Signification des rendements - Annexe 3
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Boussingault (1864) commente Humboldt (1811)
Présentation
Analysant les facteurs contribuant à la productivité des cultures, Boussingault (qui avait lui-même longuement séjourné en Amérique latine) commente un passage de l’Essai sur la Nouvelle Espagne (le Mexique) d’Alexander von Humboldt.
Humboldt (1811)
La richesse des récoltes est surprenante dans les terrains cultivés avec soin, surtout dans ceux que l'on arrose, ou qui sont ameublis par plusieurs labours. La partie la plus fertile du plateau est celle qui s'étend de Quézutarero à la ville de Léon. Ces plaines ont 30 lieues de long sur 8 à 10 de large. On y récolte en froment 35 à 45 fois la semence ; plusieurs grandes fermes peuvent compter sur 50 ou 60 grains. J'ai trouvé la même fertilité dans les champs qui s'étendent de Santiago jusqu’à Yurirapundaro, dans l’intendance de Valladolid. Dans les environs de Puebla, d'Atlisco de Zelaya, dans une grande partie des évêchés de Mechoacan et de Guadalaxara, le produit est de 20 à 30 grains pour un. Un champ y est considéré comme peu fertile, lorsqu'une fanègue de froment ne rend, année moyenne, que 16 fanègues. A Cholula, la récolte commune est de 30 à 40 grains; mais elle excède souvent 70 à 80. Dans la vallée de Mexico, on compte 200 grains pour le maïs, et 18 ou 20 pour le froment. J’observe que les nombres rapportés ici ont toute l’exactitude que l’on peut désirer dans un objet aussi important pour la connaissance des richesses territoriales. Désirant vivement connaître les produits de l’agriculture sous les tropiques, j’ai pris tous les renseignements sur les lieux mêmes ; j’ai confronté toutes les données qui m’ont été fournies par des colons intelligents, et qui habitaient des provinces très éloignées les unes des autres. J’ai porté d’autant plus de précision dans ce travail que, né dans un pays où le blé donne à peine le quatrième ou le cinquième grain, j’étais disposé plus qu’aucun autre à me méfier des exagérations des agronomes ; exagérations qui sont les mêmes au Mexique, en chine, et partout où l’amour-propre des habitants veut profiter de la crédulité des voyageurs.
Je n’ignore pas qu’à cause de la grande inégalité avec laquelle on sème dans les différents pays, il aurait mieux valu comparer le produit des récoltes à l’étendue du terrain ensemencé. Mais les mesures agraires sont si inexactes, et il y a si peu de fermes au Mexique dans lesquelles on connaisse avec précision le nombre de toises ou de vares carrées qu’elles embrassent, qu’il m’a fallu m’en tenir à la simple comparaison du froment récolté avec le froment semé. Les recherches auxquelles je m’étais livré pendant mon séjour au Mexique, m’avaient donné pour résultat, qu’année commune, le produit moyen de tout le pays est de 22 à 25 grains pour un. Retourné en Europe, j’avais formé de nouveau quelques doutes sr la précision de ce résultat important, et j’aurais peut-être hésité de le publier, si je n’avais pu consulter sur cet objet, tout récemment, et à Paris même, une personne respectable et éclairée qui habite les colonies espagnoles depuis trente ans, et qui s’y est livrée avec beaucoup de succès à l’agriculture. M. Abad, chanoine de l'église métropolitaine de Valladolid de Mechoacan, m'a assuré que, d'après ses résultats, le produit moyen du froment mexicain est probablement de 25 à 30 grains ; ce qui, d'après Lavoisier et de Necker, excéderait cinq à six fois le produit moyen de la France. Près de Zelaya, les agriculteurs m'ont fait voir la différence énorme de produit qu'il y a entre les terres arrosées artificiellement et celles qui ne le sont pas. Les premières, qui reçoivent les eaux du Rio Grande, distribuées par des saignées dans plusieurs étangs, donnent 40 à 50 fois le grain semé ; tandis que les champs qui ne jouissent pas du bienfait de l'irrigation n'en rendent que 15 à 20. On a ici le même défaut dont les agronomes se plaignent dans presque toutes les parties de l’Europe, celui d’employer trop de semaille, de sorte que le grain se perd et s’étouffe. Sans cet usage, le produit des récoltes paraîtrait plus grand encore que nous venons de l’indiquer.
