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=Le morcellement des terres, ses inconvénients et remèdes (textes choisis, 1750-1810)=
=Pourquoi et comment remembrer, par [[A pour personne citée dans les annexes::Nicolas François de Neufchâteau|François de Neufchâteau]] (1797)=
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LE COMMISSAIRE DU DIRECTOIRE EXECUTIF, ayant pris la parole, a dit :
<center>Citoyens Administrateurs,</center>
[…] Je vous entretiendrai


==Pattullo (Écossais réfugié en France), 1758. ''Essai sur l’amélioration des terres''==
1° D’un moyen préalable, et le seul qui existe, de ranimer l’agriculture dans ce département et dans ceux où les terres sont aussi dispersées, divisées, morcelées, qu’elles le sont dans ce pays [].
<center>'''''Inconvénient des fermes rapprochées.'''''</center>
Plusieurs fermes sont rassemblées en un même village, tandis qu’une partie des terres en sont à une grande distance, comme d’une lieue & plus ; ce qui nécessairement en rend la culture désavantageuse, au point que les Fermiers se contentent la plupart du temps de labourer les terres les plus voisines; le reste qui en est souvent la plus grande partie, demeure inculte, & forme en plusieurs Provinces de vastes plaines rases, on ne trouverait pas un arbre ni un buisson pour donner aux bestiaux le moindre abri ; coup d’œil véritablement révoltant en un climat tel que celui de la France.
<center>REMEDE.</center>
Il faudrait que toutes les terres appartenant à un gros Village fussent divisées en fermes séparées, & le Fermier logé au centre de chacune ; qu’ensuite elles fussent encloses & divisées par des fossés munis de haies, & cultivées comme il vient d’être décrit. On verrait alors ces vastes terrains qui ne sont à présent presque d’'aucune valeur aux Fermiers, & encore moins aux Propriétaires, rendre en herbages ou en grains 40, 50 ou 60 liv. l’arpent ; & ces déserts si choquants a la vue, changés bientôt en paysages agréables & abondants.
<center>'''''Inconvénient des baux trop courts..'''''</center>
[...]
<center>'''''Inconvénient du mélange des terres, & héritages..'''''</center>
Les terres de quantité de Villages & de Paroisses que j’ai eu occasion de voir par moi-même, sont distribuées d’une manière si désavantageuse pour leur culture qu’on n'aurait pu faire pis si on l’avait fait exprès. Naturellement on se serait attendu à trouver les terres de chaque propriétaire rassemblées en un même lieu ; mais loin de là, si un héritage est de cent arpents, il faut les aller chercher en trente ou quarante places différentes ; quelquefois à une grande distance, où ils sont mêlés avec d’autres par morceaux d’un petit nombre d'arpents : c’est un extrême inconvénient pour tous ; car il faut que réciproquement chacun passe journellement sur les terres de son voisin pour labourer, semer, moissonner les siennes. Les labours se croisent en différents sens, formant de tous côtés des pointes & des haches qui augmentent le travail & perdent toujours du terrain : quelques morceaux même sont si petits qu’ils ne valent pas la peine d’y transporter les charrues aussi souvent qu’il serait nécessaire.  


Il n’y a donc point de Propriétaire qui ne gagnât beaucoup à changer tous ces morceaux contre d’autres, de manière que tout son bien fût rassemblé ; car quand même le terrain contre lequel il les échangerait ne serait pas foncièrement aussi bon, du moins dans les premiers temps, la liberté que chacun aurait de cultiver, enclore & bâtir sur son terrain à sa fantaisie, le rendrait bientôt d’une toute autre valeur qu’il n'est, & qu’il ne peut être, étant morcelé comme ils sont la plupart.
Je montrerai que de ces causes d’abattement et de langueur, la principale est dans les restes de nos vieilles lois féodales, qui n’ont pas été abrogées par le code rural, et qui gênent et contrarient l’exercice des droits sacrés de la propriété.  
<center>REMEDE.</center>.
On sent bien que cette mauvaise distribution s’est établie depuis un temps immémorial, selon que différents hasards ont partagé, retranché, augmenté, réuni les divers héritages ; cela est arrivé par toute l’Europe comme en France ; mais quoiqu’on en ait partout senti l’inconvénient, il n’est nulle part aussi facile d’y remédier qu’on pourrait l’imaginer : car tandis que l’intérêt de chaque Propriétaire les devrait concilier & porter d’eux-mêmes aux échanges ; tel est d’un autre côté l’attachement naturel des hommes au lot de terre que chacun peut avoir reçu de ses pères, qu’il a toujours été nécessaire d’y faire intervenir l’autorité législative.  


C’est ce qu’elle a fait avec succès en Angleterre & en Écosse : on peut s’informer du détail des diverses ordonnances qui y ont été faites pour y parvenir, ainsi que pour partager de vastes communes qui appartenaient à des Villages & ne leur rendaient pas la dixième partie de ce qu’elles ont fait après leur division. Le Gouvernement travaille actuellement à en faire autant en Suède, & à diviser les possessions & fermes trop étendues en plus petites. Il serait bien à désirer qu’il rendît en France le même service à l’agriculture, en facilitant l’échange des morceaux de terre & le partage des communes, & ce ne serait pas une opération aussi compliquée qu’on pourrait l'imaginer.  
J’en indiquerai le remède, dans la réunion en pièces contiguës, de ces morceaux de terre épars, appartenant dans chaque endroit à un même propriétaire.
Je tracerai la marche à suivre pour amener ce résultat, naturellement, sans secousses, et sans de trop grands frais. […]


