Remembrement, la genèse - Annexe 5
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Lettres-Patentes du roi Louis XV, portant confirmation de division et partage de terrains de la communauté de Roville en Lorraine (1771)
Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre. A nos amés et féaux les gens tenant notre cour souveraine de Lorraine et Barrois à Nancy, et tous autres nos officiers et justiciers qu’il appartiendra, Salut. Nous étant fait représenter en notre Conseil les délibérations prises par la communauté de Roville, sise dans notre duché de Lorraine, les 3 Décembre 1768 et 20 Décembre 1769, ensemble le procès-verbal fait et signé le 1er. Octobre 1770, avec la carte faite en conséquence : lesquels actes et carte ont été signés et adoptés par les maire, syndic et habitants de ladite communauté ; par notre amé et féal le sieur Antoine de Chaumont de la Galaisière, en qualité de seigneur dudit Roville ; par François Dijon, en qualité de curé ; […] ((suivent les noms d’une soixantaine de personnes)) ; tous habitants, laboureurs, artisans et manœuvres, composant et représentant le corps de la communauté de Roville, dépendante du comté de Neuviller ; les mêmes habitants en leur particulier, comme propriétaires de maisons, terres, prés, jardins, vignes, chènevières et autres héritages de toute nature, et encore comme laboureurs et cultivateurs du ban dudit lieu, ensemble les portériens, propriétaires et forains du même ban ;
Nous aurions reconnu, avec toutes les parties intéressées, que la division à l’infini, et la dispersion des héritages qui composent ledit ban de la communauté de Roville, portent un préjudice sensible à l’Agriculture, la plus grande partie des fonds se trouvant réduite par les partages à une si mince consistance, qu’ils ne valent plus la peine d’être cultivés ;
Que d’ailleurs le grand éloignement où les champs appartenant aux mêmes propriétaires sont l’un de l’autre, ne permet pas d’y apporter les engrais nécessaires ;
Que de ce mélange de propriétés naissent la facilité des usurpations qui produisent des procès sans nombre ; l’impossibilité de pénétrer à un champ, sans passer sur les fonds d’un grand nombre de propriétaires ; la faculté de ruiner les héritages voisins par la direction des eaux que chaque cultivateur donne à son gré ; la multiplicité des chemins tortueux qui s’élargissent à mesure que le séjour des eaux les rend impraticables, et qui occupent une quantité de terrain considérable ;
Que la culture donnée indifféremment en tous sens, et le défaut d’observation des pentes dans la direction des sillons, produisent des ravins sans nombre, et rendent infertiles, par le défaut d’écoulement des eaux privées, des contrées entières qui seraient le plus susceptibles de productions abondantes.
Frappés de cette multitude d’inconvénients, les syndic, habitants, propriétaires, et autres ayant droit dans cette communauté, ont senti tout l’avantage du plan que le sieur de la Galaisière, seigneur dudit Roville, leur a proposé pour y remédier, et en ont adopté les dispositions, qui consistent :
- 1°. En procédant à une nouvelle distribution des terres du ban, à livrer à chaque propriétaire, suivant ses titres, tous les fonds épars qu’il possède sur ledit ban, en un seul lot, dans chacune des contrées qu’il est nécessaire de différencier attendu les diverses natures de terrain.
- 2°. A fixer le sens dans lequel chaque contrée sera à jamais cultivée, relativement aux pentes et à la direction des eaux.
- 3°. A tracer pour la culture et l’enlèvement des récoltes, des chemins en ligne droite, au moyen desquels chaque champ se trouvera aboutir sur un chemin.
- 4°. A fixer la largeur qu’un champ aura à perpétuité entre deux sillons, qui a été réglée pour le ban de Roville, de l’avis des laboureurs, et du consentement de tous les délibérants, à trois toises, mesure de Lorraine.
Cette opération faite en conséquence de la demande qu’ils avaient faite par leur délibération du 3 Décembre 1763, commencée sous la direction du sieur de la Galaisière par Tixerand, arpenteur géomètre, terminée par Martin, et consignée dans la carte levée à cet effet par Mougeot, arpenteur, présente des avantages qu’il n’est pas possible d’apprécier.
