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LE COMMISSAIRE DU DIRECTOIRE EXECUTIF, ayant pris la parole, a dit : | |||
<center>Citoyens Administrateurs,</center> | |||
[…] Je vous entretiendrai | |||
1° D’un moyen préalable, et le seul qui existe, de ranimer l’agriculture dans ce département et dans ceux où les terres sont aussi dispersées, divisées, morcelées, qu’elles le sont dans ce pays […]. | |||
Je montrerai que de ces causes d’abattement et de langueur, la principale est dans les restes de nos vieilles lois féodales, qui n’ont pas été abrogées par le code rural, et qui gênent et contrarient l’exercice des droits sacrés de la propriété. | |||
J’en indiquerai le remède, dans la réunion en pièces contiguës, de ces morceaux de terre épars, appartenant dans chaque endroit à un même propriétaire. | |||
Je tracerai la marche à suivre pour amener ce résultat, naturellement, sans secousses, et sans de trop grands frais. […] | |||
Je finirai par un coup d'œil sur les moyens de rendre stable ce grand bienfait pour les campagnes, et d’empêcher que l’avenir ne ramène à la longue la division infinie de nos propriétés et tous les abus qu’elle entraîne. | |||
[…] | |||
((Parlant du décret de 1791 concernant les biens et usages ruraux :)) | |||
[ | |||
Comment, en faisant tant d’articles pour favoriser les clôtures, a-t-on pu oublier que la permission de clore, bonne pour les grands terrains des riches et pour ceux qui se trouvent en pièces contiguës, deviendrait nulle et illusoire à l’égard des champs dispersés et de l'étroit terrain du pauvre ? | |||
Comment, lorsqu’on a fait un article pour autoriser le bornage des propriétés adjacentes, a-t-on omis d’en faire un autre, pour amener l’échange des propriétés éloignées ? | |||
[…] | |||
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<center>'''§ V. ''INCONVENIENTS qui résultent de l'état actuel des terres, divisées, morcelées, etc''.'''</center> | |||
Il est incontestable que la dispersion et le morcellement des terres est le plus grand obstacle aux progrès de l’agriculture, dans ce département et dans ceux où les champs sont également divisés. | |||
Les pièces dont l'ensemble compose une ferme, ou gagnage, suivant le terme du pays, sont des fractions, des hachures, éloignées les unes des autres. Huit arpents qui, dans l’origine, ont appartenu, je suppose, à un père de huit enfants, ont fait, dans sa succession, autant de lots d’un seul arpent. Chacun de ces arpents a pu être, à son tour, loti et divisé de même entre d’autres cohéritiers. On a cherché à rassembler, à rapprocher les bouts de champs, pour former les gagnages ; mais les droits ((taxes)) sur les actes ont empêché beaucoup d’échanges. Le caprice particulier ne s’y est pas moins opposé. […] | |||
Dans un pays si montueux, il était difficile de réunir de grandes pièces. Il n’est pas un cinquantième des terres du département qui ne soient plus ou moins en pente ; mais cette pente même, rendant la culture pénible, exigeant plus de soins dans la direction du soc et des sillons, rend infiniment plus sensibles les désavantages énormes que cause le morcellement de tous les héritages. | |||
De la division, de la dispersion de ces morceaux de terre, qui composent le ban ou finage d'une commune, il résulte qu’un laboureur, dans le temps des ouvrages, suffit à peine à reconnaître et à montrer où sont et ses champs et ses prés. Son temps, celui des ouvriers, celui des voituriers, se perd continuellement à courir d’un endroit à l’autre. | |||
La plus grande partie des fonds est quelquefois réduite à une consistance si mince et si précaire qu’ils ne paraissent pas valoir la peine d’être cultivés. Alors on les néglige ou on les laisse en friche. | |||
Les séparations que la division entraîne, perdent des espaces immenses en sillons absolument vides. Et si la terre est précieuse, on se l'arrache avec fureur. | |||