Il ne faudrait peut-être qu’ordonner la suspension entière de tous droits de ces échanges, tant envers le Roi qu’envers les Seigneurs durant un certain temps, & exhorter tous les habitants de chaque lieu d’en profiter pour réunir leurs possessions, en nommant entre eux un certain nombre d’arbitres & experts Laboureurs qui rassemblassent tous les divers morceaux de chaque propriétaire en un seul ou plusieurs à sa portée & convenance, autant que les circonstances le pourraient permettre ; moyennant quoi il se ferait tout naturellement & à l’amiable une grande partie de ces échanges.  
Je finirai par un coup d'œil sur les moyens de rendre stable ce grand bienfait pour les campagnes, et d’empêcher que l’avenir ne ramène à la longue la division infinie de nos propriétés et tous les abus qu’elle entraîne.  
[…]


D’ailleurs aucune amélioration considérable ne pouvant se faire sans enclore, & les enclos de quelque étendue n’étant guères possibles sans réunir des morceaux détachés, ou sans échanger ceux qui peuvent s’y trouver enclavés ; ce serait aux gros habitants, qui y auraient plus d’intérêt, à faire aux petits tel avantage en quantité ou qualité de terrain, ou même en argent qui pût les déterminer à l’échange.
((Parlant du décret de 1791 concernant les biens et usages ruraux :))


L’avantage qui en résulterait pour l’agriculture serait plus grand & plus durable que peut-être on ne l’imaginerait : car tous ces petits morceaux étant une fois rassemblés en de grandes pièces de terre que la plupart feraient bientôt  enclore, ne se diviseraient plus ; on ne se fait aucune difficulté de vendre un morceau détaché de son héritage, & comme ils sont presque tous composés en entier de ces morceaux détachés, d’autres ne s’en font point de les acheter ; mais personne ne coupera la moitié de son champ & encore moins de son enclos pour le vendre, & personne non plus ne se soucierait de l’acheter ; les héritiers pareillement dans leurs partages se feraient raison en argent ou en rentes plutôt que de couper leurs champs ou enclos par morceaux, & ainsi sans aucune contrainte pour l’avenir, l'arrangement ne laisserait pas d'être permanent.
Comment, en faisant tant d’articles pour favoriser les clôtures, a-t-on pu oublier que la permission de clore, bonne pour les grands terrains des riches et pour ceux qui se trouvent en pièces contiguës, deviendrait nulle et illusoire à l’égard des champs dispersés et de l'étroit terrain du pauvre ?
 
Comment, lorsqu’on a fait un article pour autoriser le bornage des propriétés adjacentes, a-t-on omis d’en faire un autre, pour amener l’échange des propriétés éloignées ?
[…]
<br/><br/>
<center>'''§ V. ''INCONVENIENTS qui résultent de l'état actuel des terres, divisées, morcelées, etc''.'''</center>
Il est incontestable que la dispersion et le morcellement des terres est le plus grand obstacle aux progrès de l’agriculture, dans ce département et dans ceux où les champs sont également divisés.
   
   
Le partage des communes se pourrait de même ordonner & exécuter par des arbitres : il y en a d’immenses en diverses provinces, & c’est un dommage inestimable pour l’agriculture & pour le public : en Angleterre & en Écosse, quand la plus considérable partie des intéressés est d’avis du partage de ces communes ou de l’échange des terres, le reste est obligé d’y souscrire, & on nomme des arbitres à cet effet. (p. 189-200)
Les pièces dont l'ensemble compose une ferme, ou gagnage, suivant le terme du pays, sont des fractions, des hachures, éloignées les unes des autres. Huit arpents qui, dans l’origine, ont appartenu, je suppose, à un père de huit enfants, ont fait, dans sa succession, autant de lots d’un seul arpent. Chacun de ces arpents a pu être, à son tour, loti et divisé de même entre d’autres cohéritiers. On a cherché à rassembler, à rapprocher les bouts de champs, pour former les gagnages ; mais les droits ((taxes)) sur les actes ont empêché beaucoup d’échanges. Le caprice particulier ne s’y est pas moins opposé. […]


Dans un pays si montueux, il était difficile de réunir de grandes pièces. Il n’est pas un cinquantième des terres du département qui ne soient plus ou moins en pente ; mais cette pente même, rendant la culture pénible, exigeant plus de soins dans la direction du soc et des sillons, rend infiniment plus sensibles les désavantages énormes que cause le morcellement de tous les héritages.


==[[A pour personne citée dans les annexes::Henri-Louis Duhamel du Monceau|Duhamel du Monceau]], 1762.'' Éléments d’agriculture''.==
De la division, de la dispersion de ces morceaux de terre, qui composent le ban ou finage d'une commune, il résulte qu’un laboureur, dans le temps des ouvrages, suffit à peine à reconnaître et à montrer où sont et ses champs et ses prés. Son temps, celui des ouvriers, celui des voituriers, se perd continuellement à courir d’un endroit à l’autre.  
<center>'''LIVRE DOUZIEME. Réflexions sur l’Agriculture.'''</center>
<center>ARTICLE II. ''La trop grande subdivision des pièces de Terre cause, dans certaines Provinces, un grand obstacle au progrès de l’agriculture''.</center>
On a souvent dit, & avec grande raison, que l’établissement des prés artificiels était un des plus sûrs moyens d'augmenter le produit des terres ; mais comment parvenir à avoir des prés de cette espèce dans des pays les terres sont tellement morcelées & divisées entre les habitants, que la plupart des pièces n’ont qu'une petite quantité de perches de largeur : dans ce cas on emploie autant de temps à tourner la charrue ou à la transporter successivement dans tous ces petits champs, qu’à labourer. Cet inconvénient est considérable ; mais c’en est encore un plus grand, que tous les Propriétaires soient forcés de suivre une même méthode de culture. Si, pour de bonnes raisons, un Laboureur veut mettre en grain ou en pré artificiel un de ces petits champs, les champs voisins étant ouverts au bétail, sa petite portion de terrain sera immanquablement dévastée ; & toutes les ressources de son industrie lui deviendront infructueuses. Il est donc forcé de suivre la routine du pays, & d’agir servilement comme ses voisins. (t. 2 : 375-376)


