Sillon - Annexe 2
Labours en sillons et en billons dans l’ouest de la France (Trupin, 1977, extraits)Référence : CLIMAT ET SOLSLe climat de l’ouest et du sud-ouest, avec des nuances du nord au sud, notamment en matière de pluviométrie estivale, est caractérisé par des automnes et hivers doux et pluvieux (les deux tiers des pluies tombent d'octobre à avril) et des étés secs avec, dans le sud-ouest, des orages de printemps souvent très violents. L’homme intervient actuellement en amortissant la sécheresse estivale par l’irrigation, notamment dans la vallée de la Garonne et la Gascogne, ou en l’aggravant, surtout dans l’ouest, par la suppression du bocage consécutive au remembrement. Les sols sont d'origines pédologiques très diverses et pourraient se classer en plusieurs grands groupes influant sur les techniques utilisées pour les travailler : l. Sols à texture nettement limoneuse (moins de 15% d'argile, plus de 50% de limon) dont le type est la boulbène du sud-ouest ; plus au nord, on les appelle terres douces. Ces sols présentent une nette tendance à la battance et une absence de structure liée au faible taux d'argile, en général de qualité médiocre et faiblement gonflante. Secs, ils « bétonnent » facilement. Par contre, dans une gamme d’humidité située au-dessous du point de ressuyage, ils se manipulent facilement : un attelage de deux vaches permettait un labour à allure rapide. 2. Sols à texture argileuse (plus de 25% d'argile) que l'on trouve sous l'appellation terrefort au sud de la Garonne et dans le Lauragais. Fortement cohésifs, ils se restructurent par les alternances de dessiccation et de réhumidification : l’humus ne se gonflant pas à la même vitesse que les argiles, les fractions sable et limon ne changeant pas de volume, il se crée des tensions dans la motte, qui provoquent sa fissuration. Le travail des terreforts nécessite une puissance de traction plus grande que les sols limoneux, deux paires de bœufs ou plus. Ces sols argileux peuvent présenter des caractéristiques variables selon le type d'argile plus ou moins gonflante, le taux de calcium et de matière organique qui jouent sur leur capacité de restructuration et la stabilité de cette structure. Exemples : terrefort de la vallée de la Garonne, autrefois en prairie permanente, argilo-calcaire, terre de groix. 3. Sols intermédiaires, ou terres franches, réagissant suivant les éléments texturaux ou le climat, comme l'un ou l'autre type. Le taux de matière organique baisse du nord vers le sud et des types d’agricultures les moins mécanisées vers les plus évoluées. Élevé dans les zones d’élevage (2,5 à 4 %), ce taux peut tomber à moins de 1% dans les régions de maraîchage de plein champ irriguées (moyenne vallée de la Garonne). CONDITIONS GENERALES DE TRAVAIL DU SOL.Les caractéristiques des sols et du climat vont entraîner des techniques culturales diverses. Pour les limons (et à la limite pour les sols sableux), on cherchera simplement à prendre les sols au bon moment avant la mise en place de la culture, en évitant toutefois de laisser en surface des parties trop mouillées qui, sous un dessèchement brutal, se cuirassent. Les labours d'automne enfouissant les déchets végétaux risquent, avec les pluies et le manque de structure, d’asphyxier cette matière organique (gley). La lutte contre l’excès d'eau en hiver se fera par ruissellement en utilisant la battance de ces sols. Pour les argiles, les labours d’automne s'imposent généralement en gardant toutefois l’ensemble de la zone travaillée aussi aérée et aussi sèche que possible. En effet, il est rare que l’action du gel agisse à plus de 2 ou 3 cm de la surface, d’autant plus que ces sols ayant une forte capacité de rétention pour l’eau auront un grand amortissement thermique. L’action du gel aura pour effet surtout de dessécher le centre de la motte ou le fond de labour, l’eau migrant du point le plus chaud vers le point le plus froid. Au dégel, le centre de la motte étant cette fois plus froid, il y aura mouvement de l’eau en sens inverse, d’où alternances d’humectation agissant, comme il a été dit plus haut, sur la restructuration. Ce processus, fondamental en climat océanique, explique les techniques particulières utilisées autrefois dans ces régions et à la limite, l’erreur d’avoir transposé sans nuance les méthodes et les machines mises au point dans