D’ailleurs, le grand éloignement où les terrains appartenant à un même propriétaire se trouvent l’un de l’autre, ne permet pas d’y apporter les engrais nécessaire, ni d’y donner des soins égaux. Du mélange des héritages naît la facilité des usurpations, qui produisent sans cesse des querelles et des procès. Il est même un genre de vol, une espèce de voie de fait, absolument particulière à nos départements et inconnue ailleurs. C'est le retournement des roies, ou pour parler français, le renversement des sillons, que les cultivateurs se dérobent les uns aux autres. Ils vont, à cet effet, enfoncer leur charrue dans les blés même ensemencés, sous le prétexte de reprendre ce qu’un voisin leur aura pris. Et, par cette manœuvre il se perd tous les ans immensément de grains, sans parler des tisons de haine, de discorde et e vengeance, qu’une telle pratique allume dans les champs paisibles. | |||
Il est d’autres occasions de querelles et de chicanes. On ne peut très souvent pénétrer à un champ, on ne peut aborder un pré, sans passer au travers des fonds de beaucoup de propriétaires et sans les dégrader. Par la direction des eaux, que conduit à son gré chaque cultivateur, il a la faculté de ruiner les champs voisins. | |||
La multiplicité des chemins tortueux, qui s’élargissent à mesure que le séjour des eaux les rend impraticables, rend les accès plus difficiles et absorbe, de plus, quantité de terrain. La culture se donne indifféremment en tout sens; les laboureurs se croisent. Le défaut d’observation des pentes naturelles dans la direction des sillons ou des roies, produit des ravins innombrables, et rend trop souvent infertiles, par le défaut d’écoulement des eaux stagnantes et privées, des contrées susceptibles de productions abondantes. […] | |||
Ces inconvénients anéantissent presque le droit de la propriété et l’essor de l’agriculture. Car est-ce être propriétaire, que de n’être pas maître de clore son terrain, pour tâcher d’en tirer tout ce qu’il peut produire ? Est-ce être agriculteur, que de n’être pas libre d’adopter dans sa terre tel ou tel genre de culture ; de ne pouvoir choisir ni le mode de ses ouvrages, ni l'espèce de ses semences, ni l'époque de ses récoltes ; d’être enchaîné par ses voisins, au point de ne pouvoir agir et travailler qu’avec eux et comme eux ? Quelle amélioration, quelle méthode avantageuse pourrait-on introduire dans des pièces de terre ainsi morcelées et ouvertes ? En vain vous enverrez à ces cultivateurs les livres les mieux faits, les graines les plus précieuses, les plus belles instructions ; en vain, vous leur proposerez des primes et des récompenses ; en vain, vous leur direz d’essayer la disette, la luzerne, ou le trèfle ; d’alterner leurs cultures, afin d’abolir les jachères ; de faire des plantations, dans les terrains qui leur sont propres ; de saigner les terres humides, par des fossés et des pierrées ; de faire parquer leurs moutons ; d’élever plus de bestiaux, pour avoir plus d’engrais, etc., ils répondront par le proverbe pour néant plante, qui ne clôt ; et ils ne peuvent clore. Ils ne peuvent risquer des essais, qui seraient dévorés aussitôt par les troupeaux communs. Dans l’état où est leur terrain placé loin de leurs yeux et hors de leur portée, réduit en fractions souvent imperceptibles, ils font tout ce qu’ils peuvent faire ; et tant qu’existera la division infinie des héritages qu’ils cultivent, ils ne pourront jamais obtenir un autre produit que celui qu’ils en tirent. | |||
Et qu’il est faible, ce produit, comparé, soit aux résultats de la culture anglaise, soit même seulement à ceux de la culture, quoique bien moins parfaite, qui a lieu dans les fermes où les terres sont réunies en pièces contiguës ? | |||
< | […] | ||
<center> | <br/><br/> | ||
<center>'''§ VI. ''Du seul moyen de ranimer la culture des terres de ce département, par leur réunion, sur un plan régulier.'''''</center> | |||
Or, le remède radical, le seul qui puisse tout-à-coup égaler la prospérité de ce département à l’état florissant dont sa culture est susceptible, c’est de distribuer les terres de chaque territoire, de manière à remplir les conditions ci-après. Je suppose qu’une commune frappée des inconvénients de la division à l’infini des terres, se fait autoriser par vous afin de faire procéder à un échange général et un partage régulier de tout son territoire. | |||
Un géomètre expert lève d’abord un plan total des terres et prés du finage. Ce plan n’est que préparatoire. On dépouille les titres qui sont représentés. On distingue les terres bonnes, médiocres, mauvaises. On calcule ce qui revient à chacun ; on combine sur le terrain, ainsi que sur le plan, les moyens de distribuer, avec égalité, mais en les rapprochant, comme il va être dit, les articles qu’il faut remplir. | |||
