Routine - Annexe 6

De Les Mots de l'agronomie
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4 juillet 2023
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Cette annexe se rapporte à l'article Routine.

Contre les accusations de routine

Le Roy, 1756. Article Fermier de l’Encyclopédie (vol. 6)

On ne peut pas entreprendre de détailler tout ce qu’un fermier doit savoir pour diriger son labourage le mieux qu’il est possible. La théorie de l’agriculture est simple, les principes sont en petit nombre ; mais les circonstances obligent à les modifier de tant de manières, que les règles échappent à travers la foule des exceptions. La vraie science ne peut être enseignée que par la pratique, qui est la grande maîtresse des arts ; & elle n’est donnée dans toute son étendue, qu'à ceux qui sont nés avec du sens & de l’esprit. Pour ceux-là, nous pouvons assurer qu’ils savent beaucoup ; nous oserions presque dire qu’on n'en saura pas plus qu’eux, s’il n'était pas plus utile & plus doux d’espérer toujours des progrès.

Pourquoi les Philosophes, amis de l’humanité, qui ont tenté d'ouvrir des routes nouvelles dans l’agriculture, n'ont-ils pas eu cette opinion raisonnable de nos bons fermiers ? En se familiarisant avec eux, ils auraient trouvé dans des faits constants la solution de leurs problèmes ; ils se seraient épargné beaucoup d’expériences, en s'instruisant de celles qui sont déjà faites : faute de ce soin, ils ont quelquefois marché à tâtons dans un lieu qui n’était point obscur. (...)

Les cultivateurs philosophes ont encore eu quelquefois un autre tort. Lorsqu’en proposant leurs découvertes ils ont trouvé dans les praticiens de la froideur ou de la répugnance, une vanité peu philosophique leur a fait envisager comme un effet de stupidité ou de mauvaise volonté, une disposition née d'une connaissance intime & profonde qui produit un pressentiment sûr. Les bons fermiers ne sont ni stupides ni malintentionnés ; une vraie science qu'ils doivent à une pratique réfléchie, les défend contre l’enthousiasme des nouveautés. Ce qu’ils savent les met dans le cas de juger promptement & sûrement des choses qui en sont voisines. Ils ne sont point séduits par les préjugés qui se perpétuent dans les livres : ils lisent peu, ils cultivent beaucoup ; & la nature qu'ils observent avec intérêt, mais sans passion, ne les trompe point sur des faits simples.

On voit combien les véritables connaissances en agriculture, dépendent de la pratique, par l’exemple d’un grand nombre de personnes qui ont essayé sans succès de faire valoir leurs terres ; cependant parmi ceux qui ont fait ces tentatives malheureuses, il s’en est trouvé qui ne manquaient ni de sens ni d’esprit, & qui n'avaient pas négligé de s’instruire.


Sarcey de Sutières, 1788. Cours complet d’agriculture

La France, par sa situation & son sol, recèle dans son sein une énorme quantité de plantes qu’il suffirait de cultiver pour les rendre propres à la nourriture, ou être employées contre les maladies. Je suis convaincu que cela doit être, car si le quinquina est nécessaire aux fièvres qui sans cesse nous tourmentent, pourquoi la Providence ne l’a-t-elle pas fait naître sous le ciel que nous habitons ? Pourquoi ? C’est que sans doute elle y a sagement pourvu en nous donnant quelque autre plante qui a la même propriété. Mais notre amour pour les plantes lointaines, notre indifférence pour celles que nous foulons à nos pieds, notre aversion pour le travail, le mépris que nous accordons si gratuitement au Laboureur qui nous nourrit, nous a fait prendre le change sur nos vrais intérêts. D’autres personnes ont dit tout cela avant moi ; qu’a-t-on répondu ? que la routine & l'entêtement des paysans étaient la cause qui avait empêché l’agriculture de faire les mêmes progrès que les autres Sciences. Mais a-t-on réfléchi aux raisons qu’ils ont à alléguer ? Les a-t on jamais interrogés ? Non. Je crois faire plaisir à mes Lecteurs en leur rapportant une conversation que j’ai eue à cet égard.

