Gelées de printemps : éclairages historiques - Annexe 2
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L’équilibre de la chaleur rayonnante ; les nuages comme vêtement de la terre (Prévost, 1792, extraits)
SECTION PREMIERE. De la chaleur en général
Le feu, selon M. DE LUC, est une vapeur composée d’une base unie à la lumière, comme les vapeurs aqueuses sont composées de l’eau unie au feu. L’une & l’autre de ces vapeurs (je dis le feu & les vapeurs aqueuses) se condensent par le rapprochement forcé de leurs molécules, ou par la suppression de leur déférent. L’une & l’autre se forment par l’introduction de ce déférent dans leur base ou matière grave. ((Dans le cas des vapeurs aqueuses, le « déférent » semble être la chaleur latente)).
(…) Le rayonnement du feu étant un fait démontré par l’expérience, je n’aurais pas à me justifier d’avoir employé cette connaissance acquise & d’en voir pressé les conséquences, si je m’étais borné aux phénomènes sublunaires. Mais m’étant hasardé au-delà, j’ai contredit quelques conséquences que M. DE LUC tirait de ses propres principes, ainsi que d’expériences antérieures ; & ceci demande quelque éclaircissement.
M. DE LUC pense que le feu gravite vers la terre, & que par conséquent il ne peut pas plus la quitter pour rayonner dans les espaces célestes que l’air ou toute autre substance agitée d’un mouvement intestin & cependant fixée par sa pesanteur à la surface ou dans l’intérieur de notre globe. (…) Lorsqu’un corps se refroidit, cela vient aussi de ce que le feu en sort ou de ce qu’il perd son déférent. Mais en hiver la surface terrestre se refroidit, donc elle perd son feu ou son déférent. Or l’intérieur de la terre ne s’enrichit pas de cette perte ; donc ce feu ou ce déférent se dissipe. Et si c’est le déférent, il ne peut se dissiper sans rayonner, car c’est de la lumière ; donc il se perd dans l’espace ambiant.
Comme l’hiver la terre se dépouille de sa lumière, l’été elle en acquiert une quantité surabondante ; & il arrive de là que quoique les rayons solaires ne soient point du feu, leur infusion & soutirement périodiques produisent le même effet que s’ils étaient du feu. (…)
CHAPITRE PREMIER. De l’équilibre du feu
§ 1. Des expériences sûres prouvent que la chaleur obscure rayonne comme la lumière. Elle partage avec celle-ci toutes ses propriétés catoptriques. Un miroir plan la réfléchit sous la loi connue ; un miroir concave la fait converger au même foyer. Ces émissions & réflexions s’exécutent dans un instant sensiblement indivisible à toutes les distances que les physiciens ont observées[1].
§ 2. Non seulement la chaleur se réfléchit, mais le froid a paru se réfléchir dans une expérience curieuse tentée par M. Pictet[2].
Deux miroirs concaves, pareils à tous égards, étant opposés en face l’un de l’autre (dans un milieu dont la température est de quelques degrés au-dessus de zéro) : si l’on place au foyer de l’un un thermomètre, au foyer de l’autre un morceau de glace, le thermomètre descend à l’instant. Ce même thermomètre, placé hors du foyer, reste immobile.
§. 3. Ces faits prouvent que le feu est un fluide discret, très subtil, dont les molécules sont sans cesse agitées, & se meuvent sensiblement comme la lumière, tant qu’elles ne rencontrent point d’obstacles.
La réflexion du froid en particulier (qui n’est que celle de la chaleur en sens inverse) ne peut s’expliquer qu’en supposant un jeu continuel de la chaleur rayonnante en tout état de température, même dans l’état d’équilibre. Et au moyen de cette supposition le phénomène s’explique aisément.
§. 4. Ceci conduit à des idées justes & bien définies touchant l’équilibre du feu. Cet équilibre consiste dans l’égalité des échanges produits par le rayonnement. Si deux corps voisins s’envoient mutuellement un même nombre de particules ignées dans un temps donné, leur voisinage n’altère point leur température. Leurs chaleurs paraissent en équilibre.
Cet équilibre est rompu, si l’un en envoie plus que l’autre ne lui en renvoie. Et à force d’échanges inégaux, l’équilibre rompu se rétablit. (…)
§. 6. (…) Lorsqu’on place un thermomètre dans un lieu chaud, la chaleur rayonnante est la première qui l’affecte ; il se conforme ensuite à la température des corps qui le touchent, selon leur propriété plus ou moins conductrice. L’air ambiant en particulier le ramène assez vite à la sienne, à cause de son agitation interne & des courants qui s’y forment, lesquels occasionnent un mouvement successif & continuel de ses particules auprès de la boule du thermomètre.
§. 7. Ce même air, soit grossier, soit subtil, est le principal obstacle qui s’oppose à l’émission de la chaleur rayonnante, & qui retient & cohibe le feu dans les corps qui s’y trouvent plongés. Otez toute résistance, le feu s’échappera rapidement de la surface de ces corps. Il sera remplacé plus lentement par le feu intérieur qui serpente à travers leurs pores, & il finira par se dissiper entièrement.