Dans la division nouvelle, chaque propriétaire doit recevoir suivant ses titres ou sa possession, tous les fonds dispersés qu’il possède dans la commune, en un seul lot pour chaque sole, ou pour chacune des contrées qu’il sera nécessaire de différencier, attendu les diverses natures de terrain. Au lieu d’un lot unique, on peut en faire deux ou trois dans chacune des soles, vu que le fléau de la grêle, commun dans ce pays, frappe souvent à un endroit et en épargne un autre. Je ne veux pas d’ailleurs des pièces trop considérables ; mais il faut seulement qu’on puisse les enclore. | |||
La distribution doit fixer le sens dans lequel chaque contrée sera désormais cultivée, en ménageant la pente et la direction des eaux, circonstance très nécessaire dans un pays si montueux. | |||
On doit, pour la culture et l’enlèvement des récoltes, tracer en ligne droite des chemins, qui doivent rester libres à perpétuité. Et par ce moyen, chaque champ doit aboutir sur un chemin. […] | |||
En cas de contestations entre les habitants, propriétaires ou fermiers, pour les remplacements et les indemnités, ces contestations doivent être soumises à des experts jurés, dont le géomètre opérant doit suivre le rapport. | |||
On voit que ce projet contient moins un échange entre tous les propriétaires, qu’une espèce d’arpentement, ou ce que nos lois anciennes appelaient un remembrement. C’est une sorte de cadastre, volontaire et à l’amiable. Ainsi donc les mutations qui paraissent en résulter, ne doivent point être soumises à l’enregistrement. En tout cas, il est digne de la Législature de ne fixer qu’un droit modique, sur le procès-verbal entier d’une opération aussi avantageuse. | |||
[…] | |||
<br/><br/> | |||
<center>'''§. VII. ''AVANTAGES multipliés de la réunion des terres en pièces continues, sur le plan qu’on vient d’exposer.'''''</center> | |||
[…] Il est essentiel de bien saisir, à cet égard, l’esprit de mon projet. Par la réunion des terres que je sollicite aujourd’hui, ce n’est point la grandeur des fermes que je veux procurer. Ce n’est pas à faire des riches que doit consister la science et se porter l’effort des administrateurs. Ils doivent s’occuper de soulager les pauvres. Quelques hommes, très opulents, ne font pas une nation. | |||
[…] | |||
<br/><br/> | |||
<center>'''§ VIII. ''FACILITÉ d’exécuter cette réunion des terres''.'''</center> | |||
[…] Il y a des exemples de ce que je propose, exécutés avec succès avant la révolution, et dans plusieurs communes, par un artiste instruit (le citoyen Mougeot, géomètre à Nancy). […] Le citoyen Mougeot a distribué de nouveau, sur un plan approchant, les terres des finages de Neuviller, de Girecourt, de Roville et la Neuveville, canton de Neuviller et canton de Bayon, département de la Meurthe. | |||
[…] | |||
<br/><br/> | |||
<center>'''§ IX. ''AVANTAGES particuliers de la réunion des terres pour le Gouvernement.'''''</center> | |||
Je sais que le Gouvernement médite dès longtemps le travail d’un cadastre ; mais s’il veut l’opérer sur nos terres comme elles sont, dans leur confusion et leur morcellement, il voudra un ouvrage minutieux, impraticable, de très peu de durée et de très peu d’utilité. […] Il y a quelquefois trente, quarante, cinquante pièces de terre détachées, de figure baroque et de consistance douteuse, pour composer un revenu extrêmement modique. La terre est en lambeaux ; ce sont des découpures dont le détail fastidieux et les mutations fréquentes désorientent et désolent perpétuellement les percepteurs et ceux qui sont chargés de faire les rôles de l’impôt foncier. […] | |||
<br/><br/> | |||
<center>'''§ X. PRÉCAUTIONS pour empêcher que la division indéfinie des terres ne renouvelle par la suite les mêmes inconvénients.'''</center> | |||
Mais, dira-t-on peut être, en supposant que cette idée soit généralement admise, ce nouveau cadastre lui-même deviendrait bientôt incomplet par les mutations. Les partages futurs entre plusieurs cohéritiers, ramèneraient dans peu les subdivisions, auxquelles on n'aurait apporté qu’un remède momentané. | |||