Prévenu par les livres que je consultais lorsque que je voulus me livrer entièrement à l'Agriculture, & trompé par quelques apparences, je m'avisai de faire le même reproche. Vous nous jugez sans nous connaître, & sans connaître notre position, me dit un jour un Laboureur respectable autant par ses connaissances que par son âge : vous êtes jeune & dans un âge où les premières impressions jettent de profondes racines ; il est donc essentiel qu'elles soient bonnes ; continuez à mettre la main à l’œuvre : alors, nous ayant étudiés, vous nous jugerez par vous-même, & nous rendrez plus de justice que ne font ordinairement ceux qui nous condamnent sur parole. — Vous conviendrez, lui répartis-je, que tous les Arts peuvent se perfectionner, que l’Agriculture en est un, & qu’il en est encore bien éloigné. — Sans doute : eh qui peut en douter ? répliqua-t-il. — Eh bien, pourquoi vous refusez-vous donc constamment aux procédés que vous proposent des gens habiles & éclairés ? — D’abord, il n’est pas vrai que nous nous refusions constamment à tout ce qu'on nous propose. La culture du bled d’Espagne [1] n’est pas bien ancienne dans cette Province, & cependant elle est devenue notre récolte principale. La marne était inconnue à nos aïeux, & cependant nous en faisons usage. — Mais combien n’a-t-il pas fallu d’années pour les introduire ? Ne conviendrez-vous pas que les premiers qui les ont rejetés ont eu tort ? Non. — Comment ? Est-il prudent de se livrer sans réflexion à ce qu'on ne connaît pas ? — Mais peut-on taxer d’imprudence les essais raisonnés de ceux qui se livrent à des tentatives judicieuses ? Pourquoi refusez-vous une culture qu’on vous assure être avantageuse ? Pourquoi rejetez-vous des engrais qui peuvent multiplier ceux que vous avez ? pourquoi ne pas profiter des moyens d’obtenir une épargne sur la semence [2] & la main d’œuvre ? Il me semble que si chaque propriétaire faisait en petit ce qu’on lui indique, votre art ferait des progrès, & marcherait à grands pas vers la perfection.

— Cela est fort aisé à dire : mais a-t-on jamais bien réfléchi sur les raisons qui nous en empêchent, & sur les causes qui nous en détournent ? — Apparemment qu’on n’en a point trouvé de vraiment essentielles, puisque depuis très longtemps on déclame contre vos préjugés, votre routine. — Il fallait nous consulter ; alors, peut-être, aurait-on été moins tranchant. — Vous croyez donc avoir des raisons bien puissantes ? — Prononcez : en voici quelques-unes. D’abord, quelle confiance pouvons-nous avoir dans ce que nous dit un homme dont la plupart des discours sont exagérés, qui nous conseille souvent des choses impraticables, soit dans l’exécution, soit par l’impossibilité où nous sommes de les comprendre, qui veut nous donner des avis sur un art dont il ne connaît pas les premiers éléments de pratique ; qui très souvent dépense beaucoup & n’a point de succès ; qui nous vante des cultures dont il prétend qu'on fait usage dans des pays où jamais il n’a mis les pieds ; qui d’ailleurs ignore si elles seraient propres à notre canton, à notre climat, à notre sol ; qui nous met dans les mains des outils compliqués que nous ne savons ni conduire ni raccommoder lorsqu’ils se dérangent ; qui nous prescrit un mélange d’engrais difficiles à combiner ; qui voudrait enfin multiplier nos travaux, en nous conseillant tels ou tels grains que nous ne connaissons pas ? Supposons maintenant que cet innovateur mérite toute notre confiance, & qu’il fût à souhaiter que nous puissions faire usage de tous ses procédés, ne serait-il pas nécessaire qu’il vînt parmi nous étudier notre langage, nos usages, nos mœurs, pour se mettre à notre portée, & nous instruire suivant notre intelligence ? Ne faudrait il pas qu’il fût labourer bêcher, &c. pour nous en imposer par son exemple & ses réussites ? Ne serait il pas à désirer qu’il fût de notre Province ou qu’il y eût demeuré assez longtemps pour connaître la qualité de nos terres, afin d’y adapter, avec connaissance de cause, une culture nouvelle ? S’il avait des outils plus simples que les nôtres, mieux proportionnés, plus faciles à employer, ne serait-ce pas à lui à en faire usage pour nous enseigner la manière d’en tirer parti ? N’'aurait-il pas contracté l’obligation de nous apprendre à les conduire & à les raccommoder lorsqu’ils se dérangent. On sait qu’il n’y a rien de plus maladroit que les ouvriers dans la campagne, lorsqu’on les sort de ce qu’ils ont accoutumé de faire. Si l’outil était compliqué, où en serait-on ? Dans le cas où ce respectable Agriculteur proposerait quelques nouveaux engrais, ne faudrait-il pas, premièrement, qu’il se fût assuré qu’on pourrait en faire ou en trouver facilement ? Secondement, qu'il eut la certitude qu’il s’accorderait avec la qualité des terres du pays ? Troisièmement, qu’il eût calculé si la dépense pour se les procurer n’excédera pas le bénéfice sur lequel on doit compter ? Enfin, s’'il veut introduire quelques semences étrangères notre pays, ne faudrait-il pas qu’il pût nous assurer les débouchés, nous procurer plus de bras en raison de la diversité des récoltes, plus de bestiaux pour fournir aux labours, plus de fourrages pour entretenir les bestiaux, plus de bâtiments pour serrer les différentes récoltes, plus de temps pour faire tous les travaux ? Car quel est le cultivateur qui n’est pas toujours commandé par son ouvrage, depuis le commencement jusqu’à la fin de la belle saison ? Observez qu’on perd beaucoup de temps quand on veut changer de coutume.