Les bornes des propriétés fixes et immuables, préviendront toutes usurpations et procès en matière réelle ; le titre de chaque particulier sera un titre commun à tous les propriétaires dudit ban.
Chaque propriétaire tirera une fois plus de produit de ses possessions réunies, qu’il ne faisait de ses possessions éparses.
Les pentes des eaux observées, au lieu de nuisibles qu’elles étaient, rendront ces eaux profitables.
Les chemins pratiqués en droite ligne offriront à chaque propriétaire un débouché sûr et facile pour son champ, indépendant du propriétaire voisin, et qui l’affranchira de la servitude d’avoir sur son terrain un genre de productions qui se récolte en même temps que celles des terrains adjacents.
Enfin, cette indépendance procurée à chaque propriétaire, évitera à l’avenir tous dégâts, amendes, reprises et usurpations.
Le laboureur consommera moins de temps dans ses labours, il conduira facilement les engrais ; il ne perdra pas de temps à rechercher des champs et à les reconnaître. Il en consommera moins à semer, herser, échardonner, scier retourner, enjaveler, lier, et l’enlèvement sera plus facile.
Il consommera moins de semence, parce qu’il aura moins de terrain sujet aux surcharges.
Pénétrés de tant d’avantages réunis, les habitants ont déclaré par le procès-verbal rédigé le 1er. Octobre 1770, et par eux signé, ainsi que la carte relative, accepter et s’en tenir pour eux, leurs hoirs et ayants-cause, à la nouvelle distribution qui leur a été faite des terres dont ils sont propriétaires sur ledit ban, dont l’ordre et l'état sont exprimés par noms et numéros dans ledit procès-verbal. Ils ont reconnu que la quotité des terres portée dans leurs titres qu’ils ont représentés, leur a été délivrée ; ils ont consenti en conséquence de regarder désormais la carte dressée contradictoirement par Mougeot, arpenteur, avec toutes les parties intéressées, ensemble le procès-verbal du 1er. Octobre 1770, comme les seuls titres qui, par la représentation qui a précédé des anciens titres de propriété et de jouissance, devaient suppléer lesdits titres, et former dès a présent le seul qui dût régler leur jouissance et leur propriété. Ils ont arrêté, en conséquence, que cette carte annexée à la minute du procès-verbal, serait déposée avec icelui au greffe de la juridiction dudit Roville ; qu'il serait délivré à chaque propriétaire un extrait du procès-verbal contenant l’état de ses propriétés, ledit extrait signé et certifié par les officiers de justice et par l’arpenteur.
Ils ont, de plus, reconnu par ce procès-verbal qu’étant remplis de la quantité de terrain portée dans leurs titres, tous les chemins de division marqués sur la carte étaient pris sur la portion appartenant au sieur de la Galaisière, seigneur dudit Roville, et ont consenti en conséquence que ledit seigneur, ses hoirs et ayants-cause, demeurassent à perpétuité propriétaires desdits chemins de division, en sorte que, quoiqu’ils s’assujettissent à les laisser à perpétuité chemins publics, ils jouiraient pareillement à perpétuité du droit exclusif de les planter en arbres fruitiers seulement, et de profiter, tant des fruits que de la coupe des arbres, à la charge néanmoins de les faire élaguer toutes les fois que leur étendue pourrait nuire à la bonté des chemins et à leur dessèchement.