Les moineaux font beaucoup plus de dégât dans le temps des moissons, par la prodigieuse quantité de grains qu'ils mangent : il arrive souvent qu'ils détruisent un tiers ou une moitié des récoltes dans les pièces détachées, & qui se trouvent auprès des bois, ou dans le voisinage des maisons. (…) Le dégât que causent les oiseaux est peu sensible sur une  pièce de quatre ou cinq cents arpents ; mais une récolte d'un ou deux arpents isolés est entièrement détruite. (t. 1 : 297-298).
La plus grande partie des fonds est quelquefois réduite à une consistance si mince et si précaire qu’ils ne paraissent pas valoir la peine d’être cultivés. Alors on les néglige ou on les laisse en friche.
Les séparations que la division entraîne, perdent des espaces immenses en sillons absolument vides. Et si la terre est précieuse, on se l'arrache avec fureur.  


D’ailleurs, le grand éloignement où les terrains appartenant à un même propriétaire se trouvent l’un de l’autre, ne permet pas d’y apporter les engrais nécessaire, ni d’y donner des soins égaux. Du mélange des héritages naît la facilité des usurpations, qui produisent sans cesse des querelles et des procès. Il est même un genre de vol, une espèce de voie de fait, absolument particulière à nos départements et inconnue ailleurs. C'est le retournement des roies, ou pour parler français, le renversement des sillons, que les cultivateurs se dérobent les uns aux autres. Ils vont, à cet effet, enfoncer leur charrue dans les blés même ensemencés, sous le prétexte de reprendre ce qu’un voisin leur aura pris. Et, par cette manœuvre il se perd tous les ans immensément de grains, sans parler des tisons de haine, de discorde et e vengeance, qu’une telle pratique allume dans les champs paisibles.
Il est d’autres occasions de querelles et de chicanes. On ne peut très souvent pénétrer à un champ, on ne peut aborder un pré, sans passer au travers des fonds de beaucoup de propriétaires et sans les dégrader. Par la direction des eaux, que conduit à son gré chaque cultivateur, il a la faculté de ruiner les champs voisins.
La multiplicité des chemins tortueux, qui s’élargissent à mesure que le séjour des eaux les rend impraticables, rend les accès plus difficiles et absorbe, de plus, quantité de terrain. La culture se donne indifféremment en tout sens; les laboureurs se croisent. Le défaut d’observation des pentes naturelles dans la direction des sillons ou des roies, produit des ravins innombrables, et rend trop souvent infertiles, par le défaut d’écoulement des eaux stagnantes et privées, des contrées susceptibles de productions abondantes. […]


==Anonyme, 1763. Réflexions sur le morcellement, ou la trop grande subdivision des Terres==
Ces inconvénients anéantissent presque le droit de la propriété et l’essor de l’agriculture. Car est-ce être propriétaire, que de n’être pas maître de clore son terrain, pour tâcher d’en tirer tout ce qu’il peut produire ? Est-ce être agriculteur, que de n’être pas libre d’adopter dans sa terre tel ou tel genre de culture ; de ne pouvoir choisir ni le mode de ses ouvrages, ni l'espèce de ses semences, ni l'époque de ses récoltes ; d’être enchaîné par ses voisins, au point de ne pouvoir agir et travailler qu’avec eux et comme eux ? Quelle amélioration, quelle méthode avantageuse pourrait-on introduire dans des pièces de terre ainsi morcelées et ouvertes ? En vain vous enverrez à ces cultivateurs les livres les mieux faits, les graines les plus précieuses, les plus belles instructions ; en vain, vous leur proposerez des primes et des récompenses ; en vain, vous leur direz d’essayer la disette, la luzerne, ou le trèfle ; d’alterner leurs cultures, afin d’abolir les jachères ; de faire des plantations, dans les terrains qui leur sont propres ; de saigner les terres humides, par des fossés et des pierrées ; de faire parquer leurs moutons ; d’élever plus de bestiaux, pour avoir plus d’engrais, etc., ils répondront par le proverbe pour néant plante, qui ne clôt ; et ils ne peuvent clore. Ils ne peuvent risquer des essais, qui seraient dévorés aussitôt par les troupeaux communs. Dans l’état où est leur terrain placé loin de leurs yeux et hors de leur portée, réduit en fractions souvent imperceptibles, ils font tout ce qu’ils peuvent faire ; et tant qu’existera la division infinie des héritages qu’ils cultivent, ils ne pourront jamais obtenir un autre produit que celui qu’ils en tirent.
[...] un Laboureur ordinaire, qui dans l’arrangement actuellement le plus suivi en ce Royaume, a trente arpents par sols à cultiver, les prend en plus de cent pièces différentes, considérablement éloignées les unes des autres. D’où il résulte qu’on se trouve forcé d’employer autant & plus de temps à tourner & retourner la charrue dans chaque pièce, ou à la transporter successivement dans tous ces petits champs, qu’à faire le vrai labour. D’ailleurs les labours se croisant nécessairement en différents sens sur tous ces petits champs qui s’avoisinent, forment de tous côtés des pointes & des haches qui augmentent le travail, & font toujours perdre beaucoup de terrain. Or quelle perte pour l’Agriculture, que tous ces espaces éraillés où la semence ne mord point, & périt faute de profondeur dans le labour. Et en outre que de temps perdu ; & dès lors quel désavantage.
 