Admettons encore que tout ait été prévu, examiné & bien discuté, que l’on nous ait enfin bien convaincus de la bonté de l’innovation, où prendrions-nous l’argent nécessaire pour la suivre ? car, par le détail succinct que je viens de vous faire, vous avez dû juger qu’il en faut. Notre plus grande richesse est dans notre industrie; l’argent est très rare parmi nous, & nous ne pouvons en espérer que du produit de nos récoltes : si elles manquent par quelques accidents, nous ne savons où emprunter. Trouverions-nous plus aisément, si elles manquaient pour nous être livrés à des nouveautés ?

Il nous est donc ordonné de ne rien confier au hasard, Eh ! dans notre situation, le pouvons- nous ? Un ménage à soutenir, des enfants à élever, des gages à payer ; nos bâtiments à réparer, nos bestiaux à remplacer, nos journaliers à satisfaire, nos labours, nos outils, nos vêtements, nos maladies, la dîme, les frais de Baptême, de Mariage, d’enterrement ; les contraintes que nous éprouvons pour la taille, qu’il faut payer, quoique nous n’ayons pas vendu nos récoltes ni trouvé à vendre ; si quelque intempérie de la saison nous les a enlevées, il faut également s’exécuter, sans quoi les Huissiers, abusant presque toujours de leur pouvoir, nous forcent d’avoir recours à des emprunts usuraires, ou nous mettent dans le cas de faire des sacrifices qui, presque toujours donnent l’entrée à ces Officiers de Justices subalternes, fléau le plus affreux que nous puissions essuyer. Voilà, en raccourci, nos besoins, nos devoirs, notre situation. Quelles sont nos ressources ? Nos seules récoltes. Parlez, Monsieur ne serait-ce pas être insensé que de les aventurer ?

Que répondre ? je fus fort embarrassé & le serais peut-être davantage aujourd’hui. Je lui fis encore cette question — Vous ne croyez donc pas possible de faire quelques changements utiles à l’agriculture, de songer à la perfectionner ? — Pardonnez moi ; j’ai pensé qu’en faisant faire devant nous des expériences qui ne nous coûteraient rien, en établissant des caisses d’emprunts<ref> Qu’un pareil Mont-de-piété serait admirable ! Le propriétaire jouirait de son ((effet ?)) et emprunterait pour le réparer.</ref) pour les propriétaires de fonds, & les cultivateurs, qui donneraient des sûretés ; en excitant notre émulation par quelques récompenses ou distinctions, on pourrait opérer de grands biens ; car si quelques essais pouvaient réussir assez pour présenter des avantages & des profits, & qu’il nous fût possible d’emprunter pour faire les premières avances, insensiblement l’Agriculture se réintégrerait ; l’aisance renaîtrait dans les campagnes, & les distinctions données à propos relèveraient le courage abattu de la classe d’hommes la plus nécessaire (on peut le dire), qui attend depuis longtemps qu’on apprenne à la plaindre, à connaître sa malheureuse situation, à ne plus la calomnier, & à la compter au moins pour quelque chose. (p. 343-351)

Référence:

  • Sarcey de Sutières, 1788. Cours complet d’agriculture… Paris, 573 p. Texte intégral.


Discours de M. CAPUS, ancien ministre, député de la Gironde, au XIIIe congrès national des syndicats agricoles, Bordeaux, 5-7 juin 1926

Texte intégral

(…) Et quand j’entends parler de la routine agricole, il me suffit de citer ces exemples pour réfuter cette accusation. Voit-on souvent une industrie procéder à un pareil redressement comme celui qu’ont accompli les producteurs de vignes françaises, quand ils ont substitué, à ces vignobles détruits par le phylloxéra, la culture complètement nouvelle des vignes américaines greffées ? C’est bien commode, Messieurs, de dire que l’agriculture est routinière. En ce moment, il y a un éditeur parisien qui publie une petite bibliothèque charmante, mais un peu paradoxale : c’est l’éloge de quelques défauts : il y a l’éloge de la médisance, l’éloge de la gourmandise, etc. J’aurais bien envie d’y publier, moi, l’« éloge de la routine ».