Cet inconvénient avait été prévu en 1771, et c’était dans la vue de rendre inaltérable une opération aussi bien concertée, que l’arrêt du conseil d’État, du 28 mars de cette année, assujettissait les habitants de Neuviller et de Roville, | |||
*1° A ne jamais changer, sous aucun prétexte, le sens de culture indiqué par la nouvelle carte ; | |||
*2° A donner pour toujours, à chaque champ, c’est-à-dire au terrain compris entre deux sillons, la largeur de trois toises, mesure de Lorraine ; | |||
*3° A ne jamais diviser aucun champ, c’est-à-dire, que chacun des champs ou espaces compris entre deux sillons, portés dans la carte sous un numéro séparé, ne pouvait être, à titre de vente, donation, testament, partage ou autres actes quelconques, divisé ni morcelé; et que si plusieurs héritiers, donataires, propriétaires, usagers ou usufruitiers, à quelque titre que ce fût, avaient droit à un de ces champs, ce champ devait être par eux vendu, ou licité, ou affermé à prix commun, ou cultivé par indivis. […] | |||
Je suis persuadé que le bien de l’agriculture exigerait la fixité de ces délimitations, que les cultivateurs amélioreraient bien plus un terrain stable et permanent, que des portions fugitives, et que la loi, en l’ordonnant, loin de blesser les intérêts d’aucun propriétaire, ajouterait à la valeur intrinsèque des champs rendus indivisibles, une bien plus grande valeur. […] | |||
Assurez aux fermiers | |||
*1° DES ENCLOS, | |||
*2° UN LONG BAIL, | |||
*3° ET UNE TAXE INVARIABLE, | |||
Vous ferez naître des prodiges. | |||
Les ENCLOS sont les gardiens, les garants des récoltes. | |||
Un LONG BAIL donne le moyen de faire des avances et le goût d'améliorer. | |||
La TAXE INVARIABLE rassure le cultivateur contre la crainte naturelle de voir punir son industrie par une surcharge d’impôt. […] | |||
Mais je ne pense pas qu’il faille conserver dans l’indivision de trop grandes pièces de terre. J’aimerais mieux qu’on décrétât qu’aucun champ ne pourrait être divisé, morcelé, loti partagé, au-dessous de la consistance d’une certaine quotité, ou d’une largeur fixe. Et cela suffirait pour ne pas retomber dans les pertes de temps, de graine et de semence, qui sont les suites nécessaires des trop petites découpures. | |||
===Référence=== | |||
François de Neufchâteau N., 1797. ''Arrêté de l’Administration centrale du Département des Vosges sur un moyen préliminaire d’encourager l’agriculture dans ce département, par la réunion des propriétés morcelées''. Séance du 15 floréal, an V. 89 p. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56945w Texte intégral] sur Gallica. | |||
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Dernière version du 16 mai 2022 à 11:23
Cette annexe se rapporte à l'article Remembrement, la genèse. |
Pourquoi et comment remembrer, par François de Neufchâteau (1797)
LE COMMISSAIRE DU DIRECTOIRE EXECUTIF, ayant pris la parole, a dit :
[…] Je vous entretiendrai
1° D’un moyen préalable, et le seul qui existe, de ranimer l’agriculture dans ce département et dans ceux où les terres sont aussi dispersées, divisées, morcelées, qu’elles le sont dans ce pays […].
Je montrerai que de ces causes d’abattement et de langueur, la principale est dans les restes de nos vieilles lois féodales, qui n’ont pas été abrogées par le code rural, et qui gênent et contrarient l’exercice des droits sacrés de la propriété.
J’en indiquerai le remède, dans la réunion en pièces contiguës, de ces morceaux de terre épars, appartenant dans chaque endroit à un même propriétaire.
Je tracerai la marche à suivre pour amener ce résultat, naturellement, sans secousses, et sans de trop grands frais. […]
Je finirai par un coup d'œil sur les moyens de rendre stable ce grand bienfait pour les campagnes, et d’empêcher que l’avenir ne ramène à la longue la division infinie de nos propriétés et tous les abus qu’elle entraîne. […]
((Parlant du décret de 1791 concernant les biens et usages ruraux :))
Comment, en faisant tant d’articles pour favoriser les clôtures, a-t-on pu oublier que la permission de clore, bonne pour les grands terrains des riches et pour ceux qui se trouvent en pièces contiguës, deviendrait nulle et illusoire à l’égard des champs dispersés et de l'étroit terrain du pauvre ?