Mais un inconvénient encore plus considérable, est d’un côté que chaque champ se trouve perpétuellement traversé, piétiné & ainsi dégradé dans ses préparations par le passage des charrois & des charrues, qui ont à y passer pour aller sur ceux dans le chemin desquels ils se trouvent. Et à combien de fraudes ces sortes de passages ne conduisent-ils pas. Combien de fois n’ai-je pas aperçu moi-même des paysans charger leur voiture à moitié dans leurs cours, & la descendre pleine sur leur champ, au moyen des rapines qu’ils faisaient à chaque tas de fumier qu’ils trouvaient sur leur passage. Si ces morcellements de terres entraînent déjà de semblables dommages, quel n’est pas celui qui en résulte d’un autre côté ? Tous les propriétaires d’un même canton, d’un même territoire, se trouvant forcés, au moyen de ce morcellement, à suivre une même méthode de culture, il faut absolument que chacun d’eux adopte malgré soi, malgré ses propres besoins, même malgré la nature de son champ, l’usage des sols du canton. Telle année est nécessairement pour tel grain, telle année pour tel autre, la troisième pour la jachère. Il faut qu’il moissonne sa pièce au moment même que ses voisins font entrer les ouvriers dans les leurs. Sans cela son grain serait mis au pillage, tant par les glaneurs, que par les voitures qui vont enlever les gerbes.
Et qu’il est faible, ce produit, comparé, soit aux résultats de la culture anglaise, soit même seulement à ceux de la culture, quoique bien moins parfaite, qui a lieu dans les fermes où les terres sont réunies en pièces contiguës ?
[…]
<br/><br/>
<center>'''§ VI. ''Du seul moyen de ranimer la culture des terres de ce département, par leur réunion, sur un plan régulier.'''''</center>
Or, le remède radical, le seul qui puisse tout-à-coup égaler la prospérité de ce département à l’état florissant dont sa culture est susceptible, c’est de distribuer les terres de chaque territoire, de manière à remplir les conditions ci-après. Je suppose qu’une commune frappée des inconvénients de la division à l’infini des terres, se fait autoriser par vous afin de faire procéder à un échange général et un partage régulier de tout son territoire.
 
Un géomètre expert lève d’abord un plan total des terres et prés du finage. Ce plan n’est que préparatoire. On dépouille les titres qui sont représentés. On distingue les terres bonnes, médiocres, mauvaises. On calcule ce qui revient à chacun ; on combine sur le terrain, ainsi que sur le plan, les moyens de distribuer, avec égalité, mais en les rapprochant, comme il va être dit, les articles qu’il faut remplir.  
 
Dans la division nouvelle, chaque propriétaire doit recevoir suivant ses titres ou sa possession, tous les fonds dispersés qu’il possède dans la commune, en un seul lot pour chaque sole, ou pour chacune des contrées qu’il sera nécessaire de différencier, attendu les diverses natures de terrain. Au lieu d’un lot unique, on peut en faire deux ou trois dans chacune des soles, vu que le fléau de la grêle, commun dans ce pays, frappe souvent à un endroit et en épargne un autre. Je ne veux pas d’ailleurs des pièces trop considérables ; mais il faut seulement qu’on puisse les enclore.
 
La distribution doit fixer le sens dans lequel chaque contrée sera désormais cultivée, en ménageant la pente et la direction des eaux, circonstance très nécessaire dans un pays si montueux.
On doit, pour la culture et l’enlèvement des récoltes, tracer en ligne droite des chemins, qui doivent rester libres à perpétuité. Et par ce moyen, chaque champ doit aboutir sur un chemin. […]
En cas de contestations entre les habitants, propriétaires ou fermiers, pour les remplacements et les indemnités, ces contestations doivent être soumises à des experts jurés, dont le géomètre opérant doit suivre le rapport.
On voit que ce projet contient moins un échange entre tous les propriétaires, qu’une espèce d’arpentement, ou ce que nos lois anciennes appelaient un remembrement. C’est une sorte de cadastre, volontaire et à l’amiable. Ainsi donc les mutations qui paraissent en résulter, ne doivent point être soumises à l’enregistrement. En tout cas, il est digne de la Législature de ne fixer qu’un droit modique, sur le procès-verbal entier d’une opération aussi avantageuse.
[…]
<br/><br/>
<center>'''§. VII. ''AVANTAGES multipliés de la réunion des terres en pièces continues, sur le plan qu’on vient d’exposer.'''''</center>
[…] Il est essentiel de bien saisir, à cet égard, l’esprit de mon projet. Par la réunion des terres que je sollicite aujourd’hui, ce n’est point la grandeur des fermes que je veux procurer. Ce n’est pas à faire des riches que doit consister la science et se porter l’effort des administrateurs. Ils doivent s’occuper de soulager les pauvres. Quelques hommes, très opulents, ne font pas une nation.
[…]
<br/><br/>
<center>'''§ VIII. ''FACILITÉ d’exécuter cette réunion des terres''.'''</center>
[…] Il y a des exemples de ce que je propose, exécutés avec succès avant la révolution, et dans plusieurs communes, par un artiste instruit (le citoyen Mougeot, géomètre à Nancy). […] Le citoyen Mougeot a distribué de nouveau, sur un plan approchant, les terres des finages de Neuviller, de Girecourt, de Roville et la Neuveville, canton de Neuviller et canton de Bayon, département de la Meurthe.
[…]
<br/><br/>
<center>'''§ IX. ''AVANTAGES particuliers de la réunion des terres pour le Gouvernement.'''''</center>
Je sais que le Gouvernement médite dès longtemps le travail d’un cadastre ; mais s’il veut l’opérer sur nos terres comme elles sont, dans leur confusion et leur morcellement, il voudra un ouvrage minutieux, impraticable, de très peu de durée et de très peu d’utilité. […] Il y a quelquefois trente, quarante, cinquante pièces de terre détachées, de figure baroque et de consistance douteuse, pour composer un revenu extrêmement modique. La terre est en lambeaux ; ce sont des découpures dont le détail fastidieux et les mutations fréquentes désorientent et désolent perpétuellement les percepteurs et ceux qui sont chargés de faire les rôles de l’impôt foncier. […]
<br/><br/>
<center>'''§ X. PRÉCAUTIONS pour empêcher que la division indéfinie des terres ne renouvelle par la suite les mêmes inconvénients.'''</center>
Mais, dira-t-on peut être, en supposant que cette idée soit généralement admise, ce nouveau cadastre lui-même deviendrait bientôt incomplet par les mutations. Les partages futurs entre plusieurs cohéritiers, ramèneraient dans peu les subdivisions, auxquelles on n'aurait apporté qu’un remède momentané.
 
