Terroir - Annexe 3
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Terroirs et délimitation des appellations viticoles en Bourgogne
Auteur : Gérard Trouche
« Il résulte évidemment des considérations auxquelles j’ai été conduit par la description de nos cépages, par l’étude du sol et du sous-sol de nos grands vignobles, par l’examen de leur position géographique, de leur hauteur absolue ou relative, et par l’observation des circonstances climatériques qui agissent sur eux, que les causes de la supériorité de nos vins sont multiples. C’est à un concours de circonstances nombreuses, tenant à la fois de tout ce qui, de près ou de loin, a une action sur la vigne, que nous devons ces qualités exceptionnelles qui distinguent nos vins de tous les vins du monde » (Lavalle, 1855, sur la production de vins de qualité en Côte d’Or.). |
Cadre de travail : bases conceptuelles, cadre réglementaire
La notion de terroir en matière viticole, en particulier en France, fait l’objet de très nombreuses publications. On peut y voir l’évolution et le partage entre les tenants d’une définition, parfois qualifiée de naturaliste, liée aux seuls facteurs du milieu : topographie, géologie, sol, climat exposition, altitude, dans la lignée de Kuhnholtz-Lordat (1963), et une approche qui intègre également des facteurs humains : itinéraires techniques en vigne et en cave, contexte socio-économique, histoire… (Asselin et al., 2011).
En Bourgogne, la mosaïque de terroirs, appelés « climats », qui renvoie plutôt à une approche naturaliste, remonte loin dans l’histoire, puisque l’on cite volontiers la sélection faite au début du précédent millénaire par les moines vignerons de Cîteaux, mais l’image du moine goûtant la terre avant plantation relève de la légende (Garcia, 2014). La centaine d’appellations qui s’y trouvent sont réparties dans un système hiérarchique pyramidal à 4 niveaux : à la base, 2 appellations régionales : Coteaux bourguignons et Bourgogne ; au-dessus, 2 de niveau village : Commune et 1ers Crus, et au sommet les Grand Crus. Ce système a quelques variantes suivant les zones de production, par exemple celles de Chablis ou de Mâcon, et s’y ajoute des Dénominations Géographiques Complémentaires (DGC) que nous n’abordons pas ici. La qualité augmente de la base au sommet et en contrepartie les conditions de production, en particulier le rendement, sont plus contraignantes. La gestion en est confiée à L’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité) qui fixe notamment les conditions pour un vignoble d’accéder à un niveau hiérarchique supérieur. Dans ce cadre, l’application de principes et des critères préalablement définis localement, puis validés au niveau national, constitue la base du travail de délimitation parcellaire proprement dit, sachant qu’il s’agit de déterminer les conditions qui assurent la production d’un vin de qualité reconnue. Les critères d’usage, de valorisation, de notoriété, placés dans une dimension historique, sont intégrés dans la démarche. Mais nous traitons ici plus particulièrement de l’investigation sur le « terrain » qui débouche sur la définition d’une aire parcellaire de production. La délimitation est construite sur la base de la reconnaissance de la qualité du produit liée au terroir, donc de l’existant, et non du potentiel à venir.
On sait que la qualité d’un vin résulte de l’enchaînement de pratiques viticoles (dans la vigne) et œnologiques (dans la cave), mais aussi d’élevage, en cave ou sur le lieu de vente, puis chez le consommateur. Les facteurs sont nombreux et souvent en interaction. Si la fixation des lieux et règles de production définit un cadre réglementaire strict, la définition repose sur un travail d’expertise mené sur le terrain et sur la confrontation de différents points de vue entre producteurs, professionnels et experts.
