Assolement, rotation, succession, système de culture : fabrication d’un concept, 1750-1810 - Annexe 3
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La nourriture des plantes explique-t-elle qu’il faille varier les récoltes ?
Le Traité de la culture des terres... devait à l’origine être une traduction de l’ouvrage de Jethro Tull (1674-1741), The new Horse-houghing Husbandry, or, an Essay on the Principles of Tillage and Vegetation, publié pour la première fois en 1731 et très souvent réédité tout au long du XVIIIe siècle. Mais, comme Buffon qui s’y était aussi essayé, Duhamel juge l’ouvrage trop prolixe : « que des idées neuves & utiles que l’ouvrage de M. Tull contenait, étaient noyées dans beaucoup de raisonnements vagues, & qu’il régnait par-tout une prolixité qui l’empêcherait certainement de réussir » (Préface : iii). Il choisit un exposé critique : « m’étant rempli l’esprit des idées & des vues de M. Tull, j’y mis l’ordre qu’il me parut convenable ; supprimant entièrement tout ce qui était étranger au sujet ; abrégeant ce qui me semblait trop étendu, détaillant les méthodes ordinaires de cultiver les terres, quand cela me paraissait nécessaire pour faire apercevoir les avantages de la nouvelle méthode ; ajoutant des expériences pour confirmer le sentiment de l’Auteur ; ou pour avertir qu’il faut être en garde lorsque les principes de M. Tull ne sont pas assez bien constatés. Enfin sans suivre servilement mon Auteur, j’ai essayé de rendre l’esprit de la chose sous une forme toute différente. ». Il présente donc les théories et arguments d’autres auteurs, ce qui en fait un exposé synthétique sans équivalent à cette époque – malgré deux défauts : il ne nomme pas ces auteurs, et il interprète toutes les observations ou expériences à travers le filtre de la théorie de Tull suivant laquelle c’est la terre très finement divisée qui constitue la nourriture des plantes, d’où il faut multiplier les labours.
« Toutes les plantes se nourrissent-elles d’un même suc qu’elles tirent de la terre ? M. Tull le pense : mais bien des Auteurs croyent que chaque plante ne tire de la terre que les sucs qui lui sont propres : d’où il suivrait qu’une terre pourrait être épuisée pour une sorte de plante, & ne l’être pas pour les autres. » ((Duhamel du Monceau, 1750, Préface : xi-xii).
« Pourquoi sème-t-on de l’orge ou de l’avoine après le blé, sinon parce que le blé n’a épuisé la terre que des sucs qui sont propres à son espèce ; & que les sucs propres pour la nourriture de l’orge sont restés dans la terre ? (...) Si les plantes ne tiraient d’une terre que les sucs qui sont propres à son espèce, pourquoi laisserait-on reposer les terres de trois années l’une ? Il n’y aurait qu’à semer du froment la première année, de l’orge la seconde, de l’avoine la troisième, des pois la quatrième, des navets la cinquième : ainsi quand on viendrait à remettre du froment, ce serait dans une terre qui se serait reposée cinq ans pour cette espèce de grain. Pour peu qu’on soit instruit de l’agriculture, on conviendra que par une telle manœuvre on n’obtiendrait que des récoltes médiocres, parce que toutes sortes de plantes épuisent la terre » (id. : 29-31.)
« Quelques-uns ont pensé que tout ce qui peut être dissous par l’eau, entrait indifféremment dans les Plantes ; mais que chaque Plante ne s’appropriait que les parties qui étoient propres à sa nourriture, & que les autres se dissipaient par la transpiration » (id. : 33) - hypothèse que Duhamel réfute, pour conclure ainsi cette discussion :
« Ceci est un peu conjectural (...). Néanmoins après ce que nous avons dit plus haut, je crois pouvoir conclure :
*1°. Que toutes les Plantes de différentes espèces se nourrissent à peu près de la même substance. [la même, au singulier, d’où la difficulté à comprendre le rôle des Légumineuses, qui apportent une substance aux autres plantes, mais les concurrencent pour d’autres.]
*2°. Qu’il n’y a point de Plante qui n’ôte de la nourriture à celles qui sont à sa portée.
*3°. Qu’un terroir qui est une fois bon pour une sorte de Plante, sera toujours en état de lui fournir de la nourriture. [En 1750, Duhamel croit en la théorie de Tull sur la terre finement divisée comme aliment : la terre ne contient pas une certaine quantité de nourriture, épuisable, elle est elle-même la nourriture !]
Si ces propositions sont vraies, il s’ensuit qu’il n’est point du tout nécessaire de changer les espèces de Plantes d’une année à l’autre, par rapport à la différente nourriture, qu’on suppose faussement que le terrain leur fournit.
Néanmoins on ne peut pas nier qu’il n’y ait, en suivant les principes ordinaires d’agriculture, de l’avantage à semer successivement différentes Plantes dans une même terre. Mais cet effet dépend de trois causes bien différentes de celles que nous venons de combattre.
*La première, est la quantité de nourriture qui est nécessaire à certaine Plante.
*La seconde, est la constitution particulière de chaque Plante.
*La troisième, la quantité de labours que chaque Plante exige.
(...) D’où l’on peut conclure, qu’en suivant l’agriculture ordinaire, il est à propos de mettre de l’avoine après le blé : car comme le blé se sème peu de temps après la moisson, on aurait à peine le temps de labourer la terre une fois ; au lieu qu’il la faut au moins labourer trois fois, si l’on veut se procurer une bonne récolte ((de blé)). » (id. : 36-40)
Références citées
- Duhamel du Monceau H.L., 1750. Traité de la culture des terres, suivant les Principes de M. Tull, Anglois. Vol. 1, Paris, XXXVI + 488 p. + figures.
- Tull J., 1731. The New Horse-Houghing Husbandry : or an Essay on the Principles of Tillage and Vegetation. Dublin, 88 p.
- Tull J., 1733. The Horse-Houghing Husbandry : or an Essay on the Principles of Tillage and Vegetation. London, 298 p.