Cet inconvénient avait été prévu en 1771, et c’était dans la vue de rendre inaltérable une opération aussi bien concertée, que l’arrêt du conseil d’État, du 28 mars de cette année, assujettissait les habitants de Neuviller et de Roville,
*1° A ne jamais changer, sous aucun prétexte, le sens de culture indiqué par la nouvelle carte ;
*2° A donner pour toujours, à chaque champ, c’est-à-dire au terrain compris entre deux sillons, la largeur de trois toises, mesure de Lorraine ;
*3° A ne jamais diviser aucun champ, c’est-à-dire, que chacun des champs ou espaces compris entre deux sillons, portés dans la carte sous un numéro séparé, ne pouvait être, à titre de vente, donation, testament, partage ou autres actes quelconques, divisé ni morcelé; et que si plusieurs héritiers, donataires, propriétaires, usagers ou usufruitiers, à quelque titre que ce fût, avaient droit à un de ces champs, ce champ devait être par eux vendu, ou licité, ou affermé à prix commun, ou cultivé par indivis. […]


Je suis persuadé que le bien de l’agriculture exigerait la fixité de ces délimitations, que les cultivateurs amélioreraient bien plus un terrain stable et permanent, que des portions fugitives, et que la loi, en l’ordonnant, loin de blesser les intérêts d’aucun propriétaire, ajouterait à la valeur intrinsèque des champs rendus indivisibles, une bien plus grande valeur. […]


==Guerchy, 1787. ''Mémoire sur les obstacles qui s’opposent au parcage des Bêtes à laine en Brie.''==
Assurez aux fermiers
Le troisième obstacle qui n’est pas aisé à surmonter, en ce qu’il tient à la chose publique, & ne dépend pas du Cultivateur, vient de la grande quantité de petites pièces dont sont quelquefois composées les fermes en Brie. Un Fermier qui a une exploitation de deux à trois cent arpents, aura quelquefois des pièces de terre d’un quartier ou d’un demi-arpent qui, étant en long, ne contiennent souvent que trois ou quatre sillons de large ; il est impossible de parquer une pièce aussi étroite, sans entrer sur le terrain de son voisin
*1° DES ENCLOS,  
*2° UN LONG BAIL,  
*3° ET UNE TAXE INVARIABLE,  
Vous ferez naître des prodiges.  


Les ENCLOS sont les gardiens, les garants des récoltes.


==Delpierre jeune, 1800. ''Mémoire sur les moyens d’amener graduellement, et sans secousse, la suppression de la vaine pâture, et même des jachères…''==
Un LONG BAIL donne le moyen de faire des avances et le goût d'améliorer.  
Dans une portion considérable de la France, le bien rural le plus chétif se compose de cinquante, quelquefois de cent lambeaux de terre imperceptibles, placés à de grandes distances les uns des autres, sur lesquels le cultivateur est obligé de se porter successivement pour labourer, fumer, semer et recueillir. On conçoit combien ces découpures donnent de voisins usurpateurs, et par conséquent enfantent de querelles et de procès ; combien par l’interruption qu’elles causent dans les travaux, elles font faire des pas inutiles et consument de temps précieux ; combien enfin les frais de confection et d’entretien des nombreuses clôtures qu’elles rendent nécessaires, nuisent aux succès des plantations et des cultures diverses que l’agriculteur a intérêt d’entreprendre. (p. 2-3)


La TAXE INVARIABLE rassure le cultivateur contre la crainte naturelle de voir punir son industrie par une surcharge d’impôt. […]


==[[A pour personne citée dans les annexes:: Nicolas François de Neufchâteau|François de Neufchâteau]], 1806.==
Mais je ne pense pas qu’il faille conserver dans l’indivision de trop grandes pièces de terre. J’aimerais mieux qu’on décrétât qu’aucun champ ne pourrait être divisé, morcelé, loti partagé, au-dessous de la consistance d’une certaine quotité, ou d’une largeur fixe. Et cela suffirait pour ne pas retomber dans les pertes de temps, de graine et de semence, qui sont les suites nécessaires des trop petites découpures.
<center>''Coup d'œil sur l’abus excessif de la désunion des terres dans la Sénatorerie de Dijon.''<center>
[…] ces propriétés sont morcelées à un excès qui découpe en petits lambeaux le territoire des communes, et qui offre partout les incidents les plus bizarres. La répartition entre tous les propriétaires est en effet si vicieuse, qu’un territoire (ou ce qu’on nomme un finage, dans le pays), s’il est de cinq cents hectares en tout, est formé ordinairement de cinq à six mille parcelles, qui appartiennent à cinquante ou soixante particuliers. […] Par l’effet des morcellements et des partages successifs, les champs ont reçu les figures les plus défavorables ; leur longueur excède souvent cent fois leur largeur. Il y a des propriétés qui ne contiennent que deux ares : il en est de moindres encore. (p. 30-31)


===Référence===
François de Neufchâteau N., 1797. ''Arrêté de l’Administration centrale du Département des Vosges sur un moyen préliminaire d’encourager l’agriculture dans ce département, par la réunion des propriétés morcelées''. Séance du 15 floréal, an V. 89 p. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56945w Texte intégral] sur Gallica.


