Remembrement, la genèse - Annexe 3

De Les Mots de l'agronomie
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16 mai 2022
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Cette annexe se rapporte à l'article Remembrement, la genèse.

L’arpentage (remembrement) de Rouvres près Dijon, 1697-1707. (François de Neufchâteau, 1806, extraits)


La subdivision des terres, portée à l’infini, est un des principaux obstacles qui s’opposent en France aux progrès de l’Agriculture ; et le plus grand service que la Société puisse rendre au premier des arts serait d’indiquer le moyen de lever cet obstacle, ou d’en atténuer l’effet. […]

J’avouerai que, pénétré de l’importance de cette question, j’avais un vif regret de voir qu’elle ne fût pas résolue, et je continuais à m’informer de ce qui s’était pratiqué pour la trancher ailleurs ((en Europe)). Mais, en ce genre et en bien d’autres, on va souvent chercher bien loin ce qu’on pourrait trouver dans son pays, si l’on prenait la peine de regarder autour de soi. C’est une vérité dont j’ai eu le bonheur de me convaincre en dernier lieu, quand mon devoir de sénateur m’a conduit à Dijon, pour la première fois. […] j’y ai trouvé plusieurs exemples remarquables de la manière de détruire les inconvénients qu’oppose au progrès de l’Agriculture la subdivision des terres ; et l’un de ces exemples subsiste depuis près d’un siècle, à très peu de distance de cette ville de Dijon. […]

§. IV. L’arpentage de Rouvres est un exemple heureux du moyen de remédier aux inconvénients de la désunion des terres. Arrêt du Conseil qui motive cette opération.

Or le remède à ces divers abus, a été appliqué dans les environs de Dijon, il y a près d’un siècle, et sur une très grande échelle ; car le territoire de Rouvres a plus de quatre mille arpents, ou journaux de Bourgogne. Ces quatre mille journaux appartenaient à environ trois cent propriétaires. Ils étaient divisés en un nombre infini de pièces ; ils ont été distribués sur un plan régulier, en quatre à cinq cent pièces, par un procès-verbal d’arpentage, commencé le 19 décembre 1704, et fini en 1707 […].

La commune de Rouvres était, dans l’ancien régime, une châtellenie du domaine royal. Ce territoire était grevé, suivant l’usage féodal, de plusieurs redevances qui écrasaient l’Agriculture. La redevance principale, appelée des matroces, était une aumône en nature, d’autant plus accablante qu’elle était solidaire entre les redevables. Cette espèce de dîme, qui ne dispensait pas de la dîme ordinaire, donnait lieu tous les ans, à des vexations et à des procès sans nombre ; mais ce fut de l’excès du mal que sortit l’idée du remède.

Le 15 Juin 1697, tous les propriétaires du finage de Rouvres s’assemblèrent et s’entendirent. Ils convinrent de présenter une requête au Conseil du roi (Louis XIV) ; […] ils firent supplier le roi de convertir les redevances, partie en fonds de terre qui seraient donnés en paiement de ces fiefs et aumônes […] ; d’ordonner que les prêtres et les religieux, auxquels ces mêmes droits étaient alors réputés dus, seraient tenus de recevoir des fonds qui leur seraient donnés par les propriétaires, et pris sur tous leurs héritages, par estimation d’experts, pour composer un revenu proportionné au total des grains que percevaient lesdits décimateurs ; que ces fonds seraient cantonnés en une seule pièce […].

Les propriétaires de Rouvres saisirent cette occasion de délibérer en commun sur d’autres points qui concernaient la mise en meilleur ordre des terres de cette commune, soit pour l’écoulement des eaux qui en gâtaient une partie, soit pour forcer les négligents à exploiter les terres qui demeuraient souvent incultes, soit pour faire construire la grange destinée à recevoir les dîmes, etc.

Le 19 Novembre 1697, leur requête au Conseil fut renvoyée, suivant l’usage, à M. Ferrand, Intendant de la province de Bourgogne […]. Dès le 4 Octobre suivant, […] le Conseil statua sur toutes les demandes. Par cet arrêt, le roi supprime, éteint et abolit à perpétuité, et sans aucun retour, pour quelque cause que ce puisse être, la redevance des matroces; et pour en tenir lieu et acquitter partie des charges assignées sur icelle, Sa Majesté ordonne que […] les curé, prieur et abbesse, qui avaient droit à ces matroces, accepteront dans le finage de la châtellenie de Rouvres, la quantité de fonds qui sera jugée nécessaire pour leur produire un revenu équivalent aux grains qu’ils prenaient tous les ans sur les susdites redevances ; que ces fonds leur seront donnés en propriété dans les lieux jugés être à leur bienséance, et en pièces qui devront être estimées, arpentées, et bornées aux dépens des propriétaires, lesquels seront tenus lors de la remise des fonds, de faire creuser les canaux et fossés nécessaires pour en faire écouler les eaux, à la charge de les entretenir, à l’avenir, de la part des parties prenantes. […]

Il fut expédié sur l’arrêt des lettres-patentes ou déclaration du roi, le 4 Novembre 1701, et l’exécution du tout fut renvoyée à l’Intendant. Ce magistrat commit Antoine Feugueray, arpenteur, […] pour lever un plan très exact du finage de Rouvres, dans l’état où il se trouvait. Ensuite, vu ce plan, l’Intendant ordonna que dans un mois, pour tout délai, cet arpenteur procéderait au placement des terres ; que les propriétaires y seraient appelés par publications aux prônes ; que si, dans le débornement ou distribution des terres de chaque climat, il se trouvait une saison, ou sole, trop petite pour contenir et placer tous les ayant-droit, ce qui manquerait au dernier lui serait rendu dans un autre climat de même espèce.