Comment, lorsqu’on a fait un article pour autoriser le bornage des propriétés adjacentes, a-t-on omis d’en faire un autre, pour amener l’échange des propriétés éloignées ?
[…]
Il est incontestable que la dispersion et le morcellement des terres est le plus grand obstacle aux progrès de l’agriculture, dans ce département et dans ceux où les champs sont également divisés.
Les pièces dont l'ensemble compose une ferme, ou gagnage, suivant le terme du pays, sont des fractions, des hachures, éloignées les unes des autres. Huit arpents qui, dans l’origine, ont appartenu, je suppose, à un père de huit enfants, ont fait, dans sa succession, autant de lots d’un seul arpent. Chacun de ces arpents a pu être, à son tour, loti et divisé de même entre d’autres cohéritiers. On a cherché à rassembler, à rapprocher les bouts de champs, pour former les gagnages ; mais les droits ((taxes)) sur les actes ont empêché beaucoup d’échanges. Le caprice particulier ne s’y est pas moins opposé. […]
Dans un pays si montueux, il était difficile de réunir de grandes pièces. Il n’est pas un cinquantième des terres du département qui ne soient plus ou moins en pente ; mais cette pente même, rendant la culture pénible, exigeant plus de soins dans la direction du soc et des sillons, rend infiniment plus sensibles les désavantages énormes que cause le morcellement de tous les héritages.
De la division, de la dispersion de ces morceaux de terre, qui composent le ban ou finage d'une commune, il résulte qu’un laboureur, dans le temps des ouvrages, suffit à peine à reconnaître et à montrer où sont et ses champs et ses prés. Son temps, celui des ouvriers, celui des voituriers, se perd continuellement à courir d’un endroit à l’autre.
La plus grande partie des fonds est quelquefois réduite à une consistance si mince et si précaire qu’ils ne paraissent pas valoir la peine d’être cultivés. Alors on les néglige ou on les laisse en friche. Les séparations que la division entraîne, perdent des espaces immenses en sillons absolument vides. Et si la terre est précieuse, on se l'arrache avec fureur.
D’ailleurs, le grand éloignement où les terrains appartenant à un même propriétaire se trouvent l’un de l’autre, ne permet pas d’y apporter les engrais nécessaire, ni d’y donner des soins égaux. Du mélange des héritages naît la facilité des usurpations, qui produisent sans cesse des querelles et des procès. Il est même un genre de vol, une espèce de voie de fait, absolument particulière à nos départements et inconnue ailleurs. C'est le retournement des roies, ou pour parler français, le renversement des sillons, que les cultivateurs se dérobent les uns aux autres. Ils vont, à cet effet, enfoncer leur charrue dans les blés même ensemencés, sous le prétexte de reprendre ce qu’un voisin leur aura pris. Et, par cette manœuvre il se perd tous les ans immensément de grains, sans parler des tisons de haine, de discorde et e vengeance, qu’une telle pratique allume dans les champs paisibles.
