Blé - Annexe 1

De Les Mots de l'agronomie
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La notion de céréale évolue

(Comet G., 1992. Le paysan et son outil. Essai d’histoire technique des céréales (France, VIIe-XVe siècles). École française de Rome, Rome, p. 214-216).


« Notre classification botanique actuelle n'est pas le résultat d'une expérience agronomique : elle distingue des espèces, formellement différentes, sans se préoccuper des qualités nutritionnelles qu'elles représentent pour l'homme ou pour les animaux. Elle découle d'un esprit de système abstrait qui cherche à déterminer des catégories.

Le concept de céréale évolue

Les appellations anciennes ou certaines appellations actuelles non-scientifiques, ressortissent d'une autre approche, celle de l'expérience. Nous avons vu que l'on a toujours bien individualisé dans le vocabulaire l'orge, l'avoine, le seigle, le millet, l'épeautre, le sorgho. Ce qui pose question, ce sont les notions de céréale et de froment. Il y a là deux concepts bien différents: l'un, celui de céréale, concerne ce qui sert de base à l'alimentation quotidienne de l'homme, plus spécialement sous forme de bouillie ou de pain. L'autre, celui de froment, c'est celui du grain le meilleur, le plus noble, l'idéal de l'abondance.

Dès lors, annona, bled, céréale traduisent le même concept à des époques différentes. Annona englobe les pois et les vesces qui passent ensuite dans le mot vernaculaire bled, parce qu'alors les légumineuses sont, dans la réalité de l'alimentation, mêlées aux grains. Les légumineuses sortent du mot bled à partir du moment où la production céréalière est suffisante pour qu'elles n'en soient plus un complément indispensable. Alors, le bled devient l'ensemble des plantes que l'on moissonne et dont on fait le pain. Bled, réduit aux seules céréales, se nuance ensuite par la distinction entre gros et menus bleds. C'est le résultat à la fois d'une expérience culinaire et d'une pratique agronomique. Le clivage se fait entre ce que l'homme consomme et ce qu'il laisse à l'animal (sauf à le consommer en cas de pénurie) et, de façon presque parallèle, entre les grains que l'on sème à l'automne et ceux du printemps.

Les termes les plus vastes et les plus flous correspondent aux temps où l'objectif essentiel était de produire une quantité de nourriture permettant d'assouvir les besoins indispensables : grains et légumineuses sont réunis sous un même vocable. Pline toutefois les distinguait nettement, opposant les frumenta (blé, orge...) aux legumina (fèves, chiches...) (XVIII, 48). Mais c'était là discours scientifique ; par la suite nous n'avons plus que des textes de la pratique qui, eux, n'entrent pas dans cette distinction-là. Une fois ce premier objectif de nourriture atteint, on a pu préciser quel était le meilleur parmi les grains, celui qui était aussi suffisamment digne d'être consacré à Dieu dans l'hostie, celui aussi qui avait la faveur de l'aristocratie. Ce n'est qu'ensuite qu'on a séparé ce qui convient à l'homme et ce que l'on réserve aux animaux, et qu'on a distingué blés d'hiver et de printemps.

Ces distinctions dans le vocabulaire sont bien fragiles ; d'un auteur l'autre, les nuances varient et il convient de toujours demeurer prudent dans l'interprétation des termes, surtout des plus anciens. Cette instabilité du sens que revêtent les mots vient de leur usage très fréquent et aussi de ce que ces notions traduisent parfois davantage des aspirations que des réalités. Il suffit d'une disette pour que l'avoine devienne un mauvais pain, et que les farines de fèves ou les vesces redeviennent l'essentiel de la nourriture quotidienne. »


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