Il sera utile de consigner ici une observation faite près de Zelaya, par une personne digne de confiance et très accoutumée à des recherches de ce genre. M. Abad prit au hasard, dans une belle pièce de blé de plusieurs arpents d’étendue, quarante plantes de froment (Triticum hybernum) : il plongea les racines dans l’eau pour les dépouiller de toute terre, et il trouva que chaque graine avait donné naissance à quarante, soixante, et même à soixante-dix tiges ; les épis étaient presque tous également bien garnis : on compta le nombre des grains qu’ils contenaient et on trouva que ce nombre excédait souvent cent, et même cent-vingt ; le terme moyen parut quatre-vingt-dix ; quelques épis contenaient jusqu’à cent soixante grains. Voilà un exemple de fertilité bien frappant ! On remarque, en général, que le froment talle énormément dans les champs mexicains ; qu’un seul grain y pousse un grand nombre de chaumes, et que chaque plante a des racines extrêmement longues et touffues. Les colons espagnols appellent cet effet de la vigueur de la végétation, el macollar del trigo.
Boussingault (1864)
Après avoir signalé les déserts sans eau qui séparent la Nouvelle Biscaye du Nouveau-Mexique, Humboldt fait remarquer qu'à cause de son extrême sécheresse, une partie considérable de la Nouvelle-Espagne, située au nord du tropique, n'est pas susceptible d'une grande population et il ajoute, faisant particulièrement allusion à la production des céréales : « Quel contraste frappant entre la physionomie de deux pays voisins, entre le Mexique et les États-Unis de l'Amérique septentrionale ! (…) » Que le rendement moyen en froment des terres du Mexique soit supérieur à celui que l'on obtient en Europe, cela est très vraisemblable ; cependant la différence n'est peut-être pas aussi grande qu'on serait porté à l'admettre d'après les renseignements recueillis par Humboldt, par cette raison que j'ai déjà eu l'occasion d'exposer dans mon Économie rurale (t. I, p. 409), qu'il n'est pas possible de comparer la production des céréales dans diverses contrées sans tenir compte de la surface de terrain assignée au grain que l'on prend pour l'unité de la comparaison. Il faudrait, pour arriver à un résultat exact, que, de part et d'autre, on eût répandu sur des surfaces égales la même quantité de grains. Tout cultivateur sait, en effet, que moins on sème dru, plus le rendement rapporté à l'unité de semence augmente. En France, la production du froment est réellement comparable, parce qu'on prend pour unité de semence l'hectolitre, et pour unité de surface l'hectare. Chaque grain a donc individuellement à peu près le même volume de terre ; si, la surface restant la même, on sème plus clair, chaque grain, ayant pour puiser les agents de fertilité un volume de sol plus considérable, fournira un pied plus vigoureux et plus chargé de grains, bien que la récolte faite sur un hectare ainsi clairsemé puisse être notablement inférieure à celle que l'on aurait retirée en semant plus serré.
Les raisons qui doivent déterminer dans la dose des grains à semer sont nombreuses et très complexes; elles se déduisent évidemment de la valeur du fonds en culture, de la céréale, des pailles, de la main-d’œuvre, des engrais. Ainsi, là où la terre est à très-bas prix, où le travail est cher, il est peut-être profitable de répandre peu de semence sur une grande surface et d'épargner les façons à donner au sol. « Un fermier anglais, écrivait Washington à Arthur Young, doit avoir une opinion extrêmement désavantageuse de notre sol, s'il apprend qu'une acre ne produit chez nous que 8 à 10 bushels de froment (8 hectolitres par hectare) ; mais il ne doit pas oublier que dans tous les pays où les terres sont à bon marché, et où la main-d'œuvre est chère, on aime mieux cultiver beaucoup que cultiver bien. » Ce sont là des conditions fort analogues à celles où l'on se trouve au Mexique ; on sème clair un certain nombre de fanegas et l'on compte combien de fanegas on récolte sans beaucoup se préoccuper de l'étendue du sol sur laquelle on agit. Aussi, comme le dit Humboldt, « le froment talle énormément dans les champs mexicains ; un seul grain y pousse un grand nombre de chaumes, et chaque plant a des racines extrêmement longues et touffues. »
Références
- Boussingault J.B., 1864. Agronomie, chimie agricole et physiologie, t. 3 : 63-67.
- Humboldt A.L. de, Bonpland A., 1811. Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, t. III : 79-80