des régions à hiver plus rigoureux. Un autre facteur important est celui du réchauffement. La lutte contre l’excès d'eau hivernal aura pour but de permettre un meilleur réchauffement des sols au printemps (un sol sec se réchauffe sept fois plus vite qu'un sol mouillé). A cet égard, les sols limoneux ou sableux ayant une plus faible capacité de rétention se réchaufferont plus vite que les sols argileux (terre froide), d’où des astuces pour favoriser des dessèchements partiels de surface, tout en gardant le maximum du stock d’eau en profondeur en vue du déficit estival. TECHNIQUES TRADITIONNELLESPour ces raisons (et peut-être d’autres à découvrir...), la technique traditionnelle de préparation des sols dans l’ouest et le sud-ouest faisait très largement appel au modelé ou billonnage. De nombreux lieux-dits (Rieux, Réaux, Lèches, etc.) rappellent cette ancienne pratique. La constitution de ces profilages temporaires (nous ne parlerons pas des profilages en planche large, aménagement à plus long terme) faisait toutefois appel à deux techniques fondamentalement différentes suivant les types de sol, le sillonnage et le labour en planches. Le sillonnage était pratiqué en terres limoneuses. Le sillon était ouvert à l’araire ou avec un corps butteur. La terre était rejetée sur la bande centrale. On constituait ainsi un billon sans enfouissement profond des résidus organiques. Ce billon pouvait, soit être ensemencé à l’automne en céréales d’hiver (comme cela se pratique encore dans la région de Bazas, au sud-est de Bordeaux), soit être remis à plat au printemps, la couche de battance superficielle assurant la mise hors d'eau de la partie supérieure du sol. Ces sillonnages pouvaient être pratiqués après un travail superficiel du sol pour assurer la destruction des mauvaises herbes. Le labour en planches d’une, deux ou plusieurs raies, se faisait avec retournement de la terre, à l’automne. Cette technique portait de nombreuses appellations et se pratiquait avec de multiples variantes suivant les régions et les cultures. Citons par exemple le seillot d’Anjou, dénommé réau ou rieu en Périgord, à deux raies, avec ses variantes le seillot talonné, profilage de deux raies de charrue que 1’on retrouve encore en Auvergne. La difficulté de dresser les deux mottes l'une contre l’autre nécessitait des techniques particulières : labour à deux Charrues (Bretagne), versoir prolongé par une planche et un fagot (Auvergne), labour en deux temps avec retournement complet de la première raie puis redressement de l'ensemble au passage opposé. Une variante signalée en Périgord, la rège, se pratiquait dans les sols argilo-calcaires à sous-sol rocheux : la première raie était ouverte à l’automne ; au printemps, on y semait le maïs et l’on recouvrait avec la deuxième motte (ces sols ont en effet la particularité de se restructurer par l’action d'une pluie de 10 à 15 mm après dessèchement poussé). Le labour en planches, de conception plus simple, se retrouve dans de nombreuses régions ou la mauvaise perméabilité des sous-sols oblige à cette pratique (Berri, Vendée, etc,). Dans certaines régions, on recoupait à l'araire les labours en travers des pentes (Lauragais) pour évacuer l'eau circulant sous les fonds de labour. ÉTAT ACTUEL ET CONCLUSIONL’adoption quasi-générale du labour à plat, justifié dans les régions à hiver rigoureux, et de la traction mécanique, a entraîné la désaffection de ces pratiques. Il s’ensuit des reprises de plus en plus difficiles des sols au printemps et des asphyxies (gley) fréquentes sur les fonds de labour (masqué ces trois dernières années par des hivers plus secs). La circulation d’engins lourds sur des sous-sols humides et plastiques, amène la compaction de ces zones, entraînant des difficultés d’infiltration de l’eau et de pénétration racinaire, aggravant de ce fait le phénomène. Le développement actuel du drainage et des outils à dents profondes, type Chisel, avec les puissances de traction en augmentation, n’est sans doute pas étranger à ce phénomène. Des solutions faisant appel à ces conceptions anciennes de travail du sol, adaptées aux moyens actuels qui permettent de mieux maîtriser les facteurs (désherbage, irrigation, travail plus rapide) et mises au point par les agriculteurs eux-mêmes, laissent heureusement un échappatoire à cette évolution de plus en plus critique.