C’est dans la vue de rendre inaltérable une opération aussi avantageuse, que ces délibérants se sont assujettis par ledit procès-verbal, pour eux, leurs hoirs et ayants-cause, à perpétuité :
- 1°. A ne jamais changer, sous quelque prétexte que ce fût, le sens de culture indiqué par ladite carte ;
- 2°. A donner pareillement à perpétuité à chaque champ, c’est-à-dire au terrain compris entre deux sillons, la largeur de trois toises, mesure de Lorraine ;
- 3°. A ne jamais diviser aucun champ, c’est-à-dire que chacun desdits champs on espaces compris entre deux sillons, portés dans ladite carte sous un numéro séparé, ne pourra être, à titre de vente, donation, testament, partages ou autres actes quelconques, divisé ni morcelé, et que, si plusieurs héritiers, donataires, propriétaires, usagers ou usufruitiers, à quelque titre que ce soit, ont droit à un de ces champs, il sera par eux vendu ou licité, ou affermé à prix commun, ou cultivé par indivis ;
Et comme dans le courant de l’année, une propriété quelconque peut, par cause de mort, vente, donation, ou autrement, appartenir à un autre propriétaire que celui au nom duquel elle est désignée par ledit procès-verbal, ils ont arrêté qu’il en serait fait mention en marge dudit procès-verbal, tous les ans, à la tenue des plaids-annaux, par les officiers du seigneur haut-justicier dudit lieu.
Ils ont également déclaré accepter la nouvelle affectation des cens dus au seigneur, telle qu’elle est indiquée à la fin dudit procès-verbal, et désignée et inscrite sur ladite carte, à côté des chiffres qui marquent les différents numéros.
A l’égard des pasquiers communaux dudit ban de Roville, ils ont déclaré par ledit procès-verbal, s’en tenir à la délibération qu’ils ont tenue sur cet objet le 20 Décembre 1769.
Les motifs de cette délibération ont été,
- 1° de mettre en culture une partie considérable de terrain dont on ne tirait aucune espèce de produit ;
- 2°. En donnant spécialement au manœuvre le moyen de subsister, de l’attacher à son domicile par l’appât d’une espèce de propriété.
En conséquence, distraction faite d’une place commune laissée à l’entrée du village pour l’ébat des bestiaux, et du tiers du terrain abandonné au seigneur, pour son droit de tiers-denier, au moyen duquel abandon, ledit seigneur a renoncé à perpétuité à exercer ledit droit de tiers-denier, tant sur les portions distribuées aux habitants, que sur celles qui seront affermées au profit de la communauté ; on a divisé le surplus du terrain, formant les pasquiers dudit Roville, en cinquante-sept portions, dont trente-deux, contiguës les unes aux autres, ont été tirées au sort par les trente-deux habitants composant la communauté ; les vingt-cinq autres devant être laissées à bail au profit de la communauté, et étant destinées aux nouveaux entrants, toujours de suite en suite. De tout quoi, il a été dressé délibération en forme de procès-verbal, le 20 Décembre 1769.
Les conditions auxquelles les habitants se sont soumis pour raison de ce partage fait en vertu de ladite délibération, sont :
- 1°. Qu'ils seront exempts de vain pâturage, et de toute servitude quelconque les uns envers les autres, et que tous les lots aboutissant sur un chemin de division, seront réciproquement indépendants de passage l’un sur l'autre, n’entendant par ce, hors les cas prévus par la coutume et notre édit du mois de Mars 1767, se soustraire au droit de parcours dont les communautés voisines sont en possession, aussi longtemps qu’il nous plaira laisser subsister l’exercice de ce droit.
- 2°. Que les portionnaires en jouiront à titre d’usufruit, autant et si longtemps qu’ils seront et demeureront habitants résidants audit lieu, et pour l’une desdites portions ou lots seulement, un habitant ne pouvant en tenir deux, qu’autant qu’il en louerait une de la communauté, pour en tirer, par toutes sortes de cultures, tous les profits possibles, sans pouvoir aliéner lesdits lots en tout ou en partie ; ni autrement en disposer en faveur d’aucun externe du village.
- 3°. Qu’à mesure qu’il s’établira un nouvel habitant, il lui sera délivré le numéro suivant de la division déjà faite et occupée, et successivement, sans pouvoir en laisser aucun intermédiaire, toutes celles qui ne seraient point tenues par les portionnaires, et louées par conséquent au profit de la communauté, devant être contiguës et successives.
- 4°. Que si néanmoins aucun des lots déjà livrés aux habitants échet en vacance, par mort, sortie des tenants ou autre cause, ils seraient laissés au profit de la Communauté, et seraient les premiers à remettre aux entrants. Pour éviter à cet égard toute contestation, la jouissance commencera toujours au 1er. Janvier.