[…] L’opération commença le 19 Décembre 1704. Toutes les contrées du finage furent distribuées en divers parallèles, ou régions particulières, de forme quadrilatérale, et divisées entre elles par des chemins que l’arpenteur appelle des chemins finagers, pour la facilité de l’exploitation. Son procès-verbal et son plan existent encore aujourd’hui. […]


§. V. Résultats de cet arpentage, qui subsistent depuis un siècle.

[…]

1°. De l’assiette du Bourg de Rouvres.

[…]

2°. Des terrains prélevés sur tout le territoire, pour remplacer les droits cédés aux ecclésiastiques.

[…] En exécution de l’arrêt du Conseil d’État, les prieur, curé, chapelain, abbesse et religieuses, qui avaient droit aux redevances, reçurent, pour en tenir lieu, six cent quarante quatre journaux et un demi-tiers ; c’est-à-dire près du septième de tout le territoire, qui est de quatre mille cent cinquante-huit journaux et un demi-tiers. […]

3°. Du redressement des cours d'eau.

Les cours d’eau et levées pour assainir le territoire emportèrent quinze journaux. Il ne m’a point paru que l’on eût songé dans le temps à profiter des prises d’eau que l’on aurait pu dériver pour l’irrigation des prés ; mais il serait encore aisé d’y revenir. Ce serait un degré d’utilité de plus, que pourrait recevoir l’arpentage de Rouvres, et qu’on devrait avoir en vue dans tout arrangement pareil. […] L’opération faite à Rouvres est très louable à cet égard ; mais les eaux qui en sont l’objet vont gâter d’autres territoires. Il aurait fallu travailler sur un plan général ; combiner les besoins des diverses communes, les hauteurs des divers moulins, la situation des diverses prairies. […]

4°. Des Chemins d’exploitation, qu’on a ouverts à Rouvres.

Enfin, et ce dernier article est celui qui mérite le plus d’attention, les chemins, tant chemins publics, que ceux que l’arpenteur appelle finagers, et qui furent marqués pour la commodité de l’exploitation, le charroi des fumiers et l’enlèvement des récoltes ; ces chemins, auxquels il donna un peu plus de six mètres de largeur, prirent sur la totalité des fonds du territoire soixante-douze journaux, c’est-à-dire à-peu-près le cinquante-huitième. Cette proportion doit sembler très modique, non seulement en la calculant par l’avantage immense qui résulte du percement et des commodités que ces chemins procurent dans les terrains à exploiter, mais en la comparant aux sacrifices bien plus forts que font à cet objet les Anglais, par exemple, dans leurs bills de clôture. […]

Ces allées, tracées avec intelligence, sont vraiment le chef d’œuvre de l’opération qui fut exécutée à Rouvres. Tous les terrains compris dans chaque parallèle, ou chaque masse d’héritages, sont tellement distribués entre ces chemins finagers, que leur direction a fixé pour jamais à Rouvres le libre abord des héritages, le sens de leurs cultures, la pente de leurs eaux et l’affranchissement de toute servitude. En jetant les yeux sur le plan, on voit que tous les champs et tous les prés quelconques aboutissent, des deux côtés, sur un chemin public : qu’il est extrêmement facile à ceux qui ont des terres dans un seul parallèle, de s’entendre entre eux pour le clore ; qu’en ce cas, la dépense de la clôture est peu de chose ; que, d’ailleurs, ces allées pourraient être plantées d’arbres fruitiers champêtres, etc. Cet arrangement, qui subsiste dans le territoire de Rouvres, en a fait, à la longue, comme une espèce de jardin. Chacun peut cultiver sa portion, comme il l’entend ; nul ne peut gêner ses voisins, ni en être gêné. Le travail et la vie circulent à leur aise par ces chemins, qui sont comme les veines d’un grand corps. Aussi c’est un spectacle très curieux à contempler, que la variété des productions qui se touchent dans ce parterre immense. J’ai suivi ces diverses routes ; je les ai parcourues avec le plus grand intérêt ; j’y revenais sans cesse, mais en formant le vœu de faire généralement connaître cet heureux exemple d’un bon arrangement des terres, si simple et si facile à imiter partout ailleurs. […] Ce qui s’est fait à Rouvres, il y a près d’un siècle, pourrait s’exécuter partout, si nos ingénieurs étaient chargés partout de remplir un plan si utile, d’après des principes certains et sur des bases uniformes, en liant l’hydraulique et l’irrigation à la géodésie. […]

Référence :

François de Neufchâteau N., 1806. Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon, contenant l’exposition du moyen employé avec succès, depuis un siècle, pour corriger l’abus de la désunion des Terres, par la manière de tracer les chemins d’exploitation. Paris, XII + 260 p. Texte intégral sur Gallica.


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