Gelées de printemps : éclairages historiques - Annexe 5

De Les Mots de l'agronomie
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Date de mise en ligne
19 juin 2021
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Cette annexe se rapporte à l'article Gelées de printemps : éclairages historiques.

Un effet du soleil levant ?

Commençons par ce qu’en écrivent Duhamel du Monceau et Buffon en 1737 (les gras sont de nous) :

«  Mais il nous semble encore apercevoir une autre cause des désordres que la gelée produit plus fréquemment à des expositions qu’à d’autres, au Levant, par exemple, plus qu’au Couchant ; elle est fondée sur l’observation suivante, qui est aussi constante que les précédentes.

Une gelée assez vive ne cause aucun préjudice aux plantes quand elle fond avant que le soleil les ait frappées. Qu’il gèle la nuit, si le matin le temps est couvert, s’il tombe une petite pluie, en un mot si par quelque cause que ce puisse être, la glace fond doucement & indépendamment de l’action du soleil, ordinairement elle ne les endommage pas, & nous avons souvent sauvé des plantes assez délicates qui étaient par hasard restées à la gelée, en les rentrant dans la serre avant le lever du soleil, ou simplement en les couvrant avant que le soleil eût donné dessus.

Une fois entre autres, il était survenu en automne une gelée très forte pendant que nos Orangers étaient dehors, & comme il était tombé de la pluie la veille, ils étaient tous couverts de verglas, on leur sauva cet accident en les couvrant avec des draps avant le soleil levé, de sorte qu’il n’y eut que les jeunes fruits & les pousses les plus tendres qui en furent endommagés, encore sommes-nous persuadés qu’ils ne l’auraient pas été si la couverture avait été plus épaisse. ((suit un autre exemple))

Cette précaution revient assez à ce qu’on pratique pour les animaux. Qu’ils soient transis de froid, qu’ils aient un membre gelé, on se donne bien de garde de les exposer à une chaleur trop vive, on les frotte avec de la neige, ou bien on les trempe dans de l’eau, on les enterre dans du fumier, en un mot on les réchauffe par degrés & avec ménagement. (…)

Pour expliquer comment le soleil produit tant de désordres sur les plantes gelées, quelques- uns avaient pensé que la glace, en se fondant, se réduisait en petites gouttes d’eau sphériques qui faisaient autant de petits miroirs ardents quand le soleil donnait dessus ; mais quelque court que soit le foyer d’une loupe, elle ne peut produire de chaleur qu’à une distance, quelque petite qu’elle soit, & elle ne pourra pas produire un grand effet sur un corps qu’elle touchera ; d’ailleurs la goutte d’eau qui est sur la feuille d’une plante, est aplatie du côté qu’elle touche à la plante, ce qui éloigne son foyer. Enfin si ces gouttes d’eau pouvaient produire cet effet, pourquoi les gouttes de rosée qui sont pareillement sphériques, ne le produiraient-elles pas aussi ? Peut-être pourrait-on penser que les parties les plus spiritueuses & les plus volatiles de la sève fondant les premières, elles seraient évaporées avant que les autres fussent en état de se mouvoir dans les vaisseaux de la plante, ce qui décomposerait la sève.

Mais on peut dire en général, que la gelée augmentant le volume des liqueurs, tend les vaisseaux des plantes, & que le dégel ne pouvant se faire sans que les parties qui composent le fluide gelé entre en mouvement, ce changement se peut faire avec assez de douceur pour ne pas rompre les vaisseaux les plus délicats des plantes, qui rentreront peu à peu dans leur ton naturel, & alors les plantes n’en souffriront aucun dommage, mais s’il se fait avec trop de précipitation, ces vaisseaux ne pourront pas reprendre si-tôt le ton qui leur est naturel ; après avoir souffert une extension violente, les liqueurs s’évaporeront, & la plante restera desséchée. »

Un siècle plus tard, Gasparin la commente ainsi :