Références
*Anonyme, 1763. Réflexions sur le morcellement, ou la trop grande subdivision des Terres. ''Journal Œconomique'', février : 61-64. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4224729z Texte intégral] sur Gallica.
*Delpierre jeune, 1800. ''Mémoire sur les moyens d’amener graduellement, et sans secousse, la suppression de la vaine pâture, et même des jachères, dans les départements qui sont grevés par ces usages, en leur procurant la ressource des prairies artificielles et autres plantations, sans forcer les cultivateurs de recourir à la voie dispendieuse des clôtures particulières''.  Paris, Imprimerie Nationale, 19 p. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k43677r Texte intégral] sur Gallica.
*Duhamel du Monceau H.L., 1762. ''Éléments d’agriculture'', t. 2. Paris, 412 p. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96132057 Texte intégral] sur Gallica.
*François de Neufchâteau N., 1806. ''Voyages agronomiques dans la sénatorerie de Dijon''. Paris, XII + 260 p. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k851096 Texte intégral] sur Gallica.
*Guerchy, 1787. Mémoire sur les obstacles qui s’opposent au parcage des Bêtes à laine en Brie. ''Mémoires de la Société Royale d’agriculture'', trimestre d’hiver, p. 46-51. [[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5848804x Texte intégral] sur Gallica.
*Pattullo H., 1758. ''Essai sur l’amélioration des terres''. Paris, 1758, 287 p. + planches. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49994m Texte intégral] sur Gallica.


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Dernière version du 16 mai 2022 à 11:23

Date de mise en ligne
16 mai 2022
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Pourquoi et comment remembrer, par François de Neufchâteau (1797)


LE COMMISSAIRE DU DIRECTOIRE EXECUTIF, ayant pris la parole, a dit :

Citoyens Administrateurs,

[…] Je vous entretiendrai

1° D’un moyen préalable, et le seul qui existe, de ranimer l’agriculture dans ce département et dans ceux où les terres sont aussi dispersées, divisées, morcelées, qu’elles le sont dans ce pays […].

Je montrerai que de ces causes d’abattement et de langueur, la principale est dans les restes de nos vieilles lois féodales, qui n’ont pas été abrogées par le code rural, et qui gênent et contrarient l’exercice des droits sacrés de la propriété.

J’en indiquerai le remède, dans la réunion en pièces contiguës, de ces morceaux de terre épars, appartenant dans chaque endroit à un même propriétaire.

Je tracerai la marche à suivre pour amener ce résultat, naturellement, sans secousses, et sans de trop grands frais. […]

Je finirai par un coup d'œil sur les moyens de rendre stable ce grand bienfait pour les campagnes, et d’empêcher que l’avenir ne ramène à la longue la division infinie de nos propriétés et tous les abus qu’elle entraîne. […]

((Parlant du décret de 1791 concernant les biens et usages ruraux :))

Comment, en faisant tant d’articles pour favoriser les clôtures, a-t-on pu oublier que la permission de clore, bonne pour les grands terrains des riches et pour ceux qui se trouvent en pièces contiguës, deviendrait nulle et illusoire à l’égard des champs dispersés et de l'étroit terrain du pauvre ?

Comment, lorsqu’on a fait un article pour autoriser le bornage des propriétés adjacentes, a-t-on omis d’en faire un autre, pour amener l’échange des propriétés éloignées ? […]

§ V. INCONVENIENTS qui résultent de l'état actuel des terres, divisées, morcelées, etc.

Il est incontestable que la dispersion et le morcellement des terres est le plus grand obstacle aux progrès de l’agriculture, dans ce département et dans ceux où les champs sont également divisés.

Les pièces dont l'ensemble compose une ferme, ou gagnage, suivant le terme du pays, sont des fractions, des hachures, éloignées les unes des autres. Huit arpents qui, dans l’origine, ont appartenu, je suppose, à un père de huit enfants, ont fait, dans sa succession, autant de lots d’un seul arpent. Chacun de ces arpents a pu être, à son tour, loti et divisé de même entre d’autres cohéritiers. On a cherché à rassembler, à rapprocher les bouts de champs, pour former les gagnages ; mais les droits ((taxes)) sur les actes ont empêché beaucoup d’échanges. Le caprice particulier ne s’y est pas moins opposé. […]

Dans un pays si montueux, il était difficile de réunir de grandes pièces. Il n’est pas un cinquantième des terres du département qui ne soient plus ou moins en pente ; mais cette pente même, rendant la culture pénible, exigeant plus de soins dans la direction du soc et des sillons, rend infiniment plus sensibles les désavantages énormes que cause le morcellement de tous les héritages.

De la division, de la dispersion de ces morceaux de terre, qui composent le ban ou finage d'une commune, il résulte qu’un laboureur, dans le temps des ouvrages, suffit à peine à reconnaître et à montrer où sont et ses champs et ses prés. Son temps, celui des ouvriers, celui des voituriers, se perd continuellement à courir d’un endroit à l’autre.

La plus grande partie des fonds est quelquefois réduite à une consistance si mince et si précaire qu’ils ne paraissent pas valoir la peine d’être cultivés. Alors on les néglige ou on les laisse en friche. Les séparations que la division entraîne, perdent des espaces immenses en sillons absolument vides. Et si la terre est précieuse, on se l'arrache avec fureur.