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Labours en sillons et en billons dans l’ouest de la France (Trupin, 1977, extraits)
Référence :
Trupin F., 1977. Quelques techniques de préparation du sol sous les climats de l’ouest et du sud-ouest de la France. In : Les hommes et leurs sols. Les techniques de préparation du champ dans le fonctionnement et dans l’histoire des systèmes de culture. Journal d’Agriculture Traditionnelle et de Botanique Appliquée (JATBA), XXIV (2-3) : 193-197.
CLIMAT ET SOLS
Le climat de l’ouest et du sud-ouest, avec des nuances du nord au sud, notamment en matière de pluviométrie estivale, est caractérisé par des automnes et hivers doux et pluvieux (les deux tiers des pluies tombent d'octobre à avril) et des étés secs avec, dans le sud-ouest, des orages de printemps souvent très violents.
L’homme intervient actuellement en amortissant la sécheresse estivale par l’irrigation, notamment dans la vallée de la Garonne et la Gascogne, ou en l’aggravant, surtout dans l’ouest, par la suppression du bocage consécutive au remembrement.
Les sols sont d'origines pédologiques très diverses et pourraient se classer en plusieurs grands groupes influant sur les techniques utilisées pour les travailler :
l. Sols à texture nettement limoneuse (moins de 15% d'argile, plus de 50% de limon) dont le type est la boulbène du sud-ouest ; plus au nord, on les appelle terres douces. Ces sols présentent une nette tendance à la battance et une absence de structure liée au faible taux d'argile, en général de qualité médiocre et faiblement gonflante. Secs, ils « bétonnent » facilement. Par contre, dans une gamme d’humidité située au-dessous du point de ressuyage, ils se manipulent facilement : un attelage de deux vaches permettait un labour à allure rapide.
2. Sols à texture argileuse (plus de 25% d'argile) que l'on trouve sous l'appellation terrefort au sud de la Garonne et dans le Lauragais. Fortement cohésifs, ils se restructurent par les alternances de dessiccation et de réhumidification : l’humus ne se gonflant pas à la même vitesse que les argiles, les fractions sable et limon ne changeant pas de volume, il se crée des tensions dans la motte, qui provoquent sa fissuration. Le travail des terreforts nécessite une puissance de traction plus grande que les sols limoneux, deux paires de bœufs ou plus. Ces sols argileux peuvent présenter des caractéristiques variables selon le type d'argile plus ou moins gonflante, le taux de calcium et de matière organique qui jouent sur leur capacité de restructuration et la stabilité de cette structure. Exemples : terrefort de la vallée de la Garonne, autrefois en prairie permanente, argilo-calcaire, terre de groix.
3. Sols intermédiaires, ou terres franches, réagissant suivant les éléments texturaux ou le climat, comme l'un ou l'autre type.
Le taux de matière organique baisse du nord vers le sud et des types d’agricultures les moins mécanisées vers les plus évoluées. Élevé dans les zones d’élevage (2,5 à 4 %), ce taux peut tomber à moins de 1% dans les régions de maraîchage de plein champ irriguées (moyenne vallée de la Garonne).
CONDITIONS GENERALES DE TRAVAIL DU SOL.
Les caractéristiques des sols et du climat vont entraîner des techniques culturales diverses.
Pour les limons (et à la limite pour les sols sableux), on cherchera simplement à prendre les sols au bon moment avant la mise en place de la culture, en évitant toutefois de laisser en surface des parties trop mouillées qui, sous un dessèchement brutal, se cuirassent. Les labours d'automne enfouissant les déchets végétaux risquent, avec les pluies et le manque de structure, d’asphyxier cette matière organique (gley). La lutte contre l’excès d'eau en hiver se fera par ruissellement en utilisant la battance de ces sols.
Pour les argiles, les labours d’automne s'imposent généralement en gardant toutefois l’ensemble de la zone travaillée aussi aérée et aussi sèche que possible. En effet, il est rare que l’action du gel agisse à plus de 2 ou 3 cm de la surface, d’autant plus que ces sols ayant une forte capacité de rétention pour l’eau auront un grand amortissement thermique.
L’action du gel aura pour effet surtout de dessécher le centre de la motte ou le fond de labour, l’eau migrant du point le plus chaud vers le point le plus froid. Au dégel, le centre de la motte étant cette fois plus froid, il y aura mouvement de l’eau en sens inverse, d’où alternances d’humectation agissant, comme il a été dit plus haut, sur la restructuration. Ce processus, fondamental en climat océanique, explique les techniques particulières utilisées autrefois dans ces régions et à la limite, l’erreur d’avoir transposé sans nuance les méthodes et les machines mises au point dans des régions à hiver plus rigoureux.