Il est d’autres occasions de querelles et de chicanes. On ne peut très souvent pénétrer à un champ, on ne peut aborder un pré, sans passer au travers des fonds de beaucoup de propriétaires et sans les dégrader. Par la direction des eaux, que conduit à son gré chaque cultivateur, il a la faculté de ruiner les champs voisins. La multiplicité des chemins tortueux, qui s’élargissent à mesure que le séjour des eaux les rend impraticables, rend les accès plus difficiles et absorbe, de plus, quantité de terrain. La culture se donne indifféremment en tout sens; les laboureurs se croisent. Le défaut d’observation des pentes naturelles dans la direction des sillons ou des roies, produit des ravins innombrables, et rend trop souvent infertiles, par le défaut d’écoulement des eaux stagnantes et privées, des contrées susceptibles de productions abondantes. […]
Ces inconvénients anéantissent presque le droit de la propriété et l’essor de l’agriculture. Car est-ce être propriétaire, que de n’être pas maître de clore son terrain, pour tâcher d’en tirer tout ce qu’il peut produire ? Est-ce être agriculteur, que de n’être pas libre d’adopter dans sa terre tel ou tel genre de culture ; de ne pouvoir choisir ni le mode de ses ouvrages, ni l'espèce de ses semences, ni l'époque de ses récoltes ; d’être enchaîné par ses voisins, au point de ne pouvoir agir et travailler qu’avec eux et comme eux ? Quelle amélioration, quelle méthode avantageuse pourrait-on introduire dans des pièces de terre ainsi morcelées et ouvertes ? En vain vous enverrez à ces cultivateurs les livres les mieux faits, les graines les plus précieuses, les plus belles instructions ; en vain, vous leur proposerez des primes et des récompenses ; en vain, vous leur direz d’essayer la disette, la luzerne, ou le trèfle ; d’alterner leurs cultures, afin d’abolir les jachères ; de faire des plantations, dans les terrains qui leur sont propres ; de saigner les terres humides, par des fossés et des pierrées ; de faire parquer leurs moutons ; d’élever plus de bestiaux, pour avoir plus d’engrais, etc., ils répondront par le proverbe pour néant plante, qui ne clôt ; et ils ne peuvent clore. Ils ne peuvent risquer des essais, qui seraient dévorés aussitôt par les troupeaux communs. Dans l’état où est leur terrain placé loin de leurs yeux et hors de leur portée, réduit en fractions souvent imperceptibles, ils font tout ce qu’ils peuvent faire ; et tant qu’existera la division infinie des héritages qu’ils cultivent, ils ne pourront jamais obtenir un autre produit que celui qu’ils en tirent.
Et qu’il est faible, ce produit, comparé, soit aux résultats de la culture anglaise, soit même seulement à ceux de la culture, quoique bien moins parfaite, qui a lieu dans les fermes où les terres sont réunies en pièces contiguës ?
[…]
Or, le remède radical, le seul qui puisse tout-à-coup égaler la prospérité de ce département à l’état florissant dont sa culture est susceptible, c’est de distribuer les terres de chaque territoire, de manière à remplir les conditions ci-après. Je suppose qu’une commune frappée des inconvénients de la division à l’infini des terres, se fait autoriser par vous afin de faire procéder à un échange général et un partage régulier de tout son territoire.
Un géomètre expert lève d’abord un plan total des terres et prés du finage. Ce plan n’est que préparatoire. On dépouille les titres qui sont représentés. On distingue les terres bonnes, médiocres, mauvaises. On calcule ce qui revient à chacun ; on combine sur le terrain, ainsi que sur le plan, les moyens de distribuer, avec égalité, mais en les rapprochant, comme il va être dit, les articles qu’il faut remplir.
Dans la division nouvelle, chaque propriétaire doit recevoir suivant ses titres ou sa possession, tous les fonds dispersés qu’il possède dans la commune, en un seul lot pour chaque sole, ou pour chacune des contrées qu’il sera nécessaire de différencier, attendu les diverses natures de terrain. Au lieu d’un lot unique, on peut en faire deux ou trois dans chacune des soles, vu que le fléau de la grêle, commun dans ce pays, frappe souvent à un endroit et en épargne un autre. Je ne veux pas d’ailleurs des pièces trop considérables ; mais il faut seulement qu’on puisse les enclore.
La distribution doit fixer le sens dans lequel chaque contrée sera désormais cultivée, en ménageant la pente et la direction des eaux, circonstance très nécessaire dans un pays si montueux.
On doit, pour la culture et l’enlèvement des récoltes, tracer en ligne droite des chemins, qui doivent rester libres à perpétuité. Et par ce moyen, chaque champ doit aboutir sur un chemin. […]
En cas de contestations entre les habitants, propriétaires ou fermiers, pour les remplacements et les indemnités, ces contestations doivent être soumises à des experts jurés, dont le géomètre opérant doit suivre le rapport.
On voit que ce projet contient moins un échange entre tous les propriétaires, qu’une espèce d’arpentement, ou ce que nos lois anciennes appelaient un remembrement. C’est une sorte de cadastre, volontaire et à l’amiable. Ainsi donc les mutations qui paraissent en résulter, ne doivent point être soumises à l’enregistrement. En tout cas, il est digne de la Législature de ne fixer qu’un droit modique, sur le procès-verbal entier d’une opération aussi avantageuse.
