ont voulu les semer plusieurs années de suite en froment, & ils ont eu lieu de s’en repentir.
Pourquoi le froment réussit-il bien après les navets, les pommes de terre, le maïs ? C’est qu’on sème ces plantes dans une terre bien amendée & bien labourée ; qu’on leur donne encore deux ou trois labours à bras pendant qu’elles sont en terre ; que la récolte s’en fait dans une saison sèche ; & que le bétail n’y entrant point, elle n’est ni trépignée ni pétrie. Ajoutez qu’on donne encore un labour léger avant de répandre le froment, qui se trouve ainsi dans une terre merveilleusement bien cultivée.
Comme l’avoine peut mieux se passer que le froment, d’une terre fort ameublie, elle réussit bien sur un chaume de froment labouré deux fois, & sur un défrichis de sainfoin ; & l’on doit de plus remarquer que comme les menus grains ne se sèment qu’en Mars, on a, depuis la moisson jusqu’à leurs semailles, le temps de faire les labours convenables.
Voilà sommairement les principaux motifs qui obligent de diviser les terres par saisons, & qui déterminent à semer les terres successivement en différents grains. Il y a encore d’autres raisons qui peuvent engager à assoler différemment les terres : nous les ferons connaître par les détails où nous allons entrer.
(...)
((l’édition de 1779 change ce titre en :
Des circonstances qui obligent de changer l’assolement des Terres.)) Nous avons des terres qui donnent du froment en abondance, quand on a pu parvenir à les bien préparer pour ce grain ; mais comme elles ne peuvent être labourées ni dans un temps sec, ni lorsqu’il fait fort humide, un fermier qui espérerait mettre 60 arpents de terre en froment, ne pourra quelquefois parvenir à en mettre plus de 25 ou 30 : cependant il ne fera pas pour cela une perte considérable ; car ces terres, qui avoient déjà reçu quelques labours pour le froment, donneront ordinairement du mars en abondance.
En Normandie, du côté de Bayeux, il y a deux méthodes d’assoler les terres.
Suivant une de ces méthodes : 1°, On sème du sarrasin vers la fin de Juin : 2°, Quand les tiges & les racines de cette plante sont mortes & desséchées, ce qui arrive vers la Toussaint, on laboure, & sur le champ on sème du froment : ainsi voilà le froment semé sur un seul labour. Il est vrai que ces terres ont été labourées pour le sarrasin, & même bien amendées. Or, comme je l’ai dit dans quelques-uns de mes Volumes, l’abondance des engrais peut suppléer aux bonnes cultures, comme les bonnes cultures suppléent aux engrais. 3°, Après la récolte du froment, on retourne le chaume le plutôt qu’il est possible, & on donne un second labour en Février ou en Mars, pour semer de l’avoine ; ou bien, on donne un labour de plus pour semer de l’orge : 4°, On retourne le chaume d’orge pendant l’hiver ; & après avoir donné un labour au printemps, on sème des pois ou de la vesce : 5°, Aussitôt que ces légumes sont récoltés, on retourne ces terres, afin qu’elles puissent recevoir deux labours avant le mois d’Octobre, pour y semer du froment : 6°, Dans l’année suivante, on y sème de l’avoine, parmi laquelle on mêle un peu de trèfle ; ensuite on laisse cette terre en pâture pendant trois ou quatre ans. On imagine bien que, suivant la nature des terres & les besoins du Fermier, on varie l’ordre des grains qu’on sème successivement ; mais par cette pratique, on a en six ans six récoltes ; deux de froment, deux d’avoine, une de sarrasin, & une de pois ou de navets ; puis le champ reste ensemencé en trèfle, dont on fait paître l’herbe pendant quatre ans.
Suivant l’autre méthode, qu’on nomme Varet, on ne sème point de sarrasin sur la terre qu’on défriche ; on le laisse en jachère depuis les mois de Février ou de Mars, qu’on l’a défrichée, jusqu’au mois d’Octobre ; & on profite de ce temps pour l’amender, & lui donner plusieurs labours qui la disposent à recevoir du froment. La récolte est alors communément beaucoup plus abondante que quand on a semé du sarrasin. On suit, au reste, les semences successives dont nous venons de parler.
Rapprochons de ces pratiques le système de culture de M. Pattullo : Le voici.
1°, On essaiera de défricher dans l’automne, afin que les gelées d’hiver mûrissent la terre, & fassent périr les herbes ; 2°, Au printemps, aussitôt que la terre sera ressuyée, on donnera un second labour ; 3°, On y transportera les amendements convenables à la nature du terrain ; 4°, Sur le champ on donnera un troisième labour profond, & on hersera, s’il est nécessaire, pour briser les mottes ; 5°, Dans le mois d’Août, on donnera un quatrième labour ; 6°, On sèmera en Octobre du froment, dont on aura lieu d’espérer une bonne récolte ; 7°, Aussitôt après la moisson, on retournera les chaumes ; 8°, Dans le mois de Mars, on donnera un second labour, & on sèmera de l’orge, qu’on recueillera comme les avoines dans le mois d’Août ; 9°, Aussi tôt après cette récolte, on retournera le chaume d’orge, & on passera la herse pour briser les mottes ; 10. On donnera un second labour en Septembre pour semer du froment en Octobre. Cette méthode que M. Patullo propose pour les terres fertiles, revient assez à la culture qu’on nomme en Normandie Varet. A l’égard des terres sablonneuses, graveleuses & légères, il suffit, dit M. Pattullo,
- 1°, de leur donner trois labours : après le second, on portera les engrais ; & après le troisième labour, on sèmera du froment, qu’on enterrera avec la charrue.
- 2°, Aussi-tôt après la récolte, on brûlera les chaumes ; on donnera un labour léger, & on sèmera des turnips ou gros navets.
- 3°, Après la récolte des navets, on donnera un profond labour, & on sèmera des pois blancs.
- 4°, Après la récolte des pois, on labourera la terre, & on sèmera des navets, comme on avait fait l’année précédente.
- 5°, Au printemps suivant, ayant préparé la terre par un ou deux labours, on y sèmera de l’orge.
Voilà en trois ans cinq récoltes ; une de froment, deux de navets, une de fèves ((errata corrigé dans l’édition de 1779 : pois blancs)) & une d’orge.
- 6°, Après la récolte de l’orge, on labourera la terre ; on la hersera, & on y sèmera en septembre du trèfle, si la terre est un peu humide ; & on profitera des gelées d’hiver pour y voiturer des engrais, qu’on répandra sur le trèfle.
- 7°, Dans l’automne de la troisième année, on labourera le trèfle ; on donnera au printemps un second labour, & on sèmera de l’orge.
- 8°, Après la récolte de l’orge, on donnera deux labours, & on sèmera du froment.
- 9°, On pourra faire dans l’année suivante une seconde récolte de froment, avant les récoltes des menus grains ; ou bien on suivra les récoltes, comme il a été dit plus haut ; mais à la fin de la troisième année, on sèmera du trèfle, ou, suivant la qualité du terrain, d’autres herbages, se conformant à ce que nous rapporterons, lorsque nous traiterons des prés artificiels.
Cette méthode ne s’éloigne pas beaucoup de ce qui se pratique aux environs de Bayeux.
Il y a dans l’Angoumois plusieurs façons d’assoler ou d’ensemencer les terres par saison. ((suit une description exclusivement temporelle))