Mode opératoire
Une fois validées les conditions de recevabilité de la demande émanant de l’ODG (Organisme de Défense et de Gestion) de l’AOC concernée, les critères d’usage, de notoriété et d’antériorité sont examinés pour répondre au principe de base d’usages locaux, loyaux et constants des AOC. Au fil du temps la procédure a évolué (Humbert, 2010), mais le lien à l’origine qui lie le produit au terroir est établi en premier. L’examen des diverses composantes du vignoble candidat porte ensuite sur les facteurs de milieu (climat, relief, géologie, pédologie, hydrologie, exposition, altitude) et le contexte viticole (présence ou absence de vigne, état de la plantation, cépage, mode de conduite, degré d’anthropisation, dynamique viticole de la zone…). Pour chacun de ces critères, des états ou des valeurs seuils, pouvant être modulés en fonction d’autres critères, sont définis à partir des connaissances du moment (bases scientifiques ou connues intuitivement par l’expérience des professionnels) sur l’influence favorable ou défavorable à l’obtention d’un produit de qualité, ainsi que l’illustrent les exemples suivants.
Le régime hydrique, c’est-à-dire le niveau d’alimentation en eau de la vigne en regard des besoins à un moment donné, a un impact fort sur la production (Van Leuwen et al., 2003), un niveau d’alimentation en eau engendrant un stress hydrique modéré de la vigne est nécessaire à la qualité (Carbonneau et al., 2015 : 206).
Dans de nombreux cas, le vignoble bourguignon est implanté sur des pentes et les sols sont distribués suivant des topolithoséquences (fig. 1) où ceux de la partie supérieure développés sur des roches calcaires dures sont peu épais, alors qu’ils sont plus profonds en bas de versant où ils côtoient ceux de la plaine, eux mêmes souvent très profonds (Gadille, 1967 ; Mériaux et al., 1981). Le régime hydrique le plus favorable est en général au milieu du versant, où se situent d’ailleurs la majorité des Premiers Crus et Grands Crus actuels. L’expertise s’appuie sur la documentation existante, mais il n’existe pas de cartographie pédologique exhaustive de l’ensemble du vignoble bourguignon à grande ou moyenne échelle (> au 1/25 000e) utilisable pour le travail de délimitation parcellaire (Office International du Vin, 2012). Depuis peu de temps, certains dossiers de demande présentés par les ODG à l’INAO contiennent une étude de terroir, qui correspond à un travail de cartographie pédologique (Letessier & Marion, 2011), ou parfois à une étude plus géologique centrée sur les matériaux de surface. Les informations fournies dans les documents sont complétés par l’expertise : examen de la surface du sol (texture, couleur, pierrosité, battance…) et un test à l’acide chlorhydrique pour détecter la présence de calcaire, condition d’obtention de bons vins avec les principaux cépages bourguignons.
Certains critères suffisent seuls à définir l’appartenance ou non à la zone délimitée. D’une façon générale, les sols soumis à un excès d’eau sont défavorables, et les parcelles qui en sont affectées ne sont donc pas retenues. Mais le diagnostic de terrain sur ce point est délicat dans la mesure où certains signes visuels d’hydromorphie peuvent être des traces « fossiles » de phases anciennes d’anoxie. Et ce phénomène peut n’affecter qu’une partie de la parcelle : il convient alors d’en juger la proportion, et savoir si le vigneron y produit un seul vin et quelle en est la qualité. Dans certains cas douteux ou litigieux, des fosses pédologiques supplémentaires sont demandées à l’ODG pour éclairer l’expertise.
L’analyse menée est multicritères, car l’obtention de la qualité en un lieu résulte du croisement de nombreux facteurs comme le notait déjà Lavalle en 1855 (voir ci-dessous). Ainsi, les expositions nord qui atténuent l’ensoleillement et exposent la vigne aux vents froids sont généralement exclues, sauf si la pente est faible car ces effets sont très atténués et donc les impacts sur la précocité et la maturation des raisins peu marqués.
Dans la Côte de Nuits, le rebord du plateau jurassique est entaillé de vallées sèches transversales, appelées « combes », au débouché desquelles dans la plaine l’érosion a déposé des cônes d’éboulis très caillouteux et filtrants qui constituent un relief en doigt de gants où alternent zones convexes, bien drainées, et concaves où l’eau s’évacue mal. Le relief, voire le microrelief, aident alors à fixer la limite de l’aire retenue.