Et si je publiais « l’éloge de la routine », c’est surtout la routine agricole que je prendrais comme exemple, et je dirais qu’il y a de la routine à peu près partout, et que c’est en agriculture qu’il y en a le moins, et qu’elle est le plus justifiée. De la routine ? Mais est-ce qu’il n’y en a pas dans nos administrations ? dans nos coutumes judiciaires ? dans notre armée ? Et s’il n’y avait pas de journalistes ici, je dirais : N’y en a-t-il pas aussi dans la presse ?

Et, Messieurs, le chapitre de mon petit ouvrage où je serais triomphant, ce serait celui où j’opposerais la routine agricole à la routine parlementaire. Tous les ans, au moment où on discute le budget de l'agriculture, nous avons des orateurs qui viennent dénoncer à la tribune la routine de l’agriculture française. Et j’ai envie de leur dire : « mais vous ne vous êtes donc pas regardés ? » [78]

Oui, ne disons pas de mal de cette routine. C’est un ensemble de traditions où les siècles ont accumulé leur science. Et mon ami Cier se rappelle peut-être cette leçon du professeur Dehérain, – un de nos plus grands chimistes agronomes – qui nous démontrait que tout ce que la science a pu trouver dans la chimie agronomique, relativement au fumier, n’a fait que confirmer les données plusieurs fois séculaires d’Olivier de Serres. Et je montrerais aussi que cette soi-disant routine est quelquefois un garde-fou contre de prétendues innovations. Ce n’est pas tout d’introduire des innovations; il faut savoir les choisir ; une nouveauté n’est pas précisément un progrès ; et il y a, là aussi, le bon grain et l’ivraie. Et quelquefois, ce que nous appelons le progrès est tout simplement un mot anglais dont nous avons habillé une vieille routine. Si vous voulez, par exemple, que la marche devienne hygiénique, il faut l’appeler « footing ». Savez-vous que l’appellation culturale « dry farming », présentée comme une nouveauté, je l’ai retrouvée en Tunisie, dans la culture des oliviers, où elle a été apportée, il y a plusieurs siècles, par les colons romains ? Ne disons donc pas aussi facilement que notre agriculture est routinière. (…)


René de la Gorce. Préface à la 6e édition du Manuel d’agriculture de T. Genech de la Louvière, 1932.

Je ne sais ce qui me vaut l’honneur de venir présenter à l’attention des agriculteurs et des jeunes gens de nos campagnes la sixième édition du Manuel d’agriculture qui passe aujourd’hui le cap du vingtième mille.

Peut-être, en me confiant cette tâche, a-t-on pensé que, grâce à la formation théorique que j’ai reçue, alliée à la pratique de la culture depuis un tiers de siècle, je pourrais convaincre les plus incrédules de la nécessité du savoir dans la vie agricole.

Combien de fois avons-nous entendu dire : « La pratique compte seule pour le cultivateur ; la théorie lui est néfaste. » Si cette phrase, à l’heure actuelle, est moins souvent répétée, elle a encore des adeptes car ceux-ci n’ont jamais pris garde à se demander ce qu’on doit entendre par les mots : théorie et pratique.

La théorie est simplement l’explication de la pratique, la lumière dans les opérations journalières. On comprend dès lors tout l'intérêt du savoir pour se guider dans le travail; on comprend aussi, comme l’a dit Mme de Staël, qu’il n’y a que les gens médiocres qui mettent en opposition la théorie et la pratique.

Avouons cependant que, parfois, les faits ont donné raison aux détracteurs de la théorie. N’a-t-on pas vu de ces jeunes téméraires, sortant de l’école, mépriser les méthodes culturales d’un pays et mettre en pratique d’une façon déplorable leurs connaissances livresques ?

Ces jeunes gens avaient méconnu les difficultés d’application de la science agricole ; celle-ci est si vaste, si complexe, si délicate à adapter aux milieux naturels différents qu’il est imprudent de l’appliquer sans tenir compte de l’expérience. Aussi, ne devons-nous pas faire fi de la routine.