[…]
[…] Il est essentiel de bien saisir, à cet égard, l’esprit de mon projet. Par la réunion des terres que je sollicite aujourd’hui, ce n’est point la grandeur des fermes que je veux procurer. Ce n’est pas à faire des riches que doit consister la science et se porter l’effort des administrateurs. Ils doivent s’occuper de soulager les pauvres. Quelques hommes, très opulents, ne font pas une nation.
[…]
[…] Il y a des exemples de ce que je propose, exécutés avec succès avant la révolution, et dans plusieurs communes, par un artiste instruit (le citoyen Mougeot, géomètre à Nancy). […] Le citoyen Mougeot a distribué de nouveau, sur un plan approchant, les terres des finages de Neuviller, de Girecourt, de Roville et la Neuveville, canton de Neuviller et canton de Bayon, département de la Meurthe.
[…]
Je sais que le Gouvernement médite dès longtemps le travail d’un cadastre ; mais s’il veut l’opérer sur nos terres comme elles sont, dans leur confusion et leur morcellement, il voudra un ouvrage minutieux, impraticable, de très peu de durée et de très peu d’utilité. […] Il y a quelquefois trente, quarante, cinquante pièces de terre détachées, de figure baroque et de consistance douteuse, pour composer un revenu extrêmement modique. La terre est en lambeaux ; ce sont des découpures dont le détail fastidieux et les mutations fréquentes désorientent et désolent perpétuellement les percepteurs et ceux qui sont chargés de faire les rôles de l’impôt foncier. […]
Mais, dira-t-on peut être, en supposant que cette idée soit généralement admise, ce nouveau cadastre lui-même deviendrait bientôt incomplet par les mutations. Les partages futurs entre plusieurs cohéritiers, ramèneraient dans peu les subdivisions, auxquelles on n'aurait apporté qu’un remède momentané.
Cet inconvénient avait été prévu en 1771, et c’était dans la vue de rendre inaltérable une opération aussi bien concertée, que l’arrêt du conseil d’État, du 28 mars de cette année, assujettissait les habitants de Neuviller et de Roville,
- 1° A ne jamais changer, sous aucun prétexte, le sens de culture indiqué par la nouvelle carte ;
- 2° A donner pour toujours, à chaque champ, c’est-à-dire au terrain compris entre deux sillons, la largeur de trois toises, mesure de Lorraine ;
- 3° A ne jamais diviser aucun champ, c’est-à-dire, que chacun des champs ou espaces compris entre deux sillons, portés dans la carte sous un numéro séparé, ne pouvait être, à titre de vente, donation, testament, partage ou autres actes quelconques, divisé ni morcelé; et que si plusieurs héritiers, donataires, propriétaires, usagers ou usufruitiers, à quelque titre que ce fût, avaient droit à un de ces champs, ce champ devait être par eux vendu, ou licité, ou affermé à prix commun, ou cultivé par indivis. […]
Je suis persuadé que le bien de l’agriculture exigerait la fixité de ces délimitations, que les cultivateurs amélioreraient bien plus un terrain stable et permanent, que des portions fugitives, et que la loi, en l’ordonnant, loin de blesser les intérêts d’aucun propriétaire, ajouterait à la valeur intrinsèque des champs rendus indivisibles, une bien plus grande valeur. […]
Assurez aux fermiers
- 1° DES ENCLOS,
- 2° UN LONG BAIL,
- 3° ET UNE TAXE INVARIABLE,
Vous ferez naître des prodiges.
Les ENCLOS sont les gardiens, les garants des récoltes.
Un LONG BAIL donne le moyen de faire des avances et le goût d'améliorer.
La TAXE INVARIABLE rassure le cultivateur contre la crainte naturelle de voir punir son industrie par une surcharge d’impôt. […]
Mais je ne pense pas qu’il faille conserver dans l’indivision de trop grandes pièces de terre. J’aimerais mieux qu’on décrétât qu’aucun champ ne pourrait être divisé, morcelé, loti partagé, au-dessous de la consistance d’une certaine quotité, ou d’une largeur fixe. Et cela suffirait pour ne pas retomber dans les pertes de temps, de graine et de semence, qui sont les suites nécessaires des trop petites découpures.
Référence
François de Neufchâteau N., 1797. Arrêté de l’Administration centrale du Département des Vosges sur un moyen préliminaire d’encourager l’agriculture dans ce département, par la réunion des propriétés morcelées. Séance du 15 floréal, an V. 89 p. Texte intégral sur Gallica.