L’expérience & le raisonnement prouvent que ces deux équilibres ont lieu à la fois. Deux corps contigus qui paraissent à la même température lancent d’égales quantités de chaleur rayonnante. et réciproquement, deux corps qui rayonnent également, mis en contact, ne changent point de température. (…)
§. 9. Mais on sait que la quantité absolue du feu contenu dans les corps de diverse nature n’est pas en raison de la quantité de feu qu’ils émettent au-dehors. Leur capacité de chaleur varie & dépend de leur texture & de leur nature propre.
§. 10. Outre le feu libre & le feu gêné, il y a un feu combiné & soumis aux lois de ses affinités. Tant qu’il ne se dégage point de ses liens, ce feu n’influe pas directement sur la chaleur, encore moins sur son équilibre.
§. 11. Il suit de ces principes que l’équilibre thermométrique du feu (c'est-à-dire celui qu’on dit avoir lieu entre deux corps voisins ou contigus qui tiennent le thermomètre au même degré) est toujours le résultat d’échanges égaux entre deux courants opposés ; soit que ces courants sortent d’un lieu vide où ils se mouvaient librement, soit qu’ils résultent du dégagement successif de quelque partie du feu gêné & serpentant à l’intérieur des corps.
Un corps qui reçoit un courant de feu égal à celui qu’il émet a une chaleur constante. Celui qu’il ne reçoit plus qu’il n’émet s’échauffe. Celui qui émet plus qu’il ne reçoit se refroidit. (…)
CHAPITRE III Remarque météorologique
La nuit, lorsque le ciel est serein, l’air est généralement plus froid près de la terre. Au printemps & en automne, il gèle peu lorsque le ciel est couvert. Souvent enfin, par une nuit sereine, s’il vient à passer un nuage par le zénith de l’observateur, à l’instant il voit monter le thermomètre.
L’air, même le plus dense, tel que celui de nos plaines, est perméable à la chaleur rayonnante ; car c’est dans cet air qu’on observe celle-ci. L’air rare des régions supérieures de l’atmosphère est encore plus perméable ; il est en quelque sorte transparent, ou plutôt transcaloreux. Mais l’eau ne l’est pas, ni la vapeur vésiculaire. Les nuages sont opaques pour la chaleur comme la lumière. Ils absorbent l’une & l’autre, & ne la laissent passer que lentement[3].
Ainsi la chaleur rayonnante de la terre traverse avec facilité l’atmosphère pure, mais elle est interceptée par les nuages. Ceux-ci font donc pour la terre une espèce de vêtement. Ils empêchent l’écoulement de sa chaleur rayonnante ; & en la recevant par leur partie inférieure, ils s’échauffent de ce côté-là comme un habit s’échauffe du côté du corps, & par conséquent ils renvoient à la terre un peu plus de chaleur rayonnante que ne peut faire l’air transparent.
La surface supérieure du nuage se refroidit au contraire par l’émission facile de sa chaleur dans un air raréfié. Mais le passage lent de la chaleur gênée qui serpente de l’un à l’autre surface, ne peut rétablir l’équilibre incessamment rompu par la source inépuisable de chaleur du côté de la terre, & par le gouffre toujours ouvert où elle se précipite de l’autre.
Tout nuage la nuit est donc exactement comparable à un vêtement très épais qui recouvre un corps maintenu chaud par une cause interne & perpétuelle (tel qu’est, par exemple, le corps humain). (…)
On n’a pas lieu d’être surpris de la promptitude de l’effet, parce que tout le jeu de la chaleur rayonnante, allant & revenant de la terre au nuage & du nuage à la terre, s’exécute en un instant indivisible. D’ailleurs à l’instant où le nuage arrive au zénith, il arrive en quelque sorte tout préparé. Sa partie inférieure a déjà acquis une chaleur excédante. Déjà elle émet plus de chaleur rayonnante que pareille étendue d’air de la même région. C’est un lambeau de vêtement qui passe d’une partie du corps à l’autre. (…)
§. 27. Les nuages arrêtent la chaleur rayonnante, comme la neige arrête la chaleur prête à rayonner. Ainsi la neige est aussi & plus exactement un vêtement pour la terre.
Lorsque le froid est très rigoureux & que la surface de la terre est nue, elle gèle ; mais si la neige la recouvre, à moins que le froid ne dure très longtemps & jusqu’au point d’épuiser la source de chaleur interne, la gelée ne pénètre pas jusqu’à la terre. A peine la chaleur rayonnante en sort-elle, qu’elle est interceptée par las molécules de glace qui composent la neige, qu’elle entretient ainsi à un degré de chaleur plus tempéré & dont elle occasionne même la fusion[4].
§. 28. L’explication que je viens de donner confirme & détermine, si je ne me trompe, celle que M. PICTET a proposée sous le titre modeste de conjecture.
Notes
- ↑ Pyrométrie de LAMBERT, § 378 ; citée par M. DE SAUSSURE, Voyages dans les Alpes, T. II, § 926. Essai sur le feu, par M. A. PICTET, § 49 & suivants.
- ↑ Essai sur le feu, § 69
- ↑ Essai sur le feu, par M. PICTET, § 60. On voit dans cet article combien l’opacité nuit à la transmission de la chaleur.
- ↑ Voyages dans les Alpes par M. DE SAUSSURE, T. 1, § 532.
Référence
- Prévost P., 1792. Recherches physico-mécaniques sur la chaleur, pp. 2-15 et 31-34.