Ce mot pourra choquer ici car il est souvent pris en mauvaise part et cependant nous n’hésitons pas à l’employer. Qu’est-ce, en effet, que la routine sinon l’usage, consacré par une longue expérience, de faire une chose toujours de la même manière ?

Dans chaque pays agricole, les conditions naturelles guident le cultivateur, l’obligent à se mettre en garde contre des difficultés inhérentes au milieu.

Est-ce à dire cependant qu’il ne faut jamais s’affranchir de la routine de nos pères ? Prenons garde ; la profession agricole évolue chaque jour, profite des découvertes de la science, emploie des engrais nouveaux, a recours à des procédés d’alimentation inconnus de la génération qui a précédé, est soumise enfin à des difficultés économiques et sociales qui n’existaient pas autrefois.

N’oublions pas, d’autre part, que la routine n’est qu’une « petite route », d’autant plus étroite et pleine d’embûches que la science ne vient pas éclairer le praticien ; ne dit-on pas couramment : suivre l’ornière de la routine, être esclave de la routine ?

Aidée par la science, au contraire, la « petite route » s’élargit ; elle devient une voie d’autant plus sûre, plus lumineuse que la connaissance de la théorie vient faire comprendre au cultivateur la raison de la pratique. C’est ainsi que les trois ensemble : théorie, pratique, routine servent à former d’excellents cultivateurs.

Le Manuel d’Agriculture, rédigé d’une façon très claire et très précise, est d’une lecture facile pour tous ; il expose toutes les données de la science adaptées aux conditions naturelles du Nord de la France. Ses auteurs l’ont tenu constamment à jour de toutes les nouveautés ; c’est ainsi que, dans cette sixième édition, on a porté à la connaissance des lecteurs les engrais que les découvertes de la chimie ont permis de fabriquer depuis peu ; on a indiqué au cultivateur les variétés de blé que la science des sélectionneurs a rendues plus productives ; on lui apprend les nouvelles mesures législatives qu’il est indispensable de connaître; on met en lumière l’action des associations professionnelles qui coordonnent nos efforts et permettent de défendre nos intérêts professionnels.

Ce livre est cependant insuffisant pour former d’une façon complète un jeune agriculteur. Il n’a pas d’autre ambition que d’être pour lui une lumière qui éclairera et élargira sa « petite route ». On comprend dès lors son succès toujours grandissant comme Manuel des Études Agricoles par correspondance que nos grandes associations agricoles ont organisées depuis quelques années pour les jeunes gens désireux de devenir des cultivateurs éclairés, avertis de toutes les questions de production, d’échanges, ou d’organisation professionnelle.

On sait en quoi consistent les cours par correspondance ; pendant deux ou trois hivers successifs, les jeunes gens âgés de plus de seize ans, c’est-à-dire ayant déjà une habitude du travail agricole et, en même temps, une maturité d'esprit suffisante pour observer et analyser les faits de la pratique, rédigent chaque quinzaine un devoir qu’ils préparent en se servant du Manuel d’Agriculture et de notes explicatives données par un maître. La tâche de l`é1ève est d’appliquer les données de la science â une pratique agricole dans le milieu naturel où il se trouve.

Les personnes qui corrigent les devoirs sont averties de la science et de la pratique, connaissent les exigences particulières de chaque pays et peuvent ainsi rectifier les erreurs d’observation de l'élève ou mettre en lumière les raisons de telle ou telle pratique culturale. Les jeunes gens profitent donc de l’expérience du correcteur, j’allais dire de sa routine.

C’est ainsi que les cours par correspondance constituent une école merveilleuse qui sait allier la science à la pratique consacrée par l’expérience, qui sait également développer le don d’observation chez le jeune cultivateur. Par cette méthode, celui-ci acquiert une pratique éclairée et l’exécution de ses travaux est dirigée par des principes de science et l’expérience.

Sans elle, il piétine dans une pratique aveugle qui s’en tient à l’habitude de répéter toujours le même geste à la manière des êtres sans raison.

René de La Gorce,

Ingénieur agronome, Membre de la Chambre d’Agriculture du Nord, Vice-président de la Fédération agricole du Nord de la France, Président de la Commission des Études agricoles par correspondance,

Agriculteur-Éleveur.

Référence: Genech de la Louvière T., 1935. Manuel d’agriculture. Paris, La Maison Rustique, 7e éd., 734 p.

Notes

  1. Dans la province du Béarn, où cette conversation a eu lieu, on appelle le maïs, bled d’Espagne.
  2. Voilà un des systèmes des Économistes ; il semble qu’aujourd’hui on voudrait le rajeunir.
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