Raison, rationnel & Cie : mots piégés ! - Complément 1

De Les Mots de l'agronomie
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Cette annexe se rapporte à l'article Raison, rationnel & Cie : mots piégés !.

Forum de l’agriculture raisonnée

Auteur : Guy Paillotin

Texte écrit pour Les mots de l’agronomie en avril 2009.

C’est en 1993, qu’une association, le Forum de l’agriculture raisonnée, respectueuse de l’environnement (FARRE), a choisi de promouvoir le concept d’agriculture raisonnée. D’entrée de jeu, elle a dû affronter l’ambiguïté du terme « raisonné ». C’est un qualificatif familier aux agronomes, mais bien moins pour le grand public et même les agriculteurs.

Si on se réfère au « petit Robert » ce terme est introduit au début du XVIIème siècle pour qualifier ce qui est « appuyé de raisons, et de preuves », ce qui représente très exactement l’ambition de l’agriculture raisonnée.

S’agissant plus spécifiquement de l’agronomie, il faut citer l’ouvrage de J.F. FONTALARD, publié en 1794 (An second de la République), sous le titre : « Principes raisonnés de l’agriculture ». Une recherche historique plus avancée devrait faire mention de J. GOTTSCHALK VALERIUS dont cet ouvrage s’inspire, mais nous n’avons pas trouvé trace de cet auteur. Cependant le terme « raisonné » est sans doute un choix de J.F. FONTALARD, dans le contexte de l’époque. Il faut citer deux courts extraits de cet ouvrage : « Éclairés sur leurs droits politiques et naturels, les habitants utiles et laborieux des campagnes, ne le sont pas encore assez sur la méthode de diriger avantageusement leurs travaux rustiques » et plus loin : C’est le résultat des observations, et de nombres d’expériences faites par plusieurs auteurs de diverses nations… qu’il faut suivre, pour obtenir de notre MERE COMMUNE les richesses qu’elle ne prodigue qu’à un travail opiniâtre et raisonné ».

Ce paternalisme généreux et condescendant n’a jamais été le fait de FARRE, mais comme s’il était inscrit dans la mémoire populaire et agricole, il a joué, à retardement, son rôle dans une certaine défiance à l’égard de l’agriculture raisonnée. Au demeurant, il y a des mots qui en appellent d’autres, à consonance voisine, mais à sens bien différent. Raisonné évoque raisonnable et surtout déraisonnable. De là nombre d’interrogations, certes hors sujet, mais bien présentes devant la promotion de l’agriculture raisonnée tournant autour de cette interrogation : aurions-nous jusqu’ici été déraisonnables ?

Alors pourquoi choisir ce terme de raisonné ? Première observation FARRE ne parle pas d’agriculture raisonnée en soi, mais d’agriculture raisonnée pour le respect de l’environnement. C’est une novation considérable, issue des interrogations qui se font jour après la réforme de la politique agricole commune (PAC) de 1992. Seulement le monde agricole internalise le concept, il y voit une forme d’agriculture différente et non point une attention à l’environnement. Cette incompréhension est en fait à la base du relatif échec de l’agriculture raisonnée, mais nous y reviendrons.

L’histoire se nourrit aussi de détails. Dès sa constitution l’association FARRE rassemble des agriculteurs, des représentants de l’industrie agro-alimentaire, mais surtout – initiative audacieuse – des représentants de l’agro-fourniture, plus tard de la grande distribution. Lorsqu’on pense aux ambitions de FARRE, un terme vient à l’esprit : celui d’agriculture intégrée.

Or celui-ci est rejeté par les agriculteurs français au motif qu’il reflèterait une intégration insupportable de l’agriculture dans la « filière agro-alimentaire ». Ainsi, l’association la plus ouverte qui soit à son environnement économique est aussi celle qui réforme le terme « d’intégré » adopté à l’échelle internationale pour la préservation de l’environnement, pour des raisons de communication interne à la profession agricole. Cela donnera beaucoup de latitude aux défenseurs « intégristes » de l’agriculture « intégrée » pour pourfendre une démarche qu’ils jugent insuffisante.

Mais les choses prennent une toute autre tournure à la fin des années 90. Quelques enseignes de la grande distribution, voient dans l’agriculture raisonnée, une option crédible pour soutenir une production respectueuse de l’environnement, sans être entravées par le surcoût de l’agriculture biologique. Ils recherchent à créer une sorte de nouveau label et s’adressent pour cela à la Commission nationale des labels et certification (CNCL). Celle-ci, courant 1999, se déclare incompétente, dans la mesure où l’agriculture raisonnée correspond à un mode de production et non point à une qualification des produits. L’agriculture raisonnée met ainsi en évidence un vide réglementaire sur les impacts environnementaux de l’agriculture et ce n’est pas le moindre de ses mérites.

À la mi septembre 1999, Jean GLAVANY, Ministre en charge de l’agriculture confie à Guy PAILLOTIN, Président de l’INRA le soin d’éclaircir ce problème.

Après avoir auditionné plus d’une centaine de personnalités, G. PAILLOTIN conclut que l’agriculture raisonnée ne peut revendiquer d’autre originalité que d’être une démarche respectueuse de l’environnement et qu’à ce titre elle échappe à une régulation par des intérêts privés.

Il lui faut par contre satisfaire à des exigences, clairement définies, susceptibles d’être consignées avant toute action, bref d’obéir à une démarche de qualité. L’idée est dans l’air du temps : la Région Picardie a initié une telle démarche baptisée Qualit’ Terre et les coopératives ne sont pas en reste. C’est sur cette base que le concept d’agriculture raisonnée trouve une nouvelle consistance : être une démarche de qualité, fondée sur le respect de l’environnement et sur l’engagement des agriculteurs eux-mêmes. Cette nouvelle base est acceptée par les pouvoirs publics entre 2000 et 2001. Ils ressentent dans cette démarche une nouvelle forme de coopération entre l’Etat et les agriculteurs, laquelle a été adoptée depuis plusieurs années par les pays du nord de l’Europe. Avec des degrés d’engagement variable, ils soutiennent, au moins en principe, cette démarche de progrès volontaire.

Pourtant les choses n’avancent guère. Les oppositions à l’agriculture raisonnée restent présentes, sans que leurs promoteurs saisissent l’intérêt d’une démarche de qualité. L’écoconditionnalité des aides vient brouiller le message d’une démarche volontaire, l’excès d’exigences posé à l’agriculture raisonnée rend son accès difficile.

En 2007 se tient en France le Grenelle de l’Environnement. Cette consultation très large rebat les cartes. Une idée est émise qui prend de la consistance : certifier les exploitations sur le critère du respect de l’environnement. A cette occasion l’agriculture raisonnée est revisitée. Force est de constater son relatif échec : 3000 exploitations qualifiées soit dix fois moins qu’espéré. Alors émerge l’idée qu’on peut reprendre le concept en le simplifiant, à travers une certification à haute valeur environnementale (HVE).

L’idée est bonne. Mettre en avant une « haute valeur » détruit le caractère paternaliste de l’agriculture raisonnée telle qu’imaginée en l’an second de la République. Desserrer l’étreinte d’une qualification unique, considérée tantôt comme excessive, tantôt comme laxiste laisse du jeu à l’initiative des agriculteurs.

Si tout se passe pour le mieux, le concept d’agriculture raisonné aura été un jalon transitoire mais indispensable vers un engagement formalisé de l’agriculture française à l’égard de l’environnement.

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