« Ainsi la cause principale du mal produit par le froid peut être attribuée à la rapidité du dégel (…). Duhamel explique ce fait par l'accroissement de volume de l'eau qui passe à l'état de glace. Alors, dit-il, tous les organes qui la contiennent sont violement distendus ; si le dégel est subit, ces parties ne peuvent reprendre subitement leur premier état, de là vient l'altération de l'intérieur du végétal. Cette explication mécanique est loin de nous satisfaire ; nous la chercherions plutôt dans la soustraction rapide d'une grande quantité de calorique que la glace passant à l'état liquide enlève aux parties solides de la plante, modifiant ainsi profondément leur état moléculaire, et le privant de leur cohésion et de leur élasticité » (1844 : 54).

Une brûlure directe

« Le Soleil ayant alors bien de la peine à pénétrer cette fumée épaisse, ne pourra en aucune manière brûler les raisins & les feuilles qui seront sortis du bois de cette vigne » (Angran de Rueneuve, 1712 : 244-245) ; « Quand on ne développe la fumée qu'au lever du soleil, (…) alors elle a pour but et pour résultat d'empêcher les rayons de pénétrer jusqu'à la vigne, et de lui donner le temps de se remettre peu à peu à la température de l'atmosphère » (Leschevin, 1805)..

Un effet loupe des gouttelettes d’eau résultant de la fonte de la gelée blanche

« Il faut avoir l'attention de placer les fumerons sous le vent, c'est-à-dire entre le vent et la vigne, et surtout entre le soleil et la vigne, pour empêcher l'action des rayons du premier sur la seconde couverte des gouttes d'eau gelée, qui font l'effet des verres convexes, et brûlent tout ce qui est dessous », écrivent Dussieux & Huzard (1804 : 323), à la suite de Rozier (1784 : 260).

La déshydratation par l’évaporation, alors que le gel a interrompu la montée de la sève

C’est l’explication de Sénebier (1791) : « La gelée devient très fatale, quand elle est suivie par un dégel trop prompt, qui ne laisse pas aux fibres le temps de reprendre d’une manière nuancée leur premier état que l’expansibilité de l’eau changée en glace leur avait fait perdre. J’ai dit que le soleil noircissait les jeunes pousses gelées des arbres ; il fait plus, il les réduit en poussière au bout de quelques heures. (…). Il est évident que la désorganisation de la partie gelée est complexe ; elle a jusqu’à un certain point rompu la communication de la partie gelée avec celle qui est saine, de manière que la partie saine ne fournit plus aucun suc à la partie gelée ; alors le soleil, en hâtant l’évaporation de cette partie, pour l’ordinaire fort mince et fort délicate, la dessèche bientôt tout à fait, parce que le désordre produit dans ses organes par le gel, a rompu la communication avec la plante & la sève qu’elle lui fournissait ». « Mais cette explication n’est vraie que pour les plantes & les parties des plantes que le gel désorganise, puisqu’il y a des plantes tendres en apparence, qui souffrent le gel & le dégel sans périr. A cet égard, l’on peut dire que, toutes les fois que le gel n’a pas tué la plante, le soleil ne lui fait aucun mal : il met seulement plus au large les fibres que le gel gênait, & il leur permet de reprendre leur premier état ».

Pour Joigneaux et Moreau (1854 : 604), c’est le refroidissement dû à cette évaporation qui est en cause : « Tous nos cultivateurs savent les ravages qu’exerce un soleil déjà brûlant sur les plantes couvertes de gelée blanche. Il y a, dans ce cas, évaporation rapide et par conséquent un refroidissement tel, que la désorganisation des plantes en est souvent la suite. »

On pourrait s’en gausser ; mais toutes ces explications sont le signe d’une vraie difficulté ! Les mécanismes en jeu donnent en effet lieu à des observations contradictoires :