D’ailleurs, le grand éloignement où les terrains appartenant à un même propriétaire se trouvent l’un de l’autre, ne permet pas d’y apporter les engrais nécessaire, ni d’y donner des soins égaux. Du mélange des héritages naît la facilité des usurpations, qui produisent sans cesse des querelles et des procès. Il est même un genre de vol, une espèce de voie de fait, absolument particulière à nos départements et inconnue ailleurs. C'est le retournement des roies, ou pour parler français, le renversement des sillons, que les cultivateurs se dérobent les uns aux autres. Ils vont, à cet effet, enfoncer leur charrue dans les blés même ensemencés, sous le prétexte de reprendre ce qu’un voisin leur aura pris. Et, par cette manœuvre il se perd tous les ans immensément de grains, sans parler des tisons de haine, de discorde et e vengeance, qu’une telle pratique allume dans les champs paisibles.

Il est d’autres occasions de querelles et de chicanes. On ne peut très souvent pénétrer à un champ, on ne peut aborder un pré, sans passer au travers des fonds de beaucoup de propriétaires et sans les dégrader. Par la direction des eaux, que conduit à son gré chaque cultivateur, il a la faculté de ruiner les champs voisins. La multiplicité des chemins tortueux, qui s’élargissent à mesure que le séjour des eaux les rend impraticables, rend les accès plus difficiles et absorbe, de plus, quantité de terrain. La culture se donne indifféremment en tout sens; les laboureurs se croisent. Le défaut d’observation des pentes naturelles dans la direction des sillons ou des roies, produit des ravins innombrables, et rend trop souvent infertiles, par le défaut d’écoulement des eaux stagnantes et privées, des contrées susceptibles de productions abondantes. […]

Ces inconvénients anéantissent presque le droit de la propriété et l’essor de l’agriculture. Car est-ce être propriétaire, que de n’être pas maître de clore son terrain, pour tâcher d’en tirer tout ce qu’il peut produire ? Est-ce être agriculteur, que de n’être pas libre d’adopter dans sa terre tel ou tel genre de culture ; de ne pouvoir choisir ni le mode de ses ouvrages, ni l'espèce de ses semences, ni l'époque de ses récoltes ; d’être enchaîné par ses voisins, au point de ne pouvoir agir et travailler qu’avec eux et comme eux ? Quelle amélioration, quelle méthode avantageuse pourrait-on introduire dans des pièces de terre ainsi morcelées et ouvertes ? En vain vous enverrez à ces cultivateurs les livres les mieux faits, les graines les plus précieuses, les plus belles instructions ; en vain, vous leur proposerez des primes et des récompenses ; en vain, vous leur direz d’essayer la disette, la luzerne, ou le trèfle ; d’alterner leurs cultures, afin d’abolir les jachères ; de faire des plantations, dans les terrains qui leur sont propres ; de saigner les terres humides, par des fossés et des pierrées ; de faire parquer leurs moutons ; d’élever plus de bestiaux, pour avoir plus d’engrais, etc., ils répondront par le proverbe pour néant plante, qui ne clôt ; et ils ne peuvent clore. Ils ne peuvent risquer des essais, qui seraient dévorés aussitôt par les troupeaux communs. Dans l’état où est leur terrain placé loin de leurs yeux et hors de leur portée, réduit en fractions souvent imperceptibles, ils font tout ce qu’ils peuvent faire ; et tant qu’existera la division infinie des héritages qu’ils cultivent, ils ne pourront jamais obtenir un autre produit que celui qu’ils en tirent.

Et qu’il est faible, ce produit, comparé, soit aux résultats de la culture anglaise, soit même seulement à ceux de la culture, quoique bien moins parfaite, qui a lieu dans les fermes où les terres sont réunies en pièces contiguës ? […]

§ VI. Du seul moyen de ranimer la culture des terres de ce département, par leur réunion, sur un plan régulier.

Or, le remède radical, le seul qui puisse tout-à-coup égaler la prospérité de ce département à l’état florissant dont sa culture est susceptible, c’est de distribuer les terres de chaque territoire, de manière à remplir les conditions ci-après. Je suppose qu’une commune frappée des inconvénients de la division à l’infini des terres, se fait autoriser par vous afin de faire procéder à un échange général et un partage régulier de tout son territoire.

Un géomètre expert lève d’abord un plan total des terres et prés du finage. Ce plan n’est que préparatoire. On dépouille les titres qui sont représentés. On distingue les terres bonnes, médiocres, mauvaises. On calcule ce qui revient à chacun ; on combine sur le terrain, ainsi que sur le plan, les moyens de distribuer, avec égalité, mais en les rapprochant, comme il va être dit, les articles qu’il faut remplir.

Dans la division nouvelle, chaque propriétaire doit recevoir suivant ses titres ou sa possession, tous les fonds dispersés qu’il possède dans la commune, en un seul lot pour chaque sole, ou pour chacune des contrées qu’il sera nécessaire de différencier, attendu les diverses natures de terrain. Au lieu d’un lot unique, on peut en faire deux ou trois dans chacune des soles, vu que le fléau de la grêle, commun dans ce pays, frappe souvent à un endroit et en épargne un autre. Je ne veux pas d’ailleurs des pièces trop considérables ; mais il faut seulement qu’on puisse les enclore.