Dans la « Côte » bourguignonne, les sols varient sur de courtes distances à cause des nombreuses failles qui juxtaposent des formations géologiques différentes. Parfois, le rejet est masqué par des colluvions d’épaisseur variable. Dans ce cas, tout indice, confronté à l’examen de la carte géologique, est utile. Par exemple, en bas d’un versant, un alignement de puits peu profonds utilisés pour l’arrosage des jardins de particuliers indique la présence d’un chenal argileux recouvert de colluvions et la présence d’une nappe peu profonde, donc des conditions défavorables à la vigne.
Le vignoble de Bourgogne est implanté à des altitudes modérées dont la limite supérieure est fixée en fonction des possibilités de développement, de maturation et de précocité du raisin. Cette limite peut être relevée si la pente et l’exposition sont très favorables.
Résultats
Ces exemples montrent que la délimitation requiert de multiples compétences, et pour cela les experts mandatés sur chaque dossier relèvent de plusieurs spécialités : géographie, histoire, économie, géologie, pédologie, viticulture, œnologie ...
En outre, ce travail reflète l’état des lieux à un moment donné ; au fil du temps, des révisions de plus ou moins grande ampleur sont demandées, entraînant alors un nouvel examen de la situation. Cela pourra être le cas, dans un avenir plus ou moins proche, si l’évolution du climat affecte de façon notable et durable la qualité des vins.
Références citées
- Asselin C., Fanet J., Falcetti, M., 2011. Terroir et internationalisation. Rev. Fr. Œnologie, 247 : 24-29. Texte intégral sur le site Oenologues de France.
- Carbonneau A., Torregrosa L., Deloire A., Jaillard B., Pellegrino A., Metay A., Ojeda H., Lebon E., Abbal P., 2015. Traité de la Vigne: Physiologie, Terroir, Culture. Dunod, Paris, 567 p.
- Office International du Vin, 2012. Lignes directrices OIV des méthodologies du zonage viticole au niveau du sol et au niveau du climat. Résolution 423. Izmir. Texte intégral sur le site de l'OIV.
- Humbert F., 2010. Approche historique du processus de délimitation des AOC vinicoles françaises. Contribution à la compréhension des principes et de l’application d’une expertise. Sciences Humaines Combinées, 5 - Limite/Limites, 9 février 2010. ISSN 1961-9936 Texte intégral
- Garcia J.P., 2014. La construction des climats viticoles en Bourgogne, la relation du vin au lieu au Moyen Âge. L’Atelier du Centre de recherches historiques. Texte intégral.
- Gadille R, 1967. Le vignoble de la côte bourguignonne. Fondements physiques et humains d’une viticulture de haute qualité. Thèse de doctorat, Université de Dijon. Les Belles Lettres, Paris, 688p.
- Kuhnholtz-Lordat G., 1963. La genèse des appellations d’origine des vins. Buguet, Mâcon, 150 p.
- Lavalle J., 1855. Histoire et Statistique de la Vigne des Grands Vins de la Côte d'Or. Paris, Dusacq, 244 p.
- Letessier I., Marion J., 2011. Les études de terroirs viticoles : retour d’expérience sur 30 ans de pratique du bureau d’études SIGALES. Géologues, 168 : 16-23 Texte intégral sur le site du bureau d'études.
- Mériaux S., Chrétien J., Vermi P., Leneuf N., 1981. La Côte. Ses sols et ses crus. Bull. sci. Bourg., 34 : 17-40.
- Van Leeuwen C., Trégoat O., Choné X., Jaeck M.-E., Rabusseau S., Gaudillère J.-P., 2003. Le suivi du régime hydrique de la vigne et son incidence sur la maturation du raisin. Bull. OIV, 867-868 : 367-379.