  • Comme Sénebier et bien d’autres l’ont noté, une plante gèle d’autant plus facilement qu’elle contient plus d’eau, c'est-à-dire que la concentration en sucres du jus cellulaire est moins forte = un rôle négatif de l’eau.
  • Mais – on l’a su plus tard – le gel « pompe »l’eau dans les méats hors des cellules où elle gèle (voir article Les gelées de printemps : un problème toujours actuel). Au dégel, si l’air est sec et le soleil violent, une partie de cette eau s’évapore, et tout ce qui en apporte à ce moment précis, comme la fonte du givre s’il y en a, est alors positif pour éviter la déshydratation. « Au réchauffement, l’eau est résorbée par les cellules qui survivent et redeviennent turgescentes. Toutefois, la plante peut manquer d’eau si l’absorption par les racines est encore difficile (…) ou si la transpiration est excessive en cas d’exposition au soleil » (Ulrich, 1986).

Ces effets contradictoires sont observés en haute altitude (>3800 m) sur l’Altiplano péruvien :

  • En saison des pluies, il gèle lors d’épisodes de beau temps sec. Les plantes cultivées qui souffrent le moins des gelées sont celles ayant des racines saines dans un sol humide, et situées à l’ombre au lever du soleil, dont le rayonnement est intense dès qu’il apparaît à l’horizon, montant verticalement (Morlon, 1992). « L'exposition à l’ouest est considérée [par les paysans] comme préférable à celle à l’est, car la brutale variation thermique causée par l’intense rayonnement solaire le matin peut produire des dégâts considérables sur les plantes gelée »s" (Winterhalder & Thomas, 1978 : 68).
  • Pour les cactus, au contraire, ce qui leur permet de supporter sans aucun dégât des températures de –15° la nuit en saison sèche est d’avoir accumulé des sucres de jour pendant 11 heures de soleil – peu importe dès son lever, car leur biologie particulière leur permet d’éviter la déshydratation.

Références citées

  • Angran de Rueneuve, 1712. Observations sur l'Agriculture et le Jardinage, pour servir d’Instruction à ceux qui désireront s’y rendre habiles. Paris, t. 2, 406 + 25 p. [1]
  • Duhamel du Monceau H.L., Buffon G.L. Leclerc de, 1737. Observations des différents effets que produisent sur les Végétaux, les grandes gelées d’Hiver & les petites gelées du Printemps. C.R. Acad. Royale des Sciences : 273-298. [2] ; [3]
  • Dussieux L., Huzard J.B., 1804. Notes à la réédition du Théâtre d’Agriculture d’Olivier de Serres. Texte intégral
  • Gasparin A. de, 1844. Cours d’agriculture, t. 2. Paris, 461 p. [4]
  • Joigneaux M.P., Moreau C., 1854. Dictionnaire d’agriculture pratique. Bruxelles, 832 & 688 p.
  • Leschevin, 1805. De l’usage de la fumée dans les vignes contre les gelées tardives du printemps. Paris, 32 p. [sur archive.org]
  • Morlon P., 1992. Réduction des risques climatiques par les aménagements : l’exemple des gelées sur l’Altiplano. In : Morlon P. (coord.), Comprendre l'agriculture paysanne dans les Andes Centrales (Pérou-Bolivie). INRA, Paris : 265-277.
  • Rozier F., 1784. Article Gelée. In : Cours complet d’agriculture… ou Dictionnaire universel d’agriculture. Paris, T. 5 : 257-261. Texte intégral.
  • Sénebier J., 1791. Physiologie végétale, article Gelée. In : Encyclopédie méthodique, t. 1 : 111-117. texte intégral.
  • Ulrich R., 1986. Quelques effets des gelées sur les plantes et sur les cellules et tissus végétaux, et moyens actuels de protection (Journées d’études sur les dégâts de l’hiver 1984-1985 dans les pépinières). C.R. Acad. Agric. Fr., 72 (5) : 389-394. Texte intégral.
  • Winterhalder B.P., Thomas R.B., 1978. Geoecology of Southern Highland Peru. A Human Adaptation Perspective. MAB / Inst. Arctic & Alpine Res., U. of Colorado, occasional paper N° 27, 91 p.


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