- 5°. Qu’à l’exception de la place commune, tout le surplus des usages non tenus par les portionnaires, et cependant divisés en portions, sera laissé à bail, au plus offrant et dernier enchérisseur, par la communauté, et à son profit, par baux de neuf années consécutives, à commencer au 1er. Janvier, et finir à pareil terme, à charge par l’adjudicataire de cultiver dans le sens marqué sur la carte, toujours aboutissant au chemin de la division, sans qu’il soit permis jamais de confondre les numéros. […]
- 7°. Que chaque lot demeurera indivisible et inaliénable.Mais comme l’exécution de ce plan, aussi utile dans toutes ses parties, quoique adopté unanimement par tous ceux qui y sont intéressés, ne pourrait conserver une perpétuité inaltérable, s’il n’avait pas reçu notre approbation qui est nécessaire, lesdits délibérants nous ont supplié, en dérogeant aux lois qui pourraient être contraires aux dispositions énoncées dans ce procès-verbal, et dans leurs délibérations, de confirmer et homologuer lesdites délibérations, procès-verbal, et la carte y relative ; d’ordonner que ledit procès-verbal, et les actes annexés à sa minute, ainsi que ladite carte, ensemble l’arrêt à intervenir, seront déposés au greffe de la juridiction de la communauté dudit Roville ; ordonner pareillement que copie, tant dudit procès-verbal que de ladite carte, sera déposée au greffe de notre cour souveraine de Lorraine et Barrois ;
Et attendu que les mutations occasionnées par la nouvelle division ne peuvent être regardées que comme un remembrement fait volontairement et à l’amiable, et non comme des échanges entre les différents propriétaires, déclarer lesdites mutations exemptes de tous droits d’amortissement, d’échange ou autres quelconques, qui pourraient être prétendus par nos fermiers, sauf et sans préjudice des droits qui pourraient être prétendus par tout autre ; à cet égard, déclarer les portions délivrées à chaque habitant, et qui représentent la part que ledit habitant avait dans les communes, insaisissables pour le fonds seulement ;
D’ordonner enfin, que lesdits habitants jouiraient pour raison desdites portions à eux délivrées, pendant l’espace de vingt années, de l’exemption des dîmes, tailles, vingtièmes et autres impositions généralement quelconques, et ce, à compter du 1er. Janvier de la présente année.
NOUS n’avons pu voir qu’avec une véritable satisfaction le plan formé par ledit sieur de la Galaisière, et adopté par ladite communauté de Roville ; et voulant la faire jouir des avantages infinis qu’elle doit en recueillir, désirant même de mettre sous les yeux des autres communautés un modèle qui puisse les engager à se procurer les mêmes avantages et à suivre l’exécution d’un plan pour lequel nous sommes dans l’intention d’accorder les encouragements les plus marqués ; Nous avons eu égard aux représentations qui nous ont été faites par lesdits délibérants, ainsi qu’aux demandes qu’ils ont formées en conséquence, et nous y avons statué par arrêt rendu en notre Conseil d’État, nous y étant, le 28 Mars dernier, sur lequel nous avons ordonné que toutes lettres-patentes nécessaires seraient expédiées. […]
Dérogeons à tous édits, déclarations, lois, usages et coutumes qui pourraient être contraires aux différentes clauses et dispositions énoncées dans ledit procès-verbal et lesdites délibérations, ainsi qu'aux dispositions dudit arrêt et des présentes.
Si vous mandons que ces dites présentes vous ayez à faire registrer, et du contenu en icelles, et audit arrêt, faire jouir et user lesdits habitants et communauté de Roville, et autres y dénommés, pleinement et paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements contraires ; car tel est notre plaisir. Donné à Versailles le septième jour de Mai, l’an de grâce mil sept cent soixante-onze, et de notre règne le cinquante-sixième.
Référence :
François de Neufchâteau N., 1806. Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon, pp. 190-198. Texte intégral sur Gallica.