Un autre facteur important est celui du réchauffement. La lutte contre l’excès d'eau hivernal aura pour but de permettre un meilleur réchauffement des sols au printemps (un sol sec se réchauffe sept fois plus vite qu'un sol mouillé). A cet égard, les sols limoneux ou sableux ayant une plus faible capacité de rétention se réchaufferont plus vite que les sols argileux (terre froide), d’où des astuces pour favoriser des dessèchements partiels de surface, tout en gardant le maximum du stock d’eau en profondeur en vue du déficit estival.
TECHNIQUES TRADITIONNELLES
Pour ces raisons (et peut-être d’autres à découvrir...), la technique traditionnelle de préparation des sols dans l’ouest et le sud-ouest faisait très largement appel au modelé ou billonnage.
De nombreux lieux-dits (Rieux, Réaux, Lèches, etc.) rappellent cette ancienne pratique.
La constitution de ces profilages temporaires (nous ne parlerons pas des profilages en planche large, aménagement à plus long terme) faisait toutefois appel à deux techniques fondamentalement différentes suivant les types de sol, le sillonnage et le labour en planches.
Le sillonnage était pratiqué en terres limoneuses. Le sillon était ouvert à l’araire ou avec un corps butteur. La terre était rejetée sur la bande centrale. On constituait ainsi un billon sans enfouissement profond des résidus organiques. Ce billon pouvait, soit être ensemencé à l’automne en céréales d’hiver (comme cela se pratique encore dans la région de Bazas, au sud-est de Bordeaux), soit être remis à plat au printemps, la couche de battance superficielle assurant la mise hors d'eau de la partie supérieure du sol.
Ces sillonnages pouvaient être pratiqués après un travail superficiel du sol pour assurer la destruction des mauvaises herbes.
Le labour en planches d’une, deux ou plusieurs raies, se faisait avec retournement de la terre, à l’automne. Cette technique portait de nombreuses appellations et se pratiquait avec de multiples variantes suivant les régions et les cultures. Citons par exemple le seillot d’Anjou, dénommé réau ou rieu en Périgord, à deux raies, avec ses variantes le seillot talonné, profilage de deux raies de charrue que 1’on retrouve encore en Auvergne.
La difficulté de dresser les deux mottes l'une contre l’autre nécessitait des techniques particulières : labour à deux Charrues (Bretagne), versoir prolongé par une planche et un fagot (Auvergne), labour en deux temps avec retournement complet de la première raie puis redressement de l'ensemble au passage opposé.
Une variante signalée en Périgord, la rège, se pratiquait dans les sols argilo-calcaires à sous-sol rocheux : la première raie était ouverte à l’automne ; au printemps, on y semait le maïs et l’on recouvrait avec la deuxième motte (ces sols ont en effet la particularité de se restructurer par l’action d'une pluie de 10 à 15 mm après dessèchement poussé). Le labour en planches, de conception plus simple, se retrouve dans de nombreuses régions ou la mauvaise perméabilité des sous-sols oblige à cette pratique (Berri, Vendée, etc,).
Dans certaines régions, on recoupait à l'araire les labours en travers des pentes (Lauragais) pour évacuer l'eau circulant sous les fonds de labour.
ÉTAT ACTUEL ET CONCLUSION
L’adoption quasi-générale du labour à plat, justifié dans les régions à hiver rigoureux, et de la traction mécanique, a entraîné la désaffection de ces pratiques. Il s’ensuit des reprises de plus en plus difficiles des sols au printemps et des asphyxies (gley) fréquentes sur les fonds de labour (masqué ces trois dernières années par des hivers plus secs). La circulation d’engins lourds sur des sous-sols humides et plastiques, amène la compaction de ces zones, entraînant des difficultés d’infiltration de l’eau et de pénétration racinaire, aggravant de ce fait le phénomène. Le développement actuel du drainage et des outils à dents profondes, type Chisel, avec les puissances de traction en augmentation, n’est sans doute pas étranger à ce phénomène. Des solutions faisant appel à ces conceptions anciennes de travail du sol, adaptées aux moyens actuels qui permettent de mieux maîtriser les facteurs (désherbage, irrigation, travail plus rapide) et mises au point par les agriculteurs eux-mêmes, laissent heureusement un échappatoire à cette évolution de plus en plus critique.