La distribution doit fixer le sens dans lequel chaque contrée sera désormais cultivée, en ménageant la pente et la direction des eaux, circonstance très nécessaire dans un pays si montueux. On doit, pour la culture et l’enlèvement des récoltes, tracer en ligne droite des chemins, qui doivent rester libres à perpétuité. Et par ce moyen, chaque champ doit aboutir sur un chemin. […] En cas de contestations entre les habitants, propriétaires ou fermiers, pour les remplacements et les indemnités, ces contestations doivent être soumises à des experts jurés, dont le géomètre opérant doit suivre le rapport. On voit que ce projet contient moins un échange entre tous les propriétaires, qu’une espèce d’arpentement, ou ce que nos lois anciennes appelaient un remembrement. C’est une sorte de cadastre, volontaire et à l’amiable. Ainsi donc les mutations qui paraissent en résulter, ne doivent point être soumises à l’enregistrement. En tout cas, il est digne de la Législature de ne fixer qu’un droit modique, sur le procès-verbal entier d’une opération aussi avantageuse. […]

§. VII. AVANTAGES multipliés de la réunion des terres en pièces continues, sur le plan qu’on vient d’exposer.

[…] Il est essentiel de bien saisir, à cet égard, l’esprit de mon projet. Par la réunion des terres que je sollicite aujourd’hui, ce n’est point la grandeur des fermes que je veux procurer. Ce n’est pas à faire des riches que doit consister la science et se porter l’effort des administrateurs. Ils doivent s’occuper de soulager les pauvres. Quelques hommes, très opulents, ne font pas une nation. […]

§ VIII. FACILITÉ d’exécuter cette réunion des terres.

[…] Il y a des exemples de ce que je propose, exécutés avec succès avant la révolution, et dans plusieurs communes, par un artiste instruit (le citoyen Mougeot, géomètre à Nancy). […] Le citoyen Mougeot a distribué de nouveau, sur un plan approchant, les terres des finages de Neuviller, de Girecourt, de Roville et la Neuveville, canton de Neuviller et canton de Bayon, département de la Meurthe. […]

§ IX. AVANTAGES particuliers de la réunion des terres pour le Gouvernement.

Je sais que le Gouvernement médite dès longtemps le travail d’un cadastre ; mais s’il veut l’opérer sur nos terres comme elles sont, dans leur confusion et leur morcellement, il voudra un ouvrage minutieux, impraticable, de très peu de durée et de très peu d’utilité. […] Il y a quelquefois trente, quarante, cinquante pièces de terre détachées, de figure baroque et de consistance douteuse, pour composer un revenu extrêmement modique. La terre est en lambeaux ; ce sont des découpures dont le détail fastidieux et les mutations fréquentes désorientent et désolent perpétuellement les percepteurs et ceux qui sont chargés de faire les rôles de l’impôt foncier. […]

§ X. PRÉCAUTIONS pour empêcher que la division indéfinie des terres ne renouvelle par la suite les mêmes inconvénients.

Mais, dira-t-on peut être, en supposant que cette idée soit généralement admise, ce nouveau cadastre lui-même deviendrait bientôt incomplet par les mutations. Les partages futurs entre plusieurs cohéritiers, ramèneraient dans peu les subdivisions, auxquelles on n'aurait apporté qu’un remède momentané.

Cet inconvénient avait été prévu en 1771, et c’était dans la vue de rendre inaltérable une opération aussi bien concertée, que l’arrêt du conseil d’État, du 28 mars de cette année, assujettissait les habitants de Neuviller et de Roville,

  • 1° A ne jamais changer, sous aucun prétexte, le sens de culture indiqué par la nouvelle carte ;
  • 2° A donner pour toujours, à chaque champ, c’est-à-dire au terrain compris entre deux sillons, la largeur de trois toises, mesure de Lorraine ;
  • 3° A ne jamais diviser aucun champ, c’est-à-dire, que chacun des champs ou espaces compris entre deux sillons, portés dans la carte sous un numéro séparé, ne pouvait être, à titre de vente, donation, testament, partage ou autres actes quelconques, divisé ni morcelé; et que si plusieurs héritiers, donataires, propriétaires, usagers ou usufruitiers, à quelque titre que ce fût, avaient droit à un de ces champs, ce champ devait être par eux vendu, ou licité, ou affermé à prix commun, ou cultivé par indivis. […]

Je suis persuadé que le bien de l’agriculture exigerait la fixité de ces délimitations, que les cultivateurs amélioreraient bien plus un terrain stable et permanent, que des portions fugitives, et que la loi, en l’ordonnant, loin de blesser les intérêts d’aucun propriétaire, ajouterait à la valeur intrinsèque des champs rendus indivisibles, une bien plus grande valeur. […]

Assurez aux fermiers

  • 1° DES ENCLOS,
  • 2° UN LONG BAIL,
  • 3° ET UNE TAXE INVARIABLE,

Vous ferez naître des prodiges.

Les ENCLOS sont les gardiens, les garants des récoltes.

Un LONG BAIL donne le moyen de faire des avances et le goût d'améliorer.

La TAXE INVARIABLE rassure le cultivateur contre la crainte naturelle de voir punir son industrie par une surcharge d’impôt. […]

Mais je ne pense pas qu’il faille conserver dans l’indivision de trop grandes pièces de terre. J’aimerais mieux qu’on décrétât qu’aucun champ ne pourrait être divisé, morcelé, loti partagé, au-dessous de la consistance d’une certaine quotité, ou d’une largeur fixe. Et cela suffirait pour ne pas retomber dans les pertes de temps, de graine et de semence, qui sont les suites nécessaires des trop petites découpures.

Référence

François de Neufchâteau N., 1797. Arrêté de l’Administration centrale du Département des Vosges sur un moyen préliminaire d’encourager l’agriculture dans ce département, par la réunion des propriétés morcelées. Séance du 15 floréal, an V. 89 p. Texte intégral sur Gallica.


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